2. Une crédibilité gravement entamée

Lorsqu'est abordé le sujet des retraites, pessimisme et fatalisme l'emportent chez un nombre croissant de citoyens. Alors que la retraite devrait en principe constituer la première des sécurités face à l'avenir, elle suscite aujourd'hui des interrogations et des inquiétudes. Cette perte de confiance des assurés dans le système de retraite est caractéristique du progressif délitement du contrat social sur lequel il est fondé.

a) Le pacte intergénérationnel brisé

Pilier du « modèle social français » hérité de l'après-guerre, le système de retraite par répartition repose sur un contrat social : chaque génération a droit au fait que ses enfants lui assurent une retraite correspondant à celle qu'elle a elle-même assurée à ses parents. Or, le vieillissement de la population ébranle les fondements de ce pacte intergénérationnel puisqu'un transfert de revenu inéquitable entre les différentes générations est en train de s'établir : une fraction de plus en plus réduite de la population (les actifs) prend en charge financièrement les besoins d'une fraction de plus en plus nombreuse (les retraités).

La solidarité intergénérationnelle , inhérente au système par répartition, vise à éviter que seules certaines générations aient à assumer, par des baisses de pensions ou des hausses de prélèvements, les ajustements nécessaires pour assurer la pérennité financière du système. C'est aujourd'hui un sujet clef pour tous les pays confrontés au vieillissement démographique, la question étant de savoir combien de temps les jeunes générations accepteront de payer des cotisations pour assurer à leurs aînés un niveau de pension dont elles ne bénéficieront pas .

Alors qu'en temps normal, le contrat social en matière de retraites est passé entre les générations 1 (les parents) et 2 (les enfants), il engage aujourd'hui la génération 3 (les petits-enfants). Autrement dit, les pensions servies aux retraités actuels sont financées par la dette dont hériteront leurs petits-enfants.

Face au risque grandissant de voir les jeunes actifs d'aujourd'hui et de demain refuser de cotiser plus et/ou de travailler plus longtemps, il est impératif de leur redonner confiance dans les retraites .

C'est donc par la préparation du système de retraite de demain, celui de la France de 2030-2050, que passe la reconstruction du pacte intergénérationnel.

b) Le pacte intragénérationnel menacé

Outre la solidarité intergénérationnelle, un système de retraite exprime en général des liens de solidarité plus ou moins étroit entre assurés d'une même génération , à travers divers dispositifs de redistribution. Il est rare qu'un système soit purement contributif, c'est-à-dire que, pour les différents assurés d'une même génération, la somme actualisée des pensions perçues soit strictement proportionnelle à la somme actualisée des pensions versées au cours de la carrière 50 ( * ) .


Définitions

Contributivité : en matière de retraite, la contributivité signifie qu'il existe un lien entre contributions et droits : tous les droits sont acquis en contrepartie de cotisations versées par l'assuré et/ou l'employeur, et chaque euro de cotisation versé ouvre des droits supplémentaires se traduisant par un supplément de pension.

Solidarité : un système de retraite est dit « solidaire » lorsqu'il opère des redistributions entre assurés d'une même génération.

Les mécanismes de redistribution intragénérationnelle

La redistribution intragénérationnelle opérée par le système de retraite passe principalement par des dispositifs explicites de solidarité, parmi lesquels on peut distinguer trois ensembles :

- les droits familiaux accordés au titre des enfants : majorations de durée d'assurance (MDA), majorations de pension pour trois enfants et plus, assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) ;

- les périodes assimilées (validation de trimestres non cotisés) à divers titres : maladie, maternité, invalidité, accident du travail ou maladie professionnelle, préretraite, chômage indemnisé ou non, service national, volontariat, etc. ;

- les minima de pension : minimum contributif dans le régime général, minimum garanti dans la fonction publique.

Ces instruments jouent un rôle important dans le système de retraite français : on estime en effet qu'ils représentent environ un cinquième de la masse des retraites de droit propre 51 ( * ) .

La réversion entraîne également des effets redistributifs puisque, par nature, elle opère un transfert depuis les célibataires vers les couples mariés et, compte tenu de la fréquence du veuvage féminin, depuis les hommes vers les femmes. En outre, les dispositifs de réversion sous condition de ressources effectuent une redistribution supplémentaire en faveur de certains veufs ou veuves. Ainsi, la condition de ressource du régime général favorise les survivants ayant peu de droits propres au détriment de ceux qui en ont beaucoup.

En dehors du système de retraite, il existe d' autres mécanismes qui relèvent explicitement de la solidarité nationale envers les personnes âgées : le minimum vieillesse, les prestations logement, les prestations relatives à la dépendance et la fiscalité.

A cette première forme de redistribution s'ajoute une deuxième, plus implicite, constituée par le « coeur du système » 52 ( * ) , c'est-à-dire par :

- les modalités de calcul des pensions propres à chaque régime (par exemple, les règles relatives à la décote ou la surcote, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le salaire de référence dans le régime général) ;

- l'architecture du système (l'articulation entre régimes de base et régimes complémentaires ; la coexistence de plusieurs régimes de base conduisant à des différences de traitement entre monopensionnés et polypensionnés, voire entre polypensionnés 53 ( * ) ).

Le « coeur du système » opère ainsi des transferts intragénérationnels entre les assurés qui bénéficient de certaines règles - et qui sont donc avantagés - et ceux qui n'en bénéficient pas - et qui sont donc désavantagés.

