EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , a procédé à l'examen du rapport du groupe de travail sur la crise financière et la régulation des marchés .

M. Philippe Marini, rapporteur , a rappelé le contexte de ce groupe de travail, dont les réflexions se sont appuyées sur de nombreuses auditions, que ce soit en commission plénière, dans le cadre du groupe de travail, ou par le rapporteur général. Un certain nombre de déplacements à l'étranger a également été effectué : une mission du bureau de la commission aux Etats-Unis d'Amérique, deux missions du rapporteur général à Londres et en Suisse, et deux visites du groupe de travail à la Banque centrale européenne, à Francfort, et à la Commission européenne à Bruxelles.

Sans revenir sur les causes de la crise qui ont été exposées à de nombreuses reprises, il a indiqué que le groupe de travail a été guidé par deux principes directeurs : éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets en résistant à la tentation d'un retour aux pratiques antérieures, et trouver le bon équilibre entre des aspirations parfois contradictoires à la sécurité ou à la liberté et à l'innovation. Il a exposé les trois champs couverts par les propositions du groupe de travail qui sont la transparence et la régulation des produits et marchés, la limitation de la procyclicité et du risque systémique, et la restauration de la responsabilité et du prix du risque.

M. Philippe Marini, rapporteur , a ensuite présenté les 57 propositions du groupe de travail. En premier lieu, celles relatives à la transparence et à la régulation des produits et marchés ont trait à six domaines.

Concernant la proposition de directive européenne sur les gestionnaires de fonds alternatifs, le groupe de travail propose de :

- réserver le « passeport » aux seuls gestionnaires établis dans l'Union européenne ;

- préciser les critères d'indépendance du valorisateur des actifs des fonds ;

- prévoir une obligation, et non une simple faculté, pour l'autorité d'agrément d'imposer des exigences plus strictes au gestionnaire en cas de commercialisation auprès d'investisseurs de détail non qualifiés ;

- élargir le champ de la directive aux fonds de fonds pour tirer les leçons de « l'affaire Madoff ».

Sur l'encadrement des agences de notation, ses propositions sont les suivantes :

- préciser le rôle de la future Autorité européenne des marchés financiers et son articulation avec les autorités nationales ;

- pour l'application du régime transitoire d'agrément des agences, doter l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'un véritable pouvoir de surveillance des agences ;

- préciser la prévention et la gestion des conflits d'intérêt au sein des agences, et mieux formaliser leur contrôle interne de la qualité des notations ;

- créer les conditions d'une véritable concurrence entre agences de notation et favoriser l'émergence d'agences européennes.

En matière d'infrastructures post-marché et de transparence des produits dérivés de gré à gré :

- standardiser les contrats de dérivés de gré à gré autant que cela est possible, selon des modalités communes aux Etats-Unis et en Europe ;

- généraliser la procédure de confirmation électronique des ordres ;

- étendre le tryptique « standardisation-compensation-information » aux dérivés de gré à gré autres que les contrats d'échange sur défaut (« credit default swaps » - CDS) ;

- promouvoir la création d'une chambre de compensation dans la zone euro, soit par création d'une structure ex nihilo , soit par regroupement d'acteurs existants ;

- mettre en place, sous l'égide du Conseil de stabilité financière (CSF) et de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), des règles mondiales de gouvernance des chambres de compensation ;

- constituer une base de données européenne sur les dérivés standardisés, en tant qu'alternative à la Trade Information Warehouse américaine. A défaut, assurer le respect du principe d'accès libre et non-discriminatoire à l'information ;

- garantir que le champ de la directive « Abus de marché » couvre tous les produits dérivés négociés sur un marché réglementé ou organisé, en particulier les CDS ;

- mettre en place une législation européenne sur les infrastructures post-marché - qui en tant que biens collectifs doivent faire l'objet d'un libre-accès -, qui permette d'harmoniser les régimes du règlement-livraison et des dépositaires ;

- approfondir la réflexion européenne et internationale concernant les produits dérivés sur l'énergie et les matières premières, en particulier sur les quotas de CO 2 et sur les produits dénommés « futures » contractés dans une optique spéculative par des agents n'ayant pas d'intérêt sur le sous-jacent et qui privilégient un dénouement en numéraire.

