2. Les usages de l'auto-entreprise : du bon et des questions

a) Un régime qui répond à des attentes légitimes
(1) L'auto-entreprise comme complément de revenu

La vocation première du régime de l'auto-entrepreneur est d'offrir un cadre juridique permettant à des actifs (salariés ou fonctionnaires), à des inactifs (retraités) ou à des personnes situées aux marges de l'activité et de l'inactivité (étudiant ayant un emploi irrégulier, par exemple) d' accroître leurs revenus par une activité rémunérée complémentaire, de volume réduit . On a alors affaire, en quelque sorte, à des auto-entrepreneurs à « temps partiel » .

Que représente ce type d'usage de l'auto-entreprise ? On ne dispose pas encore de données suffisamment précises pour pouvoir le dire avec certitude.

D'après les premières données recueillies par la DGCIS, on trouverait parmi les auto-entrepreneurs 33 % de salariés et 6 % de retraités. C'est donc près de 40 % des auto-entrepreneurs qui, de fait, trouvent dans leur entreprise un complément de revenu. Le chiffre réel est cependant probablement supérieur car les agents de la fonction publique ne sont pas distingués dans les données fournies par la DGCIS (ils figurent dans une rubrique « autres », qui représente 36 % des auto-entrepreneurs).

Selon une autre source, à savoir l'enquête par sondage réalisée en octobre 2009 pour le compte des CCI par l'IFOP, 40 % des auto-entrepreneurs auraient choisi ce régime afin de pouvoir toucher un revenu complémentaire et 15 % pour exercer une activité saisonnière ou irrégulière. C'est donc plus d'un auto-entrepreneur sur deux qui rechercherait un complément de revenu par le développement d'une activité indépendante.

LES AGENTS PUBLICS ET L'AUTO-ENTREPRISE

Un agent public à temps plein ou à temps partiel 79 ( * ) reste, par principe, soumis à la règle lui interdisant d'exercer une activité privée lucrative mais il peut y déroger pour bénéficier du statut de l'auto-entrepreneur sur autorisation de la part de son administration.

Sont susceptibles d'autorisation, sous le régime d'auto-entrepreneur, les activités accessoires d'expertise, de consultation, d'enseignement ou de formation, et de travaux effectués chez des particuliers Cette autorisation est valable pour une durée indéterminée.

Un fonctionnaire peut également demander l'autorisation d'exercer en tant qu'au-entrepreneur une activité privée lucrative dans le cadre d'une création ou d'une reprise d'entreprise. Le temps partiel, s'il est demandé, est alors de droit. Le champ des activités visées est dans cette procédure plus large que pour les activités accessoires, puisque sont concernées les entreprises industrielles, commerciales, artisanales et activité libérale. L'autorisation est cependant donnée, après avis de la commission de déontologie, pour une durée d'une année, renouvelable une fois pour une durée d'un an.

Dans tous les cas, l'administration peut s'opposer à la poursuite de l'activité d'auto-entrepreneur s'il s'avère que celle-ci perturbe le fonctionnement normal du service ou porte atteinte à la dignité des fonctions exercées par l'agent dans l'administration.

Le régime de l'auto-entrepreneur fait actuellement l'objet d'une adaptation au statut des agents publics. L'article 33 de la loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et au parcours professionnels dans la fonction publique a porté l'autorisation de cumul d'activité pour la création ou la reprise d'une entreprise à trois ans maximum. En outre, le dispositif du cumul d'une activité privée accessoire à un emploi public d'agent des trois fonctions publiques est en cours de modification dans un projet de décret pour élargir la gamme des activités accessoires exercées dans les conditions du régime de l'auto-entrepreneur : les activités commerciales complémentaires à la mise en valeur d'un patrimoine personnel (restauration et l'hébergement) ; les services à la personne; la vente de biens fabriqués personnellement par l'agent.

(2) L'auto-entreprise comme entreprise à l'essai

Un autre avantage du régime d'auto-entrepreneur est de pouvoir tester un projet d'entreprise individuelle à moindre risque, dans un cadre plus souple et moins coûteux que le régime standard de l'entreprise individuelle. La disparition des coûts d'entrée dans l'entreprenariat (pas d'appels de cotisations sociales, pas de frais d'enregistrement auprès des chambres consulaires, pas de frais de compatibilité) limite en effet les pertes en cas d'échec du projet et incite donc les porteurs de projet à franchir plus aisément le pas de la création d'entreprise.

D'après le sondage précédemment évoqué, 68 % des auto-entrepreneurs disent avoir choisi ce régime particulier afin de tester leur projet et 51 % d'entre eux précisent qu'ils n'auraient pas franchi le pas de la création d'entreprise en l'absence de ce régime simplifié.

