ANNEXE III - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. BERNARD KOUCHNER, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES (26 MAI 2010)

Puis la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des finances auditionnent, conjointement, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les orientations de la politique française de coopération et de développement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Cette audition devant nos deux commissions prolonge le débat qu'elles ont organisé, le 12 mai dernier, sur les orientations de la politique française de coopération et de développement, auquel avaient participé quatre spécialistes du sujet. Comment atteindre l'objectif d'une aide publique au développement à hauteur de 0,7 % du PIB, dans un contexte budgétaire aussi tendu ? Pouvons-nous emprunter un peu plus pour financer la politique de développement ?

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Monsieur le Ministre, vos services ont entamé depuis plusieurs mois la rédaction d'un document cadre définissant la stratégie de la France en matière d'aide au développement. Les repères traditionnels ont été remis en cause ; la catégorie même de pays en développement est de plus en plus hétérogène. Autrefois centrées sur la lutte contre les inégalités, ces politiques prennent désormais en compte de nouveaux défis, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, l'environnement institutionnel se complexifie, avec la montée en puissance des acteurs multinationaux et européens, des fonds verticaux et des fondations privés. Dans cet environnement changeant, il est heureux que votre ministère définisse et hiérarchise ses objectifs.

Ce document cadre doit fédérer l'action des administrations concernées. Notre dispositif institutionnel est complexe. Les différents acteurs doivent coordonner leurs actions autours d'objectifs clairs, suffisamment précis pour faire l'objet d'une évaluation.

La politique d'aide au développement est une contribution essentielle de la France à un monde plus sûr : il était important d'associer le Parlement à la définition de ses priorités.

Après la table ronde que nous avons organisée le 12 mai dernier, il s'agit aujourd'hui de vous entendre sur le document cadre. Dans deux semaines, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont les rapporteurs sont MM. Cambon et Vantomme, vous remettra sa contribution, avant, je l'espère, un débat en séance publique à l'automne.

Je voudrais vous poser deux séries de questions.

Avant de définir une stratégie, il faut évaluer ce qui a été fait. Quel diagnostic faites-vous de notre politique d'aide au développement en Afrique ?

La France consacre 34 % de son effort d'aide au développement à la politique européenne d'aide au développement, soit 1,8 milliard d'euros. Selon plusieurs experts, notre pays a du mal à peser sur la programmation du FED, et la politique européenne n'est pas toujours aussi efficace qu'on pourrait l'espérer. Partagez-vous ce diagnostic ? Quelle conséquence en tirez-vous ? Comptez-vous nous associer à la rédaction du document de stratégie à l'égard de politique européenne de développement ? Comment comptez-vous faire partager nos priorités et mieux évaluer la politique européenne ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - Notre politique de coopération et de développement mérite d'être évaluée ; ce n'est pas facile. Comme vous, nous sommes convaincus qu'est venu le temps de refonder cette politique ; c'est pourquoi j'ai souhaité associer la représentation nationale en amont de la rédaction de ce document cadre. Merci de vous être autant impliqués. Le document final, d'une quarantaine de pages, sera soumis au Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), qui se prononcera début juillet.

Nous en sommes aujourd'hui à un premier point d'étape.

L'engagement de la France en faveur du développement est ancien, mais avec le temps vient l'habitude, et le sens finit par s'éroder... Il faut lui redonner du sens. En valeur absolue, la France est le deuxième bailleur mondial, mais au service de quels objectifs ? La coopération n'est pas seulement un acte de solidarité généreuse ; elle touche à nos intérêts premiers. Sécurité, approvisionnement énergétique, croissance, emploi, lutte contre les pandémies, gestion des équilibres écologiques et climatiques dépendent de ce qui se passe dans les pays en développement. Dans le long terme, nos intérêts coïncident. Les aider, c'est nous aider, c'est parier sur l'avenir !

