ANNEXE - COMPTE RENDU DU COLLOQUE DU GROUPE D'ÉTUDES SUR L'ARCTIQUE, L'ANTARCTIQUE ET LES TERRES AUSTRALES FRANÇAISES - (LUNDI 5 OCTOBRE 2009)

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Introduction par M. Christian Cointat, président du groupe d'études sur l'arctique, l'antarctique et les terres australes, et de M. Michel Rollon-Blaisot, préfet, administrateur supérieur des TAAF.

M. Christian Cointat, président - Mesdames, Messieurs, je vous remercie d'être si nombreux aujourd'hui à avoir honoré notre invitation pour évoquer les îles Eparses. Ce n'est pas un nom qui fait rêver, les îles Eparses, et pourtant, le nom des îles qui en font partie : Nova, Europa, les Glorieuses, Bassas de India, Tromelin... invite à la poésie. Il s'agit de minuscules coins de terre disséminés dans le Canal du Mozambique et dans l'Océan Indien, mais qui représentent pour notre pays, la France, un potentiel considérable. Un potentiel à la fois écologique bien entendu, un potentiel scientifique pour une meilleure connaissance de notre planète et, aussi, un potentiel économique. Car il ne faut pas oublier que nous avons une Zone Economique Exclusive (ZEE) tout à fait remarquable.

Bien que ce cinquième district des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) soit beaucoup plus chaud que les autres, il est situé dans la partie australe de notre planète, et mérite donc le nom de terres australes - même si elles sont tropicales. Elles sont très belles, et m'ont fait penser à ces vers du poète Ernest Pepin : on dirait des îles « endimanchée(s) de rêve, qui enfile(nt) des soleils à [leurs] cous » 5 ( * ) . J'espère que nous allons faire tout au long de cet après-midi un beau voyage au soleil azuré de ces contrées qui font rêver. Ce sont en effet des réserves naturelles. Une demande de création d'une réserve nationale à Europa a été faite. Ce sont bien sûr des espaces protégés. Ce sont de merveilleux laboratoires aussi, mais des laboratoires sur les sciences de la vie, de l'univers et la météorologie puisqu'il paraît que les cyclones se forment dans ces coins paradisiaques. C'est donc le meilleur endroit pour les étudier. Les îles sont également un sanctuaire de biodiversité qu'il faut préserver à tout prix. Car c'est un paradis pour de nombreuses espèces d'oiseaux, notamment à Europa qui est également, si j'ai bien compris, un paradis pour une certaine espèce de moustique.

A l'image des autres districts des Terres Australes et Antarctiques Françaises, les îles Eparses constituent un haut lieu d'étude de notre planète. Et un lieu qui doit être ouvert à tous les chercheurs désireux de faire progresser la connaissance de cette planète sur laquelle nous vivons et qui rencontre quelques tracas du fait des hommes. Il faut donc favoriser, développer, au sens du terme écologique du terme, ces îles, notamment en matière de centres de recherche. Car les terres australes et antarctiques doivent être un territoire français au service de l'humanité.

Puisqu'il y a un enjeu économique que j'évoquais tout à l'heure, il faut aussi veiller à ce que celui-ci reste dans les normes qui sont compatibles avec le rôle destiné à cette partie du monde : il faut donc lutter contre la pollution. Nous nettoyons les îles du fait de la présence humaine, ne serait-ce que la présence des militaires, ainsi que celle des météorologues pendant un certain nombre d'années ; même si maintenant les stations automatiques se sont développées -sauf à Tromelin- mais il faut également veiller à ne pas les polluer. Or des permis d'exploitation ont été accordés au large de Juan de Nova. Il faudra donc veiller à ce que l'exploitation pétrolière, si elle devait voir le jour, ne soit pas un motif de pollution, et qu'elle puisse fonctionner encadrée par des normes acceptables pour cette partie du monde. La recherche pétrolière, tout comme la pêche au thon, a été normalisée dans le reste des Terres Australes et Antarctiques Françaises avec la pêche à la légine qu'on est arrivé à normaliser, à protéger. Il faudra faire pareil avec le thon, dont la pêche est par ailleurs un facteur de développement pour Mayotte d'un côté et La Réunion de l'autre.

Ces îles constituent un fabuleux potentiel de recherche au niveau économique, écologique et scientifique. Il faut le préserver et lui donner tout son véritable sens. Alors puisque j'ai commencé par une petite phrase poétique, je terminerai de la même façon car nous allons rejoindre ces contrées qui sont connues pour leur beauté, et un poète évoquant cette beauté disait « elle devint île », et il rajoutait « lui, il est devenu aile pour mieux la contempler de haut ».

M. Rollon Mouchel-Blaisot, préfet, administrateur supérieur des TAAF sur les enjeux des îles Eparses - Pour la collectivité d'outre-mer, les TAAF constituent un ensemble un peu atypique. Votre serviteur a l'immense privilège - je m'adresse devant des préfets qui ont beaucoup d'expérience - d'être à la fois le représentant de l'Etat et l'exécutif d'une collectivité territoriale qui ne peut pas être décentralisée puisqu'il n'y a ni habitant permanent ni élu. En tout cas, c'est une grande chance pour nous les TAAF d'avoir sous votre égide, Monsieur le sénateur, un groupe d'études qui suit nos travaux et auprès duquel nous pouvons, bien sûr, correspondre en permanence. Je tiens donc à vous remercier d'avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque au Sénat. Nous sommes très reconnaissants envers le président du Sénat, Gérard Larcher, d'avoir accordé son haut patronage pour cette manifestation ; confirmant s'il en était besoin que le Sénat est la maison des territoires de la République et, j'ose dire, de tous les territoires. Et peut-être que celui dont on doit parler cet après-midi est probablement le plus inconnu au sein de notre République -mais nous allons essayer de résoudre un peu ce dilemme aujourd'hui. Je tiens bien sûr à saluer les parlementaires présents, les membres du Conseil Consultatif, les préfets qui me font l'honneur d'assister aussi à nos travaux, le général, ancien commandant supérieur à La Réunion, et représentant le chef d'Etat-major des armées, bien sûr, les représentants élus de La Réunion et de Mayotte, les scientifiques et vous tous, personnes intéressées à un titre ou un autre par ces îles dont on commence à peine à lever le voile.

Notre présence est très récente dans la zone puisque ce n'est qu'en 2005 que le Gouvernement décida de confier l'administration des îles Eparses aux Terres Australes et Antarctiques. Les TAAF avaient été créées par la loi du 6 août 1955 pour s'occuper d'administrer nos possessions en Antarctique et en Subantarctique, avec le concours de nos collègues de l'Institut Paul Emile Victor (IPEV), dont je tiens à saluer le directeur ici présent. Pour la première fois, nous nous éloignons du grand Sud extrême pour aller vers les tropiques. Cela peut paraître un peu paradoxal de prime abord mais vous verrez peut-être tout au long de l'après-midi qu'il y a finalement une certaine logique. C'est pour nous une nouvelle frontière jusqu'alors inconnue et pour laquelle, messieurs, nous avons dû nous redéployer -je le dis devant les parlementaires- à moyens constants pour administrer ces îles. Vous le savez bien, et les parlementaires également, depuis la loi du 21 février 2007, elles ont été pleinement intégrées à la collectivité d'outre-mer des Terres Australes et Antarctiques Françaises.

Cela a eu pour conséquence d'intégrer à un territoire de la République française ces îles, qui étaient auparavant sous la tutelle directe du ministre chargé des colonies, puis du ministre chargé d'outre-mer. La deuxième conséquence, pas toujours estimée à sa juste valeur jusqu'à aujourd'hui, est que cela fait désormais des TAAF la deuxième zone maritime de France avec près de 2,4 millions de kilomètres carrés de Zone Economique Exclusive. Et la troisième conséquence, que je trouve très heureuse, a été de consolider notre présence à La Réunion. Vous savez que le siège de l'Etat a été délocalisé au début de l'année 2000 à Saint-Pierre de La Réunion.

C'était donc un premier défi géographique. Mais le deuxième défi était administratif puisqu'il nous a fallu mettre en place les procédures d'accès à ces îles, ce qui était jusqu'alors interdit sauf pour les besoins de la recherche scientifique ou de la souveraineté. Il y avait des procédures mises en place auparavant par les préfets de La Réunion successifs, qui avaient en charge l'administration de ces îles. Il a fallu bien sûr le prendre à notre compte. Il a fallu aussi instruire les demandes de recherches qui sont de plus en plus nombreuses. Il nous a fallu enfin assurer le portage des demandes des acteurs économiques qui s'intéressent aussi à nos zones et - je vous rassure tout de suite Monsieur le sénateur - dans le respect des principes généraux qui fondent l'action des Terres Australes et Antarctiques Françaises dans l'ensemble de ces territoires. Ce sont d'abord des territoires voués à la recherche et à la protection de la biodiversité, ce qui ne veut pas dire que ce soit forcément antinomique avec un développement économique harmonieux. On le voit aisément avec l'évolution de la pêche.

Le troisième défi, c'est le défi de la recherche sur la biodiversité. Nous avions élaboré, conformément aux directives gouvernementales, un plan d'action « biodiversité » qui englobait primitivement l'Antarctique et les îles Subantarctiques. Nous avons donc dû, suite à cette intégration des îles Eparses, inclure ces îles dans notre plan d'action de biodiversité, qui a été soumis au Gouvernement et approuvé depuis.

Quatrième défi, et vous verrez que ce n'est pas un des moindres pour cet après-midi, c'est le défi sur la gestion durable des ressources halieutiques. Nous avons hérité d'une pêche extrêmement importante : la pêche aux thonidés dans le Canal du Mozambique sur une ressource extrêmement convoitée, le thon. Et, à l'exemple de ce que nous avons fait dans les îles et les mers australes, nous souhaitons appliquer les mêmes principes de développement durable et de gestion raisonnée de la pêche et des ressources halieutiques dans le Canal du Mozambique et à Tromelin ; même si bien sûr, le contexte de départ est un peu différent.

Et enfin, je me permets d'insister un peu là-dessus, c'est un défi logistique. Je rappelle souvent -avec un clin d'oeil- à nos amis chercheurs qu'ils ont tous d'énormes projets de recherche plus fantastiques les uns que les autres pour aller en Antarctique, pour aller dans les îles australes ou pour aller dans les îles Eparses maintenant. C'est un défi logistique qu'il nous faut en permanence relever mais qui ne va pas de soi. Il ne suffit pas de dire « y'a qu'à », « faut qu'on », c'est toute une chaîne extrêmement complexe que nous devons mettre en oeuvre. Et lorsque nous avons hérité de ces îles en 2005-2007, nous avons eu un « petit paquet cadeau » et je le dis avec humour. C'est-à-dire que nous avons hérité de ces îles qui avaient des décennies de présence, de missions, de constructions, de bâtiments, de pistes d'aviation et nous n'avions jamais retiré les déchets, qui avaient été accumulés pendant des décennies. Je vous rassure, les îles étaient et restent encore superbes, ce sont encore des joyaux de la biodiversité. Mais il n'était pas possible de laisser ces îles dans cet état si on voulait relancer et donner une nouvelle impulsion à toute la recherche et au changement global qui a lieu aujourd'hui. Et donc, avec le Marion Dufresne, le navire emblématique des TAAF que nous partageons avec l'Institut Polaire Paul Emile Victor, nous avons en avril et mai dernier effectué une rotation exceptionnelle du Marion Dufresne dans l'ensemble des îles. C'était une grande première. À l'issue de mois, voire même d'années de préparation, nous y avons retiré plus de 600 tonnes de déchets ferreux, 14 tonnes de batteries, une douzaine de tonnes d'hydrocarbures et 2 tonnes d'huile, et dépollué et déterré un certain nombre de décharges sauvages qui avaient été accumulées au fil des ans ou au fil des anciennes tentatives de colonisation, qui toutes avaient échoué pendant l'historique de ces îles. Au-delà de ce défi logistique, nous avions emmené plus d'une cinquantaine de scientifiques pour découvrir ou redécouvrir le potentiel de ces îles, ainsi qu'assurer une prestation de fret pour nos amis militaires. Nous y reviendrons dans quelques instants, ce sont en effet les détachements militaires des Forces Françaises de l'Océan Indien (FAZSOI) qui assurent aujourd'hui une présence permanente sur trois de nos îles principales du Canal du Mozambique. La quatrième, Tromelin, à l'est de Madagascar, étant occupée par du personnel de Météo France que je salue également.

En tout cas, cette opération -si je me suis permis de m'y attarder- est très symptomatique et symbolique de ce que nous souhaitons faire avec les îles Eparses. Ce doit être d'abord une démarche de réflexion : « Que souhaitons-nous pour ces îles ? » Monsieur le sénateur, je ne vais pas reprendre ce que vous avez excellemment dit, car ces îles représentent des enjeux extraordinaires en matière de recherche, de biodiversité, de gestion durable de la mer et de coopération régionale. Sans oublier les histoires humaines extraordinaires, si je peux me permettre ce raccourci parce qu'il y a - derrière toutes ces recherches et toutes ces histoires - une dimension humaine très forte dans cette zone de l'Océan Indien. Et donc la démarche qui a été la nôtre avec le plein soutien -je tiens à les remercier- de l'ensemble des membres du Conseil Consultatif que je resalue ici, - fut de s'interroger : « Avant de parler des moyens, réfléchissons au projet. Qu'est-ce que nous souhaitons faire ? Qu'est-ce que nous pouvons faire ? Qu'est-ce que nous devons faire pour ces îles ? Quels sont ensuite les moyens qu'il nous faudra mettre en place pour y aller, pour les conserver, pour les valoriser, pour les optimiser ? » Et ensuite, une fois la feuille de route établie à partir de ce plan stratégique, nous nous interrogerons : « Est-ce que, en travaillant ensemble (les forces armées, les TAAF, l'administration civile, les collectivités régionales), nous pouvons répondre au défi logistique et politique qui nous est lancé ? »

Donc les TAAF ont reçu ces îles comme un défi. Je rends hommage à mes collaborateurs et mes prédécesseurs qui s'y sont investis avec beaucoup de coeur et beaucoup de détermination. Nous n'oublions pas pour autant que nous sommes toujours concernés par l'administration de nos possessions en Antarctique ou en Subantarctique mais c'est vrai que les Eparses aujourd'hui sont un peu notre nouvelle frontière. Nous sommes vraiment décidés à être avec vous tous. Je remercie donc par avance les orateurs et ceux qui participeront à nos travaux d'apporter une contribution pour que nous puissions ensemble, suivre une démarche proactive et établir un véritable projet pour la valorisation des îles Eparses, et que nous puissions ensuite faire preuve d'inventivité pour résoudre la quadrature du cercle : continuer à protéger ces îles comme les forces armées jusqu'à ce jour ont toujours réussi à le faire. Il n'y a pas de doute que si depuis les années 1970, des détachements militaires, notamment dans le Canal du Mozambique n'avaient pas été présents sur ces îles, elles auraient subi malheureusement le même sort que beaucoup d'autres îles de cette zone non gardées qui n'appartiennent pas à la France. C'est-à-dire qu'il n'a fallu que quelques mois pour qu'elles soient pillées écologiquement, que les oiseaux, que les tortues, que l'ensemble des animaux disparaissent, que les lagons soient dévastés et que la biodiversité exceptionnelle aussi bien terrestre que marine que ces îles recélaient disparaisse à jamais. Et au moment où nous allons dans quelques mois lancer l'année mondiale de la biodiversité, les îles Eparses ont un rôle à jouer.

Et d'ailleurs, et ce sera ma conclusion d'introduction beaucoup trop longue, la France est le seul pays au monde, qui présente et qui offre à nos chercheurs et à toutes les personnes qui s'intéressent à l'écologie un gradient aussi exceptionnel des tropiques jusqu'au Pôle Sud en passant par les îles Subtropicales, Subantarctiques, Antarctiques et à l'intérieur du continent antarctique grâce à la base franco-italienne du Dôme C. La France est le seul pays au monde qui offre à nos chercheurs et à nos laboratoires ce spectre extrêmement étendu, à l'heure où les changements globaux préoccupent beaucoup, et où il faut mener un certain nombre de recherches tout en ayant l'ancienneté et le recul nécessaires pour en apprécier tous les impacts. Je crois que c'est une grande chance que détient notre pays. Et je crois qu'on peut lui en être reconnaissant. Depuis des décennies il investit - peut-être dans une certaine discrétion mais aujourd'hui la discrétion n'est plus de mise - pour protéger ces îles. Je crois que c'est tout à l'honneur de notre pays de l'avoir fait et, j'espère, de continuer à le faire. Merci de votre attention.

I. UN TRAIT D'UNION MARITIME DE LA FRANCE DE L'OCÉAN INDIEN AU SERVICE DE LA COOPÉRATION RÉGIONALE

M. Philippe Leyssene, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'Océan Indien - Lorsque M. Mouchel-Blaisot m'a contacté pour me demander d'intervenir à ce colloque, je lui ai spontanément répondu oui pour, quelques secondes après, me demander ce que je pouvais bien dire sur le thème de la coopération concernant les îles Eparses. J'ai été un peu pris de vertige en me disant : « Mon Dieu, comment vais-je pouvoir essayer d'expliquer que ces cinq îles dans le Canal du Mozambique et dans le sud-ouest de l'Océan Indien peuvent être un objet de coopération régionale, aussi bien pour nos îles françaises de Mayotte ou de La Réunion, pour la grande île-continent de Madagascar, pour les Seychelles, pour l'Ile Maurice ou l'Union des Comores, et en quoi les 23 millions de personnes qui actuellement vivaient dans la zone pouvaient trouver intérêt - si ce n'est profit - à l'établissement d'une coopération régionale concernant les îles Eparses ? » Je m'étais dit que peut-être la solution était dans le titre, qui était celui de trait d'union : trait d'union maritime. Et finalement en cherchant en quoi nos îles Eparses pouvaient être un trait d'union entre toutes les îles, je me suis dit qu'on pouvait faire deux choses. La première est d'essayer de faire en sorte que ces îles rapprochent les Etats de la zone plus qu'elles ne les opposent comme c'est le cas aujourd'hui. La deuxième idée, tout simplement, est de bien identifier le potentiel qui a déjà été longuement présenté pour voir en quoi ce potentiel que vous connaissez bien peut faire l'objet d'une coopération. Et enfin, j'essaierai d'identifier, au travers de quelques propositions, quelques pistes de travail pour donner un peu de concret à cette coopération régionale.

1. Faire en sorte que les îles Eparses, qui opposent, rapprochent les états de la zone...

Tout d'abord, faire en sorte que les îles Eparses qui aujourd'hui opposent, rapprochent demain les Etats de la zone. Comme vous le savez, les îles Eparses sont contestées. En tout cas, notre souveraineté française est contestée dans la zone. Je ne parle pas, bien sûr, de Mayotte par l'Union des Comores : elle ne fait pas partie des îles Eparses. Elle est contestée donc par Madagascar pour les îles du Canal du Mozambique, et par la République de Maurice concernant l'île de Tromelin. Bien évidemment, il n'est pas spontanément facile de créer de la coopération entre deux Etats qui contestent la souveraineté de ces îles. Je crois que ce qui peut être fait, c'est ce qui est fait depuis plusieurs mois : c'est la recherche d'un partenariat constructif tourné vers l'avenir avec des Etats qui sont concernés par ces contestations.

Le plus emblématique de ces contentieux est celui de Tromelin. Et je puis vous dire que depuis plusieurs mois, sous la houlette active du préfet des TAAF qui est notre chef de délégation, nous avons entamé des négociations bilatérales avec la République de Maurice pour trouver un accord sur la façon de mieux cogérer certaines parties, certaines politiques publiques concernant cette île et mieux coopérer concernant l'île de Tromelin. Donc je crois que c'est bien à ce prix que nous pourrons -pour l'île de Tromelin en tous cas mais sans doute, on peut l'espérer demain, pour les îles Eparses avec Madagascar- trouver des axes de coopération.

La première chose à faire, c'est une évidence, c'est de faire en sorte que les objets de notre coopération ne soient plus sources de conflits avec nos partenaires pour suivre cette dynamique de coopération.

2. Ainsi que d'identifier ce potentiel pour étudier les possibilités de coopération régionale

La deuxième idée est de valoriser le potentiel. À partir du moment où nous sommes d'accord pour développer la coopération, il est important de savoir sur quoi nous allons pouvoir coopérer. Je crois que là, les spécialistes sont bien évidemment mieux armés que moi pour cela. Je crois qu'on peut identifier au regard des actions de coopération qui sont déjà menées par ailleurs dans la zone de l'Océan Indien quelques pistes assez sérieuses qui permettraient de bien consolider la présence de nos îles Eparses dans cette coopération.

Le premier de ces enjeux est un enjeu géopolitique. Nos îles Eparses sont dans le Canal du Mozambique qui est une route maritime très importante dans les échanges mondiaux. Le fait que nous puissions trouver sur ces questions de routes maritimes des accords pour mieux les organiser est quelque chose d'essentiel. Je signale que le service hydrographique et océanographique de la marine, en liaison avec la Banque mondiale, élabore actuellement un dispositif cartographique pour la mise en place d'autoroutes maritimes à l'heure où les questions de piraterie -pour l'instant contenues au nord de l'Océan Indien- ne descendent pas plus au sud, cela est en soi une excellente chose. Et c'est bien parce que nous exercerons des actions de coopération en la matière que nous pourrons y contribuer même si la France, notamment avec les FAZSOI, est le pivot de cette action.

La météorologie a été implantée de longue date puisque c'est au début des années 1950 que l'Organisation mondiale de la météorologie a demandé à la France d'installer les stations météos dans la zone, tout simplement parce que nos îles sont intelligemment réparties sur le gradient qu'évoquait le préfet Mouchel-Blaisot. Cela nous permet de suivre l'évolution des cyclones et de participer de manière très intelligente à l'élaboration d'un système d'alerte et de surveillance météorologique. Il confère d'ailleurs à la France une place essentielle dans cette région du monde au profit de nos partenaires. Je n'y reviens donc pas.

L'autre sujet majeur de coopération régionale dans la zone, notamment au travers des actions que mène la Commission de l'Océan Indien, ce sont les questions de pêche. Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur l'importance des 640 000 km² de Zone Economique Exclusive de nos îles Eparses mais, rien qu'à l'évocation de l'importance de cette superficie, vous mesurez les enjeux de pêche qu'il peut y avoir derrière. En tout cas sachez que la pêche est un enjeu majeur de nos partenaires dans la zone et que finalement, on pourrait avoir un grand intérêt à ce qu'ensemble, les îles Eparses y soient intégrées pour une meilleure coopération.

Autre secteur de coopération puisque c'est un des piliers de coopération dans la zone, c'est tout ce qui concerne la protection de l'environnement et la biodiversité. Il y a dans cette salle des personnes bien plus compétentes que moi pour parler de ce sanctuaire écologique que constituent nos îles Eparses, pour évoquer le hot spot , comme on dit, de la biodiversité marine dans le Canal du Mozambique, ou tout simplement le fait que ces îles peuvent être des « points zéro », des témoins de certaines évolutions. On y trouve encore des populations quasi-originelles ou un spectre très vaste d'oiseaux marins qui permet des études scientifiques remarquables sur tout un spectre historique qu'il convient de valoriser. C'est donc non seulement un intérêt pour la zone bien évidemment, mais surtout aussi un intérêt pour le devenir de la planète et la compréhension de son évolution.

