2. L'arrêt « Maastricht »

? L'arrêt du 12 octobre 1993 sur la loi d'approbation du traité de Maastricht a confirmé que la Cour de Karlsruhe maintenait cette réserve de principe, en considérant qu'il lui incombait en tout État de cause de préserver un niveau intangible de protection des droits fondamentaux :

« La Cour constitutionnelle garantit, en vertu de sa compétence, que les personnes résidant en Allemagne bénéficient, d'une manière générale, d'une protection efficace de leurs droits fondamentaux, également à l'égard de l'exercice de pouvoirs souverains de la Communauté européenne, et que cette protection doit, pour l'essentiel, être considérée comme équivalente à la protection des droits fondamentaux qu'impose impérativement la Loi fondamentale, et ce d'autant plus que la Cour garantit de manière générale la substance des droits fondamentaux. La Cour constitutionnelle garantit donc cette substance également à l'égard des pouvoirs souverains qu'exerce la Communauté européenne. Les actes émanant d'une autorité publique particulière relevant d'une organisation supranationale distincte de l'autorité publique qu'exercent les États membres affectent eux aussi les titulaires de droits fondamentaux en Allemagne. Ils affectent donc les garanties conférées par la Loi fondamentale et les tâches qu'exerce la Cour constitutionnelle ayant pour objet la protection des droits fondamentaux en Allemagne, protection qui ne s'exerce donc pas seulement à l'égard d'actes émanant d'organes de l'État allemand.

Cependant, c'est dans le cadre d'un « rapport de coopération » avec la Cour de justice des Communautés européennes que la Cour constitutionnelle a compétence pour connaître de l'applicabilité du droit communautaire dérivé en Allemagne. Dans ce contexte, la Cour de justice des Communautés européennes garantit la protection des droits fondamentaux dans chaque cas particulier pour l'ensemble du territoire des Communautés européennes, la Cour constitutionnelle pouvant dès lors se borner, pour sa part, à garantir de manière générale le caractère intangible de la norme à respecter en matière de droits fondamentaux ».

Ainsi, la Cour constitutionnelle ne renonce pas à sa compétence générale en matière de droits fondamentaux, même si, de facto , c'est la Cour de Luxembourg qui assure le respect de ces droits par les actes communautaires.

? Par l'arrêt « Maastricht » , la Cour constitutionnelle allemande ne s'est pas bornée à maintenir l'existence d'une compétence de principe en matière de droits fondamentaux à l'égard du droit communautaire. Elle a été amenée à préciser comment la construction européenne devait se concilier avec l'existence, garantie par la Loi fondamentale, d'une vie démocratique nationale. En effet, le recours déclaré recevable contre la loi d'approbation de ce traité se fondait sur le fait que celui-ci, en transférant à l'échelon européen des pouvoirs très étendus, privait de sa substance le droit de vote pour l'élection du Bundestag, alors que ce droit de vote était un droit fondamental reconnu par la Constitution.

Dans son arrêt, la Cour juge acceptable le grief à partir du raisonnement suivant : en garantissant aux citoyens le droit d'élire le Bundestag, la Loi fondamentale garantit également le « contenu démocratique » de ce droit, c'est-à-dire la possibilité pour les électeurs de « concourir à la légitimation de l'autorité de l'État par le peuple au niveau de la Fédération et d'influer sur l'exercice de cette autorité » . À supposer que les transferts de compétences au profit de l'Union européenne aboutissent à vider de sa substance le droit d'élire le Bundestag, il y aurait bien « violation du principe de démocratie » garanti par la Loi fondamentale (4 ( * )) .

? Ayant jugé recevable une requête ainsi argumentée, la Cour l'avait ensuite jugée non fondée : le traité de Maastricht ne donnait pas naissance à un État européen, mais à une association européenne d'États mise en place par les États membres et n'ayant pas le pouvoir de déterminer elle-même ses compétences ; et les compétences transférées n'allaient pas jusqu'à vider de leur substance les pouvoirs du Bundestag au point de violer le principe de démocratie garanti par la Loi fondamentale.

La Cour précisait que, compte tenu de l'article 23 de la Loi fondamentale qui rend possible le transfert de droits de souveraineté pour la construction d'une Europe unie, le principe de démocratie n'empêchait pas la République fédérale d'Allemagne d'adhérer à une communauté interétatique européenne, dès lors qu'étaient assurés une légitimation et un pouvoir d'influence émanant du peuple. Dans le cas de l'Union européenne, cette légitimation était double, procédant d'une part des parlements des États membres, d'autre part du Parlement européen.

Mais, dès lors que l'Union demeurait une association d'États légitimé à la base par les parlements nationaux, il résultait du principe de démocratie que des limites étaient fixées à l'extension des compétences européennes : les États devaient en effet pouvoir « disposer de domaines d'action suffisamment importants, dans lesquels leurs nations respectives puissent s'épanouir et agir dans le cadre d'une volonté politique qu'elles ont elles-mêmes légitimée et orientée » .

Cela conduisait la Cour à souligner que les transferts de compétences vers l'Union n'étaient valides que dans la mesure où ils avaient été explicitement consentis par le législateur allemand, et qu'en conséquence elle était habilitée à vérifier si les actes juridiques des institutions et organes européens respectaient les limites des droits souverains qui leur avait été attribués ou s'ils s'en écartaient, auquel cas ils n'auraient pas de valeur obligatoire pour l'Allemagne.

Ainsi, sans s'opposer aux transferts de droits de souveraineté prévus par le traité de Maastricht - avec notamment la mise en place d'une monnaie unique - la Cour considérait que la construction européenne ne pouvait avoir pour effet de porter atteinte à son rôle de garant des droits fondamentaux garantis par la Constitution allemande. Si, en pratique, elle s'en remettait à la Cour de justice européenne pour contrôler le respect des droits fondamentaux par le droit communautaire, elle n'en conservait pas moins une vigilance de principe dans ce domaine ; et elle entendait garantir le principe de démocratie en veillant à ce que le droit de vote à l'échelon national ne soit pas vidé de son contenu, et à ce que l'Union s'en tienne aux compétences que les traités lui attribuent.

* (4) L'article 79, alinéa 3 de la Loi fondamentale précise que les principes énoncés par l'article 20 de celle-ci ne peuvent être révisés. Parmi ces principes figurent le caractère « démocratique » de la R.F.A., où « tout pouvoir d'État émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire » .

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