(3) La nécessité de s'appuyer sur des projets concrets

L'insertion régionale ne se décrète pas. Elle passe avant tout par des projets concrets dans des domaines structurants : telle est la conviction de votre mission commune d'information.

À cet égard, le projet de câble numérique sous-marin aux Antilles , lancé à l'initiative de la Guadeloupe, offre un exemple particulièrement efficace de coopération régionale.

L'exemple du projet de câble numérique sous-marin aux Antilles

La Région Guadeloupe a lancé en 2005 le projet « Guadeloupe numérique », dont l'objectif est de contribuer à aménager le territoire et à développer l'économie en s'appuyant sur les technologies de l'information et de la communication.

Dans ce cadre, la région a défini une stratégie pour améliorer le raccordement de l'archipel aux réseaux mondiaux de télécommunication à « haut débit » par la pose d'un câble sous-marin et par la mise en place d'un site d'échanges électroniques. Il s'agit ainsi de permettre le libre accès au « haut-débit » sur l'ensemble du territoire aux opérateurs et fournisseurs d'accès.

D'une longueur de 890 km, le câble sous-marin permet de relier la Guadeloupe à Porto-Rico, en passant par Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Le coût total de ce projet s'élève à 21,9 millions d'euros, financé à hauteur de 31 % par la région, 42% par l'Union européenne, 2 % par l'Etat et 25 % par Global Caribbean Network, jeune société guadeloupéenne sous contrat de délégation de service public avec la Région Guadeloupe. Le câble est en service depuis octobre 2006.

Lors de la 1 ère conférence de désenclavement numérique, qui s'est tenue en Guadeloupe le 31 mai 2005, sous l'égide de l'Union européenne, plusieurs représentants de pays membres de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale ont fait part de leur intérêt pour la desserte de leur territoire par le câble de la région Guadeloupe. Ce partenariat s'est traduit par le déploiement de plusieurs extensions du câble sous-marin vers le nord et vers le sud, vers les îles de Saint-Christophe-et-Niévès, Antigua et Barbade, la Dominique et la Martinique.

Des extensions vers le sud, avec le Guyana, le Surinam et la Guyane, ainsi qu'en direction du Nord, vers la République dominicaine et Haïti, sont désormais envisagées.

Ainsi, le câble sous-marin de la région Guadeloupe est devenu un outil important de coopération régionale dans toute la zone Caraïbe.

Source : Conseil régional de Guadeloupe

Le projet de câble numérique sous-marin aux Antilles

Projet initial

Source : Global Caribbean Network

Projet actuel

D'autres projets de coopération régionale pourraient être lancés, en particulier dans les domaines suivants.

? L'énergie

Deux vastes projets sont d'ores et déjà en discussion dans la zone des Antilles :

- la construction d'un gazoduc reliant Trinidad à la Floride, afin d'exporter du gaz vers l'arc antillais et les Etats-Unis ;

- la production d'énergie géothermique à la Dominique, Sainte-Lucie et Saint-Christophe-et-Niévès, en partenariat avec la Guadeloupe et la Martinique, et sa distribution en réseau par interconnexions sous-marines.

La construction d'une centrale géothermique à la Dominique pourrait contribuer à réduire de 10 % la dépendance énergétique de la Guadeloupe et de la Martinique, comme l'a indiqué M. Jean-Paul Dumont, ancien délégué à la coopération régionale dans la zone Antilles Guyane, lors de son audition.

? La protection civile et la prévention des catastrophes naturelles

Face au risque de catastrophes naturelles (ouragans, séismes, tsunamis, éruptions volcaniques), auquel sont confrontées les Antilles et La Réunion, comme les autres pays de ces régions, la mutualisation des moyens de prévention des risques et des outils d'aide et de secours aux populations fait l'objet d'une attention particulière dans le cadre de la coopération régionale.

Les départements français d'outre-mer bénéficient, dans ces domaines, de réels atouts qu'ils peuvent mettre au service de tous les pays de la région.

