II. UNE CRISE QUI TÉMOIGNE DE DÉSÉQUILIBRES STRUCTURELS

« La crise qui frappe aujourd'hui n'annonce pas un monde nouveau : elle fait comprendre les pathologies du monde actuel. » 3 ( * )

Ces pathologies n'ont pas été effacées par la crise, ce qui laisse présager d'effets retardés ou chroniques, si la coordination entre les acteurs n'est pas renforcée dans le cadre d'une gouvernance mondiale et régionale renforcée.

A. UNE ABONDANCE DE LIQUIDITÉS NON RÉGULÉE

La crise résulte d'une combinaison de facteurs macro et microéconomiques 4 ( * ) , qui ont entraîné l'apparition de bulles spéculatives sur certains actifs.

Il est d'autant plus urgent de traiter, au niveau international, les problématiques de régulation macro et micro-prudentielles que les réponses à la crise contribuent à augmenter encore le niveau des liquidités dans l'économie mondiale.

1. Un excès de liquidités au niveau mondial ?

D'un point de vue macroéconomique, la crédibilité acquise par les banques centrales au cours des années qui ont précédé la crise a permis une augmentation importante du volume de liquidités, sans tensions inflationnistes .

Le rapport entre la masse monétaire au sens strict et le PIB, pour six grands pays ou zones monétaires, est ainsi passé d'environ 20 % sur la période 1980-2000 à plus de 26 % à partir de 2002, pour atteindre près de 30 % en 2006-2007.

Dans le même temps, l'inflation mondiale n'a cessé de baisser.

RATIO ENTRE LA BASE MONÉTAIRE ET LE PIB EN VALEUR (EN % - MONDE)

La baisse des taux d'intérêt et des primes de risque a alimenté l'expansion du crédit et l'augmentation du prix des actifs , dans un contexte de croissance mondiale forte :

- les cours boursiers ont fortement augmenté de 1997 à 2000, puis de 2003 à 2007 ;

- les prix immobiliers se sont envolés entre 2000 et 2005 ;

- les prix des matières premières ont également enregistré une forte augmentation entre 2002 et 2008.

BOURSES MONDIALES ET ÉMERGENTES EN DOLLAR

ÉVOLUTION DES PRIX DE L'IMMOBILIER

Source : CAE (Rapport précité sur la crise des subprimes)

Or les réponses apportées par les politiques macroéconomiques à la crise contribuent aujourd'hui à une augmentation des liquidités. Après la diminution brutale des prix de certains actifs, cette situation pourrait contribuer à de nouveaux enchaînements spéculatifs générateurs d'instabilité.

2. Une régulation inadaptée ?

Les effets de l'abondance des liquidités n'ont pas été compensés par des politiques de régulation qui, depuis environ trente ans, ne font que s'adapter avec lenteur, ex post, aux évolutions constatées 5 ( * ) .

Dans l'Union européenne, les normes issues du second accord de Bâle sont entrées en vigueur au 1 er janvier 2008, après environ une décennie de réflexion sur la réforme des normes prudentielles. L'application de ces normes a par ailleurs été retardée aux Etats-Unis, ce qui empêche d'en dresser un bilan définitif 6 ( * ) .

LES NORMES PRUDENTIELLES ISSUES DES ACCORDS DE BÂLE

Le comité de Bâle sur la supervision bancaire fut institué en 1974. Il est aujourd'hui composé de 13 pays membres, représentés par leurs Banques centrales et autorités en charge de la supervision bancaire.

Le premier accord de Bâle (1988) a introduit le ratio « Cooke » (du nom du directeur de la Banque d'Angleterre), qui rapporte les risques pondérés aux fonds propres des établissements bancaires. Le rapport des fonds propres sur les encours pondérés doit être égal ou supérieur à 8 %, avec un minimum de 4 % pour les seuls fonds propres de base (« tier 1 »), c'est-à-dire à l'exclusion des titres de financement hybrides ou subordonnés.

Le ratio « Cooke » a été mis en oeuvre, au plan européen, par la directive 89/647/CEE du 18 décembre 1989, appliqué depuis le 1 er janvier 1993. Depuis la directive 93/6/CEE, les exigences de fonds propres ont été étendues, à compter du 1 er janvier 1996, aux risques de marché.

L'accord de Bâle de 1988 s'est rapidement révélé insuffisant, pour trois raisons :

- une conception des risques bancaires trop étroite ;

- une mesure du risque insuffisamment affinée ;

- une grille de pondération rigide ne prenant pas en compte les techniques de réduction des risques.

Le second accord de Bâle (2004) a abouti à une nouvelle réglementation visant à mieux prendre en compte la diversité des risques. Il organise la supervision selon trois piliers :

- un ratio de fonds propres, dit ratio « Mc Donough », qui élargit l'éventail des risques couverts (en prenant en compte à la fois les risques de crédit, de marché et opérationnel) et affine les techniques d'évaluation des risques ;

- un processus de surveillance prudentielle ;

- des normes de transparence financière.

Les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE ont introduit dans l'Union européenne un cadre prudentiel inspiré des principes de Bâle II.

La crise présente ainsi le paradoxe d'avoir débuté au sein, ou à proximité, de l'un des secteurs apparemment les mieux régulés de l'économie , à savoir le secteur bancaire.

D'un point de vue micro-prudentiel, le contrôle des risques bancaires s'est révélé trop simpliste, étant donné la diversification des métiers et techniques bancaires et financières, qui a eu trois conséquences :

- un transfert et une dilution des risques , en conséquence de l'essor de la titrisation, qui s'est développée en réponse à une demande massive de produits supposés peu risqués et a permis d'externaliser le risque « hors bilan » ou vers d'autres acteurs ne faisant pas face aux mêmes exigences réglementaires que les banques (notamment les hedge funds) ;

- le renforcement du risque de liquidité , non pris en compte par les normes de solvabilité bancaire existantes ;

- l'émergence d'un risque découlant des normes elles-mêmes , en raison de leur caractère procyclique.

La crise a montré la nécessité de dé-segmenter la régulation , afin que l'ensemble des intervenants (banques, hedge funds, agences de notation) soient contrôlés simultanément, ce qui rendrait possible une appréciation générale du niveau de risque présent dans l'économie , avec la possibilité d'une incarnation forte et légitime du pouvoir de régulation , ce qui n'est pas la direction implicitement préconisée, au niveau européen, par le rapport de Larosière 7 ( * ) , qui s'oriente plutôt vers un renforcement de l'architecture existant en Europe pour déterminer et mettre en oeuvre les normes dans le domaine des services financiers (processus dit Lamfalussy).

* 3 « Sortie de crise. Vers l'émergence de nouveaux modèles de croissance ? », Rapport du groupe de travail présidé par Daniel Cohen, Centre d'analyse stratégique (octobre 2009)

* 4 La crise des subprimes, rapport du CAE (2008).

* 5 Cf. « La régulation bancaire à l'épreuve de la crise financière », Document de travail, Série Etudes économiques (n° EC 05, décembre 2009).

* 6 Il est ainsi douteux que cet accord soit responsable de la crise. Cependant, son inspiration dérégulatrice nourrit des inquiétudes bien compréhensibles et il ne ressort pas des sommets internationaux qu'il puisse suffire à assurer une régulation adéquate.

* 7 Rapport du groupe de travail sur la supervision financière dans l'Union européenne, présidé par M. Jacques de Larosière (février 2009).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page