Un enjeu fort pour les pouvoirs publics est d'aider les auto-entreprises dynamiques en quelque sorte, à transformer l'essai et à passer le plus rapidement possible sous un régime ou un statut juridique davantage propice au développement de l'activité et de l'emploi. Il est important de rappeler en effet que l'auto-entreprise est un bon cadre pour cumuler durablement une activité indépendante avec une autre source de revenu mais pas pour pérenniser une entreprise individuelle exclusive. Il faut donc réfléchir aux moyens de favoriser la transition vers un autre cadre juridique.

La CGPME souhaiterait que la possibilité de bénéficier du régime de l'auto-entreprise soit limitée dans le temps, par exemple à trois ans, quel que soit le chiffre d'affaires. Cette préconisation est effectivement intéressante s'agissant d'auto-entreprises exclusives, mais il n'y a aucune raison de limiter dans le temps le cumul entre auto-entreprise et activité salariée ou pension de retraite. Il faut donc rechercher des incitations plus ciblées.

Une piste intéressante pourrait consister à développer une formation spécifique pour les auto-entreprises dépassant le seuil de chiffres d'affaires de la micro-entreprise et qui, par conséquent, ont vocation à passer rapidement (dans un délai de deux ans) sous un régime d'entreprise plus classique . Cette formation serait axée sur la professionnalisation des auto-entrepreneurs. Le passage à un régime d'entreprise plus classique va en effet s'accompagner pour eux d'un bouleversement important : obligations comptables et administratives plus lourdes, éventuellement embauche de salariés. Tout en restant entrepreneurs, ils vont donc changer de métier et il est nécessaire qu'ils soient formés aux exigences de ce nouveau métier.

Dans quel cadre pourrait s'inscrire cette formation ?

On peut rappeler que l'auto-entrepreneur bénéficie personnellement, au même titre que tout travailleur indépendant, du droit à la formation professionnelle continue prévu par l'article L. 6312-2 du code du travail.

Les actions de formation suivies par les auto-entrepreneurs pourraient être financées par les Fonds d'assurance formation des travailleurs indépendants et, pour le secteur artisanal, par les conseils de la formation institués auprès des chambres régionales de métiers de l'artisanat.

Il faut noter cependant que, afin de conserver la simplicité du régime de l'auto-entrepreneur visant au maintien du principe de proportionnalité des contributions sociales et fiscales en fonction du chiffre d'affaires, la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a instauré la dispense du versement aux URSSAF de la contribution à la formation professionnelle pour les auto-entrepreneurs professionnels libéraux, commerçants et artisans non inscrits au répertoire des métiers.

La question du financement de la formation des auto-entrepreneurs se pose donc . Il est indispensable soit de créer un mécanisme de compensation financière susceptible de permettre aux fonds d'assurance formation dont ils relèvent de participer à la prise en charge des actions de formation des auto-entrepreneurs, soit de prévoir que les auto-entrepreneurs contribuent eux-mêmes au financement de leur formation.

(3) Une attente sociétale ?

Selon l'enquête IFOP déjà citée, 96 % des porteurs de projet estiment que le régime de l'auto-entrepreneur contribue à développer l'esprit d'entreprise ; 89 % pensent qu'il correspond aux attentes de la société ; 79 % considèrent qu'il ne s'agit pas « d'un régime de plus ».

Ces résultats révèlent, de la part du public, une perception du régime de l'auto-entreprise marquée par une charge symbolique forte. L'auto-entreprise n'est pas seulement un dispositif utile, pratique, simple : elle est perçue plus largement comme la reconnaissance réelle du droit d'entreprendre et comme le symbole et le moyen d'une certaine autonomie individuelle dans l'activité économique, d'une certaine fluidité dans l'organisation de la vie professionnelle.

On peut se demander si une fraction des déclarations d'auto-entreprises enregistrées depuis le début de l'année 2009 ne correspond pas à une volonté symbolique de s'approprier ce droit d'entreprendre et d'exprimer une adhésion aux valeurs inspirant le modèle de l'auto-entreprise. Dans ce cas, on ne se déclarerait pas auto-entrepreneur parce que l'on a un projet précis mais parce qu'on souhaite s'inscrire symboliquement dans une évolution sociétale. Si ce type de comportement existe effectivement dans des proportions significatives, il pourrait contribuer à expliquer la proportion élevée d'auto-entreprises « dormantes ».

* 79 Textes applicables : Décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État ; Circulaire n° 2157 du 11 mars 2008 relative au cumul d'activités.

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