C. LES CONDITIONS D'EXPORTATION DES TECHNOLOGIES NUCLÉAIRES

Les conditions dans lesquelles peuvent être exportés les équipements et technologies nucléaires influent très directement sur la possibilité de diffuser vers un plus grand nombre d'Etats les usages pacifiques de l'énergie nucléaire.

Outre le principe général selon lequel il est interdit aux Etats parties de rechercher ou recevoir une aide quelconque pour la fabrication d'armes nucléaires, le TNP fixe comme seule règle que les équipements ou matières nucléaires ne peuvent être transférés qu'à condition d'être soumis aux garanties de l'AIEA. Cette disposition instaure une obligation d'information de l'AIEA sur une liste d'équipements ou de biens définie dans les modèles d'accord de garanties généralisées et de protocole additionnel.

La pratique, en matière de politique d'exportation, s'établit au sein du Groupe des fournisseurs nucléaires ( Nuclear Suppliers Group - NSG ) qui regroupe 46 Etats comprenant les Etats de l'OCDE, mais également la Russie, la Chine, l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Argentine ou des pays de l'ex-Union soviétique. Le NSG définit, dans ses directives, une ligne commune sur les transferts de biens et technologies nucléaires ou à double usage. Ces directives n'ont pas de caractère juridiquement contraignant, excepté pour les pays de l'Union européenne qui les retranscrivent dans la réglementation communautaire.

Tous les équipements ou technologies ne posent pas le même type de difficulté au regard de la politique d'exportation. Ainsi, la France ne réalise et ne propose à l'exportation que des réacteurs à eau légère, qui ne présentent pas de risque du point de vue de la prolifération. Comme on l'a précédemment souligné, la mise au point de technologies plus résistantes à la prolifération ou encore la prise en compte, dans les contrats d'exportation, du retraitement du combustible usé, sont des éléments importants dans la perspective d'un assouplissement des politiques d'exportation.

Depuis plusieurs années, les débats se focalisent, au sein du NSG, sur la question des transferts de technologies sensibles du cycle du combustible nucléaire .

Les directives du NSG, dans leur rédaction actuelle, préconisent une politique de « retenue » s'agissant des transferts de biens et technologies liés aux domaines de l'enrichissement et du retraitement.

A la suite de la crise provoquée par les révélations sur le programme d'enrichissement conduit par l'Iran, le président Bush avait proposé, en 2004, de réserver les transferts des équipements et technologies liés aux activités du cycle du combustible aux seuls Etats possédant déjà des installations d'enrichissement et de retraitement en activité et bien contrôlées. Cette approche radicale avait été ressentie comme une remise en cause du principe du libre accès à l'énergie nucléaire civile reconnu par le TNP.

La proposition n'avait pas été retenue, mais lors du sommet de Sea Island, en juin 2004, les pays du G8 avaient adopté un moratoire d'un an sur tout nouveau transfert de technologies ou d'équipements sensibles, en demandant aux autres Etats d'adopter une position analogue, en l'attente de la définition d'une règle définitive. Ce moratoire a été régulièrement reconduit depuis lors, et en dernier lieu lors de la réunion de l'Aquila en 2009.

Le NSG est actuellement saisi d'une proposition de modification de ses directives .

La France et la Russie ont proposé au NSG d' autoriser les transferts des technologies du cycle du combustible sous certaines conditions préétablies : lorsque la motivation pour acquérir de telles technologies est techniquement et économiquement justifiée, en particulier par les besoins liés au développement d'un programme électronucléaire crédible, et que le pays destinataire est en mesure de les utiliser dans les meilleures conditions de sûreté, de sécurité et de non-prolifération.

En 2008, les Etats-Unis ont proposé de compléter ces critères en limitant les transferts de technologie en matière d'enrichissement en retenant le principe de la « boîte noire », fait de l'Etat récipiendaire un simple utilisateur, et non un détenteur, de la technologie transférée, ce qui lui interdit la duplication ultérieure des installations. On peut noter que c'est sous cette forme que la France a acquis auprès du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l'Allemagne, associés dans le consortium Urenco, la technologie de l'ultracentrifugation utilisée dans la nouvelle usine d'enrichissement Georges Besse II de Pierrelatte. La France ne considère pas pour autant que son indépendance énergétique s'en trouve affectée.