Les enjeux sont multiples : restaurer la stabilité et la sécurité dans des pays où l'état de droit est faible, voire absent ; lutter contre la pauvreté et les inégalités, source d'instabilité ; changer un modèle de croissance qui n'est plus soutenable, avant qu'il ne soit trop tard ; gérer au mieux les biens publics mondiaux, environnement, climat et santé. Si les défis sont globaux, les réponses sont locales. Le monde en développement est varié : nous devons diversifier notre aide, différencier nos méthodes et nos partenariats.

Quelles sont nos priorités géographiques ? L'Afrique a changé : la croissance économique y dépasse aujourd'hui la croissance démographique. C'est une formidable vitalité pour un continent dont la partie subsaharienne comptera 1,8 milliard d'hommes en 2050. Le Président de la République a fixé les grandes lignes de notre politique dans son discours du Cap. L'Agence française de développement (AFD) s'efforce de mettre en oeuvre cette vision, en étendant la géographie traditionnelle de la coopération française - voyez le sommet France-Afrique qui se tiendra lundi à Nice.

Il ne faut pas oublier pour autant la lutte contre la pauvreté, facteur d'instabilité politique et sociale. La croissance africaine est largement assise sur l'exportation des produits de rente, ce qui fragilise l'économie. Les prêts ne suffiront pas : il faut une marge de manoeuvre en termes de subventions, qu'il s'agisse de coopération en matière de gouvernance ou des interventions de l'AFD dans les pays prioritaires.

L'Afrique subsaharienne n'est pas la seule priorité. Le bassin méditerranéen est une région traversée par toutes les fractures du monde contemporain : il nous faut tirer le meilleur profit de notre proximité géographique et culturelle pour en faire un espace économique attractif. La perspective a été tracée avec l'Union pour la Méditerranée ; nous travaillons avec les pays riverains pour gérer cet espace écologique unique.

En Asie et en Amérique Latine, la coopération doit répondre aux défis posés par les pays en crise et les pays émergents. C'est un outil pour prévenir ou reconstruire. Nous manquons de moyens pour répondre à certaines crises, et les redéploiements déstabilisent notre action... D'où l'idée d'un fonds post-crise dédié.

Les pays émergents ont joué un rôle moteur dans la croissance mondiale et la sortie de crise. Peut-on les laisser de côté ? Ils contribuent aux déséquilibres mondiaux, notamment des balances commerciales et des paiements, et influent sur l'accès aux matières premières, les conditions d'emploi, la sécurité internationale, l'environnement... Notre coopération vise à les inciter à changer de modèle de croissance et à s'impliquer dans l'aide aux pays les plus pauvres. Aujourd'hui, notre aide prend essentiellement la forme de prêts faiblement bonifiés, point d'entrée pour l'expertise et le transfert de technologies.

Quels sont les moyens et les outils de la politique de coopération ? Il faut prendre en compte l'ensemble des leviers : les ressources fiscales des pays destinataires de l'aide, les investissements directs étrangers, dont le rôle moteur peut être démultiplié, les flux privés, qui s'élèvent chaque année à 40 milliards de dollars, les transferts de fonds des migrants, qui représentent annuellement 300 milliards de dollars. L'aide publique au développement est irremplaçable pour financer des investissements de long terme et soulager les populations les plus vulnérables, mais ne peut reposer uniquement sur les contribuables de l'OCDE.

Il faut élargir l'assiette. La France a été pionnière avec la taxe sur le transport aérien. La nouvelle piste est celle d'une taxe sur les transactions financières internationales, au taux de 0,005 %, soit 5 centimes sur 1 000 euros ! Les financements innovants ne sont plus une niche, mais un véritable objectif.

Il nous faut coordonner les politiques économiques, monétaires et budgétaires et mesurer l'impact de nos stratégies de sortie de crise sur les pays en développement. Le développement est indissociable de la gouvernance économique. La prochaine présidence française des G8 et G20 sera l'occasion d'en finir avec le clivage entre pays bailleurs et pays en développement, source de blocages. Nous invitons à une coalition autour d'intérêts coopératifs. Avant de chercher des fonds, il faut un pilotage plus lisible.

