N° 309

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 février 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur la péréquation ,

Par MM. Jacques MÉZARD et Rémy POINTEREAU,

Sénateurs.

(1) Cette délégation aux est composée de M. Alain Lambert, Président ; MM. Dominique Braye, Philippe Dallier, Yves Krattinger, Hervé Maurey, Jacques Mézard, Jean-Claude Peyronnet, Bruno Sido, Jean-François Voguet, Vice-Présidents ; MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Secrétaires ; M. Jean-Michel Baylet, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot , Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Gérard Collomb, Jean-Patrick Courtois, Yves Daudigny, Yves Détraigne, Éric Doligé, Mme Jacqueline Gourault, MM. Didier Guillaume, Pierre Hérisson, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Claude Jeannerot, Antoine Lefèvre, Roland du Luart, Jean-Jacques Mirassou, Rémy Pointereau, François Rebsamen, Bruno Retailleau, René Vestri, Mme Dominique Voynet .

INTRODUCTION

La péréquation est un principe constitutionnel , inscrit au cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, selon lequel « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». Cet article implique que le législateur s'assure de l'existence de mécanismes péréquateurs, à finalité redistributive, afin de réduire les écarts de richesse existants entre collectivités territoriales.

Votre Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a souhaité se saisir du débat de la péréquation, mis à l'ordre du jour par la suppression de la taxe professionnelle dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale, prévue par la loi de finances pour 2010. Chargée par l'article XVII bis de l'Instruction générale du Bureau (IGB) du Sénat de veiller au respect de la libre administration et de l'autonomie financière et fiscale de ces collectivités ainsi qu'à la compensation financière des transferts de compétences et de personnel, votre Délégation se devait de proposer des pistes de rénovation de la politique de péréquation.

Dans cette perspective, votre Délégation a organisé, conjointement avec la commission des finances du Sénat, une table ronde sur la péréquation, le mercredi 10 février 2010, en vue de la préparation du premier rendez-vous législatif de suivi de la réforme de la taxe professionnelle, prévu le 1 er juin 2010, conformément aux dispositions de la loi de finances pour 2010. La réflexion de votre Délégation vise à apporter un éclairage nouveau sur la péréquation afin de contribuer aux travaux de la commission des finances du Sénat sur ce thème, en amont des débats qui se tiendront lors des rendez-vous législatifs prévus par la loi de finances pour 2010 et lors du prochain débat sur la loi de finances pour 2011.

Cependant, la question de la péréquation dans le domaine social, et notamment la problématique liée aux compensations de transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales, n'a pas été abordée dans ce rapport ; elle soulève de trop nombreuses réserves méthodologiques. De plus, vos rapporteurs estiment que cette question pourrait faire l'objet d'une nouvelle réflexion, à part entière, de la Délégation, au cours du deuxième semestre 2010 ou du premier semestre 2011.

I. L'EFFICACITÉ RELATIVE DES DISPOSITIFS ACTUELS DE PÉRÉQUATION

La péréquation verticale est constituée par le versement par l'Etat de dotations au profit des collectivités territoriales dont le niveau de ressources est inférieur à un seuil défini. La péréquation horizontale consiste à prélever un produit sur les ressources des collectivités territoriales les plus prospères afin de le redistribuer aux collectivités territoriales moins favorisées.

A. LA PÉRÉQUATION VERTICALE EST-ELLE GÉNÉRATRICE D'INÉGALITÉS ?

1. Des dotations péréquatrices qui se sont renforcées financièrement depuis 1998

a) La péréquation verticale est centrée sur la dotation globale de fonctionnement

Le principal instrument en est la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui regroupe près de 80 % des concours financiers versés par l'État aux collectivités territoriales.

En 2009, elle représente 41 milliards d'euros sur un total de 52,4 milliards d'euros de concours financiers 1 ( * ) .

Créée par la loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l'Etat aux collectivités locales et à certains de leurs groupements, la DGF a été profondément modifiée par la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 relative à la dotation globale de fonctionnement, par la loi n° 93-1436 du 31 décembre 1993 portant réforme de la dotation globale de fonctionnement des communes et la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004. Celle-ci a donné à la DGF une place fondamentale dans le dispositif d'aide financière de l'Etat aux collectivités territoriales en intégrant en son sein le fonds national de péréquation (FNP) 2 ( * ) , depuis appelé dotation nationale de péréquation .