Et c'est bien parce que dans cette zone on est capables de suivre l'évolution des courants marins et de leur température qu'on a une idée assez précise maintenant des questions de réchauffement climatique. Bien évidemment la biodiversité est un secteur-clé de la coopération régionale, de la coopération scientifique, pas seulement organisée par les Etats mais aussi par tous les opérateurs de recherche qui sont très présents dans la zone, que cela soit à La Réunion ou dans les îles avoisinantes et notamment à Madagascar. Et je crois que tout ce qui pourra être fait pour avoir une meilleure synergie de coopération entre ce que font les opérateurs et ce que font les Etats sera une bonne chose.

3. Pistes de travail concrètes

Finalement c'est peut-être ça le plus important : « Concrètement, qu'est-ce qu'on peut faire ? » La première chose qui me vient à l'esprit, c'est d'abord une idée simple. Les îles Eparses, c'est la France de l'Océan Indien, La Réunion, Mayotte, les îles Eparses et les TAAF. Les TAAF sont la troisième collectivité française de l'Océan Indien qui a trois collectivités. Partant de là, je crois qu'il faut développer la connaissance de ces îles et l'information sur ces îles. Autrement dit, mon premier voeu serait que les îles Eparses -mais je crois que ce constat vaut aussi pour les TAAF- ne restent pas une affaire de spécialistes ; des aficionados qui se réunissent dans des petites salles pour parler de ce qui leur tient à coeur. Il faut ouvrir les îles Eparses, ouvrir les TAAF pour mieux les faire connaître et montrer en quoi tous -ici comme ailleurs- nous avons intérêt à mieux les connaître, à mieux les comprendre pour mieux les protéger et pour coopérer sur les affaires qui les concernent. Je remercie le sénateur Cointat et le préfet d'Etat pour ce colloque, parce que ce colloque y participe. Et je crois que tout ce qu'on pourra faire pour mieux faire connaître et mieux faire comprendre les îles Eparses permettra de poser les premières pierres de la coopération. C'est la première chose que je voulais dire. Je ne sais pas s'il y aura un colloque tous les ans mais peut-être que la prochaine fois, il pourrait avoir lieu au siège des TAAF, ou ailleurs.

La deuxième observation que je voulais faire tient finalement à l'appréhension et à la compréhension que je viens d'indiquer. Tout ce que nous pourrons faire pour mieux connaître les îles, c'est mieux faire connaître les îles dans l'Océan Indien. C'est-à-dire aboutir à une appropriation collective de ces îles, pour faire en sorte que ce ne sont pas seulement des terres françaises, mais bien des terres françaises qui ont une histoire dans la zone. Et c'est parce que nous arriverons à faire connaître cette histoire dans la zone que nous pourrons mieux faire participer nos partenaires de jeu -si je puis me permettre d'employer cette expression- à des actions de coopération. L'illustration la plus emblématique et la plus médiatisée de ces derniers mois, vous la connaissez bien, et ce point sera évoqué je crois tout à l'heure, c'est Tromelin et ses esclaves oubliés. Cela a eu pour intérêt de faire connaître une partie de l'histoire de l'île, qui n'est pas seulement une partie de l'histoire de l'île mais une partie de l'histoire de la zone Océan Indien et donc qui concerne tous les Etats de la zone. Qui plus est, cela a permis de porter un regard nouveau sur les questions d'esclavage dans le monde, d'apporter un éclairage sur cette partie de l'histoire de l'esclavage qui nous concerne tous. Prenons conscience que nos îles sont dans un environnement qui font qu'elles ont une histoire, et que nous devons mieux la connaître et mieux la partager avec les Etats environnants. C'est la deuxième condition, me semble-t-il, pour consolider ou organiser une coopération régionale.

La troisième orientation est plus franco-française. Le préfet Mouchel-Blaisot a rappelé tout à l'heure quelques étapes administratives qui ont marqué la vie des îles Eparses : 2005 tout d'abord, puis la loi de 2007. Mais je ne suis pas sûr que nous ayons tiré aujourd'hui tous les enseignements de ces évolutions administratives. Je crois que si l'on veut avoir une bonne intégration des îles Eparses dans la coopération régionale, la meilleure chose serait de l'intégrer dans tous les outils de coopération régionale et notamment la Conférence de coopération régionale. Et comme je suis chargé de fixer la liste des invités, Monsieur le préfet, j'aurai l'honneur de vous convier à la prochaine Conférence de coopération régionale, afin que les TAAF participent complètement à la coopération régionale dans la zone océanique. On pourrait peut-être aller plus loin avec la Commission de l'Océan Indien... Vous savez que la France en est membre à part entière au titre de La Réunion. Elle ne l'est pas au titre de Mayotte au regard du contentieux qui nous oppose avec l'Union des Comores sur cette question-là. Mais peut-être que demain, si nous arrivons à régler nos petits différents -certains d'entre eux sont en bonne voie- la France pourra aussi, avec ses partenaires, faire en sorte que la Commission de l'Océan Indien, vecteur de l'intégration régionale, puisse traiter aussi une question qui concerne la zone dans son ensemble.

Je n'aurai qu'un voeu : ouvrons les îles Eparses, ouvrons les TAAF au monde, je crois que c'est le meilleur gage d'une coopération réussie.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Vous connaissez notre détermination dans les TAAF à faire partager au plus grand nombre les préoccupations, les atouts, les enjeux de cette terre magnifique au moment où justement s'expriment les préoccupations de la planète assez importantes. Avant de donner la parole à Monsieur le député Jérôme Bignon, je voudrais préciser ce qu'on n'a pas dit à l'introduction. A la fin de chaque séquence, il y aura un temps de dialogue avec vous pour que vous puissiez bien sûr réagir, vous exprimer, approuver, contester, faire des propositions avant que nous passions au thème suivant. Donc nous avons souhaité, Monsieur le sénateur et moi-même, demander à Monsieur Jérôme Bignon -député, président des Aires Marines Protégées et membre éminent du Conseil Consultatif des TAAF d'intervenir sur un exemple concret de coopération régionale qui fait suite au protocole d'accord que nous avons signé entre les TAAF et l'Agence des Aires Marines Protégées- de voir de quelles manières, entre les territoires marins qui sont proches de Mayotte et Mayotte, nous pourrions entre deux collectivités d'outre-mer différentes coopérer. Vous pouvez compter, Monsieur le député, sur la pleine implication des TAAF sur l'initiative que vous êtes en train de prendre.

M. Jérôme Bignon, député, président de l'Agence nationale des aires marines protégées - Je vais, en introduction, dire probablement beaucoup moins bien que l'Ambassadeur Leyssene l'intérêt qu'il y a à être dans le Canal du Mozambique. Néanmoins, je le dirai à ma façon qui complètera la façon extrêmement pertinente qu'il a eu d'aborder son propos puisque la position de la France dans le Canal du Mozambique est un atout assez considérable. Il nous permet d'être impliqués dans les affaires internationales de l'ouest de l'Océan Indien, comme il l'a dit, et nous avons probablement des progrès à faire. Il en a tracé les perspectives dans le transport maritime, la pêche et l'exploitation pétrolière dont parlait le sénateur Cointat tout à l'heure. Ce positionnement permet également de tirer profit des richesses naturelles d'un espace marin sous juridiction qui représente environ -je parle stricto sensu dans le Canal du Mozambique hors Tromelin- 425 000 kilomètres carrés, bien plus important que celui de la métropole. Il faut toujours resituer les choses. Je vous remets les chiffres en tête, même s'il y a beaucoup de spécialistes dans la salle : l'océan représente 360 millions de kilomètres carrés, les eaux sous juridiction, 115 millions de kilomètres carrés et la France, 11 millions de kilomètres carrés. La partie qui nous intéresse, c'est 425 000 kilomètres carrés. Ce qui veut dire, cela a été très bien dit, que nous avons la chance, le privilège et la responsabilité d'avoir un espace maritime sous juridiction tout à fait considérable. De plus, il est situé, comme le disait Monsieur le préfet Mouchel-Blaisot tout à l'heure, sous toutes les latitudes et dans tous les océans. C'est également une position géostratégique très importante sous l'angle de la protection du milieu marin : couloir de migration pour les mammifères marins, lieu de reproduction des tortues, des oiseaux marins, présence très importante de récifs coralliens préservés, d'îles et de bancs peu impactés par les activités humaines qui participent par le jeu des connexions écologiques à la bonne santé d'espèces comme les requins ou les anguilles. C'est vrai que je n'ai pas oublié que la ZEE des TAAF et de Mayotte est séparée par deux bancs : le banc de Geyser et le banc de La Zélée.

Une politique active de la France, comme nous y invitait l'Ambassadeur à l'instant dans le domaine de la protection de la mer en cette région, a donc un très fort comme contribution mondiale à la protection du milieu marin, j'y reviendrai mais aussi elle a l'avantage de contribuer à la légitimité de notre juridiction dans ces espaces. On nous a dit qu'elle était contestée. Probablement, par le biais peut-être paradoxal de la protection des milieux, nous pourrons enrichir une coopération avec les Etats voisins compte tenu de l'impact du réchauffement climatique ; de la montée des océans et des pertes de biodiversité qui visiblement commencent à préoccuper, non seulement les pays riches de la planète mais également les pays émergents du secteur. Elle contribuera aussi à la légitimité de la juridiction française dans ces espaces.

Les « aires marines protégées » ne sont pas encore une notion familière. Je préside également le Conservatoire du Littoral et c'est plus facile de dire : « Je suis Président du Conservatoire du Littoral » : les gens voient tout de suite à quoi ça fait référence. L'expression « aires marines protégées », est tirée d'une traduction un peu curieuse d'un concept anglais. En réalité, les aires marines protégées -puisque c'est comme ça qu'on les appelle juridiquement- sont un des modes de gestion de l'espace marin qui met en avant la protection de la nature. Il comprend deux grandes familles de solutions pour mettre en avant la protection de la nature :

- des dispositions strictes de réglementation, par exemple Natura 2000, une réglementation qui bénéficie également d'une gestion.

- un système de gouvernance qui permet de concilier les impératifs de protection et la compatibilité des activités humaines qui sont dans ces espaces. C'est plutôt le cas des parcs naturels marins, ou plutôt du parc naturel marin puisque pour l'instant, notre pays n'en a qu'un.

C'est évidemment le plus souvent cette solution qui est privilégiée dans les cas les plus nombreux où l'activité humaine dépend de la protection du milieu. D'ailleurs, ce cas de gestion, de gouvernance, a permis l'émergence de l'outil « parc naturel marin » puisque c'est bien cela qui avait fait échouer pendant des années l'émergence du parc d'Iroise. On avait essayé d'adapter en mer d'Iroise un outil dédié aux parcs nationaux qui n'était pas compatible avec des usages humains, et qui avait donc suscité blocages et protestations. Dans tous les cas, que ce soit dans le cadre d'une réglementation stricto sensu ou d'un système de gouvernance plus contemporain, un effort considérable est toujours fait pour la connaissance du milieu marin ainsi que le suivi de ses évolutions. Un dispositif de surveillance et de contrôle est mis en place. C'est probablement un des acquis importants de la gestion des milieux naturels, spécialement en mer. On l'a bien vu au cours du Grenelle de la mer et dans les groupes de travail qui y ont participé, la connaissance est évidemment une revendication forte. Le ministre d'Etat a rappelé à plusieurs reprises qu'on connaissait mieux les planètes qui nous entourent que la mer dans laquelle nous baignons.

Réfléchir à la création d'aires marines dans les îles Eparses suppose à tout le moins d'avoir une vision cohérente avec Mayotte -puisqu'ils font quand même partie du même écosystème- et au mieux probablement d'avoir une réflexion plus globale à l'échelle du Canal du Mozambique. C'est là qu'il y a clairement un enjeu de coopération régionale, appelée de ses voeux par nous tous et spécialement par l'Ambassadeur tout à l'heure, enjeu de coopération régionale entre les deux collectivités : Mayotte et les Terres Australes et Antarctiques Françaises, et avec les pays voisins. Il y a des organisations internationales pour ça, la convention de Nairobi et la Commission de l'Océan Indien même si ça n'est pas actuellement pour Mayotte une opportunité juridique, institutionnelle. On peut imaginer, gager que cela pourrait être une voie pour y parvenir à partir du moment où on rentrerait dans cette direction de la protection comme un lien de coopération très fort. Il semble bien aux yeux de l'Agence -mais je pense que c'est partagé par le préfet Mouchel-Blaisot- qu'il y ait une accroche pour conforter notre place dans cet espace régional au travers de sujets de coopération très concrets.

Les objectifs internationaux sont anciens et ambitieux. Ils sont anciens parce qu'ils remontent, à tout le moins, sur ces sujets d'aires marines protégées, à la convention pour la biodiversité de Rio en 1992, il y a presque 20 ans. L'objectif avait été de disposer d'un réseau mondial complet, cohérent et bien géré d'aires marines protégées d'ici 2012. L'échéance commence à approcher sérieusement. La France n'est pas en reste en matière d'engagements. Le Grenelle de la mer vient de se clore au mois de juillet. Nous avons conclu avec beaucoup de détermination qu'il fallait mettre en place un réseau d'aires marines protégées couvrant 10 % des eaux sous juridiction française d'ici 2012, et 20 % d'ici 2020. Indépendamment de l'extraordinaire difficulté et implication que cela représente pour les services de l'Etat, les chercheurs, le monde de la connaissance et l'agence, nous mesurons bien que pour éviter de créer des aires marines de papier -je me tourne vers les marins qui sont dans la salle -, il faut qu'on trouve des moyens considérables pour assurer la protection et la surveillance de ces espaces. Ce n'est pas, vous l'imaginez bien, le moindre problème.

Le chemin à parcourir, vous le percevez bien, est long parce que nous partons de loin. Jusqu'à une date récente, nous n'avions pas accordé beaucoup d'attention à la protection de la mer et certes, il y avait quelques aires marines protégées. J'ai peine à penser à la réserve naturelle de la baie de Somme qui fait quelques milliers d'hectares sous le contrôle de Monsieur le préfet Desmee qui y a beaucoup veillé. Malgré l'efficacité et la qualité de la gestion de ces quelques espaces maritimes, il s'agissait de faibles surfaces, extrêmement côtières. J'ai le souvenir là aussi de ce chiffre un peu injurieux qui était -par rapport à nos espaces maritimes- de 0,0001 % de la surface bénéficiaire d'une protection. On progresse, puisque même le tableau de bord de Terre Sauvage publié la semaine dernière indiquait, à la grande satisfaction du monde des associations de protection, que c'était un sujet en plein dynamisme. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Il faut citer quand même l'effort -ce n'est pas directement notre sujet aujourd'hui- qui est accompli par la réserve naturelle des Terres Australes qui comporte 15 000 kilomètres carrés d'espace marin sous le contrôle de Monsieur le préfet. Cela représente plus de deux fois la surface du département dans lequel je vis, ce qui me paraît déjà tout à fait considérable. Je vais avoir la chance de la visiter dans peu de temps donc je me réjouis de cette coopération que l'on met en place à travers cette visite.

Au service de cet objectif, l'Etat a mis en place l'Agence au nom de laquelle je vous parle à l'instant. Elle a été créée par une loi de 2006 qui concernait les parcs nationaux et les parcs marins, et l'opportunité avait été donnée de créer cette agence avec un triple rôle :

- appui aux politiques publiques.

- agence de moyens pour les parcs naturels moyens.

- apport d'un appui aux gestionnaires d'aires marines protégées.

Concrètement, dans son rôle d'appui aux politiques publiques, l'Agence rassemble l'information, organise des campagnes de collecte de données si nécessaire, favorise la concertation, formule des synthèses. Elle est ainsi, aux côtés des autorités, un intervenant technique et facilitateur.

Le point suivant, que je voudrais développer un instant devant vous encore concerne le caractère particulier de Mayotte. Parce que c'est vrai que cette collectivité fait parler d'elle, elle a voté récemment pour bénéficier d'un statut de département qui lui avait été promis. Et deuxième point intéressant de l'évolution de Mayotte, l'Etat s'y est intéressé en voulant lancer un projet de parc naturel marin. Quand il verra le jour, il serait le deuxième parc naturel marin existant en France métropolitaine et outre-mer puisque existe actuellement le parc naturel marin d'Iroise. Si tout va bien, le parc naturel marin de Mayotte pourrait voir le jour d'ici la fin de l'année ou au tout début de 2010. Il a fallu deux ans de concertation et un vrai beau projet est en train de naître. Il est très ambitieux car il prend en compte l'ensemble des eaux sous juridiction qui sont au large de Mayotte. Il avait été tentant à une époque de limiter au lagon le périmètre du parc mais l'ensemble des concertations menées sur place, des réunions qui ont été menées notamment à l'occasion du Grenelle ont permis de faire prendre conscience aux populations locales -largement associées à la réflexion dans la définition du périmètre- que l'idée de prendre l'ensemble des eaux sous juridiction au large de Mayotte serait une bonne opportunité. Parce que vous savez, un parc marin c'est un périmètre, c'est un Conseil de gestion et ce sont des orientations de gestion qui vont permettre au Conseil de gestion de définir le plan de gestion. Au bout de quelques années, le plan de gestion doit sortir. Actuellement, le parc marin d'Iroise est en train d'avancer assez vite -mais néanmoins avec le temps de réflexion qu'il faut- sur la base des orientations de gestion qui ont été prises en créant le parc. Ce plan de gestion, c'est un travail collectif qui n'est pas imposé mais qui est réfléchi. C'est l'idée que nous avons eu à Mayotte avec des thèmes évidemment fondamentaux comme la protection de la biodiversité, la connaissance du milieu marin, la qualité de l'eau, la pêche au large, la pêche dans le lagon, l'aquaculture et le tourisme. Le projet est actuellement soumis à la consultation du public et pourrait voir le jour d'ici la fin de l'année. C'est donc quelque chose d'important. Pourquoi ai-je insisté sur ce parc de Mayotte ? C'est la concrétisation d'un positionnement en matière de protection des espaces marins extrêmement fort à Mayotte, avec un investissement significatif en termes de connaissance, de suivi, de protection du milieu marin et de développement durable des activités humaines. Cela se traduit par des moyens humains et financiers à Mayotte.

Dès lors, au-delà des relations sympathiques et de l'intérêt que les TAAF pouvaient avoir pour l'Agence et que l'Agence pouvait avoir pour les TAAF, il paraissait encore plus évident de renforcer la coopération. En effet, la création de ce parc n'était pas évidente il y a trois ans. Nous l'avons constaté en nous rencontrant le préfet Mouchel-Blaisot, Olivier Laroussinie, le directeur de l'Agence et moi-même. Nous avons donc très rapidement signé une convention. Un travail de fond a été lancé par l'agence avec les TAAF sur les îles Eparses. Un inventaire des données disponibles et une synthèse bibliographique sont en cours et vont être suivis par une campagne topographique et exploratoire en 2010. L'agence est encore toute jeune. Elle existe formellement depuis le 1er janvier 2007, elle n'a donc pas encore tout à fait trois ans. Nous avons lancé une campagne océanographique exploratoire sur les têtes de canyon en Méditerranée. Cette campagne sera terminée au tout début de l'année prochaine, dès que les conditions climatiques en Méditerranée permettront de la terminer au printemps prochain et nous devrions poursuivre par une campagne exploratoire en 2010 à Mayotte. L'objectif est de rassembler une information suffisante, toujours revenir aux fondamentaux de la connaissance, pour établir une stratégie de création d'aires marines protégées sur laquelle nous espérons collectivement pouvoir conclure fin 2010. Nous ne partons pas de rien, le principe de créer une réserve naturelle sur Europa, qui a été évoqué tout à l'heure, est aujourd'hui acquis. Il a même été consacré par un des engagements du Grenelle de la mer. L'intérêt archéologique et biologique de Bassas de India est connu, de même que l'importance d'une gestion précautionneuse des ressources halieutiques des bancs des Glorieuses. De sorte que nous avons beaucoup d'éléments sur le puzzle que constitue ce secteur du Canal du Mozambique. Il faut maintenant les assembler pour parvenir à un ensemble cohérent qui tienne compte de l'émergence d'un parc naturel marin à Mayotte et de la volonté des TAAF de gérer les milieux naturels extraordinaires qu'elle a sous sa juridiction.

L'opportunité d'une complémentarité entre les îles Eparses et Mayotte est claire. Il y a bien sûr des logiques écologiques qui les lient, face auxquelles il faut avoir une approche coordonnée. Il y a probablement la conviction qui est la nôtre qu'avoir une vision d'ensemble nous permettra une action qui a du sens au niveau international. Et puis, et ce n'est pas la moindre dans les périodes où l'argent public n'est pas si important que cela et même plutôt rare : la possibilité d'unir des moyens à travers des projets communs et d'une coordination étroite sur des questions communes qui concernent la connaissance, la surveillance de l'environnement et le contrôle des activités humaines. Vous voyez, mesdames et messieurs, que les projets de coopération qu'ont déjà élaboré ensemble Mayotte et les TAAF vont de l'avant. Il faut leur souhaiter de rencontrer du succès au plus vite auprès des programmes de financement, vous savez ce que disent nos amis québécois : « La conservation sans argent, c'est de la conversation ». Il ne faudrait pas que nos colloques soient d'aimables colloques, il faut qu'ils débouchent sur des actions concrètes.

Pour conclure et pour donner s'il en était besoin la preuve de notre motivation -encore une fois indépendamment de l'estime réciproque que nous nous portons et de la volonté que nous avons d'aller de l'avant sur ces sujets qui sont très importants, vous l'avez bien compris, pour notre pays; pour la zone et, n'ayons pas peur des mots, pour la mobilité du message que la France peut délivrer au monde sur ces sujets-là particulièrement dans des zones non favorisées comme celles-ci- il n'est pas inutile de rappeler les actions en cours. J'en ai évoqué une et je n'y reviendrai pas, c'est l'idée de faire en 2010 ces explorations telles que nous les avons faites en Méditerranée. Evidemment la problématique n'est pas exactement la même, mais la problématique de la Méditerranée nous a beaucoup enrichi et nous sommes assez convaincus que ces explorations ponctuelles comme appui à la définition d'une stratégie d'aires marines est indispensable. Elle concerne essentiellement les connaissances de base, celles que nous allons continuer d'approfondir qui serviront à finaliser la stratégie. Il a été possible grâce à un financement du ministère du développement durable et de la mobilisation technique du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM) que je remercie à cette occasion de monter une campagne de cartographie fine du littoral. Programme que vous connaissez pour la plupart d'entre vous, dénommé programme Litto3D, l'agence a beaucoup travaillé sur ce projet, elle l'accompagne financièrement pour Mayotte. Elle organise avec les scientifiques la valorisation des données de la campagne par une cartographie des habitats marins. L'intérêt majeur de cette opération sur les îles Eparses est de pouvoir disposer à l'avenir d'une référence précise et complète du trait de côte des habitats terrestres et marins qui sont de part et d'autre. Une information précieuse évidente pour nos études dans une dizaine d'années, laps de temps qui permet de dresser les évolutions, les conséquences du changement climatique sur ces milieux qui pourraient être malheureusement sensibles à cause de la modification des températures et donc à la montée des eaux.