Le maintien de l'effort budgétaire pour 2009-2010 a été une victoire relative ; les arbitrages pour 2011-2013 seront déterminants. La trajectoire de l'APD est fragile. Nous étions à 0,46 % du PIB en 2009, au deuxième rang mondial en valeur absolue, avec 8,92 milliards de dollars. L'objectif européen est de 0,51 % en 2010, ce qui porterait notre contribution à 10 milliards de dollars. À l'heure actuelle, il n'est pas garanti que nous y arrivions...

L'aide publique au développement est rigidifiée : un tiers n'est pas programmable. La part programmable transite à 51 % par le canal multilatéral mais atteint 65 % pour les subventions. Le canal bilatéral est fragilisé, car négocié sur une base annuelle et non pluriannuelle. La répartition actuelle n'est pas efficace face aux situations de crise. Il faut renforcer la coopération bilatérale : c'est l'un des traits de la politique française dont il faut renouveler le sens et l'image sociale.

Nous prônons une gouvernance démocratique qui aille au-delà de la « bonne gouvernance », centrée sur la gestion des affaires publiques et la lutte contre la corruption. Le travail ne s'arrêtera pas avec ce document cadre. Notre ambition est celle d'une politique plus transparente, débattue, refondée dans ses principes et sa légitimité démocratique. La route est longue...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Merci d'avoir tracé les grandes lignes de ce document, qui reste provisoire.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Depuis le départ de Michel Charasse, la commission des finances est veuve de celui qui fut son rapporteur spécial pour l'aide publique au développement pendant de très nombreuses années !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - M. Yvon Collin, qui a relevé le défi de lui succéder, est retenu dans son département. Veuillez l'excuser.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Michel Charasse soulignait fréquemment que le montant de l'aide européenne dépassait celui de l'aide bilatérale, et dénonçait l'absence de coordination entre pays, notamment en Afrique. Cette situation évolue-t-elle ? Comment envisagez-vous l'avenir à moyen terme ?

M. Charasse s'interrogeait également sur l'engagement de l'AFD dans les pays émergents. L'élargissement de la zone d'action de l'AFD n'entraîne-t-il pas une dilution de l'aide publique ? La logique de syndication de financements divers l'emporte parfois sur la celle d'une politique nationale. Nous l'avions observé lors d'une mission au Brésil...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Alors que le Brésil a les moyens de constituer un fonds souverain, l'AFD lui consent des prêts pour d'obscures opérations au fond de l'Amazonie... On est à la limite de la gesticulation !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. - Le Premier Ministre a annoncé que les crédits d'intervention seraient réduits de 10 % dans le budget 2011. Cette règle s'applique-t-elle à l'aide publique au développement ?

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Dans le projet de loi relatif à l'action culturelle extérieure de la France, actuellement en discussion devant l'Assemblée nationale, le Sénat avait souhaité que les actions de l'AFD soient conduites « sous l'autorité de l'ambassadeur ». Cette proposition, apparemment, aurait fait trembler la République ! Reste qu'il est impensable que l'ambassadeur soit tenu à l'écart de l'action de l'AFD sur son territoire.

Par ailleurs, comment se fait-il que l'aide française au développement en Afghanistan soit dix fois inférieure à celle des Pays-Bas ?

M. Bernard Kouchner. - Notre participation au FED est passée de 24 % à 19 % ; en 2008, nous apportions 1,8 milliard d'euros à l'Europe sur 7,6 d'APD totale. L'objectif est que l'Europe joue un rôle central en matière d'aide au développement, mais cela prend du temps, et l'impact à long terme est difficile à évaluer, d'autant que les effets ne sont guère visibles sur le terrain... Le nouveau commissaire au développement donne la priorité aux objectifs du millénaire, qui feront l'objet d'une réunion en septembre. Si les résultats sont tangibles en matière de santé publique, par exemple, il est plus difficile d'évaluer l'action du FED. C'est pourquoi il faut encore réduire notre part.

