B. ORGANISER LA MONTÉE EN CHARGE DE LA FISCALITÉ « VERTE »

Depuis 2007, et dans le cadre de l'examen des différents projets de loi de finances et de finances rectificative, le Parlement a adopté un nombre significatif de dispositions fiscales dans le domaine de l'environnement. Si ces nouveaux dispositifs ont consacré une montée en charge sans précédent de la fiscalité « verte » dans notre pays, leur multiplication a également pu donner l'impression d'un certain « pointillisme fiscal », traduisant une démarche itérative plus qu'une stratégie d'ensemble.

Le renforcement de la fiscalité écologique devrait franchir une nouvelle étape significative avec le projet de loi de finances pour 2010, qui prévoit l'instauration d'une taxe carbone . Dans ces conditions, votre rapporteur général juge opportun d'assortir cette réforme :

1) d'une réflexion approfondie sur la place de l'écofiscalité, en tant que fiscalité de consommation, dans l'ensemble de notre système de prélèvements obligatoires ;

2) d'un réexamen des nombreuses dépenses fiscales qui, en ce qu'elles favorisent ou pénalisent l'environnement, envoient aujourd'hui des « signaux » contradictoires aux agents économiques tout en pesant de plus en plus lourdement sur le budget de l'Etat.

1. La taxe carbone : un impôt d'avenir mais à l'incidence modeste à court terme

Pas moins de 23 articles sont venus enrichir notre fiscalité environnementale dans le cadre des lois de finances et lois de finances rectificatives pour 2007, 2008 et 2009 ( cf . tableau ci-après). Si ces dispositifs n'ont pas tous revêtu la même importance, certains, tels que la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes, la création d'un malus automobile et l'instauration de la « taxe poids lourds », ont posé des jalons significatifs dans la construction d'une fiscalité écologique.

Ce « verdissement » de la fiscalité n'a évidemment pas été sans susciter son lot de « niches » nouvelles , les politiques environnementales se révélant un terreau particulièrement fertile pour ce que votre rapporteur général a coutume d'appeler la « mauvaise herbe fiscale ». Le contribuable français dispose donc aujourd'hui d'une vaste gamme d'avantages fiscaux lorsqu'il souhaite améliorer les performances environnementales de son logement, acquérir une résidence peu consommatrice d'énergie, doter son entreprise d'équipements réduisant les pollutions, ou encore convertir son exploitation agricole au mode de production biologique.

La montée en charge de la fiscalité verte :un certain « pointillisme » fiscal ?

TEXTE

MESURES

Loi de finances rectificative pour 2007

Art. 63 : création du bonus-malus automobile (+ décret n° 2007-1873 du 26 décembre 2007).

Loi de finances pour 2009

Art. 9 : prorogation de dispositifs d'amortissement exceptionnel en faveur d'équipement de protection de l'environnement.

Art. 20 : amortissement dégressif en faveur des scieries.

Art. 29, 30 et 127 : réforme de la taxe générale sur les activités polluantes et instauration de mécanismes de responsabilité élargie du producteur en matière de déchets de soins et de déchets dangereux.

Art. 99 : création d'un éco-prêt à taux zéro pour les travaux de rénovation lourde dans les logements anciens.

Art. 100 : majoration du prêt à taux zéro pour l'acquisition d'un logement à basse consommation (BBC) ou à énergie positive (BEPOS).

Art. 103 : majoration du crédit d'impôt TEPA sur les intérêts d'emprunt pour l'acquisition de la résidence principale BBC ou BEPOS et création d'une éco-conditionnalité pour l'obtention de l'avantage fiscal.

Art. 104 : création d'une éco-conditionnalité pour les aides à l'investissement locatif « Borloo » et « Robien ».

Art. 107 : exonération possible de TFB et de TFNB pour les logements BBC ou BEPOS.

Art. 109 : réforme du crédit d'impôt « développement durable ».

Art. 112 : réforme du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement forestier.

Art. 113 : exonération de TFNB en faveur des terres exploitées selon un mode de production biologique.

Art. 121 : doublement du crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique.

Art. 122 : relèvement des tarifs de la redevance sur les pesticides.

Art. 153 : création de la taxe « poids lourds ».

Seconde loi de finances rectificative pour 2008

Art. 73 : Abaissement du seuil d'éligibilité des réseaux de chaleur au taux réduit de TVA.

Art. 76 : taux réduit de TIPP en faveur de l'aquazole.

Art. 83 : exonération d'impôt sur les bénéfices pour certaines installations de production d'énergie photovoltaïque.

