2. Une première exploration des pistes de remédiation

La dépollution des sols contaminés par des métaux lourds ou des polluants chimiques a fait énormément de progrès ; elle est sortie des laboratoires de recherche pour devenir une industrie.

Mais, en dépit de ces succès, l'exploration de solutions de réhabilitation des milieux pollués par la chlordécone doit tenir compte de plusieurs facteurs spécifiques de cette pollution.

D'abord, un changement d'échelle . Ce n'est pas une installation industrielle qui est polluée mais une surface potentielle évaluée a plus de 65 000 hectares en Guadeloupe et en Martinique.

Ensuite, l'ubiquité de la pollution . Celle-ci diffuse régulièrement à partir des sols, dans les bassins fluviaux et dans la mer. C'est donc un continuum de pollution qu'il faudra traiter. Même si, l'éradication de la source terrestre permettra d'arrêter son transfert.

De plus, les caractéristiques de robustesse de la molécule (des atomes de carbone étroitement encagés par des atomes de chlore) et son incrustation forte dans certains types de sol limitent, en l'état de nos connaissances, les possibilités de dégradation.

Et, compte tenu de ces effets d'échelle, les solutions dégagées en laboratoires et sur prototype devront l'être à des prix tolérables pour les collectivités qui financeront la dépollution.

In fine , on doit également mentionner trois sujets qui ne sont pas sans conséquences pratiques si l'on trouve des solutions de dépollution.

Il faudra que les processus de réhabilitation n'aboutissent pas à une dégradation de la qualité agronomique des sols. Il sera aussi nécessaire de porter une grande attention aux métabolites de dégradation de la molécule pour ne pas se trouver confronté à des produits dont la nocivité pourrait être proche de celle de la chlordécone mais pas identifiée. Il sera, également, indispensable d'installer dans les îles des installations permettant la destruction de ces déchets .

Lors de son audition, M. Karg, Président Directeur Général du groupe HPC Envirotec, a insisté sur la lente dégradation de la molécule en milieu anaérobique et sur le fait que la solubilité de la molécule peut être augmentée par modification du pH.

Il a suggéré d'établir une hiérarchie entre les zones contaminées dont le traitement serait prioritaire. Le tableau suivant résume les méthodes qui pourraient être utilisées pour réabiliter et dépolluer ces sols.

Vos rapporteurs pensent qu'en s'appuyant sur les méthodes développées pour décontaminer les friches industrielles, il est nécessaire d'étudier des solutions de traitement chimique de sols contaminés ou reconstitués. Ils ont également suggéré qu'une étude puisse être menée sur la plateforme Lorraine de lysimétrie qui permet précisément, dans des grosses colonnes équipées de capteurs, de vérifier l'incidence des traitements chimiques ou biologiques sur les sols.

a- la phytoremédiation

La phytoremédiation est employée avec succès dans la dépollution des friches industrielles imprégnées de résidus de métaux lourds.

Mais jusqu'ici elle a été très peu explorée sur la chlordécone. La littérature mentionne une étude américaine (Topp, 1986) d'essai de phytoremédiation à l'aide de cresson qui ne s'est pas avérée concluante. Mais ce type de méthode a été utilisé en vue de l'éradication de certains organochlorés comme le TCE (trichloréthylène)

Deux voies de recherche dans ce domaine sont possibles :

- soit par phytoremédiation directe « in situ », une plante comme l'echinochloa qui fixe les organes chlorés (et les métaux lourds) dans ses rhizomes pourrait être un des vecteurs de cette recherche ;

- soit par phytoépuration « ex situ » dans des bassins contenant du papyrus (cela éventuellement en symbiose avec des micro-organismes).

Ces solutions ont été déjà employées aux fins de dépollution de sites et mises en oeuvre à des prix acceptables sur longue durée (de 20 à 70 euros par tonne traitée).

Peut-être serait-il aussi possible d'envisager la capacité d'absorption de la chlordécone par des phytoplanctons ?