L'Agence a également profité, Monsieur le préfet l'a évoqué tout à l'heure, avec la complicité de ses organisateurs, de la dernière campagne du Marion Dufresne cette année dans les Eparses pour mouiller cinq hydrophones. Ils vont écouter l'océan pendant un an avant d'être récupérés et que leurs enregistrements soient dépouillés. La principale cible de cette écoute est les mammifères marins.

Dernier point, l'Agence mène aussi au plan national une campagne d'inventaire statistique des oiseaux et des mammifères marins. La campagne se fait par survol aérien tous les cinq ans. L'agence n'existe que depuis trois ans et s'est engagée à faire cette campagne tous les cinq ans. Pour l'instant, on va essayer déjà de finir la première année. Le résultat a été stupéfiant aux Antilles, dans les Caraïbes : on croyait savoir, et nous nous sommes aperçus qu'on ne savait pas grand-chose, et avons découvert beaucoup plus et beaucoup mieux que ce qu'on pensait. Nous sommes donc extrêmement intéressés à l'idée de faire ce survol aérien dans le Canal du Mozambique. Il aura lieu en décembre et janvier et j'espère que le prochain colloque sur les TAAF, qu'appelait de ses voeux le sénateur Cointat tout à l'heure, nous permettra de nous retrouver. Je pourrai ainsi vous donner les résultats l'année prochaine.

L'Agence n'a pas trois ans d'existence, comme je vous l'ai dit. L'importance du travail engagé sur les îles Eparses témoigne de la priorité qui leur est accordée. Il y a quelques semaines, dans les canyons de Cassidaigne au large de Cassis, le ministre d'Etat signait le contrat d'objectif par 200 mètres de fond en présence de Popov, le conducteur du sous-marin électrique deux places Remora 2000, et d'un congre, qui ont servi de témoins pour la bonne règle de la signature du contrat d'objectif. Dans ce contrat d'objectif qui, au-delà des circonstances dans lesquelles il a été signé, est un document extrêmement sérieux et très précis. La coopération entre l'Agence et les TAAF est évidemment soulignée et mentionnée à plusieurs reprises.

Je terminerai par une anecdote qui prête à sourire, puisque mon collègue nous a un peu aiguillonnés avec ses poésies. Pendant l'expédition des Eparses, il y avait un jeune homme que j'ai rencontré à Mayotte il n'y a pas si longtemps, qui est le compagnon d'une collaboratrice de l'agence et qui a eu la chance, comme scientifique, d'être dans cette aventure. Il a plongé, puisque c'est un garçon qui s'occupe de ce qui se passe sous la mer, et quand il m'a raconté ses plongées il m'a dit : « Monsieur Bignon vous ne me croirez pas, mais quand j'ai vu comme c'était beau, j'ai pleuré sous mon masque ». Pour vous dire l'émotion que ce garçon a ressentie devant la richesse des éléments de biodiversité. Il a dit : « C'est probablement comme ça qu'était la mer quand nous n'étions pas passés par là ».

Cela nous interpelle et doit nous motiver pour aller plus loin dans cette coopération. Je vous remercie.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Je confirme publiquement ce que j'ai eu l'occasion de vous dire, ainsi qu'à vos collaborateurs et ce que j'ai aussi discuté lors d'un récent déplacement à Mayotte. Nous confirmons notre engagement de faire d'Europa une aire marine protégée, conformément d'ailleurs aux conclusions du Grenelle de la mer auquel nous avons tenu à participer. Nous avons été très sensibles, j'en salue les représentants, à l'écoute bienveillante du cabinet du ministre d'Etat. Sans faire de publicité abusive -mais on peut quand même le dire-, des scènes du film « Océans » ont été tournées à Europa. Le film « Océans » de Jacques Perrin doit sortir très prochainement en janvier. Une des scènes spectaculaires a été tournée à Europa, et vu la très bonne perspective d'aboutissement de la création du parc naturel marin à Mayotte, je vous confirme l'intention des TAAF d'accélérer le processus d'aire marine protégée autour des Glorieuses. Comme vous l'avez très bien dit, la mer se fiche des frontières administratives, et il nous paraissait très important au moment où Mayotte se dote d'un outil intéressant, que nous accompagnions le mouvement et que grâce à l'agence nous mutualisions les orientations et les moyens. J'ai donc le plaisir de vous le confirmer. Et j'espère que nous serons assez précurseurs pour la France, puisque ce sera peut-être la première aire marine protégée inter-territoires.

M. Michel Lourd, directeur des recherches archéologiques sous-marines, ministère de la culture - Je voulais simplement évoquer et rappeler à votre attention ici un patrimoine qui est tout aussi menacé et pas moins épuisable que le patrimoine naturel, à savoir le patrimoine culturel sous-marin. Nous l'avons très rapidement évoqué, le Président Bignon en a dit un mot en parlant du patrimoine archéologique de Bassas. Effectivement, on parlera, du patrimoine historique à travers l'exemple de « L'Utile » à Tromelin tout à l'heure. Mais je dois quand même vous rappeler que potentiellement, les épaves du canal constituent sans doute une des plus grandes réserves au monde d'épaves et en particulier d'épaves du XIIIème-XIVème siècles, et probablement de la navigation portugaise. Quant à nous, nous n'avons eu l'opportunité de réaliser qu'une seule campagne dans les années 1980 sur Bassas puis la campagne de cette année que nous avons conduite avec une équipe du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) et le Marion Dufresne. Je dois vous dire que Bassas est sans doute l'un des grands réservoirs, mais aussi l'un des lieux les plus pillés du monde puisque dans les années 80, à de nombreuses reprises, nous avons dû faire intervenir la Marine Nationale, et saisir en particulier des plongeurs sud-africains. Vous imaginez la difficulté de protéger un îlot couvert à marée haute. On a évoqué les stations météos ou la présence des FAZSOI sur les autres îlots. Bassas reste une perle oubliée et ignorée, je crois qu'il faut absolument, dans vos préoccupations, compter ce patrimoine.

L'UNESCO a rappelé que c'était un site classé « patrimoine de l'humanité ». La situation de Bassas en fait un lieu hautement important pour l'histoire de la colonisation des espaces maritimes depuis la période arabe au moins dans ce canal, et je souhaiterais donc simplement rappeler de ne pas oublier le patrimoine immergé. Il est très difficile à mettre en valeur, très difficile à protéger naturellement, mais gardez-le au centre de vos préoccupations. Même s'il y a effectivement des projets, nous sommes en discussion aussi avec l'Agence nationale des aires marines protégées pour mener avec eux des campagnes dans cette zone. Les délais et les difficultés sont tels que les campagnes courtes de quelques jours seulement sur les îlots ne suffisent pas à cerner la situation et encore moins à prolonger la protection de cette île ou de cet atoll qu'est Bassas pendant le reste de l'année. Vous trouverez d'ailleurs de la bibliographie, en particulier en Afrique du Sud et en Amérique du Nord, qui évoquent des ventes d'objets culturels -astrolabes, canons en bronze portugais saisis- découverts à Bassas, et annoncés comme tels, vendus sur des sites marchands. Et vous les trouvez encore mentionnés avec des charters de plongeurs organisant des plongées clandestines à Bassas. On en trouve encore tous les ans sur Internet. Donc gardez, je vous en prie, ce patrimoine, qui est tout aussi important que le patrimoine culturel et la biodiversité.

M. Christian Cointat, président - Vous nous rappelez que ces possessions, qui sont devenues françaises, ont été à l'origine de beaucoup de naufrages puisqu'elles sont situées en plein milieu du Canal du Mozambique, où de nombreux bateaux se sont échoués. C'est vrai qu'il y a une richesse archéologique tout à fait remarquable qu'il faut protéger. Nous avons énormément de choses à faire, comme on s'en rend compte. Et je voudrais ajouter une chose sur Juan de Nova, en écho à ce que disait mon excellent collègue tout à l'heure sur la beauté sous-marine, que je ne connais qu'en photo. Je suis tombé sur un écusson bleu blanc rouge à Juan de Nova où il était dit -je parle de mémoire- : « On profite des heures qui passent car ici le temps s'écoule lentement, voluptueusement. Bienvenue à Juan de Nova, l'île du soleil et du sourire ».

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Je voudrais confirmer ce qu'a dit Monsieur Lourd : vous savez que pour nous c'est aussi une priorité. Bassas de India est extrêmement menacée, c'est probablement notre île la plus pillée en ressources halieutiques. Nous avons encore eu une expérience malheureuse il y a quelques jours. Nous n'avons malheureusement pas pu arraisonner le navire taïwanais qui est resté assez longtemps. Je ne pense pas qu'ils faisaient du tourisme, en tout cas pas du tourisme archéologique. Nous recevons en permanence des publicités de pays extérieurs qui vantent ce très beau spot, avec le pillage organisé contre lequel nous essayons bien sûr de lutter. Cela m'amène simplement à une réflexion -je ne développe pas- : quand on parle de nos immenses zones marines, ou aires marines protégées, cela doit faire écho aux moyens et aux types de missions nautiques que nous souhaiterons faire. C'est une des réflexions que nous menons avec l'Etat-major de la Marine, et je sais que c'est aussi une des réflexions interministérielles en cours. Il nous faudra réfléchir à un nouveau Marion Dufresne ou à d'autres moyens nautiques : nous sommes en tout cas extrêmement attentifs, pour ne pas dire désireux, d'avoir un bateau qui pourrait assurer la logistique et la surveillance en même temps.

Ce serait effectivement une manière d'optimiser à la fois les rotations et aussi d'assurer la surveillance d'un patrimoine qui est confronté, on le verra, au le problème de la pêche : si l'on incite nos pêcheurs à faire preuve de discipline mais qu'on ne peut surveiller les autres, c'est effectivement décourageant. En tout cas, cela incite aussi à la réflexion sur les moyens nautiques de demain qu'il nous faudra pour protéger nos immenses zones maritimes.

M. Christian Cointat, président - Monsieur le préfet, cela démontre bien que, comme à Bassas de India il ne peut pas y avoir de présence française puisque l'île est submergée à marée haute. Cela montre bien le caractère indispensable d'une présence sur toutes les Iles Eparses qui peuvent être habitées, donc les quatre autres.

Mme Chantal Poiret, ambassadrice chargée de coordonner l'action de la France dans la lutte internationale contre la piraterie maritime - Je voulais juste intervenir sur l'angle très étroit de la piraterie maritime stricto sensu parce que je voudrais partir dans une demi-heure mais l'ambassadeur Leyssene a eu la gentillesse d'évoquer ce sujet. Il nous semble que les Iles Eparses sont relativement protégées de ce péril. En tout cas, comme vous l'avez vu ce week-end, la ZEE seychelloise elle, est pleinement concernée. A l'extrême de la ZEE de Maurice, il y a eu une fois une tentative de piraterie. On ne peut jamais rien exclure parce que les pirates sont des gens très sophistiqués dans leur imagination même si parfois ils sont rustiques dans leur comportement. En tout cas, en prévision de ce séminaire, une journaliste m'a interrogée en me disant : « Imaginez-vous que les Glorieuses puissent devenir une base arrière de la piraterie ? » J'ai répondu qu'il me semblait que non et même, dirais-je, s'il devait y avoir une base arrière de la piraterie en-dehors de la Somalie, nous lui sauterions tous dessus et nous vaincrions une partie de ces pirates. Cela dit, les richesses halieutiques sont très attractives et ce sera très intéressant d'écouter l'intervention suivante. Il n'empêche encore une fois qu'il faut tenir compte de cette imagination des pirates, vous savez qu'ils ont des techniques très variées et adaptées aux différentes aires géographiques. Donc il me semble en tout cas très utile de maintenir des militaires dans ces îles dont je sais que la Défense travaille à moyens constants et parfois en dessous de ça. Mais entre les pirates et les pilleurs, je crois qu'il faut trouver des solutions, peut-être y a t-il des accommodements entre diverses institutions à mettre en place.

M. Christian Cointat, président - Je partage totalement votre sentiment. Vous l'avez compris d'ailleurs dans ma brève intervention de tout à l'heure, si la France ne maintient pas ses positions dans cette région du monde, d'autres s'y installeront qui n'auront pas des visées aussi humanistes que les nôtres. Il faut être extrêmement vigilant et je crois que cela fait partie du devoir régalien des forces militaires de sauvegarder le territoire national. Et là, il est clair que s'il n'y avait pas l'armée, cette partie importante du territoire national -il faut calculer l'ensemble de la zone- serait menacée. Je crois que si on menaçait le bout de la Bretagne, on réagirait ; là, c'est presque le bout de la Bretagne, c'est à peine un peu plus loin.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Nous n'allons peut-être pas aborder le débat militaire maintenant mais je voudrais simplement rappeler que nous avons bien conscience des préoccupations et des priorités des forces armées, qui ont beaucoup d'occupations dans la zone. C'est un des sujets sur lesquels nous travaillons : favoriser une montée en puissance de solutions civiles ou civilo-militaires pour assurer un continuum de présence. Je pense à des « éco gardes », à des camps scientifiques plus permanents qui permettraient de soulager ou d'être aux côtés des forces armées aussi bien en termes humains qu'en termes de moyens logistiques pour mutualiser là encore nos moyens et faire au mieux tout en ne baissant absolument pas la garde. En tout cas, les TAAF s'inscrivent tout à fait dans cette logique d'être aux côtés de l'armée pour essayer de répondre aux difficultés et aux préoccupations qui sont les siennes pour maintenir une présence qui permette surtout la sauvegarde de ces îles.

Je suis désolé, nous allons passer tout de suite au thème suivant parce qu'on a pris un peu de retard. Je voudrais simplement rappeler que nous souhaitons vraiment que la gestion des ressources halieutiques dont nous avons aujourd'hui la charge dans cette Zone Economique Exclusive, essentiellement dans le Canal du Mozambique, obéissent à l'avenir aux mêmes principes de gestion durable que le modèle que nous avons mis en place il y a quelques années dans les îles australes. Il aboutit au fait qu'aujourd'hui la pêcherie à la légine va être la première pêcherie française certifiée durable au niveau international. Nous avons la même ambition pour le Canal du Mozambique. Nous savons que c'est difficile, nous partons d'une situation beaucoup plus complexe, mais nous comptons beaucoup bien sûr sur l'appui des organismes scientifiques et des coopérations régionales, comme l'a rappelé l'ambassadeur Philippe Leyssene, pour aller de l'avant sur ces sujets.

II. UN LABORATOIRE POUR LA GESTION RAISONNÉE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

M. Francis Marsac, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, président du comité scientifique de la commission des thons de l'Océan Indien - Merci de me donner l'opportunité de m'exprimer à cette tribune pour parler d'un sujet qui est effectivement tout à fait important de par à la fois les questions de conservation et de gestion et les questions économiques : c'est celui de la gestion raisonnée des ressources halieutiques du Canal du Mozambique en particulier. Je suis également le président du Comité scientifique de la Commission des Thons de l'Océan Indien (CTOI), l'organe qui est responsable de la gestion des pêcheries et des stocks de thons de cette région-là. C'est donc à ce titre que je vais bien évidemment porter mon propos plus directement sur les thons et vous parler un petit peu des différents enjeux et défis auxquels doit faire face la Commission, et de quelle manière les TAAF tentent au mieux de répondre à ses recommandations.

Dans l'intitulé de mon intervention figure le mot « laboratoire » : il y a derrière une connotation d'expérimentation. Un laboratoire, c'est une enceinte plus ou moins restreinte dans laquelle justement on expérimente pour tenter d'appliquer à une échelle beaucoup plus grande. Et je pense que l'exemple que je vais vous présenter correspond bien à cela. C'est-à-dire une expérience qui est menée dans un domaine relativement restreint comparé à la surface de l'Océan Indien et qui finalement peut servir de modèle ou en tout cas peut ouvrir la voie pour un certain nombre d'actions au niveau de l'ensemble de l'Océan Indien.

Il y a des temps immémoriaux, les ressources halieutiques étaient foisonnantes. Voyez cette mosaïque romaine qui date de 2000 ans où l'on montre une mer généreuse et des pêcheurs ravis. Jusqu'à longtemps après, au XVIème siècle, et même jusqu'au XIXème siècle, des esprits brillants comme Lamarck et Huxley continuaient à militer sur l'idée que de toute façon les ressources n'allaient jamais être épuisées ; qu'on allait pouvoir alimenter l'humanité entière avec les ressources de la mer. Bien évidemment, on sait que tout ça maintenant, malheureusement, n'est plus vrai. Et depuis la deuxième partie du XXème siècle, on a assisté à un développement des pêcheries à l'échelle mondiale. La globalisation existe déjà dans les pêcheries depuis déjà bien longtemps.

Si vous voulez, je vais passer en revue quelques diapositives des grands indices des pêches au niveau mondial. Il s'agit d'un diagramme qui commence dans les années 1970 : vous voyez un accroissement constant de ces courbes jusqu'à la fin des années 1980, on observe deux courbes avec les ronds noirs et les ronds blancs selon que l'on corrige ou pas les déclarations de la FAO. La Chine surdéclarait pour montrer qu'elle remplissait bien les objectifs de développement, elle déclarait plus qu'elle ne pêchait. Une fois ces corrections faites, nous étions quand même arrivés à un niveau de stabilisation autour de 80 millions de tonnes au début des années 1990. Si on retire de ces 80 millions de tonnes, la pêcherie d'anchois du Pérou - je vous rappelle que c'est la pêcherie la plus importante en tonnage, 12 millions de tonnes - et qu'on conserve toutes les autres pêcheries, ce n'est pas de la stabilisation que l'on constate mais un déclin graduel. Effectivement, cela préoccupe et interpelle.

Comment en est-on arrivé là ? Déjà, en retirant les plus gros poissons : les gros poissons comme les mérous ou les flétans sont dans les mémoires de quelques-uns de nos ancêtres ou dans des documents d'archives mais on ne les retrouve plus. On est dans le concept d'une extraction majoritairement centrée sur les gros individus qui fait que le risque dans les décennies à venir, et de ne pêcher plus que des petits poissons. A terme, on a même des exemples d'écosystèmes qui se sont retrouvés constitués uniquement de gélatineux, de méduses, comme en Namibie, par le retrait progressif de tous les maillons supérieurs de la chaîne alimentaire. Donc, que seront nos écosystèmes de demain ? N'aura-t-on plus que des petits poissons voire des gélatineux à manger ? Il y aura des nouvelles recettes à inventer.

Les pêcheries se sont aussi orientées en profondeur. Vous voyez sur ce diagramme, en bleu foncé, ce qui représente les profondeurs de plus de 2000 mètres. Vous voyez que depuis le début des années 1980, une proportion importante des prises sont réalisées à plus de 2000 mètres de profondeur et notamment dans l'Hémisphère Sud. L'échelle de gauche représente les latitudes : les latitudes positives, l'Hémisphère Nord ; les latitudes négatives, l'Hémisphère Sud. Ces prélèvements sont surtout concentrés entre 10 et 40 degrés sud. Cette découverte de nouvelles zones de pêche en quelque sorte, même plus en profondeur, a forcément masqué la diminution qui commençait à naître dans les zones plus superficielles. Elle donnait donc l'illusion que tout allait finalement très bien.

Je pense que tous dans cette salle nous connaissons les principales causes de la surpêche.

Il y a bien évidemment les questions du marché : il y a toujours une demande de plus en plus forte.

L'établissement des ZEE à 200 miles, typiquement un effet pervers. On pensait, par cette mesure, pouvoir mieux gérer et mieux protéger nos ressources. En fait, que s'est-il passé ? Chaque Etat a voulu en tirer parti, tirer un maximum de bénéfice de ses propres eaux, soit en développant de manière inconsidérée ses flottilles, soit en négociant des accords de pêche en nombre important pour avoir un retour sur investissement très rapide. En fait, il n'y a qu'à regarder l'exemple du Canada, cela a mené à des effondrements de ressources.

Les subventions gouvernementales de soutien à la pêche sont également à mettre à l'actif de ces causes, souvent pour acheter un genre de paix sociale. La performance technologique des flottilles n'a cessé de s'accroître.

Il y a bien évidemment la pêche illégale qui mine tous les efforts de gestion et contre laquelle il faut impérativement lutter.

Le manque de gouvernance, parce que la gouvernance vise justement à assurer le partage des ressources selon un certain nombre de critères socio-économiques et politiques. Et plus on attend, plus c'est difficile de revenir en arrière.

Et puis, bien évidemment et surtout pour les thons qui sont une ressource partagée à très grande échelle, la fameuse tragédie des « communs ». Vous êtes sur place, si je ne prends pas, le voisin prendra donc il faut que je prenne le plus et le plus vite possible.

Voilà où on en est, ce qui fait que la plupart des pêcheries sont confrontées à cet état de crise. Maintenant, revenons un petit peu sur l'Océan Indien, c'est le propos de la journée. Où en est-on ? J'ai représenté sur cette figure -voyez la courbe blanche- l'évolution des prises mondiales qui plafonnent autour de 80 millions de tonnes à partir des années 1980. Les zones colorées correspondent aux pêches de différentes catégories faites dans l'Océan Indien. Vous voyez que les crustacés et les mollusques se maintiennent à un niveau stable et relativement peu élevé, en comparaison aux poissons marins sensu lato qui se sont accrus. Jusqu'au début des années 1980, le taux d'accroissement des captures dans l'Océan Indien était inférieur à celui que l'on pouvait constater au niveau mondial. Depuis les années 1980, on a accédé à un niveau beaucoup plus rapide d'accroissement dans l'Océan Indien. Au milieu des années 1990, alors que la production mondiale plafonnait, on continuait à accroître la production dans l'Océan Indien.

Passons à un bref aperçu de la situation en 1970 par grandes catégories d'espèces : les poissons côtiers à cette époque représentaient 21% des captures de l'Océan Indien ; les thons 16% ; sardines et anchois 37% et les autres espèces le complément. Qu'est-ce qui s'est passé ? Voyez la situation en 2005, il y a eu un accroissement notoire de la proportion des poissons côtiers et ça, c'est le fait des Etats riverains qui ont développé leurs pêcheries artisanales. Et surtout, la pêcherie thonière qui a doublé quasiment en 30 ans.

• La pêcherie thonière

Je vais maintenant vous présenter un petit peu tous les enjeux auxquels doit faire face la Commission des Thons de l'Océan Indien, son comité scientifique étant là pour proposer des recommandations. Bien heureusement, comme vous pouvez l'imaginer, entre les recommandations des scientifiques, même si elles sont extrêmement fondées, et la réalisation pratique, il y a encore un grand fossé. Je vais essayer de vous montrer ça.

La pêche tropicale (l'albacore et le patudo), des espèces tropicales. Vous voyez que cette pêche tropicale concerne toute la bande inter-tropicale de 15 degré nord à 15 degré sud et l'Océan Indien à l'ouest contraste assez clairement par rapport à la partie est.