La proposition de critères fait aujourd'hui pratiquement l'objet d'un consensus au sein du NSG. Seules la Turquie et l'Afrique du Sud ne sont pas encore en mesure de l'accepter. Si cette « approche par critères » était adoptée, le moratoire imposé par le G8 pourrait être levé , ce qui répondrait aux besoins de certains pays parmi les plus avancés en matière nucléaire civile, tout en apportant les garanties nécessaires en matière de non-prolifération.

Parmi les critères envisagés pour permettre ces transferts figureraient l'adhésion aux instruments du régime de non-prolifération (TNP, accords de garanties et protocole additionnel ou accord régional comparable) et aux normes de sûreté et de sécurité nucléaires, ainsi que des éléments probants attestant, du point de vue économique, la pertinence de l'investissement dans les activités du cycle du combustible au regard du programme électronucléaire planifié. On pourrait y ajouter la ratification du TICE et l'engagement dans la négociation d'un TIPMF, et le moratoire associé. Le lien serait ainsi établi entre l'autorisation des transferts de technologie et l'adhésion complète au régime de non-prolifération.

Il paraît nécessaire que les incertitudes pesant, depuis l'instauration du moratoire du G8, sur les conditions d'exportation des technologies de l'enrichissement et du retraitement soient levées, par l'adoption de règles claires permettant de répondre aux demandes de transferts dans des conditions de sécurité parfaitement conformes à la lettre et à l'esprit de l'article IV du TNP.

Relancer la promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaire, qui fonde la légitimité du TNP.

Principales conclusions et préconisations

? Au moment où l'énergie nucléaire suscite l'intérêt d'un plus grand nombre d'Etats préoccupés par la satisfaction de leurs besoins énergétiques à moyen terme et par la lutte contre le réchauffement climatique, il est nécessaire de répondre à cette attente en relançant la promotion des usages pacifiques de l'atome, qui fonde la légitimité du TNP.

? La conférence d'examen du TNP devrait être l'occasion de définir les principes devant guider un développement sûr et responsable des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. Elle devrait clairement consacrer un engagement d'assistance au profit de tous les pays qui adhérent à un socle commun de règles en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération, qui respectent l'ensemble de leurs obligations internationales et qui poursuivent de bonne foi, sous le contrôle de l'AIEA, des activités à des fins pacifiques.

? La recherche et la coopération internationale pour concevoir des réacteurs plus économes en uranium, plus sûrs, plus résistants à la prolifération et générant moins de déchets radioactifs à vie longue est un facteur essentiel pour favoriser l'accès d'un plus grand nombre d'Etats à l'énergie nucléaire.

? A court terme, il est indispensable de concrétiser rapidement le projet de « banque du combustible », à travers un mécanisme international garantissant l'approvisionnement en combustible nucléaire de tous les Etats demandeurs qui respectent les normes convenues de non-prolifération nucléaire. À plus long terme, devraient être mises en place des installations d'enrichissement ou de retraitement à caractère multilatéral. Une approche régionale mériterait d'être privilégiée, avec notamment la création d'une telle installation sous la responsabilité de l'AIEA, dans un Etat du Moyen-Orient, où les projets de réacteurs civils sont nombreux.

? Au moratoire institué depuis 2004 par le G8 sur l'exportation des technologies liées aux activités sensibles du cycle du combustible nucléaire - enrichissement et retraitement - doivent être rapidement substituées des règles claires précisant les critères au vu desquels de tels transferts peuvent être autorisés. Ces critères comprendraient notamment l'existence d'un programme électronucléaire techniquement et économiquement crédible et les garanties présentées par l'Etat destinataire quant à l'utilisation des technologies transférées dans les meilleures conditions de sûreté, de sécurité et de non-prolifération (notamment l'adhésion au protocole additionnel de l'AIEA). Un lien serait ainsi établi entre l'autorisation des transferts de technologie et l'adhésion complète au régime de non prolifération.

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