La DGF est ainsi devenue le pivot central des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales, passant d'un montant de 19 milliards d'euros en 2003 , soit 32 % de l'effort financier de l'Etat en faveur collectivités territoriales, à un montant de 41 milliards d'euros en 2010 , soit 80 % du total de l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités territoriales.

Le montant de la dotation globale de fonctionnement est réparti entre les collectivités et groupements concernés (communes, EPCI, départements, régions) par le comité des finances locales , chaque niveau de collectivité bénéficiant d'une enveloppe fermée de DGF. Pour chaque niveau de collectivité, la DGF comprend plusieurs parties, elles-mêmes désignées sous le nom de « dotations ».

La DGF des communes et des EPCI se subdivisait avant 2004 en deux parties :

- la dotation forfaitaire , comprenant les différentes dotations qui, avant la réforme de 1993, formaient la DGF : dotation de base, dotation de péréquation, dotation de compensation et les concours particuliers. Elle est répartie en fonction de la population et de la superficie des territoires ;

- et la dotation d'aménagement des communes , elle-même composée de trois dotations : la dotation des groupements de communes (destinée aux établissements publics de coopération intercommunale -EPCI- à fiscalité propre, dont les communautés d'agglomération), la dotation de solidarité urbaine (DSU) (répartie entre certaines communes qui connaissent une situation difficile) et la dotation de solidarité rurale (DSR) (attribuée aux bourgs-centres et aux petites communes à faible potentiel fiscal).

La loi de finances pour 2004, précitée, a modifié l'architecture de la DGF des communes qui est désormais constituée :

- d'une dotation forfaitaire qui reste répartie en fonction de la population et de la superficie des territoires ;

- et d'une dotation de péréquation comprenant la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), ainsi que la dotation nationale de péréquation (DNP).

La DGF des groupements de communes comprend : la dotation de compensation (correspondant à l'ancienne compensation « part salaires » de la TP et à la compensation que percevaient certains EPCI au titre des baisses de la dotation de compensation de la taxe professionnelle -DCTP) et la dotation d'intercommunalité (calculée en fonction de la population, du potentiel fiscal, et, sauf pour les communautés urbaines, du coefficient d'intégration fiscale de l'EPCI).

L'architecture de la DGF des départements a également été modifiée par les lois de finances pour 2004, 2005 et 2006. Elle est désormais constituée :

- d'une dotation forfaitaire regroupant la dotation de compensation de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle, la garantie de la progression minimale, la part attribuée en fonction de l'impôt sur les ménages de l'ancienne dotation de péréquation et 95 % de la dotation générale de décentralisation -DGD. La dotation forfaitaire comprend une dotation de base, calculée chaque année en fonction de la population départementale, et un complément de garantie ;

- d'une dotation de compensation comprenant le concours financier particulier institué pour compenser la suppression des contingents communaux d'aide sociale (CCAS) et 95 % de la DGD. Se sont ajoutés les crédits auparavant attribués dans la cadre de la première part de la dotation générale d'équipement -DGE-, au titre des fractions « voirie » et « majoration potentiel fiscal » ;

- d'une dotation de péréquation urbaine (DPU) versée aux départements urbains en fonction d un indice de ressources (potentiel financier et revenu par habitant) et de charges (nombre de bénéficiaires du RMI et des allocations logement) ;

- et une dotation de fonctionnement minimale (DFM) versée aux départements ruraux en fonction de leur potentiel financier et de leur longueur de voirie.

Enfin, la DGF des régions , créée par la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004, comporte une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation .

b) Le renforcement financier des dotations péréquatrices de la DGF est constant depuis 1998

Toutes catégories de collectivités territoriales confondues, la proportion de la DGF consacrée à la péréquation s'est accrue, entre 1998 et 2008, passant de 1,54 milliard à 6,27 milliards d'euros . La part des dotations composant la DGF consacrées à la péréquation était de 9,5 % en 1998. Elle atteignait 15,7 % en 2008, comme le montre le tableau sur la page suivante, présentant l'évolution des dotations de péréquation de la DGF entre 1998 et 2008.