Ainsi, dans la zone des Antilles, des interventions et des formations sont assurées par la sécurité civile française basée en Martinique. Des référentiels de normes de construction antisismiques ont été mis à la disposition des pays de la région. Ceux-ci bénéficient aussi des travaux des observatoires sismologiques et vulcanologiques performants en Guadeloupe et en Martinique et de systèmes d'alerte environnementaux.

Lors de sa visite en Martinique, la mission commune d'information a pu visiter l'immeuble « Concorde » du conseil général de la Martinique. Depuis le début des années 1990, le département a mis en place une série d'outils permettant de surveiller les phénomènes naturels comme les cyclones, les séismes, les glissements de terrains ou les éruptions volcaniques. Parmi les 350 capteurs installés par le conseil général, on compte notamment 31 stations et un radar météorologiques, 21 dispositifs de suivi du niveau des cours d'eau ainsi qu'une trentaine d'accéléromètres reliés à un réseau mondial.

Parmi les applications pratiques liées à ces dispositifs, on peut souligner la mise en place d'un système départemental d'alerte des crues (SDAC), qui permet de prévoir en amont crues et décrues. Ce système a trouvé à s'appliquer lors des récentes inondations.

La France a également signé l'accord de coopération régionale de l'Association des États de la Caraïbe (AEC) dans le domaine des catastrophes naturelles et l'Agence française de développement contribue, dans le cadre du CARICOM, à la création, sous l'égide de la Banque mondiale, d'un fonds d'assurance contre les désastres naturels dans les petits États de la Caraïbe, qui devrait permettre le versement immédiat d'une aide budgétaire aux pays touchés par une catastrophe.

?La protection de l'environnement est également un domaine prioritaire en matière de coopération régionale.

La France est notamment signataire de la convention de Carthagène pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes. L'Agence française de développement intervient par ailleurs sur plusieurs projets de gestion durable de l'environnement, notamment en matière de protection et de mise en valeur des ressources naturelles de la République dominicaine (reforestation, gestion de bassins versants, agriculture biologique, etc.).

De même, il existe des actions de coopération en matière de traitement des eaux usées, notamment à Haïti, et d'apport d'eau potable dans les sites isolés de la Caraïbe.

En ce qui concerne la Guyane, la protection du parc national amazonien repose sur une coopération avec le Brésil et, à l'occasion de la rencontre entre le Président de la République et le Président brésilien, en février 2008, les deux chefs d'État ont convenu de renforcer leur coopération dans ce domaine, avec notamment le projet de création d'une Académie franco-brésilienne de la biodiversité.

? La santé et la lutte contre les épidémies

La santé et la lutte contre les épidémies constituent également des secteurs clés pour la coopération régionale et la France dispose dans ces domaines d'une compétence reconnue.

Avec son centre hospitalier et son rôle pionnier dans le domaine de la recherche, illustré notamment lors de la découverte du virus du chikungunya, l'île de La Réunion pourrait ainsi jouer un rôle de pôle régional de santé, avec une offre de soins et de formation pour toute la région de l'océan Indien.

Au cours de son audition, M. Philippe Leyssene, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, a ainsi regretté que les jeunes étudiants originaires des Seychelles aillent se former en Australie et ne reviennent pas exercer leur métier dans leur pays d'origine.

De même, le centre hospitalier de l'Ouest de la Guyane, situé à Saint-Laurent du Maroni, région frontalière avec le Surinam, est confronté à une forte pression étant donné que le système de santé du Surinam souffre d'un manque d'infrastructures et de personnels, alors que ce pays est confronté à des problèmes aigus de sida ou de paludisme.

Le projet de construction d'un hôpital à Albina, ville du Surinam située à la frontière avec la Guyane, financé par l'Agence française de développement, devrait se traduire par une coopération étroite avec le centre hospitalier de l'Ouest de la Guyane, notamment en matière d'équipements et de formation des personnels.

? La lutte contre l'immigration illégale, la criminalité organisée et le trafic de drogue

Les flux migratoires revêtent une importance particulière pour certaines collectivités d'outre-mer. Ce phénomène est particulièrement marqué en Guyane où la population étrangère avoisine les 30 % et, dans une moindre mesure en Guadeloupe.

Or, la régulation des flux migratoires passe d'abord par le développement économique des pays à forte pression migratoire, ainsi que par l'amélioration des conditions de vie et de l'état sanitaire des populations dans leur pays d'origine : le renforcement de la coopération régionale peut y contribuer.