Art. 99 : création d'une taxe spécifique sur l'extraction d'or en Guyane, au profit d'un conservatoire de la biodiversité.

Art. 107 : exonération de TFB au bénéfice des équipements de production d'électricité photovoltaïque.

Art. 132 : triplement de la redevance pour prélèvements sur les ressources en eau, afin de financer la reconstitution de la continuité écologique des cours d'eau.

Source : commission des finances

La prochaine étape vers ce que la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi appelait, devant votre commission des finances, l' « éco-croissance » passera donc par l'institution d'une taxe carbone , dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.

Compte tenu des arbitrages rendus par le Président de la République, et sous réserve du vote définitif du Parlement, ce nouveau prélèvement devrait toutefois avoir une incidence modeste à court terme . En premier lieu, l'assiette de la taxe devrait exclure les consommations d'électricité , au motif que cette énergie est, en France, largement d'origine nucléaire, et par conséquent décarbonée . Ce choix traduit la volonté du Gouvernement de faire du nouveau prélèvement une taxe « carbone » au sens strict du terme, c'est-à-dire une fiscalité visant exclusivement les énergies fossiles , et non une contribution censée encourager les économies d'énergie dans leur globalité.

En deuxième lieu, le tarif de la taxe devrait s'établir à 17 euros par tonne de dioxyde de carbone . Ce niveau constitue un point médian entre les prix le plus bas et le plus élevé constaté sur le marché européen d'échange de quotas de CO 2 . S'il a le mérite d'égaliser les niveaux de tarification du carbone résultant de la fiscalité ou des mécanismes de marché, ce montant est toutefois significativement en-deçà des préconisations des experts . Pour mémoire, la commission présidée par M. Alain Quinet avait fixé la valeur tutélaire du carbone à un niveau initial de 32 euros par tonne, ce tarif ayant vocation à augmenter progressivement pour s'établir à 100 euros en 2030 ( cf . tableau). Cette valeur de départ avait en outre été retenue au terme de la « conférence de consensus », présidée par M. Michel Rocard préalablement à la création de la taxe carbone.

Valeur tutélaire d'une tonne de CO 2

(en euros 2008)

2010

2020

2030

2050

Valeur recommandée (Quinet)

32

56

100

200
(150-350)

Valeur actuelle (Boiteux)

32*

43

58

104

Source : Centre d'analyse stratégique (Note de veille n° 101 - juin 2008)

En application d'un tel tarif, le produit de la taxe carbone devrait s'établir à 4,55 milliards d'euros , contre 8,3 milliards d'euros attendus si le tarif avait été fixé à 32 euros. Ainsi que votre rapporteur général a déjà eu l'occasion de le souligner, le caractère relativement modeste du prélèvement apparaît clairement lorsque son impact sur les carburants est rapporté à celui de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP). De fait, la taxe carbone occasionnera un renchérissement de 4,52 centimes d'euros par litre de gazole et de 4,11 centimes d'euros par litre d'essence, alors que la TIPP applicable à ces carburants s'élève respectivement à 42,84 et à 60,69 centimes d'euros par litre .

Tarifs de TIPP et de taxe carbone applicables à un litre de carburant

(en centimes)

Source : commission des finances

La portée réduite de la taxe carbone transparaît enfin dans les mesures dérogatoires et autres compensations qui ne manqueront pas d'accompagner sa création. S'agissant des entreprises , le Gouvernement a, par exemple, annoncé que les agriculteurs et les pêcheurs, en raison de leur particulière vulnérabilité à la hausse des prix de l'énergie, n'acquitteraient que 25 % du prélèvement en 2010. De même, les transporteurs routiers devraient bénéficier d'un remboursement intégral de la taxe, dont l'impact serait répercuté sur les affréteurs.

S'agissant des ménages , la redistribution du produit de la taxe carbone prendra la forme d'un crédit d'impôt forfaitaire , déduit de l'impôt dû par les contribuables à l'impôt sur le revenu, ou d'un « chèque vert » d'un montant équivalent pour les foyers non imposables. Le montant du crédit d'impôt, d'un montant moyen de 74 euros, variera en fonction du nombre d'enfants à charge par foyer fiscal et du caractère rural ou urbain du ménage concerné, qui sera déterminé par la disponibilité, ou non, de transports collectifs .

L'ensemble de ces éléments conduisent donc votre rapporteur général à la conclusion que la taxe carbone a fait l'objet, au mois dans sa version initiale, d'un calibrage modeste , pour ne pas dire minimal. Elle n'en constitue pas moins un impôt d'avenir, que certains commentateurs n'ont d'ailleurs pas hésité à qualifier de « premier impôt d'envergure depuis la CSG ».