La contribution des différentes composantes de la DGF à l'accroissement de la part péréquatrice de cette dotation est inégale .

On constate ainsi que les dotations de péréquation en faveur des régions ont augmenté de 100 % entre 2004, année de création de la DGF des régions, et 2008.

Les dotations de péréquation des départements ont cru de 1 000 % entre 1998 et 2008. Cette augmentation s'explique par la création d'une dotation de péréquation des départements en 2004, d'une part, et par la très forte croissance de la dotation de fonctionnement minimal des départements entre 2004 et 2005 (+ 223,5 %), du fait de l'augmentation du nombre de conseils généraux bénéficiaires (24 en 2004, 63 en 2008), d'autre part.

S'agissant des dotations de péréquation des communes et de leurs groupements, leur croissance entre 1998 et 2008 s'est élevée de + 238 %, du fait de la combinaison de trois facteurs :

- l'introduction de la dotation nationale de péréquation (DNP) au sein de la DGF, en 2004 ;

- la forte croissance de la dotation d'intercommunalité , qui a progressé de 189 % entre 1998 et 2008, suite à l'adoption de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, qui a facilité la création de nouveaux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ;

- et la forte progression de la DSU dont la croissance, entre 1998 et 2008, a été de 215 % . La DSU a été modifiée en 2004 et 2005 3 ( * ) , et s'est accompagnée d'une forte augmentation de son enveloppe, afin de concentrer son bénéfice sur les communes prioritaires en termes de politique de la ville.

Évolution des dotations péréquatrices de la DGF de 1998 à 2008

(en millions d'euros)

Année

1998

2003

2004

2005

2006

2007

2008

DGF Totale

16 210

18 812

36 740

37 949

38 106

39 209

40 056

DSU

347

615

635

760

880

999

1 093

DSR

270

407

420

503

572

650

711

DNP

0

0

569

632

562

662

687

Dotation d'intercommunalité

806

1 824

1 939

2 045

2 144

2 249

2 329

Total dotations péréquatrices des communes et de leurs groupements

1 423

2 846

3 563

3 940

4 248

4 560

4 820

Dotation de péréquation des départements

0

0

692

435

473

519

555

Dotation de fonctionnement minimal des départements

118

161

174

563

634

696

744

Total dotations péréquatrices des départements

118

161

866

998

1 107

1 215

1 299

Dotation de péréquation des régions

0

0

76

96

114

132

152

Total des dotations péréquatrices

1 540

3 007

4 504

5 032

5 469

5 908

6 272

Proportion globale de la DGF affectée aux dotations péréquatrices

9,5 %

16 %

12,3 %

13,3 %

14,3 %

15,1 %

15,7 %

Source : rapport d'information n° 1784 M. Manuel AESCHLIMANN, député, sur l'efficacité péréquatrice des dotations versées aux collectivités territoriales, 2009

La montée en puissance de la péréquation est la résultante de trois facteurs :

- la réforme de la dotation globale de fonctionnement , prévue par la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, qui en a simplifié l'architecture et a permis de dégager des flux importants en faveur de la péréquation ;

- un engagement continu du gouvernement en faveur de la dotation de solidarité urbaine (DSU), dans le cadre des objectifs définis par le « plan de cohésion sociale » de 2005 4 ( * ) . Ainsi, entre 2005 et 2009, la DSU a-t elle augmenté de 131 % pour atteindre, aujourd'hui, 1,2 milliard d'euros ;

- les choix constants du comité des finances locales (CFL), qui a toujours favorisé le renforcement de la péréquation lorsque des arbitrages lui étaient soumis.

Enfin, selon les informations transmises par les services de la direction générale des collectivités territoriales (DGCL) du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, on constate que sur la période récente, l'effort en faveur de la péréquation ne s'est pas démenti. Entre 2005 et 2009 , outre la DSU, l'effort de l'État en faveur des dotations de péréquation de la DGF a progressé de :

- 131 % pour la DSU ;

- 78 % pour la dotation de péréquation des régions ;

- 50,3 % pour la DSR ;

- 39 % pour la DFM ;

- 27 % pour la DPU ;

- et 10,6 % pour la DNP.