Les palangriers sont des engins de pêche qui pêchent des poissons profonds, de grandes tailles en général. Ils alimentent le marché du sashimi, un marché très lucratif. Les senneurs sont utilisés dans les eaux beaucoup plus superficielles, dans les 100 premiers mètres, et concernent surtout le poisson destiné à la conserve avec des poissons en général de taille moins grosse, moins grande que pour les palangriers. Il y a là encore les zones plus distinctes : la zone du Pacifique Est était en fait la première zone de pêche à la senne dans les années 1950. Il y eut ensuite le développement en Atlantique Occidental, le Golfe de Guinée avec la pêcherie des senneurs français et espagnols. Et puis ensuite, pratiquement simultanément, la pêcherie du Pacifique Ouest et de l'Océan Indien s'est développée. Cette carte montre bien une incursion de ces fortes prises dans le Canal du Mozambique, là précisément où se tiennent les îles Eparses.

Il y a quatre grandes zones de pêche sur les trois océans.

Le Pacifique Ouest est médaille d'or avec plus de 2 millions de tonnes.

L'Océan Atlantique a également accru et est présent depuis de nombreuses années.

L'Océan Indien est en quelque sorte le petit dernier : la croissance s'est faite dans les années 1980. Mais il est maintenant quasiment entre la deuxième et la troisième position selon les années en terme de production. Voyez la part de l'Océan Indien entre 1980 et 2007 : 8% des captures thonières en 1980, 19% en 2007.

Je vais maintenant présenter très rapidement les différentes techniques de pêche. Très brièvement, il y a dans le monde quatre engins principaux qui exploitent les thons :

La senne tournante : elle est pratiquée par des navires qui maintenant ressemblent plus à des yachts qu'à des bateaux de pêche, comme vous le voyez ici. Le principe consiste à encercler un banc de thons, et lorsqu'il est complètement encerclé, la grosse épuisette peut ramener de l'ordre de 5 à 6 tonnes de poissons à chaque fois. On charge le poisson à bord. Cette pêche est réalisée sur deux types de bancs - il faut bien sûr que les bancs soient formés. Soit sur des bancs qui sont associés à des objets flottants : les thons ont, comme beaucoup d'autres poissons pélagiques, la propension à s'agglomérer autour d'un bout de bois, ou de n'importe quoi qui flotterait à la surface. Bien évidemment, les pêcheurs ont exploité ce phénomène en déployant des radeaux artificiels, c'est ce que vous voyez en haut à droite de cette diapositive. Ces radeaux vont agréger les bancs et sont dotés également de balises qui permettent leur repérage très facile par les senneurs. L'autre catégorie, ce sont les bancs dits libres. Ce sont des regroupements en général mono-spécifiques, surtout d'albacores dans les périodes de reproduction. La carte en bas à droite représente en bleu les zones où dominent les prises sur objet flottant, et en jaune les prises sur bancs libres. C'est donc assez régionalisé. Toute la région de Somalie est parfaitement recouverte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il y a eu beaucoup de déboires sur la pêcherie thonière, parce que c'est la zone des pirates. Dans la zone équatoriale, prédominent les prises sur bancs libres, dans la zone du Canal du Mozambique, il y a une répartition à moitié entre les bancs libres et les objets flottants.

Le deuxième engin est la palangre dérivante. La palangre est une ligne qu'on déploie sur plus d'une centaine de kilomètres avec des hameçons et des lignes qui sont maintenues par des flotteurs. Cette pêche est faite soit par des navires de petite taille, comme en bas à gauche, des petits palangriers artisanaux, soit par de grands palangriers, comme ici un palangrier japonais photographié dans le port de Victoria aux Seychelles. Il s'agit de bateaux considérables qui partent quasiment un an en mer sans rentrer à leur port. Ces pêcheries capturent des poissons de grandes tailles. La zone ouest est particulièrement prisée, avec une forme de régionalisation. Les espèces tropicales sont l'albacore et le patudo au niveau de l'Equateur et puis le germon -c'est ce qui est représenté en vert- et au sud du Canal du Mozambique une plus grande diversité. Comme je le disais tout à l'heure, c'est une pêcherie qui s'oriente plus sur les grosses espèces. Vous avez ici une photo prise au marché de Tsukiji au Japon avec des thons rouges qui sont vendus jusqu'à 50 000 dollars la pièce. Je tiens à souligner le caractère lucratif de cette pêcherie. Les thons tropicaux n'arrivent pas à ces montants-là, je vous rassure.

Le troisième engin est la canne à l'appât vivant. Elle est pratiquée dans l'Océan Indien, principalement par les Maldives : on appâte les bancs, ils se concentrent autour des bateaux et on les ramasse individuellement avec des cannes.

Quatrième engin, c'est le filet maillant que l'on connaît puisqu'il est développé également sur nos côtes. Il est utilisé principalement dans les eaux côtières des pays du nord de l'Océan Indien. Il faut savoir que la pratique des grands filets dérivants, les drift nets , a été prohibée en 1992, mais on s'interroge aujourd'hui sur un retour de ces engins.

Pour récapituler les prises par engin dans l'Océan Indien en 2007 :

- 19 % pour la palangre.

- 26 % pour la senne.

- 9 % pour la canne

- 34 % pour les filets maillants.

Les filets maillants, comme je le disais à l'instant, sont le fait des pêcheries artisanales et il faut absolument avoir à l'esprit, quand on parle des thons dans l'Océan Indien, la part prépondérante des pêcheries artisanales dans le domaine thonier. Parce qu'on pense toujours aux grosses flottilles, et à la pêcherie industrielle. C'est vrai dans l'Atlantique, c'est vrai dans le Pacifique mais dans l'Océan Indien, la plus grande partie des captures est réalisée par les pêcheries artisanales. Ici, nous voyons une photo que j'ai prise à Bali, il s'agit d'un débarquement de pêche thonière. L'Indonésie a des milliers de kilomètres de côte, cela produit beaucoup. Alors tout le long de l'Océan Indien, ces pays utilisent des techniques artisanales.

Concernant les thons majeurs, les espèces à rostre, c'est-à-dire les marlins et les espadons, environ 50% relève de la pêche artisanale. Mais lorsque vous y rajoutez les thons côtiers, c'est 62% de la production thonière qui relève des pêcheries artisanales. Cinq pays seulement rassemblent 85% de ces pêcheries artisanales : l'Iran, l'Inde, le Sri Lanka, les Maldives et l'Indonésie. Cela mérite quand même d'être rappelé.

Un bref aperçu de l'état des stocks tel qu'il est évalué par la commission des thons de l'Océan Indien créé en 1996 et qui comprend 30 Etats membres. Certaines espèces sont dans le vert comme le listao qui est un petit thon très prolifique. La prise maximale équilibrée (PME) est la valeur de référence autour de laquelle on considère que l'exploitation est équilibrée entre bénéfice économique et renouvellement de l'espèce. Malgré tout, cette espèce est encore dans le vert, ainsi que le germon avec une capture récente de l'ordre de 25 000 tonnes pour une PME de 28 à 34 000 tonnes. Vous avez des espèces dans la zone orange : l'espadon et le patudo. Et puis vous avez surtout une espèce dans le rouge : l'albacore. Vous voyez qu'on est monté jusqu'à plus de 400 000 tonnes au cours des années récentes alors que les scientifiques estiment la PME autour de 250 à 360 000 tonnes. Nous allons évoquer les raisons dans un instant mais il y a aussi des questions d'environnement.

A savoir aussi que l'environnement, la variabilité des événements, comme « el Niño », peuvent soit augmenter, soit réduire la capturabilité des thons. Il faut donc en tenir compte dans nos évaluations.

Je vais présenter rapidement les défis que rencontre la CTOI face à ces situations, et ensuite nous verrons comment les TAAF s'inscrivent au travers de ces principaux enjeux.

Les défis de la CTOI sont d'abord le développement et le maintien des systèmes de collecte des données de pêche. Bien évidemment, vous ne pouvez pas faire de gestion s'il manque l'information et une information fiable, vérifiée et validée. A ce titre, le Japon a été généreux pendant 5 ans avec l'OSCF. Ils ont fourni des soutiens à la fois financiers mais également en experts à un certain nombre de pays du nord de l'Océan Indien pour améliorer les statistiques de pêche. La Communauté Européenne a annoncé un soutien de 35 millions d'euros pour faire de même à la suite du projet japonais.

L'autre défi est de réduire la capacité de pêche, c'est-à-dire la puissance de l'effort déployé dans les zones de pêche. A l'heure actuelle dans l'Océan Indien, plus de 3 400 navires sont autorisés à pêcher. 62 % de ces navires sont des palangriers et au sein de ces 62 %, 41 % concerne l'Indonésie. 22 % sont des filets maillants, quasiment tous déployés par l'Iran. 6 % sont de grands senneurs, dont la moitié quasiment proviennent de la Communauté Européenne. Vous voyez qu'on a des puissances de pêche considérables. Donc l'un des enjeux de la commission est d'arriver à identifier ces différents secteurs, ces différents types d'engins, types de pêcheries pour pouvoir à terme proposer des formes de réglementation. Vous verrez à la fin que c'est un exercice particulièrement difficile.

Cette capturabilité et cet accroissement de capacité de pêche ne s'évaluent pas seulement en termes de nombre de navires. C'est-à-dire qu'à nombre de navires équivalent -là je prends l'exemple des senneurs mais cela pourrait être pareil pour les palangriers- on constate un très fort accroissement de cette puissance de pêche. Qu'est-ce que les captures ? C'est le produit d'un effort de pêche, une puissance que vous employez pour capturer du poisson. Cela tient compte également de la biomasse, qui elle, va diminuer, mais en dessous d'un certain prélèvement, elle est capable de compenser ce prélèvement. Les poissons peuvent se reproduire plus jeunes, ils peuvent grandir plus vite, une forme de compensation. Et ce facteur de capturabilité recouvre beaucoup de choses : il recouvre les questions d'environnement -l'environnement peut faciliter ou au contraire décroître la capturabilité- mais il recouvre sûrement les performances des navires, avec notamment le déploiement de matériel électronique extrêmement performant. Les sonars permettent de détecter du poisson à près d'un kilomètre du bateau. Il y a également des techniques de localisation avec les satellites, les informations satellites sont gérées directement à bord des bateaux. Tout cela fait qu'à nombre équivalent de navires, un senneur maintenant n'a plus rien à voir avec un senneur d'il y a même 20 ans.

L'autre défi rencontré par la CTOI est de lutter bien évidemment contre la pêche illégale. Là, un certain nombre de résolutions ont été adoptées depuis 2002. Cinq résolutions permettent de lutter au travers de différents moyens. Au premier plan, le contrôle des exportations : il y a des programmes d'inspection au port, il y a des listes de navires autorisés établies. Il y a des programmes de contrôles de transbordement en mer, parce que bon nombre des navires asiatiques ne rentrent pas au port mais transbordent directement leurs prises en mer. Bien évidemment, c'est la porte ouverte à des transits de prises illégales. Il y a donc un programme d'observateur embarqué sur les transporteurs pour essayer de vérifier cela. Et puis nous avons établi dernièrement une liste des navires Illégaux, Non déclarés et Non réglementés (INN) - les navires de pêche illégale - qui d'ailleurs va être partagée entre les différentes organisations de pêche. Ces navires sont en effet très mobiles et passent d'un océan à l'autre très facilement et changent même parfois de technique de pêche.

L'autre enjeu est de réduire autant que possible les impacts de la pêche sur les espèces non ciblées. C'est toute l'approche écosystémique des pêches et à ce titre, c'est le genre d'image qu'on ne voudrait pas revoir trop fréquemment. Là vous pouvez voir une tortue qui a mordu à un hameçon de palangre, là une tortue luth qui s'est retrouvée enfermée dans un filet mort. Cette mortalité due aux filets fantômes est très difficile à estimer. Vous pouvez également voir ce tableau de chasse d'albatros capturés à l'issue d'une seule campagne de pêche à la palangre dans le sud. Les albatros plongent sur les appâts et se prennent aux hameçons. Bien sûr, la palangre descend très vite et les oiseaux ne peuvent pas se dégager, ils sont noyés. On les remonte après au milieu des poissons. C'est un phénomène contre lequel il faut effectivement prendre des mesures très énergiques. Je représente ici en rouge les zones d'opération des palangres et en vert, les zones visitées par des colonies, par des albatros, par des pétrels. Vous voyez qu'il existe un chevauchement. Il est très limité au sud, mais il explique cette mortalité parfois importante. Mondialement la palangre fait partie des engins les plus néfastes en termes de prises accessoires. Sur des débarquements de 1,4 millions de tonnes, vous avez prêt de 28 % de rejet : des espèces qui sont capturées non désirées. Cela concerne des requins, des marlins, des tortues de mer, des oiseaux de mer. La senne est beaucoup moins « toxique » avec de l'ordre de 5 %. Le filet maillant, représente 0,5 %, c'est un taux un peu biaisé parce que parmi les populations qui utilisent ces filets maillants, beaucoup consomment leurs captures, mêmes lorsqu'ils capturent des mammifères marins ou des tortues. Vous voyez que la variation est importante, on peut aller de 0 à 66 % sur les filets maillants. La canne est le plus clair, le moins problématique des engins de pêche par rapport aux prises accessoires. Ces impacts sur la pêche non ciblée ont fait l'objet également de résolutions depuis 2005, c'est un mouvement relativement récent dans la commission. La commission a demandé la création d'un groupe de travail spécifique sur les écosystèmes et les prises accessoires, à l'issue duquel on pourra avoir des mesures un peu ciblées. Je dois dire qu'à ce titre, les TAAF ont travaillé de manière très efficace en proposant un certain nombre de mesures, qui même si elles n'ont pas été entièrement adoptées par la commission, vont vraisemblablement revenir à l'ordre du jour de sa prochaine session en 2010. Et notamment le programme d'observateurs à la mer qui est le seul moyen de contrôler efficacement l'ampleur des prises accessoires parce qu'il s'agit d'une observation indépendante des pêcheurs.

Dernier enjeu que j'ai cité et qui est très loin d'être acquis, c'est justement comment distribuer les bénéfices de cette rente thonière, en particulier dans le contexte de l'Océan Indien. Je vous ai dit que c'est un océan particulièrement marqué par l'importance de la pêche artisanale. Sont donc confrontées des flottilles de pays riverains qui sont en développement avec des flottilles de nations distantes. Ces pays riverains veulent évidemment tirer un maximum de bénéfice de leur ZEE, soit en octroyant des licences de pêche, soit en développant eux-mêmes leurs flottilles. Un plan de développement des flottilles a été émis par la CTOI, afin de demander aux pays combien de bateaux ils comptent déployer pour les 10 prochaines années. Le plan est arrêté au 31 décembre de cette année. Mais je dirais que c'est quand même une porte ouverte à des abus, parce qu'il y a des Etats qui mettent des chiffres inconsidérés dans leur plan de développement pour se laisser un petit peu de marge de manoeuvre. Nous avons là un gros problème, que doit gérer la CTOI, et je vous garantis que ce n'est pas demain qu'on aura la solution.

Rôle des TAAF

Pour terminer, je parlerai du rôle des TAAF dans tout ce processus. Je rappelle la localisation des ZEE dont je parle. Je ne parle pas de Tromelin, je parle des ZEE de Mayotte, Glorieuses et des îles Eparses proprement dites.

Quelques chiffres pour situer le contexte en termes de superficie.

Le Canal du Mozambique : 1,8 millions de kilomètres carrés.

Les ZEE françaises, les Eparses plus Mayotte et Glorieuses : 525 000 kilomètres carrés. J'ai entendu d'autres chiffres, notamment 640 000 mais c'est en tenant compte de Tromelin. En tout cas, c'est de l'ordre de grandeur de la superficie de la France métropolitaine, c'est quasiment 30% de la surface, ce qui n'est pas dérisoire.

Les captures moyennes à la palangre sont de 12 000 tonnes dans le Canal du Mozambique, soit environ 4 % du total capturé dans l'Océan Indien, mais « seulement » 2 000 tonnes dans la zone française. C'est quand même près de 20 % de ce que l'on capture dans le Canal du Mozambique.

En termes de valeurs, notamment pour la pêche palangrière, c'est de l'ordre de 43 millions de dollars au niveau du Canal du Mozambique et dans la zone française, c'est entre 7 et 8 millions de dollars de richesse extraite.

En captures moyennes avec la senne : 25 000 tonnes dans le Canal du Mozambique, 10 % du total de l'Océan Indien et 4000 tonnes dans la zone française qui est de l'ordre de 16 %. Nous avons a à peu près le même ordre de grandeur à proportion avec les palangres. Evidemment en termes de valeurs, c'est beaucoup moins avec la senne parce qu'il s'agit du marché de la conserve et non du marché du poisson à forte valeur ajoutée : près de 4 millions de dollars en valeur prélevés dans la zone française. Ce sont des estimations mais cela donne des ordres de grandeur.

Les réglementations mises en oeuvre concernent tout d'abord le contrôle de l'accès, les obligations déclaratives comme les délivrances de licences de pêche, ainsi que la mise en place de livres de bord qui sont vérifiés avec le concours de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et de l'IFREMER. Mais elles concernent aussi le contrôle et l'évaluation des prises accidentelles, un programme d'observation mis en place en 2006 qui a anticipé la recommandation de la commission thonière qui souhaite développer ce programme à l'horizon de 2011. Ce programme a nécessité un cursus de formation et une sélection de candidats, afin d'avoir des observateurs véritablement opérationnels. En 2009, huit observateurs ont été déployés, pendant 465 jours d'observation. Cela a permis d'observer 65 % de taux de couverture des flottilles, à mettre en parallèle avec les 5 à 10 % préconisés par la commission des thons de l'Océan Indien. On est donc bien au-delà des taux demandés. Des prescriptions techniques vont être renforcées pour 2010, vers une pêche plus responsable et écologique, notamment sur les requins et les tortues de mer, les matériaux biodégradables sur les VCP et la question des ordures jetées à la mer. Un point également très important porte sur la préservation de l'accès aux ressources par les communautés locales. Cela tient compte du partage de ce capital thonier, notamment avec la convention signée entre le préfet des TAAF et Mayotte pour protéger en empêchant les navires industriels, étrangers ou français, de pénétrer à l'intérieur des 20 miles.

En termes de conclusion, l'approche écosystémique est désormais incontournable. Certains ouvrages en ont fait l'apogée, notamment celui de Philippe Cury, « Une mer sans poissons ». Vous avez également dans cette assemblée le sénateur Marcel-Pierre Cléach et ses collaborateurs qui ont produit un rapport très intéressant et très documenté sur la situation des pêches 6 ( * ) . Il s'agit également de réconcilier la pêche et la conservation en développant la certification. Il s'agit de répondre à la pression du marché et des consommateurs pour obtenir des pêcheries labellisées. Et je dois dire que les TAAF, au vu de ce que l'on constate depuis 3 ans, se sont délibérément engagées sur cette voie en prenant en compte les recommandations du comité scientifique de la CTOI. En tant que président de cette instance, je suis particulièrement satisfait. Je pense que les TAAF vont véritablement pouvoir jouer un rôle majeur dans la gestion mise en oeuvre dans l'Océan Indien.

Pour en revenir au titre, le laboratoire correspond à petits espaces, mais on peut espérer que justement ces techniques, ces prescriptions puissent être développées au niveau des pays riverains de l'Océan Indien.

Mme Danielle Nocher, directrice de la rédaction de « Valeurs vertes » - Je sais que les îles Eparses ne font pas partie de l'Europe mais collaborez-vous avec l'Europe pour résoudre ces problèmes de surpêche ?

M. Francis Marsac - Effectivement, l'Europe apparaît forcément en filigrane derrière tout cela. Comme vous savez, la France a une position un peu particulière dans toutes ces commissions, notamment dans l'Océan Indien. Car elle figure à la fois dans la délégation européenne et au titre de ses territoires. Bien évidemment, la préparation des résolutions, dans les deux ou trois mois qui précèdent la commission, se fait d'un commun accord avec Bruxelles. Cette année, sur les tortues de mer, deux résolutions avaient des points similaires, mais les TAAF allaient plus loin que la Communauté. Au final, il y a bien évidemment une cohésion parfaite des points de vue et nous jouons tous dans le même registre. Je vous rassure sur ce plan-là.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - C'est un des points qui a été débattu et retenu au titre du Grenelle de la mer. Avec d'autres territoires, nous avons rappelé dans nos propositions que les PTOM -Pays et Territoires d'outre-mer selon le jargon européen- dont font partie les TAAF - pouvaient être des forces de proposition et d'influence pour la France, non pas en contradiction mais en complément, et pouvant parfois jouer un rôle de précurseur comme Francis MARSAC vient de le rappeler. La France, par ses PTOM, peut jouer un rôle d'éclaireur. En tout cas, nous, les TAAF, sommes tout à fait disponibles pour jouer ce rôle.

M Jean-Claude Hureau, professeur honoraire au Muséum national d'histoire naturelle - Je souhaite simplement rappeler que ce qui se fait a priori dans les îles Eparses par les TAAF est la suite logique de son action dans les îles subantarctiques, Kerguelen et Crozet depuis 1979. Je tenais à le rappeler, dans le cadre de la convention de la Commission for the Conservation of Antarctic Marine Living Ressources (CCAMLR).

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Nous avons fait un certain nombre de propositions aux différentes instances ministérielles et au Secrétaire Général à la mer. Nous souhaitons vraiment aller de l'avant en concertation sur la question des armements, parce que les comptes-rendus d'observation que nous avons eus cette année nous montrent que nous avons de sérieuses marges de progression.

S'il n'y a pas d'autres questions sur la gestion raisonnée des ressources halieutiques, je remercie Francis Marsac. Nous avons pensé qu'il est important de rappeler qu'il y a aussi des histoires humaines dans ces îles, qui ne sont pas connues, mais qui sont très riches. Nous avons parlé tout à l'heure des épaves et de l'archéologie marine. Nous aurions pu parler d'un certain nombre de tentatives de colonisation qui toutes ont échoué plus ou moins rapidement. Nous avons décidé d'évoquer une histoire, aujourd'hui sortie de l'oubli, celle de ceux qu'on appelle les esclaves oubliés de Tromelin. Les fouilles organisées par le Groupement de Recherche d'Archéologie Navale (GRAN) mené par Max Guérout ont mis en lumière une histoire qui avait été un peu perdue de vue. J'ai demandé à Françoise Vergès, en sa qualité de présidente du comité français pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, de nous faire partager les enseignements de cette tragique mais fabuleuse histoire.

M Jérôme Bignon - Je voudrais faire remarquer que j'aurais préféré, Monsieur le préfet, que vous parliez des esclaves oubliés de l'Ile des sables, dans la mesure où l'île s'appelait ainsi avant qu'on ne la rebaptise après cette histoire.