La lutte contre l'immigration illégale doit reposer aussi sur une coopération étroite avec les pays d'origine.

Depuis 2005, des accords de libre circulation des personnes et de réadmission ont été conclus par la France avec Sainte-Lucie, La Dominique et l'île Maurice, et d'autres sont en cours de négociation. Ces accords accordent aux ressortissants de ces pays des exemptions de visas pour des séjours d'une durée limitée (inférieure à quinze jours en règle générale), et, en contrepartie, ces pays s'engagent à renforcer leur dispositif de lutte contre l'immigration illégale en provenance de leur territoire.

L'Union européenne vient également de conclure un accord de libre circulation des personnes, entré en vigueur le 29 mai 2009, avec plusieurs pays, dont quatre îles de la région des Caraïbes (la Barbade, les Bahamas, Antigua et Saint-Christophe-et-Niévès), qui devrait s'appliquer à l'ensemble de l'Union européenne, dont les départements français d'outre-mer.

Il en va de même en matière de lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. La France pourrait apporter un appui aux autorités locales en matière d'équipement, de formation, de gestion administrative et opérationnelle. Ainsi, à Haïti et en République dominicaine, il existe des programmes de formation des personnels chargés de la lutte contre la criminalité et ce type d'action a vocation à se généraliser.

De même, la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane nécessite une coopération étroite avec le Surinam et les Etats brésiliens, dont les ressortissants sont souvent impliqués dans ce trafic.

Un accord entre la France et le Surinam portant sur la coopération transfrontalière en matière policière a ainsi été signé le 29 juin 2006.

? La coopération culturelle et la francophonie

La coopération culturelle et linguistique constitue un vecteur important de rapprochement entre les peuples.

Or, la France dispose d'un véritable atout dans ce domaine notamment avec la francophonie , qui est présente dans ces deux régions :

- dans la zone des Caraïbes, avec plus de dix millions de francophones (notamment à Haïti, mais aussi à Sainte-Lucie et à la Dominique, qui sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie) ;

- dans la zone de l'océan Indien, où les pays membres de la commission de l'océan Indien sont majoritairement francophones et où le réseau des Alliances françaises est particulièrement développé (notamment à Madagascar).

Malgré quelques initiatives, à l'image du programme « Caraïbes en création », lancé en 2007 à l'initiative de CulturesFrance, les échanges artistiques et culturels restent encore insuffisamment développés.

La France est pourtant fortement présente dans cette région, au travers de 24 alliances françaises, d'un institut culturel (à Haïti), et de deux lycées français (à Haïti et en République dominicaine).

Dans le cadre de la refonte de notre dispositif d'action culturelle à l'étranger, annoncée par le ministre des affaires étrangères et européennes, le 25 mars dernier, la coopération culturelle et linguistique dans ces deux régions devrait donc faire l'objet d'une priorité, en s'appuyant sur les atouts que représentent les régions d'outre-mer et la francophonie.

De même, la coopération universitaire mériterait d'être fortement développée.

Ainsi, comme l'a proposé le secrétaire d'État à l'outre-mer, M. Yves Jego, lors de son audition devant la mission commune d'information, l'université Antilles-Guyane aurait vocation à se transformer en université francophone régionale des Caraïbes, avec peut-être une université spécifique Guyane-Brésil, tandis que l'université de La Réunion pourrait devenir l'université francophone de l'océan Indien.

De même, pourquoi ne pas envisager un vaste programme visant à encourager la mobilité des étudiants et des professeurs , tant dans la zone Antilles-Caraïbes que dans la zone de l'océan Indien, sur le modèle du programme communautaire Erasmus ?

Le renforcement des échanges d'étudiants, de professeurs et de chercheurs entre les quatre départements français d'outre-mer et les pays et territoires voisins serait le meilleur moyen de renforcer la coopération régionale et de favoriser le développement économique de ces régions.

Proposition n° 66 : Concentrer les crédits disponibles au titre de la coopération régionale sur des grands projets structurants pour éviter la tendance au « saupoudrage ».

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