En effet, la taxe carbone, en tant qu'accise, apparaît particulièrement adaptée à la mise en oeuvre d'une stratégique globale de « basculement » de la pression fiscale du travail ou de la production vers la consommation. Cette stratégie globale repose sur la théorie désormais bien connue du « double dividende », aux termes de laquelle la fiscalité écologique a pour effet non seulement de diminuer l'impact environnemental des comportements (premier dividende), mais également de dégager des recettes permettant de baisser le niveau de prélèvements obligatoires préjudiciables à la compétitivité et à la croissance (second dividende).

Ainsi que le détaille le rapport d'information de notre collègue Fabienne Keller sur les enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 , plusieurs pays ont procédé, au cours des dernières années, à la substitution d'impôts environnementaux ou d'accises énergétiques à des prélèvements sur le travail ou sur le résultat des entreprises :

1) au Danemark , la création de la taxe carbone a notamment été compensée par des réductions d'impôts sur les bas revenus ;

2) au Canada , la province de Colombie britannique a baptisé sa taxe carbone « Revenue-Neutral Carbon Tax », sa création devant se traduire soit par une rétrocession forfaitaire aux ménages, soit par une diminution de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu ;

3) en Suède , la création de la taxe carbone s'est inscrite, dès 1991, dans le cadre d'une réforme fiscale globale , comprenant la création d'autres taxes environnementales, une baisse significative des impôts sur le revenu et une extension de l'assiette de la TVA. Par ailleurs, à partir de 2001, un processus de « Green Tax Shift » a permis de relever progressivement le niveau de la fiscalité environnementale en contrepartie de la baisse des charges sur le travail. Votre rapporteur général observe, dans le prolongement des conclusions du groupe de travail de la commission des finances sur la fiscalité environnementale, que cette stratégie globale a été mise en oeuvre par les différentes majorités qui se sont succédées au Parlement suédois, puisque la nouvelle majorité de centre-droit, élue en 2006, a voté un nouvel allègement des cotisations patronales en 2008, en contrepartie de l'alourdissement de la fiscalité énergétique ;

4) en janvier 2009, le gouvernement finlandais a enfin choisi, dans le cadre de son plan de relance, de supprimer les cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs, et de compenser le manque à gagner par un relèvement de la fiscalité sur l'énergie de l'ordre de 25 % à partir de 2011.

Le Gouvernement, en présentant très clairement l'instauration de la taxe carbone comme le pendant, pour les entreprises, de la suppression de l'assiette « équipements et biens mobiliers » de la taxe professionnelle , semble amorcer une sorte de « Green tax shift » à la française, en substituant un impôt environnemental à un impôt sur le capital productif. D'un point de vue strictement fiscal, et sans préjudice des effets bénéfiques qu'elle peut avoir sur l'environnement, votre rapporteur général considère que l'opportunité d'une telle démarche doit être appréciée à l'aune : 1) de ses effets sur la croissance et la compétitivité et 2) de sa capacité à procurer des ressources stables, sinon croissantes, à l'Etat.

Ainsi que le rappelle l'étude précitée sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée demandée par votre commission des finances au Conseil des prélèvements obligatoires, « l'impact d'une modification des prélèvements obligatoires sur la compétitivité d'une économie ou de ses entreprises est malaisé à mesurer » . S'agissant plus particulièrement de la taxe carbone, le CPO relève toutefois que « la Suède semble avoir tiré profit des allègements de charges patronales en compensation de la hausse des taxes environnementales. Elle a en effet regagné au cours des années 1990, et dans une moindre mesure au cours des années 2000, des parts de marché vis-à-vis des pays de l'OCDE. Au-delà des fluctuations de court terme, elle a également su maintenir sa compétitivité-coût tout au long de la décennie 2000 ».

Selon une étude de l'université de Cambridge sur les effets sur la compétitivité des réformes fiscales environnementales, la taxe carbone a produit un avantage compétitif dans cinq pays sur sept étudiés, à des degrés divers selon les pays et les secteurs d'activité . Ainsi :

1) en matière de compétitivité , l'étude montre que l'introduction d'une fiscalité environnementale a pu produire un léger effet positif sur les exportations finlandaises et suédoises, et plus significatif au Danemark et au Pays-Bas, en raison d'une importante baisse simultanée des cotisations de sécurité sociale ;

2) en matière de croissance du PIB, six pays étudiés auraient bénéficié d'un effet positif de l'ordre de 0,5 %, résultant des effets bénéfiques de la fiscalité environnementale sur l'efficacité énergétique et des conséquences de la baisse concomitante des charges sur le facteur travail.