Enfin, notons que l'évolution de la part péréquatrice des dotations allouée à chaque niveau de collectivités territoriales a été assez différente de 2005 à 2009. Celle-ci est en effet passé de :

- 19,1 % à 22 % pour les communes et leurs groupements ;

- 9,2 % à 11 % pour les départements ;

- et 1,9 % à 2,9 % pour les régions.

2. Les mécanismes de péréquation verticale semblent avoir atteint leur limites

a) Un effet volume limité et une efficacité difficile à mesurer

Malgré la hausse des crédits consacrés aux dotations de péréquation, présentée ci-dessus, force est de constater que ces montants demeurent modestes au regard de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales, puisqu'elles ne représentent que 3 % environ en 2009 .

Réserves méthodologiques

Pour mémoire, les fonds structurels européens et les subventions départementales en faveur des communes rurales ou des EPCI sont également des dispositifs de péréquation verticale.

Il est toutefois malaisé de les prendre en compte pour mesurer l'efficacité de la péréquation verticale au niveau national lequel par hypothèse n'a pas la maîtrise de ces formes de redistribution.

Par ailleurs, comme l'a rappelé M. Guy Gilbert, lors de la table ronde sur la péréquation du 10 février 2010, les péréquations réalisées au niveau local ne s'additionnent pas avec la péréquation effectuée au niveau national, les critères utilisés étant différents : le potentiel fiscal pour les premières et les charges budgétaires pour les secondes.

C'est la raison pour laquelle ces deux types de péréquation verticale ne sont pas abordés dans ce rapport, qui se centre uniquement sur les dotations de la DGF en matière de péréquation verticale.

S'il apparaît que les dotations de péréquation ont progressé, il n'est pas possible de déduire que son efficacité a suivi la même courbe de manière automatique.

En effet, la mesure des effets de la péréquation n'est pas aisée. M. Alain Guengant , directeur de recherche au CNRS, et professeur à l'université de Rennes I, et M. Guy Gilbert , professeur des universités à l'école nationale supérieure de Cachan, ont réalisé une étude sur l'efficacité péréquatrice des dotations aux collectivités territoriales . Ils ont proposé dans ce cadre une réflexion relative aux indicateurs de performance de la péréquation financière entre collectivités territoriales et une méthode d'évaluation dont les principales caractéristiques sont présentées dans l'encadré suivant.

Méthode d'évaluation de MM. Gilbert et Guengant présentée dans leur rapport
sur l'efficacité péréquatrice des dotations aux collectivités locales

Lors de la séance du Comité des finances locales du 28 octobre 2008, les professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant ont présenté leur étude sur l'efficacité péréquatrice des dotations de l'État aux collectivités locales .

Cette étude propose une méthodologie permettant de mesurer le taux de correction des inégalités de ressources entre les collectivités locales .

Le protocole d'évaluation définit une notion de « pouvoir d'achat » des collectivités locales grâce à un indice synthétique intitulé « indicateur de charges » et à l'estimation des ressources fiscales mobilisables sur le territoire de la collectivité.

Cet indicateur de charges , estimé statistiquement, a pour fonction d'évaluer le « pouvoir d'achat » des collectivités locales en termes de services publics locaux . Les écarts constatés, avant et après distribution des dotations de l'État, permettent ainsi d'estimer les effets plus ou moins péréquateurs de celles-ci.

b) La performance de la péréquation est élevée pour chaque strate de collectivité territoriale concernée

Selon les travaux présentés devant le CFL, on observe un accroissement de l'efficacité intrinsèque des dispositifs de péréquation , malgré un léger recul en volume du caractère péréquateur de l'ensemble des dotations , excepté pour les régions.

Le graphique suivant, présenté par M. Guy Gilbert, lors de son intervention à la table ronde sur la péréquation organisée au Sénat le 10 février 2010 par la commission des finances et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, illustre ces évolutions. Il montre en effet que la péréquation a réduit considérablement les inégalités financières , pour chaque niveau de collectivités territoriales, en 1994, 2001 et 2006.