J'espère que l'aide publique au développement ne sera pas amputée de 10 % en 2011 ; les arbitrages budgétaires ne sont pas encore rendus...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C'est très préoccupant... pour l'équilibre du budget !

M. Bernard Kouchner. - Surtout pour l'aide publique au développement !

Monsieur de Rohan, l'AFD fonctionnant comme une banque, elle ne peut être mise sous l'autorité de l'ambassadeur. Toutefois, je reconnais qu'il y a eu un quiproquo : nous souhaitons redonner toute sa place à l'ambassadeur.

L'aide civile au développement pour l'Afghanistan représente 50 millions d'euros - à comparer aux 450 millions qu'apporte l'Allemagne ! Elle est administrée de la meilleure façon, avec des ONG afghanes, notamment pour un projet d'électrification, mais, manifestement, cette somme est insuffisante...

M. André Vantomme, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la mission « aide publique au développement ». - Veuillez excuser M. Cambon, qui est auprès du Président de la République pour l'hommage rendu à la policière tuée à Villiers-sur-Marne dans l'exercice de ses fonctions.

Nous avons demandé que le document cadre pour la politique de coopération au développement fasse l'objet d'un débat. Longtemps, l'aide au développement et la politique africaine ont été le monopole de l'exécutif. Il est temps que le Parlement s'en saisisse. Ce type de document pourrait à terme être adopté par les assemblées au même titre que d'autres lois d'orientation.

Avec M. Cambon, nous avons procédé depuis le début de l'année à une vingtaine d'auditions sur l'évaluation de notre politique de développement. Le contexte impose une refondation de notre stratégie et de nos objectifs. Ce document cadre arrive à point.

La politique de coopération française ne s'interdit aucune zone géographique, aucun instrument, aucun objectif. Vu l'état des finances publiques, ne gagnerait-on pas à fixer des priorités plus adaptées, et à accompagner ce document d'une programmation budgétaire ou d'éléments de cadrage budgétaire ? Une stratégie d'aide au développement peut-elle être crédible sans stratégie budgétaire ?

Une part croissante du budget de l'aide au développement passe par des institutions multilatérales. À l'inverse, les marges de manoeuvre de l'aide bilatérale sont trop restreintes, réduisant nos interventions dans les pays les plus en difficulté, notamment en Afrique subsaharienne. Le rééquilibrage entre multilatéral et bilatéral fera-t-il partie des objectifs du document cadre ? L'aide multilatérale représente 60 % de l'APD française sans que les actions soient évaluées...

Notre influence sur la programmation des organismes multilatéraux et européens n'est pas à la hauteur de nos financements. L'un des intervenants de la table ronde du 12 mai dernier a suggéré que le document cadre définisse une stratégie plus volontariste. Que préconisez-vous ? Votre administration rédige un document sur la stratégie française à l'égard de la politique européenne de développement. Comment comptez-vous nous associer à sa rédaction ? Comment s'articulent ces deux documents ?

La cohérence entre la politique de coopération et les autres politiques, par exemple la politique commerciale, est une clef du développement des pays du Sud. Le document cadre annonce un dispositif institutionnel pour la cohérence des politiques nationales et européennes avec les objectifs de développement. Ce dispositif existe-t-il aujourd'hui ? Allez-vous déclarer qu'il faut mettre la PAC en cohérence avec nos objectifs d'aide au développement ?

Si nous nous félicitons du document-cadre, nous en mesurons les limites.

M. Bernard Kouchner. - Souligner nos capacités pourrait être dommageable. Certes, l'on doit fixer un cadre, car on ne peut pas tout promettre et ne rien tenir. Il sera difficile de maintenir nos efforts dans les prochaines années.

Je suis partisan d'un débat au Parlement. Il ne me revient pas de dire s'il faut un vote.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Alors, une résolution ?

M. Bernard Kouchner. - Oui, la contrainte existe, et nous concentrons la moitié de l'effort sur quatorze pays. Bien sûr, aider le Mali ne nous empêche pas d'aider la Tanzanie. Nous avons déjà des engagements précis. Une stratégie budgétaire est souhaitable, mais avec quel encadrement ?