Ces éléments démontrent que l'alourdissement de la fiscalité environnementale peut être une condition nécessaire, mais non suffisante, de l'amélioration de la compétitivité et de la croissance. Cette amélioration dépend en effet largement du choix des prélèvements qui, en contrepartie de l'accroissement des taxes écologiques, seront amenés à diminuer . A cet égard, une évaluation précise des effets de la substitution de la taxe carbone à la taxe professionnelle sur la compétitivité des entreprises, analysant de façon détaillée les transferts d'assiette qu'elle occasionne, secteur par secteur, constituerait un outil précieux dans le cadre de la montée en puissance progressive de cette taxe.

L'intérêt d'une substitution de la taxe carbone à d'autres impôts doit également être apprécié au regard de l'aptitude des taxes « vertes » à procurer un rendement stable au budget de l'Etat . En effet, ce type de fiscalité ne saurait occuper une place significative dans l'architecture des prélèvements obligatoires si les ressources qu'il procure sont trop erratiques ou appelées à décroître à court terme. Cette question peut apparaître particulièrement épineuse s'agissant des taxes comportementales, puisque celles-ci ont précisément vocation à détruire leur assiette , et à procurer un rendement que votre rapporteur général avait déjà qualifié de « biodégradable ». En d'autres termes, un impôt écologique ne saurait être « lucratif » qu'à condition de manquer son objectif environnemental.

Le rendement de la taxe carbone en proportion du PIB, tel qu'observé dans plusieurs pays européens, présente un profil très légèrement décroissant ou, au mieux, stable. Ces évolutions sont toutefois fortement dépendantes de l'évolution du PIB lui-même et des modifications de législation fiscale, et ne permettent pas de tirer de conclusion uniforme quant à la pérennité du rendement de ce type de prélèvement.

L'évolution du produit de la fiscalité carbone

(en % du PIB)

Source : rapport d'information de Mme Fabienne Keller sur les enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 (n° 543, 2008-2009)

Une nuance importante doit également être apportée à cette observation, dans la mesure où la diminution de l'assiette d'une taxe carbone peut être compensée, voire plus que compensée par l'augmentation programmée de son tarif . Ainsi que l'a démontré le groupe de travail de votre commission des finances sur la fiscalité environnementale, un accroissement annuel de 5 % du tarif de la taxe carbone conduirait à un accroissement de 3,6 milliards d'euros de son produit entre 2010 et 2020 , y compris sur la base d'élasticités fortes des émissions de dioxyde de carbone au prix de l'énergie. Ce constat plaide, au demeurant, pour que la trajectoire d'augmentation de la taxe soit fixée de la façon la plus ferme, la plus claire et la plus précoce possible , non seulement en raison des enjeux budgétaires qui s'y attachent, mais également pour ancrer les anticipations des agents économiques.

Evolution du produit de la taxe d'ici 2020, sur la base d'un accroissement annuel moyen de 5 % de son tarif

Secteur

Hausse du coût des combustibles fossiles taxés

Elasticité des émissions au prix de l'énergie

Diminution des émissions de CO 2 *

Réduction des émissions en % du total du secteur

Evolution du produit de la taxe**

Industrie

Tertiaire

Résidentiel

Autres

Carburant

56 %

37 %

25 %

64 %

13 %

-0,27

-0,58

-0,81

-0,25

-0,40

-3,56

-6,57

-12,84

-1,25

-6,49

-15,1 %

-21,2 %

-20,1 %

-15,9 %

-5,1 %

+290

+282

+616

+93

+2.331

Total

25 %

-

-30,71

-24,3 %

+3.612

* En millions de tonnes
** En millions d'euros
Sur la base d'un scénario additionnel commençant à 32 euros par tonne et mettant en oeuvre les exonérations prévues par le droit communautaire.
Source : rapport d'information de Mme Fabienne Keller sur les enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 (n° 543, 2008-2009)

L'aptitude d'une taxe carbone à procurer un rendement stable ou croissant dépend enfin du nombre, de l'ampleur et de la pérennité des mesures dérogatoires qui accompagnent sa création. Selon votre rapporteur général, ces mesures dérogatoires, qu'elles concernent les ménages ou certaines entreprises, doivent nécessairement présenter un caractère transitoire , de nature à favoriser l'adaptation des comportements et à ménager une entrée progressive dans le nouveau dispositif au bénéfice des publics ou des secteurs les plus vulnérables.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page