Ainsi, à titre d'exemple, au niveau des départements, la réduction des inégalités financières est évaluée à 40 % en 1994, à 50 % en 2001 et à 48 % en 2006 ; pour les communes, les taux vont de 30 % en 1994, à 39 % en 2001 puis 37 % en 2006. En revanche, pour les régions, ce même tassement de l'efficacité des dotations de péréquation n'est pas observé, puisqu'on passe de 31 % en 1994, à 38 % en 2001 puis 45 % en 2006.

Pourcentage de réduction des inégalités avant dotations

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation

c) Le tassement de la performance de la péréquation au niveau communal et départemental

Selon l'étude présentée au CFL, la péréquation verticale a permis de corriger les inégalités, entre 1994 et 2001. Le bilan apparaît plus contrasté après 2001 pour les communes et les départements.

Il apparaît que les dotations de péréquation communales et intercommunales telles que la dotation nationale de péréquation (DNP), la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS) et la dotation de solidarité rurale (DSR) jouent pleinement leur rôle, et que la DNP s'avère même être la dotation la plus efficace en termes de correction des inégalités.

Pour autant, à partir de 2001, la péréquation a marqué le pas au niveau communal, comme le montre le schéma suivant.


Performance péréquatrice des dotations entre communes
de 39,2 % en 2001 à 36,9 % en 2006

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

La diminution de la performance des dotations de compensation des communes entre 2001 et 2006, passant de 39,2 % à 36,9 %, soit une perte de correction de 2,3 points, est en totalité imputable aux dotations de compensation en raison, d'une part, de la prise en compte de la compensation de la part salaire de la TP dans la DGF (- 2,1 %) et, d'autre part, de la réforme de la dotation de base (- 2 %).

Au niveau communal, le recul de l'effet péréquateur de l'ensemble des dotations s'explique par l'augmentation du nombre et du poids des dotations de compensation et notamment par la création, en 2003, de la compensation de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle et son intégration dans la dotation forfaitaire en 2004. De plus, la réforme de la dotation de base de la DGF a introduit le critère de population comme élément de répartition, ce qui mécaniquement a favorisé les grandes villes et réduit d'autant la performance de la péréquation.

Selon MM. Guy Gilbert et Alain Guengant, il est possible de pousser l'analyse plus loin. Ils constatent qu'entre 1994 et 2006, comme l'illustre le graphique suivant, le système de péréquation a eu des effets péréquateurs pour 71 % des communes , représentant 73 % de la population communale. Pour 21 % des communes, on constate des effets sur-péréquateurs , c'est-à-dire favorisant au-delà des objectifs de péréquation fixés les communes concernées. Enfin pour 8 % des communes , il a eu des conséquences contre-péréquatrices , ce qui signifie qu'il a aggravé les inégalités pesant déjà sur ces territoires.


Les différents effets de la péréquation sur les communes

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

L'analyse est similaire pour les départements , la performance des dotations de péréquation passant de 50,6 % à 47,7 % entre 2001 et 2006 , comme le montre le graphique suivant.

Performance péréquatrice des dotations entre départements
de 50,6 % en 2001 à 47,7 % en 2006

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

La diminution de 2,9 points de la performance péréquatrice des dotations départementales entre 2001 et 2006 s'explique par la modification importante des périmètres opérée sur la période, et notamment l'intégration de la dotation « impôts ménage » dans les composantes forfaitaires de la DGF départementale. En revanche, on observe, au cours de la même période, une légère hausse des dotations péréquatrices (+ 0,5 %), en raison de l'augmentation conjointe de la dotation de fonctionnement minimale et de la dotation de péréquation urbaine.

Si la dotation de péréquation urbaine et la dotation de fonctionnement minimale confirment leur capacité de réduction des inégalités de pouvoir d'achat entre les départements, on constate toutefois un certain recul du pouvoir péréquateur de l'ensemble des dotations, en raison de l'intégration d'une part substantielle de la dotation générale de décentralisation dans la dotation globale de fonctionnement en 2004 et de l'augmentation en volume des compensations fiscales .