Une solidarité entre assurés minée par la redistribution « à l'envers » opérée par les règles de calcul des pensions

Le bilan redistributif du système de retraite français est globalement satisfaisant . Une redistribution importante est en effet opérée depuis les couples ayant un niveau de salaire élevé vers les couples ayant un niveau de salaire faible, au profit des femmes - particulièrement celles qui ont des carrières courtes ou à bas salaires -, ainsi qu'au profit des personnes en invalidité. En revanche, la redistribution bénéficie moins aux hommes à bas salaires ainsi qu'aux travailleurs dont la carrière a été ponctuée de périodes de chômage ou d'inactivité.

La solidarité intragénérationnelle est, pour l'essentiel, rendue possible grâce aux dispositifs qui visent explicitement à améliorer la retraite de certaines catégories d'assurés (mères, parents de familles nombreuses, chômeurs, salariés à bas salaires...).

Ce bilan est cependant terni par le « coeur du système » qui opère non seulement une redistribution peu lisible - du fait de la complexité des règles de calcul des pensions -, mais aussi mal maîtrisée puisque ses bénéfices ne profitent pas aux assurés les plus nécessiteux. En effet, les règles relatives au salaire de référence, aux taux de liquidation et à la validation de trimestres se révèlent souvent peu favorables aux assurés à bas salaires et/ou à carrière courte 54 ( * ) .

Or, un système non purement contributif ne peut être jugé solidaire que si les transferts redistributifs s'effectuent bien en direction des catégories en faveur desquelles un objectif de solidarité est poursuivi .

Conséquence de la juxtaposition des régimes, des modes de calcul des droits différents et de l'instauration de mesures compensatrices pour certaines catégories professionnelles, les inégalités entre les assurés sociaux affaiblissent le pacte intragénérationnel .

Ce constat peut être ainsi résumé 55 ( * ) :

« Quelles qu'aient été les justifications initiales pour les mesures compensatoires catégorielles, qui existent aussi bien dans le cadre des régimes dits spéciaux qu'au sein des régimes de droit commun, leur multiplication et leur inertie dans le temps conduisent à un système peu lisible pour le citoyen. Ce système où chacun suspecte les autres de mieux tirer parti que lui-même des avantages en vigueur finit par miner le consensus démocratique autour de la retraite. »

c) Une méthode de réforme anxiogène

La crédibilité du système de retraite dépend beaucoup de la manière dont les réformes, menées pour l'adapter aux évolutions démographiques, sociales et économiques, sont perçues par les citoyens.

En matière de méthode de réforme, la loi du 21 août 2003 a prévu l'organisation de rendez-vous quadriennaux destinés à examiner les différents paramètres des régimes de retraite afin de procéder ensuite aux ajustements nécessaires. Le premier, qui s'est tenu en 2008, a donné lieu à plusieurs mesures - notamment en matière d'emploi des seniors -, intégrées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les rendez-vous suivants doivent s'échelonner jusqu'en 2016.

Sur le principe , la méthode de pilotage par rendez-vous relève de bonnes pratiques , à partir du moment où elle laisse le temps de la réflexion et de la concertation. Le réexamen régulier du contexte démographique et économique, ainsi que de la situation financière du système permet en effet d'envisager les adaptations qui s'imposent. Les rendez-vous sont également l'occasion, pour les différents acteurs, de faire entendre leurs positions et, pour le grand public, d'être informé et impliqué. La France n'est pas le seul pays à avoir adopté ce type de méthode : l'Espagne et le Japon, par exemple, ont également mis en place un processus d'ajustement continu de leur système de retraite par des rendez-vous réguliers.

Cependant, la manière dont cette méthode a été appliquée en France depuis 2003 n'est pas satisfaisante . Preuve en est, le bouleversement du rythme quadriennal initial qui s'est traduit par la fixation, entre les rendez-vous de 2008 et de 2012, d'une échéance supplémentaire en 2010 . Deux principales raisons ont motivé cette décision :

- le rendez-vous manqué de 2008 : malgré les initiatives prises pour encourager l'emploi des seniors, il n'a apporté aucune réponse pérenne à la question, pourtant centrale, du financement de l'assurance vieillesse ;

- la survenance de la crise qui, en aggravant les difficultés financières de la branche vieillesse, interdit de reporter une nouvelle fois le problème des besoins de financement des régimes de retraite.

Par manque de pédagogie et de transparence sur les objectifs qui leur sont assignés, les rendez-vous sont perçus dans l'opinion publique comme devant donner lieu à chaque fois à une réforme de fond du système , contribuant ainsi à créer un climat anxiogène , qui encourage certains assurés à anticiper leur départ à la retraite afin de ne pas être pénalisés par les éventuelles nouvelles règles.

Au lieu de constituer des bilans d'étape constructifs, les rendez-vous deviennent des moments de crispation et de réactivation des tensions sociales . Ce climat est en particulier perceptible à l'occasion de la remise, par le Cor, de ses travaux d'expertise, qui contribuent à la préparation de ces rendez-vous, notamment en précisant les perspectives à long terme du système de retraite.

Assurément, repenser la méthode de réforme participe d'une modernisation durable du système de retraite 56 ( * ) .

* 50 La somme actualisée des cotisations ou des pensions désigne la somme des cotisations ou des pensions versées chaque année, déflatées d'un taux d'actualisation. Le taux d'actualisation retenu peut, par exemple, correspondre à l'indice des prix ou à l'évolution du salaire moyen.

* 51 « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques », septième rapport du Cor, janvier 2010.

* 52 « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques », septième rapport du Cor, janvier 2010.

* 53 Le sujet des polypensionnés est traité ci-après. Cf. p. 126.

* 54 « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques », septième rapport du Cor, janvier 2010.

* 55 Thomas Piketty, Antoine Bozio, « Retraites : pour un système de comptes individuels de cotisations », 7 avril 2008.

* 56 Cf. p. 118.

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