III. TERRITOIRE DE MÉMOIRE ET D'HISTOIRE

Mme Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage sur les esclaves oubliés de l'île de Tromelin - Le Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage a été installé le 10 mai dernier et il vient à la suite du comité pour la mémoire de l'esclavage qui avait été lui-même installé en janvier 2004, en application d'un des articles de la loi du 21 mai 2001, qui reconnaît la traite négrière et l'esclavage comme crime contre l'humanité. Une de nos missions était de proposer une date nationale de commémoration des mémoires de la traite négrière et de l'esclavage et de leurs abolitions. Et j'ai bien sûr envie de rappeler ici que nous avions proposé la date du 10 mai, date à laquelle les sénateurs avaient adopté à l'unanimité cette proposition de loi et que cette date a été ensuite retenue par le gouvernement par décret en 2006. Désormais, le 10 mai chaque année est journée nationale de commémoration des mémoires de la traite négrière et de l'esclavage et de leurs abolitions.

Comme vous l'a dit Monsieur le préfet, je ne vais pas vous parler de tortues et d'oiseaux, mais de femmes et d'hommes capturés au XVIIIème siècle à Madagascar par un équipage français pour être vendus en esclavage. Je vais donc vous parler d'une histoire extraordinaire et comme disait Monsieur le préfet, au vrai sens d'extraordinaire, c'est-à-dire la survie sur cette île de captifs malgaches destinés à l'île de France, actuellement l'Ile Maurice, à la fin du XVIIIème siècle. Cette histoire inscrit l'île de Tromelin parmi les lieux de mémoire de l'histoire globale de la traite négrière et de l'esclavage colonial. Elle en fait donc un territoire de mémoire et d'histoire qui relie à la fois l'histoire maritime, l'histoire de la traite à Madagascar et dans l'Océan Indien, l'archéologie de l'esclavage, l'étude des communautés d'esclaves et là, je voudrais souligner un aspect qui est souvent négligé : la distinction, chez les esclaves, entre les femmes et les hommes. Dans ce groupe de captifs dont nous parlerons, il y avait beaucoup de femmes. Des débats donc sur l'esclavage et aussi, à l'intérieur de cette histoire, ce qui en fait vraiment une histoire formidable, un cap important : c'est le débat sur la conscience individuelle. Que faire quand nous sommes témoins d'une injustice et comment la réparer ? C'est un des thèmes de cette histoire et pas des moindres. Comment une promesse non tenue, celle d'aller rechercher les esclaves laissés sur l'île, va hanter la conscience d'un homme. A travers cette présentation, je reviendrai brièvement sur l'histoire elle-même. Elle a fait l'objet de rapports par le groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) sous la direction de Max Guerout qui est ici présent et dont les travaux de fouilles ont été très précieux pour la découverte de cette histoire. Elle a fait aussi l'objet d'un très bel ouvrage d'Irène Frain, légitimement couronné de prix. Irène Frain sera là plus tard. Je vous encourage à aller sur les sites Internet du GRAN et d'Irène Frain parce que vous verrez les images et vous entendrez aussi ces fameux bruits de la mer. Et on se dit que vivre là pendant quinze ans, nuit après nuit et jour après jour, il y avait vraiment une très grande solitude et une très grande dureté. On appréhende beaucoup plus fortement ce que cela a été.

Mais je voudrais surtout m'attarder sur la portée de cette histoire pour notre présent et montrer à quel point cette terre minuscule, cet îlot souvent oublié et négligé, doit être aussi préservé. Non seulement pour son intérêt pour la biodiversité mais parce que Tromelin appartient à une histoire fondamentale pour l'humanité, celle de la lutte inextinguible pour la liberté et la dignité.

L'histoire donc ; parti le 17 novembre 1760, L'Utile, flûte négrière de la Compagnie française des Indes, construite et armée à Bayonne, quitte la France avec à son bord 150 hommes commandés par le capitaine Jean de la Fargue. L'Utile fait naufrage le 31 juillet 1761 sur l'île de Sable -aujourd'hui Tromelin- alors qu'elle transporte des captifs malgaches destinés à être vendus illégalement à l'Ile Maurice. L'équipage survivant va regagner Madagascar dans une embarcation de fortune construite avec l'aide des Malgaches. Il abandonne cependant sur l'île les 60 esclaves qui avaient survécu au naufrage, après avoir promis de revenir les chercher. Cette promesse n'est pas tenue. Il faut attendre quinze ans avant que le 29 novembre 1776, le chevalier de Tromelin qui donc donne son nom ensuite à l'îlot, commandant la corvette la Dauphine, récupère les survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. Il les dépose à l'Ile Maurice où quand même, on les fait libres.

Ces personnes vont survivre et on sait peu de choses sur leur vie à Tromelin comme sur leur vie ensuite à l'Ile Maurice. Pour Tromelin ce n'est pas étonnant, les esclaves n'avaient aucun moyen de tenir un journal de bord. Et à Maurice, ce n'est pas étonnant non plus car on le sait, la vie des esclaves a peu intéressé les journalistes et les autres observateurs. Le naufrage et la survie de ces robinsons vont passionner l'Europe mais dans le cadre d'un récit bien cerné. Celui, justement, du naufrage et de la survie ; thèmes qui passionnaient évidemment un monde où ces dangers étaient très présents. Par contre, ce qui habitait les esclaves mêmes, leurs rêves, leurs peurs, leurs espoirs ont peu intéressé les contemporains. On sait donc peu de choses. Alors cette vie sur l'île de Tromelin, à la question « Comment ces esclaves ont-ils pu survivre pendant plusieurs années dans un environnement particulièrement hostile, sans végétation susceptible de créer un espace d'ombre et sous les intenses rayons du soleil ? » l'équipe de recherche dirigée par Max Guerout a donné des réponses passionnantes. Ils ont mis au jour un ensemble de trois édifices construits à base de corail qui surprennent par leurs dimensions et, plus concrètement, par la taille de leurs murs -entre un mètre et un mètre trente-. Ils ont aussi découvert 400 objets d'usage quotidien réalisés à partir d'utilisation des métaux récupérés sur l'épave du navire. Ces objets montrent un savoir-faire évident : cuivre découpé, riveté, utilisé pour réparer les récipients ; fabrication de cuillères et d'aiguilles à partir de lames de fer récupérées elles aussi ; plomb fondu pour fabriquer de grandes bassines servant probablement à la conservation de l'eau. Le GRAN a aussi mis à jour dans un des bâtiments, sans doute la cuisine, un abondant mobilier autour d'un foyer aménagé. Dans deux des bâtiments mis au jour, des ossements humains appartenant à deux individus distincts ont été retrouvés. Il reste donc encore des découvertes à faire à partir de ces objets et de ces ossements. Mais déjà, tout cela nous donne la preuve d'une organisation sociale, culturelle. Jour après jour, pendant quinze ans, ces femmes et ces hommes ont tissé les liens d'une petite société. Ils ont, comme chacun de nous, rêvé, chanté, conversé. Ils ont ressenti espoir et désespoir, ont pensé à la terre natale, ils n'ont jamais renoncé à la vie. Ils sont le témoignage de la capacité de faire société malgré les conditions terribles et difficiles. En cela, ils nous poussent à aller au-delà de nos présupposés ; à comprendre que l'esclave n'est pas qu'un être asservi, un meuble mais aussi une femme ou un homme avec une langue, des rêves, des espoirs, un art et une culture. N'oublions pas que ce sont des résistances à la traite de l'esclavage que sont nés des chants, des idées, des cultures. Malgré la loi qui en faisait des meubles, malgré le fouet et les punitions, ces hommes et ces femmes ont contribué à la culture de l'humanité. Si nous ne saurons jamais ce que furent les pensées des esclaves de Tromelin, ils ne sont plus aujourd'hui perdus dans l'oubli. Ils sont sortis de l'oubli, ils nous parlent. L'émotion que nous éprouvons à voir les objets qu'ils ont laissés, inlassablement raccommodés avec une attention et une finesse dignes des plus grands artisans et qui sont aujourd'hui gardés par les TAAF, est très grande. Nous touchons là la force de la création humaine : survivre et vivre, témoigner de son humanité.

Je voudrais aussi souligner pourquoi il était important et pourquoi c'était important de préserver cette histoire ; pourquoi ce témoignage a traversé les siècles pour nous parler aussi à nous ; dire pourquoi il est encore plus important de préserver Tromelin comme territoire de la mémoire. Ne pas simplement s'intéresser aux objets qui ont été sauvés, à cette histoire mais au lieu-même.

La traite négrière et l'esclavage colonial sont au coeur de la modernité européenne, au coeur de son histoire. Vous le savez, cela commence au XVIème siècle et ne prend fin qu'au XIXème siècle. Quatre siècles de lutte qui relient d'ici et là, à travers les continents et à travers les siècles des philosophes, des journalistes, des républicains, des juristes, des marrons, des esclaves. Ils transforment le monde, ses frontières ; ils transforment l'art, la littérature, la philosophie, le droit également avec le Code noir puis le décret contre la traite ou les traités et conventions internationales contre l'esclavage. L'esclavage mobilise les plus grandes consciences de la France et de l'Europe au XVIIIème siècle, comme au XIXème siècle. Je peux citer Condorcet, Madame de Staël, Montesquieu, Adam Smith, Tocqueville, Lamartine. Il met en relation des mondes qui étaient jusque là étrangers les uns aux autres. Le monde européen, africain, malgache. Les mondes américains et caribéens, le monde de l'Océan Indien. Il crée des zones de contact où se forgent les cultures créoles, des langues et des musiques. Il introduit aussi la notion de race et de nègre dans la langue française. On le sait dans l'Encyclopédie ou dans le Dictionnaire raisonné des arts et des métiers qui est coédité par Denis Diderot et d'Alembert, ce monument des Lumières, il est déjà question d'une nouvelle espèce humaine dont la couleur noire légitimerait l'esclavage. Dans l'édition de 1698, c'est encore l'apparence physique des noirs qui retient l'attention pour qui cette race malheureuse a tous les vices : paresse, impudence, cruauté, débauche, méchanceté.

Le mot nègre, dans cette acception d'une autre race entre dans la langue française, au début du XVIème siècle, au moment où la France se lance dans le commerce d'êtres humains. On sait qu'à la fin du XVIIIème siècle, dans les dictionnaires de langue française, les mots : nègre, noir et esclave deviendront des synonymes. Auparavant, le terme noir signifiait « être privé de lumière ». Et au XVIème siècle, il désigne encore une couleur. Nègre désigne une couleur ou une plante sauvage. On parle de négrier pour parler d'une vigne sauvage. Mais c'est ensuite avec la traite et l'esclavage que noir commence à signifier ce qui est méchant et mauvais : on broie du noir, une colère noire. Et évidemment, de plus en plus aussi, l'association entre nègre et asservissement, nègre et travail forcé, nègre et infériorité s'immisce dans la langue. Point n'est besoin d'ailleurs de vivre aux colonies et de posséder des esclaves pour savoir qu'on ne veut pas être traité comme un nègre, comme on le dit déjà en 1714. Personne ne veut non plus travailler comme un nègre, comme on le dit en 1814. On emploie donc ce terme pour parler d'une chose qui n'aurait pas de sens ou d'une tâche qui n'aurait pas de fin. Par exemple l'expression : « un combat de nègres dans un tunnel » ou le proverbe provençal : « A vouloir blanchir la tête d'un nègre, on perd sa lessive ». Bref, on pourrait faire une liste sans fin qui nous montre comment le lien entre Afrique et esclavage devient un lien entre noir-couleur et asservissement, et se consolide.

L'esclavage est aussi justifié parce qu'il contribue à l'élévation des noirs au-dessus de leur condition. On justifie donc l'esclavage. Kant est très clair sur ce point. Il écrit : « La nature n'a doté le nègre d'Afrique d'aucun sentiment qui ne s'élève au-dessus de la niaiserie » ; « les noirs sont si bavards qu'il faut les séparer et les disperser à coups de bâton. » Les hommes d'église ne sont pas en reste et le théologien Teilhard de Chardin donne l'explication suivante à l'infériorité des noirs et à la nécessité de l'esclavage : « La principale de ces circonstances est assurément la privation de la lumière et même de tout reflet de cette lumière qui a permis à l'esprit mauvais de s'établir en maître. » « Les noirs sont de temps immémorial livrés sans contrôle, un sens du vice abject à la cruauté et au mensonge. ».

On a donc toute cette histoire qui est notre histoire, qui est l'histoire de l'Europe et de la France. Mais aussi, la traite de l'esclavage introduit dès le départ un débat qui n'est pas encore épuisé sur la liberté et la dignité. On le sait dès le départ, des voix s'élèvent en Europe, en Amérique et en Afrique contre la traite et l'esclavage. Et ces débats nous enseignent aujourd'hui à la fois une lutte morale et pragmatique contre l'injustice.

Les Terres Australes et Antarctiques Françaises appartiennent donc comme territoire de mémoire et d'histoire à l'histoire globale de la traite et de l'esclavage et donc à celle du combat pour la liberté et la dignité. En faisant ressurgir, et le mot n'est pas trop fort, l'existence des esclaves oubliés, nous rétablissons une vérité. Celle de l'égalité de tous les être humains. Ils nous transmettent à travers les siècles une leçon : aucun être humain ne peut être réduit au statut de meuble. C'est aussi un enseignement très contemporain selon lequel il ne faut jamais renoncer à dénoncer une injustice. La lutte contre ces crimes que constituent la traite et l'esclavage, et je l'ai dit ils sont très tôt dénoncés comme crimes, fut une lutte longue, patiente, pragmatique et morale, qui a uni les révoltes d'esclaves, des féministes anglaises, des marrons, des républicains français, des libéraux, des philosophes, des parlementaires, des hommes et des femmes de conscience. Ce fut un combat transcontinental à travers les siècles.

La petite société des Malgaches de Tromelin arrachés à leur terre, victimes du naufrage du vaisseau négrier qui les emmenait sur une terre inconnue, abandonnés sur une terre hostile, contribue à notre histoire et à notre culture. Ils participent, pour reprendre les mots de Césaire, « tous ceux, toutes ces personnes, tous ces hommes et ces femmes qui n'ont construit ni palais ni châteaux, mais sans qui la Terre ne serait pas la Terre, à toute l'histoire et au patrimoine culturel de l'humanité . ».

M. Christian Cointat, président - Juste quelques précisions pour faire écho à vos propositions et vos propos. La première, c'est qu'effectivement nous sommes très sensibles à l'idée que Tromelin, en tous cas les lieux où ont vécu les esclaves, puisse devenir un espace protégé au niveau international. Avec l'UNESCO, c'est un projet sur lequel nous sommes tout à fait prêts à travailler. Le deuxième point, c'est que grâce au résultat des fouilles exceptionnelles et des matériaux retrouvés dont vous-même m'avez indiqué en aparté qu'ils sont assez uniques en matière d'histoire de l'esclavage, nous réfléchissons avec le GRAN, avec Max Guérout, avec vous-même et avec d'autres personnalités à organiser une exposition à vocation internationale qui pourrait à la fois être représentée à Paris en métropole mais aussi à Maurice, à La Réunion et, pourquoi pas un jour à Madagascar. Ceci fait écho à l'idée de la coopération régionale dont parlait tout à l'heure l'ambassadeur Philippe Leyssene car vraiment, à travers l'histoire extraordinaire des esclaves oubliés de Tromelin, c'est bien sûr tout un pan de l'histoire de l'Océan Indien et de cette zone de l'Océan Indien qui ressurgit et qui peut permettre effectivement des coopérations extrêmement intéressantes. Enfin, il y a aussi l'idée - cela fait aussi écho à la coopération et à certaines suggestions auxquelles faisait allusion l'Ambassadeur Philippe Leyssene tout à l'heure - que la prochaine campagne de fouille que Max Guérout et son équipe doivent mener puisse associer une équipe mauricienne. Comme vous le savez, nous vous l'avons expliqué tout à l'heure, nous sommes en train de négocier des modalités de cogestion de l'île de Tromelin. L'archéologie et la valorisation au sens de la communication, au sens noble du terme de l'histoire des esclaves oubliés de Tromelin fait partie des champs de coopération et de cogestion que nous avons proposé à Maurice et qui l'a accepté. On doit tenir dans les prochaines semaines un nouveau rang de négociation au siège des TAAF à Saint-Pierre qui devrait les formaliser. Et donc, en faisant un clin d'oeil à Max Guérout, si bien sûr votre campagne a bien lieu en 2010 ce que nous souhaitons, l'idée d'une campagne franco-mauricienne donnerait aussi tout son sens à ce rapprochement entre les îles qui ont connu la même histoire et que nous pourrions retrouver à cette occasion.

Voilà les quelques précisions que je voulais apporter pour vous dire que l'affaire n'est pas finie, les fouilles ne sont pas finies et la valorisation et la vulgarisation de cette histoire extraordinaire ne font que commencer.

M. Jérôme Bignon - C'est une histoire extrêmement émouvante, l'histoire de ces esclaves oubliés de Tromelin. C'est en même temps un exemple tout à fait remarquable de survie car effectivement il n'y a rien sur l'île et on peut se demander comment ils ont pu faire. Comment ils ont pu entretenir un feu en permanence pendant quinze ans avec ce qui devait rester de l'épave du navire puisqu'il n'y a aucun arbre, il n'y a rien du tout. C'est très bien si on en fait une zone protégée mais, envisagez-vous, Monsieur le préfet, de faire au moins un petit mémorial sur place. Ne serait-ce que pour rappeler ce qui s'est passé et qui mérite le respect de la communauté française qui montre bien que l'Ile des Sables était bien française, je tiens en passant à le souligner, et donc de rappeler par ce mausolée, ce symbole, l'attachement de la communauté française qui regrette de leur avoir fait subir un tel sort.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - L'histoire est encore plus cruelle puisque lorsqu'on a construit au début des années 50 les bâtiments de la Météo, sur le point culminant de l'île, c'est-à-dire à sept mètres de hauteur. Tout le résultat des fouilles le démontre, on a construit ces bâtiments sur les anciennes habitations des esclaves qui s'étaient réfugiés sur le point le plus haut - ou le moins bas si vous préférez - de l'île puisqu'en période cyclonique, on se doute qu'ils ne devaient pas être beaucoup protégés. Il y a eu aussi des perturbations que mettent à jour les fouilles de l'équipe de Max Guérout qui ont été surajoutées par l'ère moderne. Il n'empêche que tout autour du bâtiment - et là j'ai eu la chance d'aller saluer l'équipe de Max Guérout au moment où ils refermaient les trous et les découvertes qu'ils avaient faits sur l'île - il y a un immense espace sur lequel effectivement on pourrait envisager que ce soit un lieu de mémoire. Je pensais, à titre personnel mais toutes les idées sont les bienvenues, qu'on pourrait faire une création contemporaine. Un geste qui pourrait, effectivement, dans le prolongement des idées humanistes qu'a rappelées Françoise Vergès, non pas être triste mais quelque chose qui soit un hymne à la vie, un hymne à la liberté et à la rébellion. On pourrait imaginer qu'à cette occasion, soit la France, soit l'UNESCO, soit les deux - dans des formes à déterminer - nous pourrions faire un geste architectural fort. Bien sûr il ne défigurerait pas l'île, et marquerait à jamais qu'ont tenté de survivre des hommes et des femmes qui auraient souhaité rester libres.

Mme Françoise Vergès - Justement, ce qui est formidable, c'est cet aspect absolument social qui s'organise, la cuisine... Irène Frain rappelle que quand les sept femmes survivantes sont emmenées, elles vont ranger la cuisine avant de partir. Elles vont mettre les choses en ordre. Ce geste est un geste absolument formidable, c'est un geste de société. Ce ne sont vraiment pas des personnes réduites à l'état de meubles comme on voudrait le faire croire. Et puis le fait que ce soit sept femmes qui aient survécu avec un bébé est aussi un élément intéressant.

IV. UN EMPLACEMENT PRIVILÉGIÉ POUR LES SCIENCES DE L'UNIVERS

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Nous allons maintenant aborder la partie scientifique de notre colloque. En guise d'introduction, je souhaiterais rappeler qu'historiquement les TAAF comprenaient un service de recherche. Ensuite, a été créé, et je crois que cela a été une très bonne chose, un institut spécialisé en matière de recherche, qui s'appelle maintenant l'Institut Polaire Paul Emile Victor, et qui, en fin de compte, est le bras armé de la recherche en Antarctique et en Subantarctique. Lorsque les Eparses ont été intégrées aux TAAF, nous n'avions ni le service scientifique en interne, ni bien sûr la compétence géographique de l'IPEV. L'IPEV, et je tiens à les remercier, nous a beaucoup aidé lorsqu'il a fallu programmer les programmes scientifiques du Marion Dufresne. Il avait fourni des contacts avec le CNRS pour mettre en place les comités de sélection et je tiens publiquement à les remercier de leur concours extrêmement précieux.

D'ailleurs, nous avons demandé à Françoise Gail, directrice de l'INEE, ainsi qu'à son collègue Dominique le Queau, directeur de l'Institut National des Sciences de l'Univers (INSU) de nous faire l'honneur de devenir conseillers scientifiques des TAAF et de réfléchir à une stratégie de recherche pour les îles Eparses. L'INEE, en collaboration avec l'INSU, a donc mis en place des comités de sélection et d'évaluation et, en fin de compte, joué le rôle mutatis mutandis que l'IPEV joue à nos côtés en matière antarctique et subantarctique. Je tiens donc d'abord à les remercier d'avoir accepté cette charge. Nous pensons que les atouts et les enjeux des îles Eparses sont tels que nous devons rechercher l'excellence scientifique. Elle existe déjà et nous devons bien sûr l'amplifier. Je crois que ce colloque et d'autres journées qui vont être organisées prochainement sous l'égide du CNRS vont permettre non seulement de faire un état de la recherche mais surtout de bâtir l'ensemble de ces stratégies.

Je vais donner tout de suite la parole à Jérôme Dyment qui va nous parler de recherche en géodynamique dans les îles Eparses.

M. Jérôme Dyment - Dominique le Queau vous prie de l'excuser de son absence. Il souhaitait souligner tout d'abord que l'Océan Indien est une priorité stratégique pour l'Institut National des Sciences de l'Univers pour une raison simple : c'est le seul territoire d'outre-mer où est en train de s'établir un OSU. Ce terme barbare renvoie à une réalité simple : c'est un Observatoire des Sciences de l'Univers, c'est-à-dire la structure de base à l'intérieur des universités sur laquelle s'appuie l'INSU pour mener sa politique nationale. Cet OSU vient juste d'être créé à l'île de La Réunion, sur lequel il est essentiellement basé, avec un certain nombre de partenaires : l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique au service du Développement (CIRAD), l'Institut de Physique du Globe de Paris, et d'autres que j'aurais peur d'oublier. C'est une priorité aussi parce que c'est un endroit où l'on peut faire une recherche intéressante avec des collaborations qui sont tout à fait évidentes. D'une part avec l'Afrique du Sud et avec les pays d'Afrique de l'Est, qui sont des cibles au niveau de l'environnement extrêmement intéressantes, mais aussi avec l'Inde et l'Australie, qui sont des pays qui développent une recherche très importante et de qualité.