Le système de péréquation verticale appliqué aux départements trouve sa limite : il s'applique correctement à 75 départements ne représentant que 65 % de la population totale. Il est contre-péréquateur pour un département, soit 2 % de la population totale. Enfin, il aggrave les inégalités en étant sur-péréquateurs dans 19 départements, avantageant ainsi 33 % de la population totale, comme le montre le graphique suivant.

Les différents effets de la péréquation sur les départements

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

d) L'exception régionale : le maintien de la performance de la péréquation verticale à cet échelon territorial

Les régions, en revanche, ont bénéficié d'une performance positive de leurs dotations de péréquation , celle-ci passant de 38,2 % en 2001 à 45,2 % en 2006, comme le montre le graphique suivant. Cette croissance s'explique par la très forte croissance de leurs dotations de compensation, créées en 2004.

Performance péréquatrice des dotations entre régions
de 38,2 % en 2001 à 45,2 % en 2006

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

La hausse de la performance des dotations des régions montre le rôle dominant de l'ensemble des dotations compensatrices (39,6 % en niveau) et un rôle plus modéré des dotations de péréquation (+ 5,6 %). Il est difficile d'expliquer les sources d'évolution, en raison des modifications importantes des périmètres des dotations (notamment l'intégration de l'écrêtement du fonds de correction des déséquilibres régionaux dans la partie forfaitaire de la DGF régionale), survenues entre 2001 et 2006.

De même, on note que les effets contre-péréquateurs relevés au niveau communal et départemental n'existent pas au niveau régional. Les concours financiers de l'Etat en faveur des régions ont ainsi des effets péréquateurs pour 18 d'entre elles, regroupant 62 % de la population totale. Une distorsion existe toutefois, pour 4 régions, représentant 38 % de la population totale : la politique péréquatrice est « trop favorable », et a fait plus que corriger les inégalités ; elle alloue des ressources à ces territoires au-delà des objectifs assignés.

Les différents effets de la péréquation sur les régions

Source : présentation de M. Guy Gilbert, professeur, lors de la table ronde sur la péréquation.

3. Le manque de lisibilité des dispositifs de péréquation verticale

a) Que penser des dotations de compensation au sein de la DGF ?

L'intensité péréquatrice des dotations de l'État est en léger recul. De nombreuses explications insistent essentiellement sur l'effet du nombre et sur l'importance des dotations de compensation au sein de la DGF.

Pour M. Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières de l'Union sociale pour l'habitat, et M. Guy Gilbert, professeur, les dotations de compensation auraient une vocation péréquatrice dans la mesure où elles permettent de financer un besoin et où elles ont un effet d'égalisation des situations parfois supérieur à celui des dotations dites péréquatrices. Le tableau suivant présente la performance des différentes dotations de la DGF. Il apparaît que, bien que leur performance soit moindre que celle des dotations à vocation péréquatrice, les dotations de compensation ont, pour chaque niveau de collectivités territoriales, un niveau de performance qui ne doit pas être négligé.

En effet, pour les communes, l'indice de performance intrinsèque des dotations compensatrices est de 0,19, contre 0,43 pour les dotations péréquatrices. Le rapport est un peu supérieur à 2, montrant que les dotations de compensation ont un effet péréquateur une demi-fois moins importante seulement que les dotations de péréquation. L'analyse est quasiment identique pour les départements, avec un indice de performance intrinsèque de 0,16 pour les dotations compensatrices, et de 0,31 pour les dotations péréquatrices, soit le même rapport de 2. En revanche, pour les régions, l'indice de performance des dotations compensatrices est très bas : 0,09, soit un rapport de presque 8 par rapport à l'indice des dotations péréquatrices, qui s'élève à 0,71.

Performance intrinsèque des dotations de la DGF

Source : Présentation de M. Guy GILBERT, lors de la table ronde sur la péréquation organisée le 10 février 2010 au Sénat

Cette analyse pose, dans un cadre plus large, le débat sur la performance des dispositifs de péréquation. Elle soulève également la question de la vocation péréquatrice des dotations de compensation. Cette problématique est relativement complexe, puisqu' a contrario de l'analyse précédente, certains dispositifs de complément de garantie, semblables à des dotations de compensation, semblent avoir indirectement accru les inégalités entre les territoires en réduisant la part des dotations dédiée à la péréquation.

b) La composition de la DGF est-elle trop complexe ?