Le lancement de recherches sur tout le spectre des possibilités offertes par phytoremédiation exigerait rapidement l'installation de démonstrateurs in situ .

b- La remédiation physicochimique

Une autre piste pourrait être l'utilisation du fer à valence nulle (Fe0) qui est utilisé en dépollution depuis cinq à six ans et dont les atomes peuvent être préparés chimiquement pour fixer un maximum de molécules.

c- La bioremédiation

La littérature mentionne plusieurs contributions à la recherche d'une dégradation microbiologique de la chlordécone. En milieu aérobie, Orndorff et Clolwell (1980) ont tenté une métabolisation par une bactérie de type pseudomonas avec des résultats faibles et en obtenant des métabolites de dégradation dont la toxicité n'a pas été évaluée.

En milieu anaérobie, une étude datant de 1996 (Jablonsky et al) font état de l'utilisation d'une bactérie thermophile à une température de 50° qui aboutit à une dégradation de 85 % de la molécule en 10 jours et à la formation de dérivés déchlorurés de la chlordécone.

Une équipe pluridisciplinaire associant, notamment, des chercheurs de l'Université des Antilles et de la Guyane a confirmé ces résultats en obtenant à une température de 40° une dégradation de 76 % sur des échantillons d'eaux usées dosées à 2 mg/l de chlordécone.

Sur la base des expériences menées pour détruire le gamma HCH (composé organochloré), la faisabilité technico-économique de ce type d'élimination pourrait être étudiée sur des prototypes constitués de tertres ou d'andains (couverture de fourrage) microbiologiques :

Par ailleurs, deux projets de recherche sont en voie de maturation.

L'un proposé par l'IRD repose sur le constat déjà établi dans une publication américaine (Georges et Claxton 1988), que l'encagement du carbone par une armature de chlore rendait la chlordécone potentiellement très résistante aux attaques bactériennes.

Le projet de l'IRD qui a été présenté à l'ANR en 2008, mais non retenu - non sur le principe mais parce qu'il présentait des problèmes de faisabilité au niveau des analyses - visait à rechercher des candidats microbiens actifs dans la dégradation de la chlordécone au sein des mangroves.

Ce milieu présente avec l'alternance des marées, l'intérêt de pouvoir analyser l'effet d'une double action de dégradation :

- anaérobique permettant d'altérer la barrière de chlore de la molécule,

- aérobique permettant l'attaque par les bactéries des atomes de carbone rendus biodisponibles.

L'autre projet est une action incitative programmée qui est actuellement étudiée par l'INRA et qui pourrait regrouper des chercheurs de l'université des Antilles et de la Guyane, de l'Institut Polytechnique de Lausanne et diverses équipes spécialisées en écologie fonctionnelle des microorganismes (CEA, CNRS, IRD).

Sur la base du constat de la coexistence de colonies bactériennes et de la chlordécone depuis des dizaines d'années, il viserait, grâce à la génomique à haut débit, à l'identification des fragments de gènes bactériens modifiés par la chlordécone et à l'examen des effets éventuels de ces modifications sur la stabilité de la molécule.

Un des aspects intéressants de ce projet est qu'il s'intéresserait également à des bactéries vivant dans des milieux extrêmes dont la survie ne repose pas uniquement sur le cycle du carbone - difficilement attaquable dans un premier temps mais sur d'autres cycles chimiques.

d- Une interrogation sur le décapage des sols

Le rapport de la mission menée en 2005 à l'Assemblée nationale et présidée par M. Philippe Edward-Mariette, notait que l'incinération des terres polluées dans des installations sécurisées avait un coût prohibitif, compte tenu des surfaces affectées et des volumes concernés puisque la pollution des sols n'était pas uniquement concentrée au niveau superficiel.

Or, un des constats fait ultérieurement par les équipes de l'INRA et du CIRAD est qu'une grande partie de la pollution se limite entre 0 et 10 centimètres, en particulier dans les andosols qui ont absorbé très fortement la molécule.

Sous la réserve naturellement de disposer des installations appropriées - qui devraient un jour ou l'autre être implantées dans les îles, ne serait-ce que pour détruire les métabolites de dégradation de la chlordécone qui auraient pu être obtenues par des actions de remédiation - , il ne serait pas inintéressant d'étudier le coût et la faisabilité d'un décapage partiel des zones les plus polluées.

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