Il faut donc utiliser au mieux les îles, que ce soit les îles Eparses dont nous parlons aujourd'hui, ou les îles Subantarctiques, pour comprendre le fonctionnement d'une interaction océan-climat essentielle et encore mal connue. La situation des îles Eparses offre donc des sujets de recherche uniques pour les sciences de l'univers. Quelques exemples : le suivi du plus grand producteur d'aérosol troposphérique du monde, les feux de brousse africains avec des problèmes d'albédo et de modèles climatiques. C'est un observatoire privilégié de l'activité climatique de l'est africain, comme je le développerai juste après. C'est une région où l'on a accès à de très larges transects Nord-Sud pour l'étude du changement climatique, une plateforme unique aussi pour l'étude et le suivi des cyclones bien sûr, un écosystème d'une richesse inégalée pour suivre les évolutions bio et géochimiques de l'océan tropical, et des sites uniques pour l'étude paléoenvironnementale des évolutions de la biodiversité.

Recherches en géodynamique dans les îles Eparses : mouvements et sismicité africaine

M. Jérôme Dyment - Je tiens à rendre hommage tout d'abord aux collaborations avec nos collègues portugais et nos collègues de l'université de La Réunion. Sur cette carte bathymétrique, on peut observer un certain nombre de structures, notamment de grands bassins : on voit bien que la zone française est comprise dans le bassin du Mozambique avec Bassas de India et Europa. Cette structure tout à fait particulière est en fait la Ride de Davie, un des « rails » sur lesquels Madagascar, qui était auparavant collée à la Somalie, a glissé vers le Sud pour atteindre sa position actuelle il y a maintenant plus de 110 millions d'années. L'autre grand bassin est le bassin de Somalie, où se trouvent les ZEE de Mayotte et des Glorieuses. Et enfin le bassin des Mascareignes dans lequel se trouve Tromelin qui en occupe le centre, et La Réunion.

Le décor est planté, voyons maintenant quelques questions. J'en ai relevé quatre, mais il y en aurait bien plus : l'extension méridionale du rift est-africain et de la ligne de plaque Nubie-Somalie, les relations faunistiques entre l'Afrique et Madagascar, l'origine du volcanisme qui a créé les îles, le processus de construction et de destruction de ces îles et aussi bien sûr les ressources minérales et énergétiques potentielles qui font évidemment partie du champ que couvre l'INSU.

1) L'extension méridionale du rift Est-Africain

Cette carte - où chaque petit point rouge est en fait un séisme -vous montre toute la région de l'Afrique de l'Est de la plaque Somalie. Ces petits points rouges, ces séismes, délimitent des frontières de plaques. Il reste essentiellement le rift est africain mais aussi, en continuation de ce rift est africain, un certain nombre de structures vers le sud qui atteignent le bassin du Mozambique et la Ride de Davie. Il y aurait donc une frontière de plaques qui se continuerait, mais l'endroit où elle rejoint la dorsale ouest indienne n'est pas très bien défini dans cette carte de sismicité. Se pose la question de cette limite de plaque et des relations entre les deux plaques. Les flèches grises que vous voyez sur ce document sont en fait les mouvements relatifs à l'Afrique fixe, qui sont déterminés par des stations GPS en quelques points. Il y en a très peu : à La Réunion, aux Seychelles, en deux points du Kenya et en Afrique du Sud. A partir de ces mouvements, nous calculons le mouvement de l'ensemble de la plaque Somalie en considérant qu'elle est rigide par rapport à la plaque Nubie considérée comme fixe. Nous essayons également de retrouver les pôles de rotation, puisque tout mouvement d'une plaque rigide sur une sphère est toujours une rotation et donc peut être décrite par un pôle. A un certain nombre de hauteurs différentes, se trouvent des pôles différents : ce sont ces points de couleur qui montrent qu'on ne connaît pas encore très bien ces mouvements d'une part et, d'autre part, que l'on ne sait pas très bien si ces mouvements sont focalisés sur une limite de plaque -on le voit bien au nord dans le rift est africain- ou affectent une zone relativement vaste de déformation.

C'est ce point que nous avons abordé par un projet qui a pu être commencé dans le cadre du tour des îles Eparses, tour qui a eu lieu sous l'égide des TAAF en 2009. Ce projet consistait en l'installation de nouvelles stations GPS de part et d'autre de cette Ride de Davie, pour voir si cette ride est une structure qui agit comme une limite de plaque -donc focalise l'essentiel de la déformation- ou si au contraire la déformation est relativement distribuée. Nous nous sommes associés avec des collègues portugais qui, ancienne puissance coloniale oblige, disposent d'un certain nombre de stations GPS -comme vous le voyez ce sont les croix rouges- au Mozambique et aussi -là ce n'est plus de l'histoire coloniale- à Maurice, avec lesquels ils ont des accords. Nous sommes associés aussi avec nos collègues de l'université de La Réunion, qui disposent d'une station GPS, et qui envisagent d'en installer à Mayotte et aux Comores. Les nouvelles stations se trouvent à Juan de Nova et à Europa, donc de part et d'autre de cette grande structure qu'est la Ride de Davie. Ces nouvelles stations sont des piliers de béton, totalement fixes puisqu'on cherche à mesurer des déplacements très petits, centimétriques. Ils doivent donc être fortement enracinés en profondeur. Une des difficultés sur les îles est l'absence d'énergie abondante. Il a donc fallu amener des panneaux solaires, qui sont une ressource largement disponible. Ces stations sont donc, d'un point de vue environnemental, tout à fait correctes. Elles ne nous ont pas encore donné de résultats, nous les attendons avec impatience. Lors d'une prochaine relève, les personnels de la Défense, les gendarmes qui se trouvent sur place ont quelques consignes et devraient nous remettre les données précieuses que nous cherchons.

J'ajoute que l'installation de ces stations fut laborieuse, les températures étant très élevées, dépassant même un jour les 40 degrés. Ils ont vraiment fait de l'excellent travail et nous attendons ces données avec impatience.

2) Les relations faunistiques entre l'Afrique et Madagascar et le rôle possible de la Ride de Davie

Madagascar présente une faune extrêmement particulière comme chacun sait, qui provient probablement d'Afrique mais qui a effectivement évolué de manière très différente de par l'isolement. C'est quelque chose de bien connu et les lémurs, sont une espèce emblématique de cet isolement puisque ce sont des espèces qui sont toujours à Madagascar et qui maintenant n'existent plus en Afrique. Cependant, il est très probable qu'ils viennent d'Afrique. Il y a un certain nombre de théories par le passé qui supposaient qu'ils aient pu venir en Afrique sur des radeaux naturels (troncs d'arbre arrachés lors de tempête). En fait, cela n'est pas possible car les vents et les courants sont contraires, et certains auteurs ont montré de façon statistique qu'il était absolument impossible que sur la période de temps considérée, deux lémurs - il faut forcément un mâle et une femelle si l'on veut perpétuer l'espèce - aient pu traverser ensemble au même moment, puis arriver au même point du Canal du Mozambique pour se retrouver et fonder l'espèce de l'autre côté.

Il fallait donc trouver une autre solution. L'autre solution est effectivement de penser qu'il y ait pu avoir des ponts continentaux. La Ride de Davie aurait pu jouer le rôle de pont continental. Nous nous sommes basés sur des données du BHO Beautemps-Beaupré -Bâtiment Hydrographique et Océanographique de la marine nationale-, qui a réalisé en 2003 une campagne d'essais tout autour de l'Afrique. Grâce à ces données, nous nous sommes rendu compte qu'il y a des reliefs extrêmement intéressants sur la petite partie du lever de la Ride de Davie, notamment ces espèces de ravines. Ces ravines n'auraient pas pu exister si la Ride de Davie, qui est maintenant à 800 mètres, était restée sous l'eau. Elles témoignent probablement d'une érosion, et donc du caractère aérien ou subaérien de cette ride à une période de son histoire. Effectivement, si elle est subaérienne à une époque, les lémurs ont probablement pu la traverser à pied sec ou au moins en partie à pied sec pour se retrouver à Madagascar. Ce lever est encore extrêmement limité, il s'agit de données parcellaires. Un de nos grands projets est de continuer ce lever et de pouvoir aboutir sur ce problème.

Origine du volcanisme ayant créé les îles : processus de construction et de destruction

Les îles Europa, Bassas de India et Juan de Nova situées sur la façade du côté Mozambique de Madagascar ont probablement été créées par un épisode de volcanisme majeur il y a 88 millions d'années, qui a recouvert dans des éruptions probablement semblables à ce qui s'est passé ensuite en Inde ou ce qui s'est passé au Groenland, ou ce qui se passe presque aujourd'hui en Islande, mais probablement dans un temps beaucoup plus court que la formation de l'Islande. Un épisode de volcanisme majeur qui, probablement, recouvre toute l'île. L'érosion a ensuite fait son oeuvre sur Madagascar. On ne trouve de trace de ce volcanisme que sur les bords, mais ces îles sont peut-être des témoins de cet épisode, ce qu'il faudrait vérifier.

Tromelin est une île qui se trouve très proche d'une dorsale fossile dans le bassin des Mascareignes. Cette dorsale a ouvert le bassin des Mascareignes, que l'on trouve du côté oriental de Madagascar. Le volcanisme alcalin, abondant et localisé, et qui est souvent associé à des dorsales fossiles de ce genre, pourrait donc être lié à l'arrêt de l'accrétion dans ce bassin des Mascareignes il y a 62 millions d'années. C'est encore un élément à vérifier, car nous n'avons aucune roche de Tromelin, et nous ne savons donc pas si cet épisode est effectif. Enfin, les Glorieuses pourraient tout à fait être associées, c'est même très probable, à un épisode de volcanisme de point chaud survenu il y a 30 millions d'années. Le point chaud était situé au nord de Madagascar, et la plaque s'est progressivement déplacée au-dessus de ce point chaud Il est maintenant situé sous le volcan du Karthala, volcan extrêmement actif, situé sous la grande Comores. De nouveau, pour vérifier que les Glorieuses se sont bien formées de cette manière-là, il nous faudrait des roches. J'insiste donc sur la nécessité d'échantillons de roches qu'il serait possible peut-être d'obtenir par dragage sur les flancs des îles ou même le cas échéant, par forage dans les îles.

La construction et la destruction des édifices est ensuite un problème extrêmement intéressant. On peut observer l'érosion, avec des ravines, les déstabilisations de pentes, l'accumulation et la descente de gros blocs, très rapidement le long des pentes. Est-ce que ces structures sont des petits volcans ? Est-ce que ces structures sont des blocs effondrés ? Il faudrait le vérifier.

Les ressources minérales et énergétiques potentielles

Il y a un début d'exploitation de pétrole sur la marge malgache qui est très proche. C'est probablement le seul endroit des îles Eparses où il pourrait y avoir un petit espoir au niveau pétrolier. Au niveau minerais, dans des contextes semblables, nous avons trouvé dans d'autres endroits du Pacifique des encroûtements de manganèse très cobaltifères. La France dispose notamment en Polynésie des encroûtements les plus riches.

Il faudrait voir s'il n'y a pas d'encroûtements similaires sur ces îles. Tout ceci est pure spéculation à ce niveau. Tout reste à faire dans ce domaine, avec évidemment des risques de déstabilisation environnementale d'une part, mais aussi de déstabilisation géopolitique régionale si des ressources étaient effectivement avérées. Les pays voisins, qui pour l'instant n'ont pas forcément beaucoup d'intérêts pour ces territoires, les verraient peut-être différemment.

Je conclurai en disant que les îles Eparses représentent un terrain de recherche très intéressant pour la géodynamique et les sciences de la Terre, qui permet la compréhension de mouvements horizontaux, mais aussi de mouvements verticaux comme les mouvements de la Ride de Davie qui ont pu permettre le passage des animaux qui ont ensuite peuplé Madagascar, des processus de mise en place et de destruction des îles volcaniques, ainsi que la recherche de ressources minérales. Les moyens à mettre en oeuvre sont bien connus. Il s'agit d'une part des navires de la flotte nationale océanographique qui permettent de réaliser les données bathymétriques et géophysiques essentielles autour des îles, et éventuellement les dragages. Il s'agit, d'autre part, de stations d'observation : les GPS que vous avez vus, la sismologie -j'ai vu qu'il y avait une station du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur une des îles, ce qui est très bien, peut-être faut-il aller plus loin- et enfin la réalisation de forages sur les îles afin d'échantillonner les roches de leurs soubassements.

Les îles Eparses : un transect Nord Sud étendu, pour comprendre de la dynamique climatique dans l'Océan Indien

Mme Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CNRS, membre du conseil consultatif des TAAF - Sachant que je travaille plutôt d'habitude sur l'histoire des climats du passé, et plutôt en zone polaire, je vais poser un regard relativement distant sur l'intérêt stratégique des îles Eparses et plus généralement du transect en latitude qui est vraiment exceptionnel dans l'hémisphère sud.

Afin d'illustrer le rôle de l'Océan Indien ouest dans la machine climatique globale, cette carte représente de manière schématique dans un modèle de circulation générale de l'océan, les courants marins : en rouge, les eaux de surface chaudes, en bleu, les eaux de fonds froides. La zone autour de Tromelin est à la convergence d'un ensemble de courants marins, de plusieurs branches de la circulation thermo-aline globale. En dessous de l'Afrique du Sud se forme le courant des Aiguilles, qui est la route chaude des eaux océaniques qui remontent de l'hémisphère sud jusqu'à l'Atlantique nord, et alimente ainsi le gulf stream , la dérive nord atlantique puis, à travers la plongée des eaux profondes, le grand tapis roulant des eaux mondiales.

On voit immédiatement que cette zone, ce transect de l'Océan Indien vers l'Atlantique sud, est une zone extrêmement importante en ce qui concerne la circulation océanique globale. Dans l'Océan Indien sud, on a également une zone extrêmement importante de couplages, d'échanges entre des eaux chaudes et l'atmosphère qui est au-dessus de ces eaux. C'est également une zone particulièrement vulnérable en termes de changements de contenus thermiques, de températures et donc de dilatation. Cela produit un effet très important sur le niveau des mers locales.

L'observation par satellite de la température dans la zone du courant des Aiguilles sur une dizaine d'années indique des changements de température en surface de cette zone de l'ordre de 0,5 degré, ce qui est extrêmement considérable sur une décennie. On observe également des changements de température jusqu'à 2000 mètres de profondeur dans la zone. Cette zone est donc en plein bouleversement, particulièrement vulnérable au niveau du climat lui-même mais également, bien sûr, pour les écosystèmes qu'elle abrite.

Elle fait l'objet de projets internationaux majeurs. Le projet de suivi de l'Océan Atlantique sud pour la circulation thermo-aline globale fait partie des priorités du groupe mondial de travaux sur l'océan.

Atmosphère

Lorsque l'on se situe au niveau des îles Eparses, par exemple du côté d'Europa, nous sommes en fait situés sous les panaches des feux de forêt d'Afrique de l'est. Cela représente une contribution extrêmement importante en termes d'aérosols par la combustion des forêts, contribution également très importante en termes de méthane ou de monoxyde de carbone, gaz à effet de serre. Il y a un enjeu à instrumenter ces îles pour le suivi à la fois sous forme d'instrumentation spatiale, de LIDAR, des aérosols mais également à la surface des concentrations de gaz à effet de serre.

C'est une zone de forte formation cyclonique, qui joue un rôle d'alerte par rapport au reste de l'Océan Indien, avec un enjeu de vulnérabilité et de prévision du risque et de l'aléa cyclonique.

En observant la dynamique de l'atmosphère dans la zone au mois de février ou au mois d'août, on voit que c'est une zone fortement influencée par le régime de mousson. Aussi bien du côté de l'océan, avec la circulation thermo-aline mondiale, que du côté de l'atmosphère avec le régime des moussons, cette zone de l'Océan Indien est critique pour les échanges entre l'Hémisphère Sud et l'Hémisphère Nord. Il y a peu de zones de ce type-là dans le monde. C'est vraiment une zone extrêmement importante dans cette dynamique climatique.

Dans l'Océan Indien, on a également un mode variabilité particulier qu'on appelle le mode bipolaire indien. C'est une sorte de mini « el Niño » qui est spécifique à cette région, qui est affecté par les événements « el Niño » et qui, par exemple, en prolonge les effets régionalement. A titre indicatif, il y a actuellement un événement « el Niño » qui démarre dans l'Océan Pacifique donc on en verra probablement les conséquences pour les mois et les années à venir.

Autre point extrêmement important, on observe, sur ce transect de l'Océan Indien, une forte variabilité autour de l'Antarctique. C'est ce qu'on appelle le mode annulaire, qui change l'intensité des vents d'ouest. Ces changements de la dynamique de l'atmosphère autour de l'Antarctique ont un effet sur le bilan thermique de l'Océan Indien sud, donc la température de la mer. Cette circulation de l'atmosphère et de l'océan a un impact sur la température de l'Océan Indien nord et, par là, sur les moussons. Plusieurs travaux récents montrent une relation assez étroite entre l'intensité des moussons asiatiques, le débit des fleuves chinois et toute cette dynamique des vents d'ouest autour de l'Antarctique et de la température de l'Océan Indien. Cette zone est fondamentale pour la prévisibilité saisonnière. Mieux connaître en temps réel l'évolution des températures et de la structure verticale de l'océan et de l'atmosphère est essentiel pour prévoir à quelques mois, voire à la saison, l'intensité des moussons sur l'Australie, l'Afrique de l'Est, l'Inde et l'Asie du Sud-est.

La présence française et l'observation météorologique continue sont exceptionnelles dans cette zone. Les observations sont de qualité, grâce à des observateurs permanents, par exemple à Tromelin avec des radiosondages qui complètent les observations, en Terre Adélie ou sur les îles de Kerguelen. Ces observations météorologiques sont importantes pour la prévision météorologique et leur observation continue dans la durée prend tout son sens lorsque l'on étudie l'évolution du climat. La qualité et la durée de ces observations en font des ressources exceptionnelles pour le climat. A titre d'exemple, je prendrais la péninsule antarctique, le centre de l'Antarctique et les îles australes : en Antarctique, de 1960 à 2000, on observe peu de tendance au réchauffement et une très forte variabilité d'une dizaine d'années à l'autre. Sur la péninsule antarctique, le réchauffement est très net, très marqué, ainsi que la très forte variabilité de plusieurs degrés d'une décennie à l'autre. Au niveau des îles australes, on observe beaucoup moins de variabilité, et l'inertie de l'océan qui entoure ces îles. On détecte de manière beaucoup plus robuste ce réchauffement d'environ un degré, qui est très marqué dans la zone sur une cinquantaine d'années. La situation est similaire du côté des îles Eparses. On détecte de manière beaucoup plus robuste ce changement climatique parce que la variabilité d'une décennie à l'autre y est moins forte.

Concernant l'observation de l'Océan Indien, le système d'observation international coordonné de l'Océan Indien va être réalisé progressivement sous forme de déploiement de stations de mesure automatiques, de bouées dérivantes, de systèmes de planeurs, etc. La France prend en charge une des branches du réseau de balises pour la prédiction des moussons. Il y a une complémentarité entre l'imagerie de l'atmosphère avec les radiosondages à Tromelin et l'imagerie de l'océan avec ce système de bouées et éventuellement de sondages marins. Et il y a également des efforts logistiques à coordonner, ainsi qu'un besoin de rotations pour l'entretien annuel de ces systèmes de balise. Il y a une vraie demande de rotations de navires océaniques fréquents dans la zone.

Je mentionne également ici le réseau qui concerne le Canal du Mozambique avec un réseau international pour des mesures océanographiques de long terme. Les recherches sur le climat ne demandent pas seulement une campagne ponctuelle, elles demandent des instrumentations homogènes dont l'observation est poursuivie sur plusieurs décennies. Cela fait vraiment partie de la mission de surveillance de cette zone.

Enfin, les îles Eparses sont une zone qui fait rêver les paléoclimatologues. Pourquoi ? A cause des coraux qui sont préservés, qui n'ont pas été affectés par les effets anthropiques, comme la pêche. Les coraux offrent un potentiel exceptionnel pour aller au-delà de la période météorologique -50 ans de mesures dans le meilleur des cas- et pour connaître l'évolution passée de la dynamique de l'Océan Indien et du Canal du Mozambique. Elles représentent vraiment un potentiel exceptionnel. Cette zone est également unique pour permettre de caractériser les variations passées des niveaux marins. Les coraux permettent d'accéder à des informations très précises sur ces variations passées, et ce site offre vraiment le potentiel pour compléter d'autres zones étudiées par les équipes françaises, par exemple à Tahiti.

Une étude hollandaise qui a porté sur trois sites a d'ailleurs permis d'estimer les variations de température dans l'Océan Indien grâce à des sites du côté de Mayotte, des Seychelles et du Kenya. Mais on manque de sites exactement à la latitude des îles Eparses.

Pour finir, projetons-nous un peu vers l'avenir. Que peut-on dire de l'évolution future du climat dans la zone ? Les projections régionales autour du scénario A1B du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat établissent un réchauffement global de 2,7 degrés à l'horizon de la fin de ce siècle. Deux saisons  sont présentées : décembre-janvier-février et juin-juillet-août.

Premier point à souligner dans la zone de l'Afrique australe, le réchauffement observé en noir est supérieur à ce que montrent les modèles de climat. Sur les cinquante dernières années, il a été plus marqué dans cette zone que dans les calculs climatiques, C'est donc une zone qui réagit vite.

Deuxième point : au niveau de l'eau de mer, le réchauffement dépasserait les deux degrés. Cela aurait des conséquences extrêmement importantes puisque la température de la mer pourrait dépasser les 28 degrés et peut-être atteindre les 30 degrés mais aussi des conséquences extrêmement importantes pour les symbioses entre les coraux et les algues par exemple.

En ce qui concerne les précipitations dans cette zone, les différents modèles pour la saison humide -décembre-janvier-février- et pour la saison sèche sont assez peu cohérents. L'ensemble des modèles de climat suggère une forte diminution des précipitations, pouvant atteindre 15 à 20 % dans cette zone. Cela demande à être raffiné. Il faut développer des modèles régionaux de l'océan et de l'atmosphère pour vraiment suivre à l'échelle des écosystèmes les perturbations à venir. D'énormes interrogations pèsent sur l'évolution de la variabilité intra-annuelle, notamment sur les cyclones. Des observations sont nécessaires pour améliorer cette modélisation.

Enfin, les îles Eparses offrent un potentiel extraordinaire pour évaluer la vulnérabilité de ces îles coralliennes. Certaines sont peuplées, celles-ci ne le sont pas. Elles offrent l'avantage d'être des sites naturels donc des sortes d'observatoires privilégiés. Il y a par exemple actuellement la mise en place d'un suivi hydrogéologique de la fine couche d'eau douce des îles Glorieuses afin de comprendre comment elle est affectée par les hauts niveaux des mers, par les marées, par la montée du niveau des mers pour ensuite en faire un modèle et projeter, raffiner les calculs de vulnérabilité pour le futur.