Les propositions relatives aux pratiques de marché sont les suivantes :

- interdire la cotation à plus de deux décimales, les ordres dits « flash » et les dérivés sur dérivés ;

- prévoir un temps minimal de présence (plusieurs secondes) d'un ordre dans le carnet d'ordres central d'un marché, afin qu'il ne soit pas perçu par les seuls programmes automatiques de négociation ;

- consolider la base légale des mesures de suspension des ventes à découvert et établir une doctrine pérenne et coordonnée entre les principaux régulateurs de marché, applicable en période normale et en période de troubles exceptionnels ;

- doter l'AMF, en cas de menace imminente pour la stabilité et l'intégrité des marchés, du pouvoir de suspendre ou interdire pour une durée illimitée toute pratique de marché litigieuse ;

- soumettre les prêts et emprunts de titres à une obligation précise d'information du marché ;

- étendre le périmètre des déclarations de franchissement de seuil à tous les produits dérivés conférant une exposition économique sur un émetteur, en particulier ceux dénommés « contracts for difference ».

S'agissant de la protection des investisseurs et des épargnants :

- dans une démarche de régulation par objectif, étendre la mission de l'AMF en tant que « gardienne » de la déontologie de la distribution de l'ensemble des produits d'épargne, assurance-vie et livrets rémunérés inclus ;

- centrer les modalités d'exercice du contrôle de la commercialisation sur la fiabilité des procédures et l'honnêteté de l'information livrée au consommateur (selon des principes d'intelligibilité, d'adaptation et de pertinence) plutôt que sur le respect d'un formalisme élevé ;

- étendre, au-delà des seuls organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), le « document d'information clef à l'investisseur » ;

- compte tenu de la complexité des statuts existants et de certains abus dans les pratiques commerciales, examiner l'opportunité économique et juridique de la création d'un statut de « courtier en produits financiers », par fusion des statuts de démarcheur et de conseiller en investissements financiers, voire de courtier en assurances.

Le groupe de travail a également formulé des recommandations sur quatre propositions de règlements communautaires et une proposition de décision relatives à la création d'un Comité européen du risque systémique (CERS) et de trois agences européennes de supervision sectorielle (l'Autorité bancaire européenne, l'Autorité européenne des marchés financiers et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles), qui ont été présentées par la Commission européenne le 23 septembre 2009.

Les propositions du groupe de travail sont les suivantes :

- limiter à deux au lieu de cinq le nombre de gouverneurs de la Banque centrale européenne au comité directeur du CERS ;

- prévoir une adoption à la majorité simple (et non pas qualifiée) de la publication des alertes et recommandations non individuelles émises par le conseil général du CERS ;

- prévoir que les autorités sectorielles puissent s'autosaisir pour prendre des mesures d'urgence, sans que la Commission ait le monopole d'appréciation de cette urgence ;

- préciser la portée de la clause de sauvegarde budgétaire, qui devrait être limitée aux situations appelant une recapitalisation ou la mobilisation de garanties publiques ;

- veiller à ce que les projets de normes techniques établis par les autorités ne soient pas le réceptacle des ambiguïtés, incertitudes et différends politiques non résolus au premier niveau du « processus Lamfalussy ».

En deuxième lieu, M. Philippe Marini, rapporteur , a exposé les propositions relatives à la limitation de la procyclicité et du risque systémique, qui couvrent deux aspects.

Concernant les normes comptables internationales, il est proposé de :

- « maintenir la pression » politique sur l' International Accounting Standards Board (IASB) pour une réforme plus pragmatique de la juste valeur. Le cas échéant, il ne faudrait pas exclure d'« européaniser » la norme International Accounting Standard (IAS) 39 ;

- améliorer la gouvernance de l'IASB, en particulier par un renforcement du « comité directeur » créé début 2009.

Les propositions relatives à la mesure et à la prise en compte du risque systémique sont les suivantes :

- enrichir l'appréciation du risque systémique et le deuxième pilier de « Bâle II » par un ratio de levier, en tenant compte des différences comptables entre l'Europe et les Etats-Unis. Une harmonisation complète du mode de calcul doit précéder toute éventuelle intégration de ce ratio dans le premier pilier ;

- harmoniser et systématiser la démarche des « tests de résistance », selon une méthodologie établie par le CSF et le Comité de Bâle et une périodicité régulière (par exemple tous les six mois). Les résultats de ces tests devraient également être publiés, au moins pays par pays ;

- matérialiser le coût de l'assurance systémique par une « prime d'assurance » du risque systémique, dont le taux serait progressif et qui se substituerait à la taxe sur les salaires ;

- mieux prendre en compte le risque systémique dans le droit de la concurrence et l'examen des opérations de rapprochement entre établissements financiers ;

- envisager la mise en place, à moyen-long terme, d'une garantie des dépôts centralisée à l'échelle de la zone euro.