Le caractère composite de la DGF, qui se décline en une multitude de dotations ou de fractions de dotations, ne facilite pas la bonne identification des allocations explicitement péréquatrices et de leurs objectifs. Ceci explique, au moins partiellement, la baisse d'efficacité de la péréquation au sein de la DGF. Le tableau suivant présente la décomposition de la DGF, en grisé figurent les dotations à vocation péréquatrice.

Décomposition de la dotation globale de fonctionnement

DGF des communes et de leurs groupements

Dotation forfaitaire des communes

Dotation de base (fonction de la population communale)

Dotation superficiaire (proportionnelle à la superficie communale)

Compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle

Complément de garantie

Dotation d'aménagement (pour les communes)

Dotation de solidarité urbaine (DSU)

Dotation de solidarité rurale (DSR)

Dotation nationale de péréquation (DNP)

Dotation d'aménagement (pour les groupements de communes)

Dotation de compensation

Dotation d'intercommunalité

DGF des départements

Dotation forfaitaire des départements

Dotation de base

Complément de garantie

Dotation de compensation

Dotation de péréquation des départements

Dotation de péréquation urbaine

Dotation de fonctionnement minimal (DFM)

DGF des régions

Dotation forfaitaire des régions

Dotation de péréquation des régions

Source : Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL)

En fait, il semble que la complexité de la DGF ne soit qu'une des causes de sa moindre performance péréquatrice. Il apparaît que l'alimentation financière des dispositifs de péréquation n'est assurée, depuis 2007, que par une ponction sur le complément de garantie des communes, illustrant la difficulté du fonctionnement actuel de la DGF.

Construite sur un modèle économique assis sur la croissance , la DGF est contrainte dès que les conditions économiques se dégradent. En effet, c'est l'augmentation de la DGF, liée au taux de croissance du PIB, qui alimente la péréquation. Si le PIB stagne ou décroît, aucun mécanisme ne permettra réellement de pallier ce manque pour la péréquation, sauf, comme c'est le cas depuis deux ans, et dans une mesure contrainte, le complément de garantie qui est écrêté de 2 % au profit des dotations péréquatrices que sont la DSU et la DSR.

La récente progression des dotations de péréquation au sein de la DGF

Le CFL a ainsi décidé, lors de sa réunion du 2 février 2010, que la DSU et la DSR progresseraient de 6 % en 2010. Ainsi, la DSU qui a bénéficié d'un abondement exceptionnel de 70 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances pour 2010, s'élève en 2010 à 1,23 milliard d'euros et la DSR représente 800 millions d'euros .

Par ailleurs, la DGF des départements s'élève à 12,8 milliards d'euros. Le CFL a choisi la plus forte progression autorisée pour les dotations de péréquation départementale, soit 1,09 % , soit une augmentation de 14,6 millions d'euros pour atteindre un total de 1,35 milliard d'euros . Quant à la DGF des régions, elle s'élève à 5,44 milliards d'euros, les dotations de péréquation enregistrant une hausse de 3,67 %.

Les dotations de péréquation sont en fait alimentées par l'écart entre la croissance de la DGF et la part de cette évolution « consommée » par l'augmentation des dotations forfaitaires . Autrement dit, la croissance de la péréquation apparaît comme un solde et, en période d'évolution contrainte de la DGF, elle revêt un caractère proprement résiduel .

La complexité de la composition de la DGF n'est donc qu'une cause seconde, après le rythme de croissance économique, de la réduction de la capacité de cette dotation à réduire les inégalités entre les collectivités territoriales.

Cette complexité de la DGF résulte d'ailleurs de l'évolution dans le temps de diverses dotations. On constate que toute réforme ou évolution du système fiscal s'est traduite par la mise en place d'une dotation nouvelle de garantie . Puisque l'enveloppe de progression de la DGF est fermée , cela réduit d'autant les possibilités de mettre en oeuvre des mesures de péréquation.