Ce transect qu'offrent les TAAF, qui s'étend jusqu'aux îles Eparses, est une zone-clé pour les échanges interhémisphériques, à la fois pour ce qui concerne la circulation océanique globale mais également le flux de mousson qui relie Hémisphère Nord et Hémisphère Sud. Notre connaissance en est également marquée par un manque d'observations spatiales, qui permettrait de mieux comprendre les processus et de les prévoir. Un soutien logistique est nécessaire pour la continuité de ces observations. Côté météorologique comme côté océanographique, on peut faire mieux, notamment en augmentant l'instrumentation automatique autour du suivi des panaches de pollution, aussi bien en termes d'aérosols que de gaz à effet de serre. Il y a un potentiel exceptionnel peu utilisé pour l'instant pour caractériser les changements climatiques passés et également la vulnérabilité. Il y a un message à faire passer, au sujet de cette forte expertise française sur la zone, sur les reconstructions, les observations, la modélisation de l'océan et de l'atmosphère dans le secteur de l'Océan Indien. Ces équipes souhaitent vivement être associées à de nouveaux projets, de nouvelles campagnes et des moyens logistiques pour pouvoir conduire des recherches innovantes. Il y a des partenaires-clés, à travers par exemple l'Association des Sciences Marines sur le secteur de l'Océan Indien ouest -Madagascar, le Kenya par exemple- mais également d'autres partenaires comme l'Afrique du Sud ou les Pays-Bas, qui ont une forte maîtrise océanographique dans le Canal du Mozambique.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Les îles Eparses constituent une zone exceptionnelle sur le plan du climat, que ce soit au niveau de l'eau -température, courants- comme au niveau atmosphérique. Alors pourquoi y a-t-on installé des systèmes automatiques ? La zone d'Europa, où se forment des cyclones, mériterait certainement des réactions différentes en fonction du temps. En fonction de la formation ou non d'un cyclone, il faudrait pouvoir faire des mesures à différents niveaux atmosphériques ou au niveau des courants marins. D'autant plus qu'on peut voir un lien avec ce qui se passe en Afrique. Voilà pourquoi je me demande s'il n'y aurait pas quelques efforts à faire dans ce sens.

M. Gérard Le Bars, responsable des observations en outre-mer à Météo France - Sur l'automatisation, on peut dire beaucoup de choses. Je pense que les moyens d'observation évoluent au fil du temps. Il fut un temps effectivement où on disposait d'observations pratiquement uniquement humaines. Maintenant, les sources d'information sont multiples, notamment grâce aux satellites météorologiques qui donnent une information de qualité, à haute fréquence. C'est donc un élément important pour la prévision et l'observation des cyclones. Ensuite, les progrès technologiques ont permis de faire des observations de manière optimisée puisqu'il y a toujours cet élément à prendre en compte dans des zones où il est extrêmement coûteux de mettre en place des personnels. Donc ces informations sont obtenues de manières quasi automatiques avec une sensibilité et une performance qui sont au moins équivalentes à celles qu'on connaissait auparavant et même dans certains cas, supérieures.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Il y a du personnel à Tromelin.

M. Gérard Le Bars - Tout à fait. Sur un certain nombre de sites des îles qui ont été mentionnées, il y a des stations automatiques qui permettent de mesurer des paramètres météorologiques au niveau du sol. Sur l'île de Tromelin, des personnels de Météo France assurent à la fois une observation de surface et également des lâchers de ballons sondes de manière régulière pour obtenir des profils verticaux jusqu'à des altitudes aux alentours de 20 kilomètres. Les progrès techniques nous permettront peut-être de faire les choses de manière identique, peut-être même de manière améliorée et sans doute à coût moindre dans les prochaines années. Pour l'instant, c'est encore une observation humaine avec une présence de Météo France.

M. Philippe Lemercier, IFREMER - J'ai à la fois un commentaire et une question. Sur l'ensemble des présentations qu'on a eues cet après-midi, je dissocierai deux types de présentation. Les premières ont mis largement en évidence, l'intérêt, le contexte géostratégique très important pour la France des îles Eparses. Phénomène d'ailleurs amplifié avec l'évolution institutionnelle de Mayotte. Puis un ensemble de présentations scientifiques ont montré, cela a été répété plusieurs fois, le formidable enjeu scientifique que représente cette zone pour la France dans des domaines extrêmement différents. Nous avons parlé des ressources marines, de l'exploitation durable des ressources halieutiques, de la paléoclimatologie, des géosciences etc. Il y a clairement une compétence, une expertise française très importante, de nombreux projets qui rassemblent à chaque fois différents organismes, plus ou moins coordonnés dans leur formulation. Je reprends ce qu'a dit Monsieur le préfet au début de la réunion : « Ne parlons pas des moyens, ce sont des choses qui sont importantes, on verra après. Quelle est d'abord notre ambition ? Que veut-on faire ? » Je pense que justement ces deux points mettent en évidence qu'il est peut-être opportun d'essayer de réfléchir à une dynamique pour essayer de définir ce que j'appellerais pompeusement « un grand projet scientifique français dans la zone ». Je dis bien français mais avec vocation évidemment de fédérer les pays de la zone et je soumets cette réflexion à cette assemblée, cela me paraît opportun.

M. Rollon Mouchel-Blaisot - Monsieur le directeur, les moyens nous préoccupent mais je ne voulais pas amputer le temps de parole de nos éminents intervenants parce que je risque d'être extrêmement long sur le sujet. Je suis tout à fait d'accord avec votre approche, mais je voulais dire qu'on ne parle pas des moyens tout en sachant que l'accès à ces îles est très difficile, et coûte très cher. Nous sommes très sollicités pour refaire une rotation du Marion Dufresne mais je ne pourrai pas en décider à la légère vu les enjeux financiers d'une telle rotation. On connaît les préoccupations des forces armées, l'essoufflement à terme d'un certain nombre de moyens logistiques notamment aériens pour les transalls qui sont en bout de course. Nous sommes confrontés à un certain nombre de préoccupations à moyen et à long termes.

Nous souhaitons d'abord bâtir un projet qui ne soit pas irréaliste mais qui tienne compte d'une double réalité : réalité logistique et réalité climatique. Ce colloque a donc pour vocation de contribuer à alimenter ce qui commence à s'esquisser. Il m'arrive de lire des articles de presse qui parlent des Eparses, en les surnommant « les restes des confettis de l'Empire ». C'est une expression que je n'admets pas. En étudiant tous les enjeux dont nous avons débattu cet après-midi, ainsi que les aspects biologie, biodiversité et sciences naturelles que nous allons aborder, on constate que ces îles très lointaines n'ont jamais été aussi proches de nos préoccupations. Nous bâtissons donc une stratégie, comme un projet de territoire. Ensuite, avec nos amis militaires et les autorités ministérielles concernées, nous étudierons quels moyens peuvent être mis en place, en les mutualisant, pour permettre non seulement la sauvegarde et la conservation de ces îles, mais aussi pour en faire des bases scientifiques beaucoup plus permanentes au service d'un projet. Mais soyez rassurés, la préoccupation des moyens reste au coeur de mes préoccupations.

V. UN OBSERVATOIRE UNIQUE DE L'IMPACT DES CHANGEMENTS GLOBAUX SUR UNE BIODIVERSITÉ EXCEPTIONNELLE

a) Les îles Eparses : biodiversité et changements globaux en milieu tropical

M. David Grémillet - On m'a demandé de brosser un rapide tableau de la biodiversité des Eparses face aux changements globaux. Les îles Eparses sont des îles océaniques au sens propre du terme. La mer les nourrit et elles ensemencent l'océan. Je prendrai l'exemple de l'atoll d'Europa qui est né des récifs coralliens qui l'entourent aujourd'hui. Cette barrière de corail protège le lagon qui sert de nurserie à une centaine d'espèces de poissons. Cette même fonction est assurée par les mangroves qui bordent la partie interne du lagon, et le reste de l'île est principalement couvert de buissons, steppe et forêts d'euphorbe. Ce qu'il est important de comprendre, c'est qu'en apparence terrestre, ces zones sont en prise directe avec l'environnement marin. En effet, elles abritent des colonies de fous et de frégates qui les fertilisent de leurs déjections diverses et les tortues marines font de même sur les plages dans lesquelles elles creusent leur nid.

Les Eparses sont de fragiles îlots de biodiversité. Comme vous le savez ? leurs récifs coralliens abritent probablement quelques milliers d'espèces dont seules quelques centaines sont recensées à ce jour : 519 aux Glorieuses et 402 sur Europa. Ces organismes contiennent une multitude de molécules bioactives par exemple, les salarines, dont nous commençons tout juste à découvrir les vertus thérapeutiques. A terre, les inventaires faunistiques et floristiques restent incomplets mais les recensements préliminaires de l'entomofaune -c'est-à-dire les insectes et les arachnides- indiquent que 20 % des espèces trouvées sont endémiques, c'est-à-dire qu'elles n'existent que sur l'îlot qui les héberge. Les Eparses sont aussi et surtout les indispensables sites de reproduction de plus de 6 millions d'oiseaux de 26 espèces avec notamment le premier site de reproduction des sternes fuligineuses de l'Océan Indien et de quelques 15 000 tortues marines, les célèbres tortues vertes imbriquées toutes deux menacées d'extinction. Europa abrite ainsi un des principaux sites de reproduction des tortues vertes au niveau mondial. Oiseaux marins et tortues sont également présents au large et participent à l'écosystème pélagique de la ZEE évoqué par Francis Marsac de l'Institut de Recherche pour le Développement. Ils y côtoient d'autres prédateurs tels que les mammifères marins.

Nous l'avons évoqué, les îles Eparses ne sont pas vierges de toute activité humaine malgré leur protection effective par la France : plantations de sisal, cocoteraies, récolte du guano, pêche, collecte d'oeufs de tortues et d'oiseaux marins - culture pratiquée depuis leur découverte au XVIème siècle. Ainsi, 90 % de la surface de Juan de Nova a été modifiée par les activités humaines. Un dégazage illégal au large de cette même île en 2005 nous rappelle également que les îles du Canal du Mozambique se situent sur une des autoroutes à supertanker les plus fréquentées de la planète. Voyageurs égarés, pirates, colons occasionnels des Eparses furent accompagnés de l'habituel cortège d'espèces invasives tels que les souris, rats, chats, lapins, chèvres. Bien que discrets sur certaines îles, ces aliens sont une menace sérieuse pour la biodiversité des îles Eparses comme Matthieu Le Corre nous l'expliquera dans quelques minutes.

L'isolement géographique ne les affranchit pas des changements climatiques planétaires comme nous venons de le voir. Le réchauffement des eaux de surface des océans provoque déjà le blanchissement d'une partie de leurs récifs coralliens. La montée des eaux généralisée et la recrudescence de cyclones entraînée par ce même réchauffement érodent les plages et menacent d'engloutir des îlots qui ne s'élèvent qu'à quelques mètres au-dessus des flots. Bassas de India est déjà submergée à marée haute.

Vous l'aurez compris, les îles Eparses méritent notre plus grande attention.

•  Il s'agit premièrement d'achever les inventaires floristiques et faunistiques. Ceux-ci sont en partie constitués pour Europa et Tromelin mais restent préliminaires pour les Glorieuses et Juan de Nova. Ces inventaires sont nécessaires à la gestion de ces milieux et au maintien de la biodiversité insulaire.

•  Deuxièmement, il s'agit de tester l'impact actuel des changements globaux par le biais d'une approche pluridisciplinaire à l'interface écologie-physique-chimie, par exemple dans le cadre d'expériences de bouturage corallien.

•  Et finalement, il s'agit de modéliser l'impact des changements à venir afin d'affiner les stratégies de gestion. Par exemple, dans le cadre d'une modélisation de l'impact de l'acidification des océans - vous savez que c'est un phénomène global - sur la calcification et la biodiversité des récifs coralliens.

L'ensemble de ces activités permettront de renforcer les programmes de gestion des écosystèmes aussi bien à terre, dans le cadre de réserves naturelles, qu'en mer dans le cadre des aires marines protégées en collaboration avec l'agence du même nom. De manière plus générale, très peu d'écosystèmes peuvent être considérés comme vierges. Une étude publiée dans Science l'an passé illustre l'impact des activités humaines sur l'aquasphère. Vous voyez ici les zones les plus fortement touchées en rouge comme le Nord de la mer du nord et les zones les moins touchées en bleu comme par exemple la Mer de Ross en Antarctique. Les îles Eparses font partie de ces zones en transition. C'est-à-dire qu'elles sont actuellement en train d'être touchées par l'impact des activités humaines. Mais pour certaines d'entre elles, elles se rapprochent encore de la description qu'en donne Le Clézio « tout est neuf, comme au premier jour du monde ». Si on traduit cette vision romantique en termes scientifiques, on peut dire que les Eparses -ou tout du moins certaines d'entre elles- sont très proches du point zéro, d'une virginité ancestrale. La connaissance de ce niveau de base est d'une importance capitale pour la communauté française de recherche en écologie. En effet, lui seul permet d'évaluer l'impact actuel des activités humaines sur la biosphère et plus particulièrement sur les milieux insulaires tropicaux.

En effet, les îles Eparses font partie d'un gradient d'anthropisation et également d'un gradient latitudinal au sein de l'Océan Indien. Il vient compléter un réseau d'observatoire du vivant qui va de la Terre Adélie, avec la base de Dumont d'Urville, par 67 degrés sud, jusqu'aux Glorieuses par 11 degrés sud, en passant par Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam. Un tel réseau transversal est unique au monde. Vous l'avez vu, les activités de recherches en écologie sont en cours de développement dans les îles Eparses. Elles sont soumises aux contraintes logistiques évoquées par Monsieur le préfet. Cette année, suite à l'appel d'offres des TAAF pour la campagne du Marion Dufresne dans les Eparses en collaboration avec l'IPEV, 24 équipes ont déposé des dossiers de recherche dans ces territoires et 13 furent financés. Cet intérêt soutenu témoigne du très fort potentiel scientifique des Eparses et de leur caractère exceptionnel pour la recherche française en écologie.

b) Les oiseaux marins des îles Eparses face aux changements globaux

M. Matthieu Le Corre - Je suis enseignant-chercheur à l'université de La Réunion, directeur adjoint du laboratoire ECOMAR et je suis venu vous parler des recherches que je mène avec toute une équipe sur la biodiversité dans les îles Eparses et en particulier sur les oiseaux marins.

Tout d'abord quelques mots sur le laboratoire Ecomar. C'est un laboratoire universitaire de l'Université de La Réunion, spécialisé dans l'étude de l'écologie marine et insulaire tropicale. Nous travaillons dans le cadre de deux axes de recherche.

- D'une part, l'étude du fonctionnement des écosystèmes marins et insulaires tropicaux et l'impact des changements globaux sur ces écosystèmes.

- D'autre part, l'évolution de la biodiversité marine tropicale.

Nous développons ces recherches dans trois types d'écosystème : les récifs coralliens, les îles coralliennes et le milieu océanique. Compte tenu de ces axes de recherche et du type d'écosystème qu'on étudie, il est très clair que les îles Eparses constituent pour nous des sites tout à fait exceptionnels pour le développement de nos recherches. On y trouve des îles coralliennes et des récifs coralliens très peu perturbés, et la Zone Economique Exclusive est, selon les endroits, plus ou moins perturbée.

Le laboratoire ECOMAR est intégré au pôle régional MER de La Réunion. C'est un projet porté par le Conseil Régional de La Réunion, et qui a pour objectif de fédérer les organismes et instituts de recherche dans le domaine des sciences marines à La Réunion : l'Université, l'IRD, l'IFREMER, le BRGM et deux associations locales, l'Arvam et l'Arda.

Les écosystèmes marins subissent mondialement trois changements globaux majeurs. On a déjà parlé d'au moins deux d'entre eux : le réchauffement climatique d'une part, l'augmentation de la pêche industrielle d'autre part et les invasions biologiques en milieu terrestre. L'Océan Indien tropical n'est pas exempt de ces changements globaux. On observe :

• Une augmentation de la température de surface dans l'Océan Indien tropical, cela a déjà été dit.

• Une augmentation très importante de la pêche en général et de la pêche thonière dans la partie occidentale de l'Océan Indien comme l'a dit Monsieur Francis Marsac.

• Des invasions biologiques, qui sont très présentes dans toutes les îles ou quasiment de l'Océan Indien tropical.

Les scientifiques et les gestionnaires de la biodiversité ou gestionnaires des ressources marines ont donc besoin d'indicateurs pertinents pour quantifier les effets de ces changements globaux à moyen et long terme, mais également pour quantifier les effets de leur décision de gestion. Il est donc très important de mettre en place des bio-indicateurs ou des indicateurs sur ces changements globaux.

Pourquoi les oiseaux marins seraient-ils de bons bio-indicateurs ? Je vais essayer de vous expliquer. Tout d'abord, ils ont une particularité tout à fait intéressante pour un chercheur en biologie marine : ils ont un mode de vie partagé entre le milieu marin pour la recherche de leur nourriture et le milieu terrestre pour la reproduction. C'est une caractéristique quasiment unique pour un prédateur marin partagée uniquement par les tortues marines d'une part et les pinnipèdes -c'est-à-dire les otaries et les phoques- d'autre part. Grâce à ces modes de vie terrestre et marin, ces espèces sont en interaction avec les deux milieux. Dans le milieu marin, du fait de leur nécessité de rechercher leur alimentation, ils sont très sensibles aux variations de la production primaire par l'intermédiaire de l'abondance de leurs proies principales, des variations également climatiques, des problèmes de pollution marine et des problèmes de pêche industrielle. Lorsqu'ils sont dans leur phase terrestre -c'est-à-dire pendant leur reproduction- ils sont en interaction avec leur habitat, notamment leur habitat de reproduction : le couvert végétal par exemple. Ils sont également en compétition avec d'autres espèces qui sont plus purement terrestres. Ils sont en interaction avec le climat et notamment les effets des cyclones qui peuvent avoir un impact sur les milieux terrestres. Ils sont également en interaction avec les animaux ou les végétaux qui ont été introduits dans les différentes îles, et notamment les prédateurs introduits. C'est effectivement une problématique très importante dans les îles Eparses. Et ils sont également sensibles aux pollutions terrestres.

En étudiant l'écologie, les comportements et la dynamique des populations des oiseaux marins, on peut voir en quoi ces différents paramètres du milieu marin et du milieu terrestre influent sur nos prédateurs marins.

Quelques mots sur cette thématique. Il faut savoir que nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette idée. En fait, c'est une thématique de recherche en plein développement depuis une trentaine d'années. Vous avez ici le réseau d'observation des oiseaux marins comme bio-indicateurs des changements environnementaux à l'échelle mondiale. Chaque point rouge représente un endroit où il y a eu des séries temporelles, de nombreuses années d'études sur cette thématique « oiseaux marins et environnement océanique » notamment. Ceci représente la zone tempérée, et polaire et ceci représente les zones tropicales et équatoriales. On peut déjà faire une première observation. La zone tropicale est très curieusement sous-étudiée par rapport aux zones polaires ou tempérées pour des raisons historiques, et logistiques également, puisqu'il y a des difficultés logistiques qui ne sont pas propres aux îles Eparses mais qu'on retrouve dans beaucoup d'îles.

Première observation : une sous représentativité des îles tropicales par rapport aux régions polaires et tempérées, qui sont très bien étudiées depuis de nombreuses années. D'autre part, le cadran rouge représente le domaine d'intervention de notre équipe au laboratoire d'écologie marine. On étudie les oiseaux marins en relations avec leur milieu océanique notamment dans l'Océan Indien occidental, dans les îles Eparses bien entendu, et également aux Seychelles avec des collaborations régionales à La Réunion et à Madagascar.

Dans ce réseau mondial, les îles Eparses ont une position tout à fait stratégique et tout à fait essentielle. D'une part parce qu'elles sont tropicales, et peu d'écosystèmes tropicaux sont étudiés de manière durable. D'autre part parce qu'elles sont encore très peu perturbées. On peut donc étudier un effet réserve à l'échelle globale, comparer ces écosystèmes insulaires tropicaux avec des écosystèmes insulaires tropicaux beaucoup plus perturbés par exemple, à La Réunion. L'effet réservé est une thématique tout à fait importante d'une manière générale.

L'Océan Indien occidental est extrêmement riche en oiseaux marins avec 7,4 millions de couples dont 40 % nichent dans quatre îles : Europa, Juan de Nova, Glorieuses et Tromelin, soit les îles Eparses émergées, ces quatre îles-là abritent donc 40 % de la biodiversité en oiseaux marins de l'Océan Indien occidental. C'est tout à fait considérable, avec onze espèces et plus de trois millions de couples. La France a donc une responsabilité essentielle en termes de gestion de la biodiversité si on considère la biodiversité sous l'aspect oiseaux marins en particulier. Je vais vous présenter quelques espèces :

• La sterne fuligineuse est l'espèce dominante dans la région. 47 % des sternes fuligineuses de l'Océan Indien occidental nichent dans les îles Eparses. C'est très important.

• Le paille en queue à brins rouges, une autre espèce d'oiseau marin dont la colonie la plus importante de l'Océan Indien se trouve à Europa avec 3 500 couples.

• Les frégates ariel et les frégates du Pacifique, deux espèces extrêmement sensibles aux perturbations à terre puisqu'elles ont besoin de forêts absolument intactes pour se reproduire bien que ce soient des oiseaux marins. Il ne reste plus que quatre colonies dans l'Océan Indien occidental dont une, la deuxième en importance après l'Aldabra, qui se trouve à Europa.

• Le fou à pieds rouges, également très sensible aux perturbations. Il ne reste que six colonies dans l'Océan Indien occidental dont deux sont dans des îles Eparses : Europa et Tromelin.

• Et enfin, le paille en queue à brins blancs, qui est relativement abondant dans l'Océan Indien occidental mais qui est représenté à Europa par une sous-espèce endémique, très différente des autres populations de l'Océan Indien qui est menacée de disparition du fait de la prédation par les rats noirs en particulier.

Il y a donc un enjeu en termes d'oiseaux marins qui a incité au développement des recherches depuis une quinzaine d'années sur ces espèces dans les îles Eparses et, singulièrement, sur l'île Europa qui est la plus intacte.

Je vais présenter ici quelques résultats sur la thématique « oiseaux marins et changements globaux ». Tout d'abord, la thématique du réchauffement climatique. On étudie depuis plusieurs années dans la région Océan Indien occidental les effets des conditions environnementales sur la reproduction, la croissance, la dynamique des populations et le comportement des oiseaux marins. On a montré par exemple que certaines espèces d'oiseaux marins déclenchent leur saison de reproduction à des moments très précis de l'année, qui correspondent à des moments où la production océanique est la plus importante. Il y a donc des couplages extrêmement étroits entre la production océanique et la reproduction des prédateurs qui ont besoin de cette reproduction océanique pour s'alimenter. Ceci est piloté notamment par les températures de surface. S'il y a une augmentation des températures de surface comme c'est prédit par la plupart des modèles climatiques, on peut s'attendre à un dérèglement de ce fonctionnement des saisons de reproduction des oiseaux marins.

Nous avons également montré, avec Henri Weimerskirch du CNRS et Francis Marsac ici présent de l'IRD, en suivant les oiseaux marins par balises argos que ces oiseaux marins ne s'alimentent pas n'importe où à la surface des océans mais sélectionnent des habitats particulièrement riches. Ces enrichissements sont dus à de grands courants océaniques. Et là aussi, si les changements globaux altèrent ces courants, ces productions océaniques peuvent altérer durablement les comportements de recherche alimentaire des oiseaux marins. Cela peut avoir des conséquences en termes de dynamique de population pour les oiseaux marins.