L'évaluation est difficile, qu'elle émane de l'AFD, de la Coopération ou de Bercy. L'étalonnage est extrêmement délicat. Il y a des évaluations pour la santé publique : trois millions de patients aujourd'hui traités contre le vih/sida. Nous enregistrons des progrès, qui ne sont toutefois pas constants.

Les contributions internationales vont d'abord à des organismes bancaires. Notre contribution au Haut commissariat aux réfugiés nous classe au dix-septième rang. Au dix-huitième rang pour l'Unicef. Evoluer entre le dix-septième et le vingt-cinquième rang pour les contributions aux agences des Nations Unies est source d'embarras pour un membre permanent. On ne peut accepter que notre contribution ne soit pas corrigée, et je m'y emploie. Quand 51 % de l'aide va à l'Afrique, cela représente 4 milliards, dont 42 % pour les infrastructures et les services sociaux.

S'agissant du suivi, il ne faut pas comparer le Brésil ou les pays d'Asie d'une part et les quatorze pays ou l'Afrique d'autre part. Le Sénégal, par exemple, n'est pas un bon exemple !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Je me réjouis de cette audition, dont je remercie les présidents de nos deux commissions. Le ministre, qui a également souhaité un débat, en défendra sans doute le principe. Faut-il rappeler la frustration que nous éprouvons au moment du vote du budget ? Je souhaite donc un débat, ainsi qu'une loi de programmation qui ne fixe pas des objectifs mirifiques, rien n'étant pire que de présenter des projets qu'on ne peut assurer. Aurons-nous de façon certaine des crédits sur trois ou quatre ans ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Nous avons des lois pluriannuelles de finances publiques. On pourrait en outre alléger les débats budgétaires en mettant à profit les semaines de contrôle parlementaire pour organiser des débats tels que celui d'aujourd'hui.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Notre deuxième rang pour l'aide publique au développement est assez fictif. C'est l'aide programmable qui importe. Le document cadre indique des objectifs et des moyens. Aura-t-on des indicateurs pour mener une évaluation ? On en manque aujourd'hui pour l'AFD. Or, et je reviens ici à la question de M. de Rohan, il est dommageable que cette agence joue un rôle pilote sans que votre ministère ait barre sur son action. Le pouvoir financier est là-bas et c'est là que la réflexion se mène. Le directeur pressenti de l'Agence, ce matin, n'avait pas de réponse sur la question des rapports avec les ambassadeurs. Ceux-ci auront-ils la primauté sur les directeurs de l'AFD ou resteront-ils ridiculisés ?

M. Adrien Gouteyron. - Le ministre a donné son point de vue sur l'évaluation. Il faut accentuer l'effort en la matière, même si ce n'est pas facile. L'évaluation doit être financière, fonctionnelle et porter sur les effets de l'investissement.

L'aide bilatérale reste indispensable. J'ai compris que c'était l'un de vos soucis. Qu'en est-il de la coordination des actions entre les collectivités locales, dont le rôle est important ?

M. Jean-Louis Carrère. - Plus pour longtemps...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - La DGF va baisser.

M. Adrien Gouteyron. - Les collectivités portent des projets intéressants quoique modestes. Comment se coordonnent-ils avec les interventions de l'Etat et comment les valorise-t-on ?

Je relève enfin que dans certains cas, nous sommes plutôt bons : nous sommes le deuxième contributeur au Fonds mondial de lutte contre le sida. Il n'est pas mauvais de le dire.

M. Robert Hue. - Je me réjouis de cette réunion car elle tombe bien, au moment des arbitrages. Les questions des commissaires des finances, quoique légitimes, me préoccupent. Au nom de la crise financière, va-t-on oublier le retard pris par rapport aux objectifs du millénaire ? Une dramatique crise humanitaire s'ajouterait alors à la crise financière qui nous écrase. L'orthodoxie financière, à laquelle les pays pauvres paieraient un lourd tribut, écraserait des centaines de millions d'hommes. Nous vous appuierons pour que la baisse dont on parle ne coûte pas plus cher demain qu'elle ne nous aura fait économiser. Il faudrait panser ses effets et j'entrevois le cortège des flux migratoires, les dommages sur la santé, qu'aurait un échec des objectifs du millénaire. Alors qu'on n'avait pas chargé la barque, on est à 0,51 % quand on devrait atteindre 0,7 %.

