2. Les effets pervers du fonctionnement de marchés financiers hyperconcurrentiels

a) Les facteurs comportementaux : mimétisme, court-termisme et non-alignement des incitations

La crise s'explique également par des facteurs psychologiques et comportementaux, individuels ou collectifs, qui ont été amplifiés dans un environnement hautement concurrentiel et dont certains relèvent du fonctionnement traditionnel des marchés.

Sous l'effet de la frénésie d'innovation et de la domination des activités de marché, le « mimétisme concurrentiel » a eu d'incontestables effets pervers . Le maintien d'un rendement élevé impliquait ainsi des produits toujours plus sophistiqués mais reposant fondamentalement sur un principe commun d'externalisation du risque. Ce mimétisme revêt de nombreuses dimensions, notamment :

- la norme implicite de rendement des fonds propres , traditionnellement plus élevé dans le secteur bancaire et dont le niveau minimum était fixé à 15 %, ce qui est manifestement incompatible avec la performance macroéconomique de long terme d'un pays. Il serait vain de chercher à déterminer le responsable en dernier ressort - actionnaire ou émetteur - de cette dérive, qui a été confortée par les mutations de l'information financière (immédiateté et abondance) et le raccourcissement de l'horizon temporel des gestionnaires et investisseurs . De ce point de vue, la consécration, par la directive dite « Transparence » 9 ( * ) , de l'information financière trimestrielle peut être critiquée ;

- la réactivité des investisseurs face à des signaux de marché à court terme et le retour rapide de certaines illusions boursières , en dépit du signe avant-coureur qu'était la conjonction d'une longue phase de progression soutenue et d'une faible volatilité des cours ;

- une confiance excessive dans des modèles frustes de mesure du risque , en particulier la « Valeur à risque » (« Value at risk », qui mesure la perte maximale pour une probabilité d'occurrence donnée), dont la généralisation - tant dans les banques que chez les régulateurs - a conforté la légitimité, bien que ses limites soient connues 10 ( * ) ;

- l'autonomie et souvent l'arrogance des opérateurs de marché , dont la contribution croissante aux revenus des banques, dans le cadre d'un nouveau modèle économique de financement de la banque de détail par la banque d'investissement, a justifié des rémunérations « hors normes » et la « souplesse » de la hiérarchie, au détriment de la qualité et de la valorisation des fonctions de contrôle (« back office ») et au prix d' « accidents de parcours » 11 ( * ) . Les activités de marché sont en quelque sorte devenues le sceau de l' « anoblissement » bancaire et ont pu conduire certaines banques à s'éloigner de leurs métiers traditionnels 12 ( * ) .

b) Un dévoiement certain des incitations individuelles

Pour conforter la rentabilité des activités de marché, les mécanismes d'incitation individuelle ont été amplifiés et se sont révélés procycliques, non compatibles et déstabilisants, consacrant la déconnexion de « l'économie réelle ». Une illustration a été apportée par les rémunérations variables des opérateurs de marché, qui répondent à une logique d' « échelle de perroquet » 13 ( * ) et ont suscité un émoi justifié, une focalisation médiatique excessive et une appropriation politique tardive (cf. infra ).

* 9 Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE.

* 10 Sans entrer dans les détails, ces limites - qui ne remettent pas en cause l'intérêt de cet instrument - tiennent au concept (anticiper l'avenir à partir de séries statistiques passées), aux hypothèses utilisées (sur la liquidité des marchés ou la distribution des rendements selon une loi normale), à l'acceptabilité de certaines approximations (modélisation des options, de la courbe des taux ou des actions), au recours au « backtesting » pour valider les résultats par des faits, au choix du niveau de probabilité (en général 1 % ou 5 %) ou à l'historique parfois trop court des statistiques utilisées.

* 11 Outre l' « affaire Kerviel » très médiatisée (4,9 milliards d'euros de pertes pour la Société Générale), citons les cas de Mizuho Securities (280 millions d'euros en décembre 2005, suite à une erreur de saisie), la filiale américaine de Calyon (250 millions d'euros en septembre 2007), MF Global (141,5 millions de dollars en février 2008) et des caisses d'épargne (752 millions d'euros en octobre 2008).

* 12 On peut ainsi mentionner, pour la France, Dexia, CDC Ixis et son successeur Natixis.

* 13 Le rapport annuel du contrôleur des comptes de l'Etat de New York a ainsi été en quelque sorte détourné de son objet, puisqu'il a contribué au « parangonnage » des rémunérations sur la place financière américaine.

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