5. Défense antimissile balistique, désarmement nucléaire et défense européenne

Au-delà des considérations propres à la France, on doit s'interroger sur la cohérence entre la volonté de réduction des armements nucléaires affichée par l'Administration américaine et le développement de la défense antimissile balistique. Le président Obama, soucieux d'un dialogue stratégique avec la Russie, l'a bien compris. Il est clair que le premier pas accompli, avec la suppression du « troisième site », devrait être suivi de beaucoup d'autres, si l'objectif est, en effet, d'interrompre la course aux armements, tant en matière nucléaire que dans l'espace. Le problème posé est aussi de savoir s'il s'agit d'aller vers un « désarmement général et complet », selon les termes de l'article VI du TNP, désarmement à la fois nucléaire et conventionnel, ou bien s'il s'agit de prendre un « coup d'avance », en substituant à la dissuasion nucléaire une défense conventionnelle sophistiquée, s'appuyant sur les technologies les plus avancées en matière spatiale et d'électronique de défense.

Il est vrai que le problème de la menace balistique doit être traité, notamment vis-à-vis des pays comme la Corée du Nord et l'Iran, et même du Pakistan, s'agissant de la prolifération. Il serait souhaitable d'explorer toutes les voies permettant de limiter la prolifération balistique : renforcement, en impliquant davantage la Russie et surtout la Chine, du MTCR et du Code de conduite de La Haye réglementant les exportations, voire traité d'interdiction des armes à courte et moyenne portée, tel que celui proposé par la France et repris par l'Union européenne.

Un moratoire sur la défense antimissile balistique de territoire pourrait être décrété si la perspective d'une « zone de basse pression nucléaire » se concrétisait. Les déploiements à venir de la défense antimissile pourraient être limités aux théâtres d'opération et aux points sensibles. Une telle réduction de l'ambition concernant à la fois les armements offensifs et les armements défensifs, permettrait de délaisser le projet sans doute utopique et en tout cas très coûteux, visant à constituer un bouclier parfaitement étanche, protégeant la totalité du territoire américain, mais aussi celui des alliés des Etats-Unis en Europe et en Asie.

On voit l'avantage d'un tel projet de défense antimissile balistique du territoire d'abord pour les industriels américains, ensuite pour le contrôle des alliés et peut-être pour l'opinion publique américaine. Mais on doit noter les inconvénients du projet : coût pharamineux, illusion de sécurité, mise en tutelle des alliés et enfin et surtout, relance de la course aux armements, notamment nucléaires.

L'article VI du TNP inscrit l'objectif du désarmement nucléaire dans un cadre plus général : celui d'un désarmement complet. La Conférence d'examen du TNP de 2010 est, peut-être, pour la France l'occasion de le rappeler. La doctrine de défense de la France ne peut pas être celle des Etats-Unis, compte tenu de la disproportion des moyens et par ailleurs des engagements de sécurité pris par les Etats-Unis à l'égard de leurs alliés dans le monde entier (en Europe, en Asie et dans le Golfe).

Le souci américain de promouvoir la défense antimissile balistique peut cependant rencontrer un certain pacifisme européen. Certains pays européens peuvent être conduits à préférer la dénucléarisation et donc l'abandon de la dissuasion, au profit d'un « bouclier spatial », dont l'étanchéité leur aurait été, à tort ou à raison, garantie. Inversement, l'intégration dans la défense antimissile balistique américaine pourrait représenter pour ces pays un coût financier dissuasif (les Etats-Unis étant tout particulièrement intéressés par le « burden-sharing », (le « partage du fardeau »). Il signifierait surtout une perte complète d'autonomie technologique et surtout stratégique, pour un bénéfice qui resterait aléatoire. La « défense européenne » serait définitivement une défense américaine.

Du point de vue de la sécurité de la France, la prolifération balistique est une menace sérieuse, même si la portée des missiles mis au point par certains pays du Moyen-Orient ne permet pas encore d'atteindre le territoire national. Si cette menace venait à se concrétiser, vraisemblablement à l'horizon de la décennie 2020-2030, il conviendrait d'y parer. Il y a, pour ce faire, plusieurs méthodes.

La première est celle, ambitieuse, d'un traité contraignant limitant la portée des missiles et à défaut, d'un durcissement des dispositions visant à empêcher la prolifération balistique (MTCR - HCOC), les pays connus pour être proliférants devant faire l'objet d'une surveillance attentive.

Une seconde réponse est dans le développement des défenses antimissiles balistiques. Ce développement, s'il n'était pas limité à quelques théâtres, serait source de contradictions : avec l'effort de désarmement, avec le souci de la défense européenne, et avec le principe de l'autonomie stratégique.

Quelles que soient les avancées techniques, il y a de fortes probabilités que ce « bouclier » ne soit pas étanche. La densité démographique de l'Europe et la multiplicité des points sensibles en font une cible vulnérable à des frappes ou à des attentats perpétrés au moyen d'armes de destruction massive. Il est donc nécessaire de maintenir une dissuasion conventionnelle et nucléaire, l'autorité politique légitime pouvant seule déterminer la nature de la riposte éventuelle, eu égard aux dommages causés. Mais il convient ici de rappeler que la dissuasion est faite pour ne pas servir. Elle doit être suffisamment « dissuasive » pour n'avoir pas à s'exercer. D'où l'importance de conserver les moyens d'infliger à un agresseur utilisant des armes de destruction massive à large échelle, des dommages réellement inacceptables, notamment sur ses centres de pouvoir.

En résumé, lors de la Conférence d'examen du TNP, la France pourrait demander que soient liées les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire, et la mise en place des défenses antimissiles balistiques . Des mesures de transparence pourraient aussi être prises non seulement sur les arsenaux nucléaires mais aussi sur les missiles aussi bien offensifs que défensifs.

Par ailleurs la France devrait s'efforcer de convaincre ses partenaires européens de l'OTAN de ne pas « lâcher la proie pour l'ombre » et ne pas abandonner le principe de la dissuasion au profit d'une protection aléatoire mais de coopérer par exemple au sein du club « Aster » (France, Royaume-Uni, Italie) auquel pourrait s'ajouter l'Allemagne, à la mise sur pied d'une « défense de théâtre », mieux adaptée aux besoins et aux moyens européens.

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