La taxe sur les transports a constitué une bonne initiative. Où en est-on de celle sur les transactions financières ? Les transferts des migrants, qui représentent 300 milliards de dollars par an, ne doivent pas rester le privilège financier des banquiers : la financiarisation de l'aide publique appelle une vraie réponse.

Qu'en est-il, enfin, de l'exploitation des ressources des pays en développement ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - Je comprends la contrainte qu'évoque le ministre car on emprunte pour financer le déficit et la dette. Les presque 9 milliards d'aide publique française comptabilisés pour 2009 comprennent-ils l'effort en ce domaine des collectivités territoriales ?

On n'a pas encore évoqué le facteur temps. Le délai entre la conception d'une opération et sa réalisation s'accroît, et je doute que le canal bilatéral soit plus rapide. Quelqu'un mesure-t-il ces délais au sein de votre ministère ?

Mme Fabienne Keller. - Je me réjouis de ce débat et rejoins le président Arthuis pour souhaiter des échanges en dehors du seul débat budgétaire ; ils seront indispensables pour sauver les crédits de l'aide au développement.

Comment avancera-t-on vers une taxe sur les transactions financières alors que les îles Caïmans pourraient concentrer toutes ces opérations si elles décidaient d'être les seules à ne pas les taxer ?

En 2050, il y aura 1,8 milliard d'habitants en Afrique subsaharienne. Faites un rêve : si on vous laissait le choix, quelle serait votre priorité pour venir en aide à cette région du monde ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - On a tort d'afficher un objectif de 0,7 % du PIB quand on n'est pas capable de les atteindre ; c'est se condamner à entendre des lamentations. On gagnerait à mener une politique correspondant à ce que nous pouvons faire et l'on ne donnerait plus l'image d'un pays velléitaire, schizophrène.

J'étais sorti rassuré de la conférence sur les déficits publics de la semaine dernière, à l'occasion de laquelle le président de la République a évoqué une baisse de 10 % des dépenses d'intervention de l'Etat. Nos échanges m'inquiètent plutôt.

Nous n'avons aucune chance de parvenir à une taxation sur les opérations financières si l'Europe ne pèse pas de tout son poids. De même, ne pourrait-on pas imaginer une fiscalisation des exportations, comme le Kazakhstan la pratique pour le pétrole ? Là encore, la France n'a aucune chance d'y parvenir seule.

M. Bernard Kouchner. - Un plancher de financement ? Bien sûr, mais il y a loin de mes rêves à la réalité. Soyons réalistes, demandons l'impossible... Il n'est pas aisé, en cette période, de parler en Espagne ou au Portugal de ceux qui ont besoin d'être aidés. Cela va être dur et personne n'a la recette. Alors, un minimum pour les quatorze pays apparaît réaliste.

Voilà vingt ans que je demande en vain une contribution assise sur les transactions financières pour financer le développement, qu'on me refuse au nom de l'orthodoxie financière. J'appelle cela une contribution et non une taxation en raison de la gravité des conséquences. Et voilà que pour la première fois, nous avons été d'accord pour la proposer. Techniquement, il est plus simple de passer par les banques qui paieront. A qui ? Je serais tenté d'invoquer l'exemple du Fonds mondial de lutte contre le sida... Il s'agit d'autre chose que de la taxe Tobin, qui vise à réduire les mouvements spéculatifs de capitaux à court terme pour stabiliser le système financier. Nous avons réuni cinquante-neuf pays dans un groupe pilote mobilisé sur les financements innovants. Par ailleurs, onze pays nous accompagnent et ont lancé un groupe d'experts chargé de faire des propositions sur la mise en place d'une contribution sur les transactions financières. M. Gordon Brown soutenait cette initiative, mais je n'ai pas eu de réponse du nouveau gouvernement britannique à mes sollicitations. J'attends le premier rapport d'experts, qui ouvrira le choix entre taxe sur les monnaies et taxe sur les mouvements de capitaux. On ne peut faire cela sans les Nations Unies. Les Européens pèseront. J'en parlerai dimanche aux Africains, qui ne sont pas d'accord a priori. Je ne sais quand l'Assemblée générale pourra se prononcer sur ces financements innovants.