M. Bernard Angels a considéré que la prime ou taxe d'assurance systémique représenterait une avancée mais s'est déclaré surpris qu'elle puisse se substituer à la taxe sur les salaires. M. Philippe Marini, rapporteur , a précisé que cette taxe serait versée au budget de l'Etat, ce dernier devenant en quelque sorte l'assureur de ses propres risques. M. Albéric de Montgolfier a ajouté que le produit fiscal étant supposé identique, la seule vraie différence avec la taxe sur les salaires réside dans une modulation en fonction des risques encourus par les banques.

En troisième et dernier lieu, M. Philippe Marini, rapporteur , a présenté les propositions relatives à la restauration de la responsabilité et du coût du risque, qui traitent quatre domaines.

Pour ce qui concerne les rémunérations variables des opérateurs de marché :

- prévoir un régime harmonisé de publication, dans le rapport annuel, des rémunérations les plus élevées (50 ou 100, selon un curseur à fixer) dans les établissements financiers cotés ;

- interdire les bonus annuels qui seraient garantis quels que soient les résultats ;

- interdire les retraites supplémentaires dites « retraites-chapeaux », en tant qu'elles ne constituent pas une rémunération de la performance ;

- interdire toute distribution de bonus qui ne serait pas adossée à une performance mesurée par des critères précis ;

- indexer les rémunérations variables non seulement sur la performance individuelle de l'opérateur, mais encore sur les résultats de l'entité opérationnelle et de l'entreprise (ou du groupe), à raison de trois tiers par exemple ;

- étaler sur au moins trois ans une fraction au moins égale aux deux tiers de la rémunération variable, avec une clause de retenue ou restitution en cas de résultats négatifs ultérieurs, applicable rétroactivement à l'ensemble de la rémunération variable perçue ;

- prévoir un paiement majoritairement en titres (de préférence aux options de souscriptions d'actions dites « stock-options ») plutôt qu'en numéraire, et placer sous séquestre la rémunération étalée ;

- accorder un droit de regard et de veto de l'Etat sur les rémunérations des dirigeants des banques dès lors qu'il en assume le risque systémique ;

- interdire tout mandat public avec les établissements financiers (nationaux ou sous contrôle étranger) qui ne se conforment pas aux nouvelles dispositions et en publier la liste ;

- étendre le principe de la rétribution de la performance aux fonctions de contrôle et de « back office », afin de revaloriser ces services trop dénigrés.

Concernant la responsabilité des dirigeants face aux risques financiers :

- prévoir que le président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance justifie, dans le rapport annuel, la méthodologie de quantification du risque, et certifie, conjointement avec le directeur financier, l'exposition et le niveau d'endettement de l'institution par classe d'actifs ;

- inciter les établissements financiers à émettre des actions de préférence dont les droits de vote et le dividende augmenteraient avec la durée de détention.

En matière de responsabilité des banques à l'égard de leurs clients, il est proposé de :

- étendre à tous les produits financiers (les assurances et crédits en particulier) les principes de déontologie et d'organisation commerciales introduits par la directive sur les marchés d'instruments financiers ;

- promouvoir en Europe continentale un modèle de convention de crédit moins complexe et plus équilibré ;

- relever substantiellement, par exemple de 5 % à 20 %, le taux de « rétention » au bilan des actifs titrisés.

Enfin deux propositions ont pour objet de diminuer le coût et la complexité des faillites d'établissements financiers :

- prévoir des « testaments » pour les institutions systémiques, permettant de répartir les responsabilités et pertes entre filiales, actionnaires et créanciers, de limiter le recours aux fonds publics et d'inciter les établissements à simplifier leurs structures ;

- doter les superviseurs bancaires de pouvoirs supplémentaires ou de quasi-tutelle en cas d'urgence, permettant, par exemple, la création d'une « banque-relais », la révocation de mandataires ou l'interruption de contrats.

M. Philippe Marini, rapporteur , a conclu en rappelant que le projet de rapport d'information du groupe de travail vaut également prise de position sur les cinq initiatives législatives de la Commission européenne qui constituent le « paquet supervision financière » et dont la commission des finances s'est saisie, sur le fondement de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, au cours de sa séance du 7 octobre 2009.

M. Jean Arthuis, président , a rappelé que, tout en s'inspirant des recommandations du groupe de travail Assemblée nationale - Sénat sur la crise financière internationale, le projet de rapport du groupe de travail marque la spécificité de la réflexion du Sénat.