Autre exemple, en suivant chaque année la croissance de différentes espèces de couffins d'oiseaux marins dans différentes îles de l'Océan Indien occidental, nous avons montré que les années anormalement chaudes -type « el Niño » qui va arriver prochainement- entraîne une diminution de la production primaire régionale, qui altère durablement la croissance des couffins. En observant des courbes de croissance, qui sont des moyennes annuelles, on a observé une anomalie de croissance pendant l'hiver austral 2006, qui correspondait à une anomalie environnementale très marquée avec augmentation de la température et chute de la production primaire. Cela est arrivé aux Seychelles mais on pourrait montrer à peu près la même chose dans la zone du Canal du Mozambique.

Nous avons travaillé avec Francis Marsac plusieurs années sur cette thématique d'une approche écosystémique de la gestion des pêches, et nous continuons bien entendu à collaborer sur cette thématique. Pourquoi s'est-on associés ? Parce que les thons et les oiseaux marins sont eux-mêmes associés de manière comportementale et il est tout à fait pertinent d'étudier les comportements, la démographie et l'écologie des prédateurs associés à des espèces exploitées. Surtout des espèces exploitées à une échelle industrielle, pour voir quelles sont les conséquences de cette exploitation non seulement sur les espèces exploitées elles-mêmes mais sur d'autres espèces qui ne sont absolument pas exploitées mais qui dépendent des espèces exploitées. C'est ce qu'on est en train de développer actuellement. On étudie également les données de tracking , c'est-à-dire de suivi par balises argos des oiseaux marins pour identifier les secteurs océaniques à protéger en priorité dans l'avenir lors de la mise en place des aires marines protégées dont il a été question au début de cette réunion.

Les prédateurs supérieurs se concentrent là où ils ont le plus de chance de s'alimenter et le suivi télémétrique -c'est-à-dire par balises argos ou électroniques- permet de localiser spatialement ces zones d'enrichissement. Ceci va servir pour la future mise en place des aires marines protégées.

Comme il a été dit précédemment, les îles Eparses sont sujettes à des problèmes d'invasions biologiques, de mammifères notamment, introduits volontairement ou involontairement. Nous étudions au laboratoire ECOMAR cette thématique depuis plusieurs années.

Connaissant l'impact de ces espèces dans les écosystèmes, comment peut-on inverser la dynamique ? Comment peut-on faire de la réhabilitation écologique en luttant contre ces espèces invasives ? Vous avez, ici par exemple, des sternes fuligineuses à Juan de Nova qui ont été tuées par des chats. Des chats ont été introduits à Juan de Nova - pour lutter contre les rats, mais c'était une grave erreur de les avoir introduits. Maintenant, nous essayons d'étudier l'impact, et de limiter ses effets.

Nous disposons donc d'études de terrain, d'études en laboratoire, de la modélisation mathématique de la dynamique des populations pour prévoir ce qui pourrait se passer si l'on ne faisait rien, ou si l'on faisait de l'éradication de mammifères introduits. Quelle sera la dynamique du système après une intervention de type dératisation par exemple ? Nous transférons ces informations au gestionnaire des îles Eparses, les Terres Australes et Antarctiques Françaises, en leur proposant des programmes de réhabilitation qui consistent, malheureusement, à éliminer les prédateurs introduits. Dans la plupart des cas, rien de mieux n'a été trouvé pour l'instant mais en tout cas, nous réalisons le suivi a posteriori des opérations de réhabilitation.

Si vous permettez, je voudrais m'écarter un tout petit peu de mon strict champs d'activité pour vous donner mon propre sentiment sur les raisons qui font que les îles Eparses sont réellement des terres d'avenir en termes de recherches en écologie. Tout d'abord, cela a déjà été dit, ces îles Eparses sont dans un réseau mondial d'observation et de suivi des océans et des écosystèmes insulaires. Je vous ai montré cette carte sur le réseau d'observation des oiseaux marins, mais on pourrait faire le même genre de cartes sur d'autres thématiques en écologie et qui concerne la biodiversité. Il y a notamment des réseaux d'observation internationaux sur les tortues marines : la Turtle task force . Il y a des réseaux sur l'étude des pêcheries, sur l'étude des récifs coralliens. Les îles Eparses ont également été intégrées dans des réseaux d'observation et de suivi des récifs coralliens notamment dans le cadre du suivi régional des phénomènes de blanchissement corallien. Ce que nous réalisons dans les îles Eparses sur les invasions biologiques est intégré dans un réseau international des études des invasions biologiques dans les milieux insulaires. Ces îles constituent donc des pièces du puzzle d'un réseau international tout à fait essentiel.

Deuxième point, le rayonnement international de la recherche française en écologie. Pour préparer cet exposé, j'ai complété ma bibliographie et j'ai constaté que plus de 40 publications scientifiques de niveau international -les publications de rang A dans le jargon- ont été réalisées entre 1987 et 2009 à partir des travaux conduits dans les îles Eparses. C'est beaucoup moins que ce qui est étudié par exemple dans les autres districts des Terres Australes et Antarctiques Françaises mais, quand même, il y a un potentiel de recherche tout à fait intéressant, et ceci concerne les récifs coralliens, les tortues marines, l'halieutique, les invasions biologiques et les oiseaux marins. Des thématiques qui sont déjà en activité et qui ne demandent qu'à se développer. Pour la communauté des chercheurs français ou internationaux en écologie tropicale, les îles Eparses et leur Zone Economique Exclusive constituent un laboratoire à ciel ouvert qu'il faut absolument maintenir et maintenir logistiquement.

Enfin, je vais prendre quelques instants ma casquette d'enseignant-chercheur. Je suis professeur d'université, responsable d'un master en biodiversité et écosystèmes tropicaux et, à ce titre, nous disposons avec les îles Eparses d'un réseau de salles de travaux pratiques à ciel ouvert également tout à fait intéressant pour nos étudiants. Depuis 1996, entre deux et cinq étudiants partent chaque année dans une des îles Eparses pour, généralement une mission longue de 45 jours, afin d'intégré dans différents projets, dont ceux dont je vous ai parlé tout à l'heure. Je profite de cette occasion pour citer en particulier le projet du master en collaboration avec les TAAF lors de la rotation du Marion Dufresne d'avril-mai dernier, qui a consisté à faire embarquer des étudiants de notre master biodiversité et écosystèmes tropicaux de l'université de La Réunion. Ils ont participé à l'ensemble de la rotation et ils se sont intégrés à différentes équipes de recherche. C'était pour eux une occasion tout à fait unique de voir les différents aspects de leur futur métier de chercheur ou de gestionnaire de biodiversité en écologie tropicale. Là aussi- en tant qu'universitaire basé à l'université de La Réunion.

Ce réseau d'îles constitue pour nous un potentiel tout à fait intéressant à développer.

Mme Pascale Chasanet - Je suis chercheur à l'IRD sur les récifs coralliens. Je voulais juste parler un petit peu de mon expérience puisque j'ai eu la chance d'aller trois fois dans ces îles, deux fois aux Glorieuses et une fois à Juan de Nova. Les îles Eparses représentent pour nous un observatoire naturel extrêmement intéressant du fait qu'elles soient isolées de la pression humaine directe et qu'elles ont aussi un statut de protection. C'est extrêmement intéressant d'étudier l'impact des changements naturels dont font partie les changements climatiques, mais aussi les cyclones pour bien comprendre quel est l'impact de ces changements naturels par rapport à d'autres cycles qui ont une pression anthropique, comme par exemple à La Réunion où je suis basée.

Ce que je voulais dire aussi, c'est que les îles Eparses représentent vraiment des sanctuaires intéressants. Je travaille plus précisément sur les poissons associés aux récifs coralliens. A chaque mission, nous essayons de faire des inventaires. C'est important, si l'on veut étudier un écosystème, de connaître les espèces qui vivent sur ces écosystèmes. Sur les îles Eparses, Glorieuses et Juan de Nova, plus de 300 espèces de poissons ont été inventoriées, ce qui est assez énorme. En fait, il été communément admis que sur les petits îlots coralliens, même s'ils sont en état de sanctuaire, peu d'espèces sont associées parce que ce sont de petits milieux. Par opposition, par exemple, à la grande barrière d'Australie ou de Nouvelle Calédonie, ce sont vraiment de petits îlots qui ont vraiment une biodiversité complètement exceptionnelle. Je souhaite conclure par une petite anecdote, lors de ma première mission aux Glorieuses en 2002, au premier comptage de poissons que j'ai fait. C'était ma première plongée et lorsque je me suis retrouvée sur mon transect, j'ai sursauté. Il y avait un énorme mérou, de l'espèce des epinephelus lanceolatus , des mérous qui peuvent atteindre trois mètres de long. C'est vrai que je travaille assez souvent sur les milieux dégradés mais aussi sur les milieux exceptionnels comme en Nouvelle-Calédonie, et c'est la première fois de ma vie que j'ai vu cette espèce, que je n'ai plus jamais recroisée. Voilà, je voulais insister sur l'importance de garder ces milieux en tant qu'observateurs naturels.

Mme Françoise Gaill, directrice de l'institut national environnement et écologie - Je pense qu'il est très important de reconnaître que les problèmes actuels -tant sur le plan du changement climatique, du changement global, de l'érosion de la biodiversité- vont nous amener à étudier un certain nombre de zones, d'aires d'océans. A ce titre-là, les îles Eparses représentent des modèles intéressants pour les scientifiques. Intéressants dans différents domaines tant du point de vue des géosciences, des domaines océans-atmosphère, de la biodiversité, de l'écologie mais aussi de la pêche. Si nous avons aujourd'hui un certain nombre de données dans les zones tropicales, il est certain que les îles Eparses -et cela a été montré à plusieurs reprises- sont la région dans laquelle un effort peut encore être fait pour trois raisons.

La première, c'est la situation géographique : près de l'Afrique, au nord de la région subantarctique et donnant l'accès à un océan remarquable qui est l'Océan Indien.

La deuxième, c'est l'histoire de ces îles où finalement il y a très peu de présence humaine. Ce qui veut dire que par rapport à la biodiversité, par exemple, nous sommes en mesure dans l'avenir de pouvoir étudier l'impact de l'activité anthropique sur des zones dont on pourrait dire qu'elles sont naturelles, ce qui est rare.

Je pense que la journée d'aujourd'hui peut commencer à nous permettre de réfléchir sur la manière d'appréhender ces questions-là. Du point de vue scientifique, les organismes de recherche -en particulier le CNRS- sont toujours très lents à agir. La communauté scientifique souhaite toujours réfléchir avant d'agir, ce qui se conçoit parfaitement.

Je voulais remercier aujourd'hui Monsieur le sénateur Christian Cointat et Monsieur le préfet Rollon Mouchel-Blaisot d'avoir attiré l'attention sur un continent encore à l'échelle humaine et sur lequel, à l'avenir, nous pourrions avoir un certain nombre de résultats nous permettant d'éclairer le problème du changement global, du changement climatique, de l'évolution de la biosphère et de nos sociétés.

M. Christian Cointat, président - Depuis 15 heures, nous avons beaucoup travaillé et écouté des interventions extrêmement documentées, passionnantes même. Elles nous ont démontré que les îles Eparses étaient véritablement des atouts considérables pour notre pays. Qu'il fallait bien les connaître pour mieux les comprendre et surtout les protéger, les défendre, permettre à la recherche de se développer, de sauvegarder les systèmes écologiques qui sont encore préservés, ce qui est très rare dans notre monde. Nous avons un joyau que nous voulons garder et voilà pourquoi nous comptons bien sûr beaucoup sur la ministre en charge de l'outre-mer pour que ce joyau soit encore plus beau.

VI. CLÔTURE

Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'Etat à l'outre-mer - Vous faites bien la transition car nous allons vraiment parler des joyaux de l'outre-mer, des joyaux de la France. Je suis naturellement très heureuse d'être parmi vous en cette fin d'après-midi pour parler d'un aussi beau sujet que celui des îles Eparses. J'ai d'autant plus de plaisir à en parler car lorsque j'étais conseillère technique à la présidence de la République, j'ai passé un moment très agréable avec le préfet Mouchel-Blaisot qui m'a parlé de ces territoires pendant deux heures, que je ne connaissais pas, alors que je suis ultramarine. Il faudra d'ailleurs que le préfet m'y emmène, il me l'a promis, mais quand j'aurai une minute, ce qui n'est malheureusement pas garanti compte tenu d'un emploi du temps quelque peu chargé !

Je ne pense pas que ce colloque ait eu d'équivalent dans le passé. A cet égard, je félicite et je remercie très sincèrement le groupe d'études du Sénat d'avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque en étroite association avec les TAAF. Les îles Eparses sont en effet restées dans l'ombre des autres collectivités de l'Océan Indien jusqu'à une époque récente.

Concordant avec la prise de conscience globale de la valeur du vivant, le rattachement des îles Eparses aux Terres australes et antarctiques françaises, depuis 2005, donne un coup de projecteur à ces possessions françaises que le Général de Gaulle avait pris grand soin de conserver. Beaucoup nous envient d'avoir ces territoires. Le choix de les intégrer aux TAAF par la loi organique du 21 février 2007 traduit vraiment la volonté du législateur de faire bénéficier de ces îles, joyaux de la biodiversité mondiale, de l'expérience des TAAF dans la gestion des territoires isolés.

Après plusieurs années sous l'administration des TAAF, ponctuées de deux rotations du navire ravitailleur Marion Dufresne, dont une tournée exceptionnelle desservant toutes les îles cette année, il m'a semblé opportun d'envisager les perspectives d'avenir de ces îles. Ce colloque est donc le coup d'envoi d'une démarche éclairée, collective et prospective au service d'un projet pour les Eparses.

Aussi, après cet après-midi d'échanges dont on m'a dit qu'ils avaient été fructueux, permettez-moi de dégager les priorités et orientations que je souhaite voir mises en oeuvre.

La première priorité qui se dégage est le maintien des conditions d'exercice de notre souveraineté. Celle-ci passe impérativement pour moi par une présence humaine effective. Les forces armées de la zone sud de l'océan indien (FAZSOI) assurent cette mission assumée depuis quarante ans d'une manière exemplaire. On ne saurait mieux illustrer la nécessaire permanence, dans la durée, de la mission de souveraineté.

Mais les temps changent et les priorités fixées par le Président de la République dans le livre blanc de la Défense et de la Sécurité nationale nous amènent à réfléchir à une certaine mutualisation interministérielle des hommes et des moyens. La rotation exceptionnelle du Marion Dufresne est déjà une première réponse apportée à cette nécessaire collaboration. Je reste cependant très attachée à ce que nos forces armées continuent de participer, d'une façon ou d'une autre, à cette indispensable présence dans une région aussi stratégique. J'attache donc la plus grande importance aux travaux du groupe de travail qui s'est réuni le 23 septembre dernier et dont je suivrai, via mon cabinet, les travaux avec beaucoup d'intérêt.

Ma deuxième priorité dans les îles Eparses est la mer. Les richesses de l'océan dont nous avons la responsabilité au travers de nos zones économiques exclusives doivent profiter davantage à l'ensemble de la France, de l'océan Indien, de La Réunion à Mayotte en passant par les TAAF qui en constituent le trait d'union maritime. Ces ressources précieuses ne profitent pas encore suffisamment aux îles françaises riveraines. Dans le prolongement du Grenelle de la mer, nous devons réfléchir aux meilleures conditions pour permettre aux armements locaux de se développer au profit de l'emploi et de l'économie régionale. Dans ce domaine, il convient de souligner le rôle fondamental des services en charge de la police des pêches, élément incontournable d'une gestion raisonnée. Je tiens à cet égard à remercier les services de l'Etat concernés ainsi que la Marine nationale pour leur action dans les îles australes et les encourager à poursuivre les efforts menés actuellement dans les îles Eparses. Vous pouvez compter sur mon plein soutien pour que soient préservés les moyens nécessaires à la surveillance de nos zones maritimes et de leurs richesses.

Ces richesses halieutiques convoitées sont en effet l'une des clés du développement durable de nos outre-mer. C'est aussi une façon de changer le regard de l'outre-mer. Je me félicite ainsi que les TAAF et Mayotte aient signé le 29 avril 2009 une convention en vue d'harmoniser leurs pratiques de pêche et de favoriser un développement durable d'une pêche respectueuse des écosystèmes locaux. Cette avancée est la concrétisation de la récente extension, à nos zones du canal du Mozambique, du concept de « pêche durable et raisonnée » pour la pêche aux thonidés, déjà mis en oeuvre avec succès dans les australes, et j'encourage tous les acteurs à poursuivre dans cette voie. Dans le même ordre d'idées, j'approuve l'objectif d'harmoniser les outils de gestion de l'environnement marin entre le parc marin en création à Mayotte et la future aire marine protégée que les TAAF envisagent dans l'archipel des Glorieuses. C'est pourquoi je souscris pleinement à l'idée du préfet des TAAF, d'une gestion concertée avec Mayotte des deux aires marines protégées créées avec le concours de l'Agence des Aires Marines Protégées dont je salue l'action de son président, le député Jérôme Bignon (présent dans la salle). Cette démarche novatrice est dans le droit fil des orientations fixées par le Président de la République lors de son discours du Havre du 16 juillet dernier et me paraît d'autant plus séduisante qu'elle permettra la mise en réseau des connaissances nécessaires à la gestion et à la mutualisation des moyens (navires, personnels ...).

Elle engendrera aussi d'importantes économies d'échelle. Symboliquement, elle est l'expression d'une coopération constructive entre collectivités d'outre-mer.

Ces initiatives illustrent la troisième priorité que je dégage pour les Eparses : la coopération régionale. Le territoire des Eparses constitue un outil complémentaire aux actions menées depuis La Réunion ou Mayotte. Ainsi, par exemple, des discussions avec l'Ile Maurice sont en cours afin de mettre en oeuvre un accord-cadre relatif à la cogestion économique, scientifique et environnementale à Tromelin et dans les espaces maritimes environnants. Egalement, nos collectivités d'outre-mer, comme les TAAF, doivent participer aux travaux des enceintes internationales telles les organisations régionales de pêche. L'expérience acquise par les TAAF de gestionnaire du plus grand espace naturel préservé ainsi que de pêcheries durables reconnues doit être valorisée à l'international. Le statut, aux yeux de l'Union Européenne, de « pays et territoires d'outre-mer » (PTOM) des TAAF offre à notre pays la possibilité d'y siéger indépendamment de l'Union Européenne et donc, potentiellement, d'y défendre une position originale, notamment dans l'intérêt bien compris de cette France de l'océan indien dont les TAAF sont la composante maritime majeure. Je rappelle que les conclusions finales du Grenelle de la mer ont d'ailleurs prévu d'utiliser ce levier institutionnel de PTOM comme outil de la présence de la France dans les forums internationaux de la pêche.

La quatrième orientation concerne la biodiversité et la recherche, qui constituent naturellement une priorité majeure. A l'image du savoir-faire des TAAF dans les terres australes et en Antarctique, les îles Eparses vont servir de laboratoire naturel à grande échelle afin de mieux cerner les impacts anthropiques, notamment le réchauffement climatique sur les écosystèmes mondiaux. Grâce aux Eparses, c'est un territoire unique au monde, des tropiques jusqu'au pôle sud, qui s'offre désormais à la recherche. Voilà pourquoi je souhaite encourager la démarche de coordination des travaux de recherche scientifique. Le préfet des TAAF vient en effet de confier à l'Institut national de l'Ecologie et de l'Environnement et à l'Institut national des Sciences de l'Univers, la tâche de définir un cadre pour la recherche dans les îles Eparses. Je me réjouis de cette coopération qui se noue au meilleur niveau entre l'INE, INSU et les TAAF. Je n'oublie pas également les contributions précieuses de l'IRD, de l'IFREMER et celles de l'Université et des laboratoires réunionnais à cette dynamique.

Enfin, dernière priorité, la mémoire et l'histoire. Car au-delà de la recherche, il y a des histoires humaines. Les îles Eparses, comme les autres districts des TAAF sont riches d'histoires humaines souvent dramatiques. L'histoire du naufrage de l'Utile à Tromelin, magnifiquement relaté par Irène FRAIN (présente dans la salle), en est le meilleur exemple.

Les fouilles méritoires réalisées par le Groupement de recherches d'archéologie navale ont donné des résultats exceptionnels. Elles serviront de support à une exposition pilotée par les TAAF, avec le soutien du « comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage » présidé par Mme Françoise Vergès. J'apporte tout naturellement mon appui à ce projet d'exposition sur « Les esclaves oubliés de Tromelin ». Nul doute que cette exposition constituera aussi un vecteur important de coopération régionale.

Il me faut maintenant conclure. J'aurais souhaité évoquer avec vous bien d'autres sujets, mais ces quelques exemples confirment, à l'évidence, le caractère stratégique des îles Eparses pour la France de l'océan Indien dont elles constituent le trait d'union maritime, écologique et scientifique. Leur préservation écologique est indissolublement liée à une présence permanente et à assurer la pérennité des moyens de desserte aérienne et maritime.

Ce colloque ouvre une brèche dans le mur de relative ignorance ou d'indifférence qui entourait les îles Eparses. C'est un premier succès. Il faudra le faire fructifier. Les conclusions et enseignements de ce colloque ne devront pas rester lettres mortes. Je souhaite qu'ils soient cosignés et organisés dans un document qui fera référence pour les années à venir. Ce document, qui pourrait prendre la forme d'un « plan stratégique », donnera un cap à notre politique pour les îles Eparses dont les thèmes de recherche sont au coeur des préoccupations de la planète. C'est à cette ambition collective que je vous remercie d'avoir contribué et de continuer à le faire avec cette passion qui vous anime. Je vous remercie.

M. Christian Cointat, président - Merci, Madame la ministre. Le vice-président du groupe d'études parlementaires que j'ai l'honneur de présider, Monsieur Christian Gaudin, ici présent, est le seul parmi les membres du groupe d'études à s'être rendu dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Il connaît cette France australe, et il connaît certainement le district le plus difficile mais le plus prestigieux puisque c'est la Terre Adélie. Je crois que les propos que vous avez tenus ont réchauffé le coeur de beaucoup d'entre nous. C'est très important d'aller de l'avant. Notre rôle dans le groupe d'études parlementaires est de sensibiliser nos collègues et évidemment tous ceux qui s'intéressent à cette France australe, à ce que nous pouvons arriver à développer dans cette partie du monde. Je sais bien que ce territoire n'a pas d'habitant permanent, mais il n'en demeure pas moins un grand espace de vie et de connaissance, qui doit vraisemblablement conserver en lui-même des éléments qui nous permettront de mieux connaître notre planète, notre monde et par-là même d'essayer d'éviter qu'on ne le détruise. Voilà pourquoi c'est un enjeu qui dépasse tout à fait notre seul pays et qui doit être ouvert à tous les chercheurs de la terre.

* 5 Cf Ernest Pepin, in « Au verso du silence », extrait du poème « Notre amour sans archives ».

* 6 Rapport n° 132 (2008-2009) de l'Office sur la gestion durable de la pêche, « Marée amère, pour une gestion durable de la mer », déposé le 11 décembre 2008.

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