Notons enfin que la portée des réformes visant à réviser les critères d'attribution des dotations, afin de concentrer les effets redistributeurs sur les collectivités territoriales les plus défavorisées, est souvent affaiblie par la nécessité de préserver un large consensus. C'est ainsi que, dans une majorité de cas, n'est conservé que le plus petit dénominateur commun , considéré comme acceptable par l'ensemble des collectivités territoriales, ce qui limite de facto la portée des mécanismes péréquateurs, comme l'ont souligné les professeurs Alain Guengant et Guy Gilbert dans leur étude précitée. La volonté de préserver le niveau de ressources de chaque collectivité territoriale aboutit à « ne réformer les dotations que pour la frange correspondant à leur accroissement » . Autrement dit, un nouvel « étage » réformé est ajouté à des dotations dont les masses antérieures sont « stratifiées ».

Ainsi, la mise en place d'une DGF élargie, réceptacle de dotations diverses n'ayant pas toutes une visée péréquatrice, d'une part, et d'un complément de garantie, part de la dotation forfaitaire, d'autre part, a réduit les possibilités de péréquation .

Citons encore l'exemple de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) : la loi de finances pour 2010 attribue à ce titre 2,7 milliards d'euros aux départements, en compensation de la réforme de la taxe professionnelle. Comme le démontre le graphique suivant, présenté par le professeur Yves Fréville, lors de la table ronde du 10 février, précitée, cette ressource supplémentaire a été utilisée comme mécanisme de compensation des effets de la suppression de la TP . Le niveau de ressources est garanti, mais la possibilité de satisfaire les charges réelles des départements n'est en revanche pas prise en compte dans la répartition de la part de produit de la TSCA entre les départements.

Le dynamisme de cette nouvelle recette fiscale, utilisé comme dotation de compensation, avec un rythme de croissance annuel estimé à 4 % par an, rendra très difficile la mise en oeuvre d'une péréquation efficace à défaut de l'adosser elle aussi à une recette ou à une dotation à forte croissance annuelle .

Part de la TSCA dans les ressources fiscales départementales
après la réforme de la taxe professionnelle (hors Ile-de-France)

(en euros par habitant)

Source : présentation de M. Yves Fréville, lors de la table ronde sur la péréquation organisée le 10 février 2010 au Sénat

* 1 Les 11,4 milliards d'euros de concours financiers qui ne relèvent pas de la DGF proviennent du prélèvement sur les recettes de l'État du produit des amendes forfaitaires de police de la circulation et des radars automatiques, du prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la dotation spéciale pour le logement des instituteurs, de la dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements, du prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, du prélèvement sur les recettes de l'État au profit du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, du prélèvement sur les recettes de l'État au titre de la compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale, de la dotation élu local, du prélèvement sur les recettes de l'État au profit de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse, de la compensation de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle, du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion, de la dotation départementale d'équipement des collèges, de la dotation régionale d'équipement scolaire, de la compensation d'exonération au titre de la réduction de la fraction des recettes prises en compte dans les bases de taxe professionnelle des titulaires de bénéfices non commerciaux, de la compensation d'exonération de la taxe foncière relative au non-bâti agricole (hors Corse), du fonds de solidarité des collectivités territoriales touchées par des catastrophes naturelles, de la dotation globale de construction et d'équipement scolaire, du prélèvement exceptionnel sur les recettes de l'Etat au profit du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée et du prélèvement sur les recettes de l'Etat spécifique au profit des dotations d'aménagement.

* 2 Créé par l'article 70 de la loi n° 95-115 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, le FNP est alimenté par deux ressources : la principale, dite « première ressource », est le « solde » du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP), l'autre ressource, dite « seconde ressource », est une dotation de majoration issue du gel, en 1995, d'une partie de la progression de la dotation de compensation de taxe professionnelle des communes (DCTP) et évolue comme l'indice de variation des recettes fiscales nettes de l'Etat. Les crédits du FNP font l'objet de deux prélèvements, destinés respectivement : aux compensations des pertes de recettes résultant des exonérations de taxe professionnelle dans les zones de revitalisation rurale et à la « quote-part outre-mer ». Les ressources restantes sont réparties entre : la part principale, destinée aux communes au faible potentiel fiscal pour les quatre taxes directes locales, et la majoration du FNP, destinée aux communes à faibles bases de taxe professionnelle.

* 3 La DSU a été modifiée par les lois n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale et n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.

* 4 Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

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