2. Se dispenser de l'affirmation d'une possibilité de condamnation immédiate de l'auteur d'un préjudice dépendant d'un événement futur et incertain

L'affirmation d'une possibilité de condamnation immédiate de l'auteur d'un préjudice dépendant d'un événement futur et incertain risque de soulever des difficultés pratiques, sans avantage évident pour la victime.

a) Un objectif louable

Un préjudice futur , c'est-à-dire un préjudice qui n'est pas encore survenu au moment où le juge statue, peut d'ores et déjà donner lieu à indemnisation dès lors que sa survenance future est certaine.

À titre d'exemple, une personne handicapée par un accident et dont on sait qu'elle ne pourra plus vivre sans l'assistance d'une tierce personne peut recevoir des dommages et intérêts correspondant à ces frais, même pour l'avenir.

Dans l'hypothèse où subsiste encore un doute sur l'apparition future d'un préjudice, l' indemnisation est limitée au préjudice d'ores et déjà présent quitte, si un autre préjudice survient, à ce que la victime intente un nouveau procès pour en demander la réparation, à charge pour elle de démontrer qu'il résulte des mêmes faits.

Toutefois, dans des affaires concernant des personnes devenues séropositives à la suite d'une transfusion sanguine mais dont il n'était pas certain qu'elles fussent un jour atteintes du syndrome d'immunodéficience acquise, la Cour de cassation 26 ( * ) a approuvé la solution retenue par les juges du fond consistant, non seulement à décider que le Fonds d'indemnisation créé par l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 devait verser immédiatement aux victimes l'intégralité de la part d'indemnisation du préjudice spécifique de contamination dérivant de leur séropositivité, mais également à prévoir un complément d'indemnisation de ce préjudice afférent au syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA), en subordonnant son paiement à la constatation médicale de la maladie.

L'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription préconise de généraliser cette solution et d'énoncer dans le code civile la règle suivant laquelle : « Lorsque la certitude du préjudice dépend d'un événement futur et incertain, le juge peut condamner immédiatement le responsable en subordonnant l'exécution de sa décision à la réalisation de cet événement ».

Ces dispositions ont été approuvées tant par le groupe de travail de la Cour de cassation que par la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV).

En revanche, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) en ont contesté le principe, au motif que la simple éventualité de la survenance d'un préjudice ne peut donner lieu à un jugement de condamnation.

b) Un intérêt limité

Le groupe de travail de votre commission des lois n'a pas non plus souscrit à la généralisation de cette possibilité de condamnation avec effet suspensif, pour des raisons pratiques mises en exergue tant par les représentants des milieux économiques que par la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice ou encore l'Union syndicale de la magistrature.

L'auteur du dommage devra assumer immédiatement les frais du procès et provisionner des sommes importantes pour indemniser ultérieurement la victime. Mais cette dernière, après avoir obtenu une condamnation de principe, n'en devra pas moins ultérieurement se présenter à nouveau vers le juge judiciaire pour obtenir le versement des dommages et intérêts. Les juges n'étant plus les mêmes, le résultat de la procédure sera peut-être également différent. Dès lors, une telle réforme n'apparaît pas indispensable.

Recommandation n° 10 - Écarter l'affirmation d'une possibilité de condamnation immédiate de l'auteur d'un préjudice dépendant d'un événement futur et incertain.

* 26 Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, du 20 juillet 1993, n° 92-06.001.

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