Mme Nicole Bricq a souligné l'intérêt d'examiner conjointement le projet de rapport d'information du groupe de travail et la proposition de résolution européenne déposée par le groupe socialiste sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunérations. Cet examen intervient opportunément après le sommet du G20 à Pittsburgh et avant les décisions concernant les futurs règlements et directives européennes ou le projet de loi sur la régulation financière annoncé par Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Elle s'est félicitée de la volonté commune de « politiser » le débat sur la crise financière et a pris acte des corrections portées dans le projet de rapport à la demande de l'opposition. Néanmoins, plusieurs points de divergence subsistent entre ce projet et la position du groupe socialiste retracée dans la proposition de résolution européenne. Avant de présenter ces différences, elle s'est interrogée sur l'opportunité d'étendre le principe de la rétribution de la performance aux fonctions de contrôle, les personnes concernées pouvant alors avoir intérêt à laisser se mettre en place une gestion du risque en contradiction avec les intérêts de la société afin d'accroître leur rémunération.

Mme Nicole Bricq a ensuite expliqué les principales divergences entre la proposition du groupe socialiste et le rapport du groupe de travail :

- la proposition adopte un champ de réflexion plus large concernant les rémunérations, les recommandations ne s'appliquant pas, comme dans le projet de rapport du groupe de travail, aux seuls opérateurs de marché mais aussi aux dirigeants et mandataires sociaux des sociétés cotées, dans la suite du débat déjà engagé en 2008 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations ;

- elle retient un taux de rétention sur le bilan des actifs titrisés plus élevé, soit 25 % contre 20 % dans le projet de rapport du groupe de travail qui constitue un compromis ;

- elle n'est pas favorable à la suppression de la taxe sur les salaires dans le cadre de la création proposée d'une taxe d'assurance systémique ;

- elle prône un droit de regard de l'Etat sur les options de souscriptions d'actions au-delà de la sphère des banques bénéficiaires de la garantie de l'Etat, et cela afin de garantir la mise en place de bonnes pratiques à long terme ;

- elle souhaite la création d'un superviseur européen unique.

M. Jean Arthuis, président , a estimé que, en dépit de ces remarques, il existe une certaine convergence d'analyse entre les membres du groupe de travail, quelle que soit leur sensibilité.

En réponse à M. Philippe Dallier qui s'interrogeait sur la possibilité de mettre en place une méthodologie commune à l'ensemble des établissements concernant la quantification du risque, M. Philippe Marini , rapporteur, et M. Jean Arthuis, président , ont répondu que les normes de « Bâle II » organisent d'ores et déjà cette harmonisation et que la proposition du groupe de travail vise avant tout à compléter, dans le cadre du rapport annuel, l'information des actionnaires sur les risques financiers.

Mme Nicole Bricq a regretté que le projet de rapport ne reprenne pas à son compte la proposition du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat concernant l'instauration d'un vote contraignant de l'assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations, aussi bien dans le cadre de l'approbation des résolutions individuelles que du rapport de rémunération de l'exercice écoulé. Elle a précisé que le groupe socialiste propose de soumettre la rémunération des présidents de conseil d'administration et des directeurs généraux à l'avis conforme du comité d'entreprise, au vote de l'assemblée générale et à celui du conseil d'administration.

M. François Marc s'est demandé s'il est suffisant de créer une chambre de compensation européenne pour assurer la transparence de l'ensemble des flux d'informations. La transparence des transactions réalisées sur des marchés organisés ou hors de ces marchés doit en effet être également garantie. M. Jean Arthuis, président , et M. Philippe Marini, rapporteur , ont approuvé l'idée de compléter la proposition du groupe de travail sur ce point.

M. Jean-Pierre Fourcade a mis l'accent sur la nécessité de casser l'oligopole des agences de notation, préoccupation qui est reprise par une des propositions du projet de rapport. Il a également souhaité clarifier la rédaction de la proposition relative au taux de rétention en supprimant la précision selon laquelle ce taux s'appliquerait dans le cadre de « montages déconsolidants ». Cette demande a été acceptée.

Puis la commission a adopté les conclusions du groupe de travail et autorisé leur publication sous la forme d'un rapport d'information. En réponse aux interrogations de M. Bernard Vera et de M. François Marc , M. Jean Arthuis, président , a indiqué que les éventuelles contributions des groupes politiques seront insérées dans le rapport.

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