8. Le mode de scrutin satisfait-il les contraintes constitutionnelles ?

Cette question essentielle a fait l'objet, dés le projet de loi connu, de débats aussi passionnés que peu concluants. Nous ne saurions donc trancher là où les spécialistes reconnus ne sont pas d'accord entre eux. Le Gouvernement, quant à lui, soutient la parfaite constitutionnalité de son texte. C'est le moins...

Ce qui frappe cependant, c'est le nombre des points de fragilité du projet gouvernemental au regard de la Constitution.

a) Le mode de scrutin assure-t-il une « représentation essentiellement démographique » des suffrages ? Le principe de « l'égalité » du suffrage (article 3 de la Constitution) est-il respecté ?

Comme on vient de le voir, au paragraphe précédent, le scrutin majoritaire à un tour ne le garantit pas automatiquement. Le garantit-il suffisamment pour le Conseil constitutionnel, toute la question est là ?

Pour Guy Carcassonne, la proportionnalité des sièges par rapport aux voix n'est pas une obligation constitutionnelle. En tout état de cause, les « distorsions » entre voix et sièges ne peuvent être complètement effacées que par une représentation proportionnelle particulièrement « bien faite ».

b) Le mode de scrutin « favorise »-t-il « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ? (article 1er de la Constitution).

Le débat se situe à trois niveaux :

La signification de « favoriser » : est-ce un impératif catégorique qui s'impose absolument, un objectif de plus ou moins long terme et pouvant être atteint par d'autres voies que législatives (des incitations ou des contraintes financières, par exemple) ?

Le nouveau mode de désignation des conseillers régionaux et généraux entraînera-t-il, inévitablement, une baisse de la représentation féminine dans les assemblées départementales et régionales ?

Si c'est le cas, le Conseil constitutionnel pourra-t-il accepter une régression sur ce point par rapport à la situation présente ?

Point 1 : Selon le doyen Vedel le terme « favorise » peut avoir trois sens possibles : « donner des atouts », « encourager », « réaliser ».

Pour Guy Carcassonne, ce n'est pas la loi en elle-même qui défavorise la parité mais les pratiques et usages politiques et électoraux. Selon lui, d'une manière générale, il n'existe pas de norme constitutionnelle en matière de mode de scrutin (Voir Première partie).

Jean-Claude Colliard est d'un avis opposé. Pour lui, l'impératif présent « favorise » a valeur d'impératif et une loi nouvelle ne peut que renforcer la parité par rapport aux lois anciennes.

« Favoriser, ça veut dire améliorer par rapport à la situation antérieure. » (RPP). Selon la formule du Conseil constitutionnel : « il faut que la loi n'ait ni pour objet, ni pour effet de faire reculer la parité. »

Que la loi n'ait pas pour objet de faire reculer la parité est aussi évident que son effet y réussit.

Point 2 : les femmes représentaient 47,8 % des dernières assemblées régionales et 13 % des conseils généraux. Selon les calculs de l'Observatoire de la parité, elles représenteraient 20 % des nouvelles assemblées soit 600 sur 3 000 conseillers territoriaux. Jean Claude Colliard l'estime, lui, à 16 %, ce qui constitue globalement une régression, même en souscrivant à l'interprétation selon laquelle le verbe « favorise » est conjugué à l'optatif !

La régression est donc évidente et il paraît pour le moins audacieux, sinon spécieux, de prétendre compenser celle-ci par l'augmentation prévisible du nombre de femmes dans les conseils municipaux, suite au changement du mode de scrutin pour les communes de 500 à 3 499 habitants. A l'évidence, ces deux problématiques n'ont aucun rapport.

Point 3 : Les avis des spécialistes, comme on l'a vu, divergent (Partie III « Les contraintes constitutionnelles ») et aucun des arguments en faveur de l'une ou l'autre thèse n'est concluant.

Ainsi, celui avancé par Hervé Fabre-Aubrespy qui conclut qu'en validant en 2003 le changement du mode de scrutin des sénatoriales, étendant l'usage du scrutin majoritaire aux départements élisant trois sénateurs, le Conseil constitutionnel a accepté une régression de la parité : « Tous les départements qui ont trois sièges de sénateurs sont redevenus des départements d'élections au scrutin majoritaire. Je peux vous dire que les femmes ont fait très vite le calcul de ce que cela a entraîné. »

Sauf que le cas des élections sénatoriales est tout à fait particulier puisque le Sénat, avant de représenter la population, représente des collectivités qui, jusqu'à présent en tout cas, n'ont pas de sexe.

c) Le scrutin majoritaire à un tour est-il anticonstitutionnel ?

Oui, répond Guy Carcassonne, car contraire aux PFLR. Pour lui : « Tout scrutin uninominal doit comporter deux tours ».

Comme on l'a rappelé, il est significatif que pour les républicains de la III e République, le scrutin à un tour soit dit « élection minoritaire. » Le scrutin à deux tours n'est pas une complexification du scrutin à un tour, mais historiquement une simplification du scrutin à trois tours.

Mais, si l'opinion selon laquelle ce mode de scrutin n'est pas conforme à la « tradition française », pour reprendre l'expression du général de Gaulle, qu'il comporte plus d'inconvénients que d'avantages, est largement partagée, rares sont ceux qui, comme Guy Carcassonne, le jugent inconstitutionnel.

Pour Jean-Claude Colliard, par exemple, un principe toujours appliqué, tel le scrutin à deux tours quand il est majoritaire, ne suffit pas à en faire un PFLR.

d) L'élection d'un candidat sans qu'aucune voix ne se soit portée explicitement sur son nom, puisque élu avec les voix reçues par un autre candidat, battu au scrutin majoritaire, est-elle constitutionnelle ?

Guy Carcassonne et Jean-Claude Colliard en doutent. Pour ce dernier, cette disposition semble en contradiction avec le principe selon lequel un candidat est élu s'il a bénéficié du plus grand nombre de suffrages ou s'il appartient à la liste ayant remporté le plus grand nombre de voix. Il pourrait s'agir là d'un PFLR.

Cette position rejoint celle de la section de l'intérieur du Conseil d'État. Si, en effet, le mode de scrutin projeté est « de nature à porter atteinte à l'égalité comme à la sincérité du suffrage compte tenu des modalités complexes de la combinaison opérée entre le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel dans le cadre d'un scrutin à bulletin unique » , pour le coup il contreviendrait à un PFLR.

Ce n'est évidemment pas la position du Gouvernement, pour les raisons que l'on connaît : la non-validation par le Conseil d'État de la position de sa section de l'intérieur.

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