Il y a des endroits où il n'y pas de conflit entre ambassadeur et représentant de l'AFD. On a déjà vu cela dans le domaine de la culture. Un ambassadeur n'est pas un Pic de la Mirandole ; il doit en revanche se montrer dynamique. Si nous ne sommes pas porteurs de propositions, tout un pan de notre diplomatie tombera.

Il y a des indicateurs de performances, monsieur Gouteyron. L'AFD, c'est 1 600 techniciens. Nous nous étions inspirés du modèle suédois quand nous avons mis cela en oeuvre, imparfaitement. Un contrat d'objectifs et de moyens est en préparation ; vous avez auditionné M. Bourguignon qui sera le président du comité des évaluations de l'AFD ; nous préparons une grille de dix-neuf indicateurs dont un indicateur budgétaire. Personne ne fait mieux que nous : on a pour le secteur de la santé, qui fut notre grand succès, des indicateurs tels que le nombre de vaccinations.

Même si l'ambassadeur dispose de peu de moyens, l'aide bilatérale marche quand elle est bien faite car une petite somme fait parfois une grande différence. Cela ne coûte pas cher de creuser un puits. Cependant, l'impact de ce type d'opération n'est pas aisé à évaluer. Je me rappelle d'observations de la Cour des comptes sur l'aide au Mali... Comment pouvait-elle savoir ce qu'il en était, faute de s'être rendue sur le terrain ?

La coopération décentralisée est décomptée dans l'effort national d'aide publique au développement. Nous travaillons en cofinancement ou par appel à projets. Les représentants des collectivités territoriales rencontrent leurs homologues.

M. Jean-Louis Carrère. - Cela ne va pas durer.

M. Bernard Kouchner. - La crise financière n'est pas un leurre. Le budget sera contraint, malgré tous mes efforts pour pérenniser notre action en faveur du développement. Je souhaite que les financements innovants marchent.

Je sais que les accords de Lomé, c'est M. Fourcade. L'ancien président de la commission du développement et de la coopération du Parlement européen que je suis doit pourtant avouer ne jamais les avoir compris : c'était très opaque. Il y avait de l'argent bien sûr, cependant la réalité du pouvoir appartenait au Conseil européen.

Madame Keller m'a invité à rêver : je donnerais le pouvoir à des ONG que je contrôlerais le plus possible et je confierais les projets aux Africains en jugeant sur la façon dont ils les mettraient en oeuvre, comme on veut le faire en Afghanistan. Je ne ferais pas confiance aux ministères mais à des groupes locaux. Il n'y a toujours pas de système médical à Haïti, où j'avais accompli ma première mission : la charité permanente devient perverse.

Je comprends ce que vous dites sur l'affichage des 0,7 %. Ne doit-on pas offrir un but, un rêve ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Alors on peut afficher plus...

M. Bernard Kouchner. - S'approcher du but pour certains objectifs ne serait pas si mal que cela. Les Nations Unies donnent un objectif. Quant à la schizophrénie sur les objectifs du millénaire, il faut tenir compte de la crise, mais aussi du dialogue avec les Français : sans leur présenter des objectifs hors de portée, on doit recueillir leur soutien pour une aide déterminée.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Etre en état de jouer un rôle permanent dans le domaine de la coopération et de l'aide au développement passe sans doute par une période de consolidation du niveau existant de cette aide. Chacun doit être prêt à considérer que la réduction des déficits est impérative : la crise marque la fin des illusions.

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