5. La complémentarité entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales

Le projet document-cadre souligne la complémentarité entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales. Il estime que le G20 offre une opportunité d'intégration des questions de développement au coeur des politiques globales. Il souhaite que l'Union européenne devienne un acteur de poids pour la construction des nouvelles politiques globales et régionales. Il constate que « l'influence sur les niveaux européen et multilatéral dépend d'une capacité propre, financière et opérationnelle, en bilatéral ». Il estime qu'il faut définir un équilibre pour le partage multi/européen et bilatéral.

Votre commission souscrit à ces objectifs généraux, mais souhaiterait que cet aspect de la stratégie française fasse l'objet d'une attention plus soutenue.

Elle rappelle que l'aide multilatérale et européenne constitue 55 % de l'aide programmable française. La question de l'articulation, du pilotage et de l'équilibre entre les différents niveaux d'aide est un aspect primordial puisque l'aide multilatérale représente plus de la moitié des financements disponibles.

Source : Sénat / PLF 2010

Votre commission regrette que les travaux sur la stratégie de la France à l'égard de la politique européenne de développement ou de la Banque mondiale n'aient pas fait l'objet d'une consultation identique à celle du document-cadre.

a) Améliorer la qualité du partenariat qu'entretient la France avec les organisations européennes et multilatérales chargées de l'aide au développement

Votre commission souhaite que la question du pilotage des contributions françaises aux instances multilatérales soit intégrée parmi les priorités de la stratégie française. Elle a le sentiment que la part croissante de nos contributions aux instances multilatérales ne s'est pas traduite par une influence croissante dans la programmation de ces organismes.

De nombreux intervenants lors de la table ronde ont souligné combien il était difficile de peser sur la programmation des instances internationales. M. Jean-Michel Severino a observé ainsi que cela était « d'ailleurs plus difficile encore au niveau européen qu'au niveau international » jugeant « opportun de définir un objectif d'influence en la matière » et de « prévoir une stratégie plus offensive à l'égard de l'aide publique au développement assurée par le canal multilatéral et européen ».

Ces propos rejoignent les évaluations faites par la DGTPE (DGT maintenant) du ministère des finances sur l'efficacité de l'interaction des organisations multilatérales dans les pays africains 23 ( * ) . Ces dernières soulignent la faible corrélation entre la programmation de la Banque mondiale et les priorités de la France.

Cette situation que l'on retrouve au Fonds Européen de Développement est particulièrement surprenante dans la mesure où la France y était le principal contributeur depuis 2005.

La France consacre chaque année 34 % de son aide au développement à la politique européenne d'aide au développement, soit près de 1,8 milliard d'euros. Plusieurs intervenants lors de la table ronde ont fait part du sentiment que, d'une part, la France a du mal à peser le cours de la programmation du Fonds Européen de Développement (FED) et, d'autre part, que l'efficacité globale de la politique européenne n'était pas toujours aussi satisfaisante qu'elle pourrait l'être.

Votre commission souhaiterait que, dans la perspective de la reconstitution du budget du Fonds Européen de Développement (FED), soit évaluée la qualité du partenariat français avec ce fonds, qui représente dans le budget français de l'aide au développement, avec prés de 900 millions d'euros, la première contribution multilatérale française.

Elle estime que l'amélioration du partenariat entre le France et les grandes institutions que sont le Fonds Européen de Développement (FED) et la Banque mondiale est un objectif important de notre politique d'aide au développement.

La France est le deuxième contributeur en volume d'aide multilatérale, en termes absolus. Son influence sur la programmation des instances internationales doit être à la hauteur de cet engagement.

Votre commission estime que le document-cadre doit fixer pour objectif à notre politique de coopération d'obtenir dans les programmations de ces organismes un poids proportionnel à ses contributions.

Elle souhaite la mise en place d'une stratégie d'influence dans ces organismes qui impose notamment de promouvoir auprès de nos partenaires multilatéraux et bilatéraux le recours à l'expertise française comme l'a souligné notre collègue M. Joseph Kergueris, rapporteur de notre commission sur le projet de loi relatif à l'action extérieure de l'Etat 24 ( * ) .

b) Trouver un meilleur équilibre entre les financements des actions bilatérales, européennes et multilatérales

Le document-cadre évoque la recherche d'un équilibre entre les financements des actions bilatérales, européennes et multilatérales.

Lors des auditions que vos rapporteurs ont effectué tout au long de l'année, ils ont pu constater les conséquences concrètes de la diminution de notre aide bilatérale qui semble avoir atteint un niveau plancher.

Source : AFD

Nombre d'intervenants lors de la table ronde ont effectué le même constat. M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, a estimé que « nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée ». Il en conclut qu'il est « indispensable de revenir sur cette ancienne décision, jamais explicitée, qui a sacrifié l'aide programmable bilatérale en subventions au profit des grands multilatéraux (Banques régionales de développement, Banque mondiale), des canaux européens, et des fonds des Nations unies.»

Le ministre lui-même lors de son audition a concédé que « Le canal bilatéral est fragilisé... la répartition actuelle n'est pas efficace face aux situations de crise. Il faut renforcer la coopération bilatérale : c'est l'un des traits de la politique française dont il faut renouveler le sens et l'image sociale. ».

Force est de constater que l'aide bilatérale et singulièrement celle sous forme de dons s'est considérablement réduite ces dernières années comme l'illustre le graphique suivant.

Source : Sénat / OCDE

Cette diminution des subventions affecte particulièrement les pays qui n'ont pas accès aux prêts et qui de ce fait ont le plus besoin de l'aide internationale. La réduction des moyens de notre aide bilatérale a déjà diminué l'ancrage de la France dans certains pays d'Afrique Saharienne. Qui s'attendrait par exemple à voir le Canada ou les Pays-Bas devant la France au Mali ?

Source : Sénat / OCDE

La contrainte budgétaire qui pèse par exemple sur les secteurs de l'éducation et de la santé inquiète de nombreux bénéficiaires dans la zone francophone qui considèrent l'opérateur français comme un partenaire historique ayant la connaissance nécessaire pour accompagner la modernisation des systèmes sectoriels nationaux. Cette situation prive la France des avantages comparatifs de l'aide bilatérale qui résident dans une expertise sectorielle forte, une capacité d'innovation, une réactivité et une flexibilité élevées. Elle réduit également les leviers d'influence français au niveau multilatéral. Comme le souligne le document cadre « l'influence sur les niveaux européen et multilatéral dépend d'une capacité propre, financière et opérationnelle, en bilatéral ».

Les évaluations disponibles sur le rôle de la France dans la programmation des organisations multilatérales et européennes laissent en effet penser que l'influence française dans ces instances passe aussi par des crédits bilatéraux préservés qui garantissent à la France une expertise sectorielle forte.

Votre commission estime que le redressement des crédits bilatéraux français constitue un préalable incontournable à la crédibilité de sa politique de coopération.

Votre commission juge en conséquence que le document-cadre doit se fixer comme objectif la restauration d'une capacité d'aide bilatérale.

Elle n'ignore cependant pas l'utilité et l'efficacité de l'aide multilatérale. La Commission européenne ou les partenaires multilatéraux, dont l'universalité de l'action est plus forte que celle des partenaires bilatéraux, disposent d'avantages comparatifs indéniables qui font d'eux des acteurs incontournables sur des thèmes comme la gouvernance ou dans le financement de projets d'infrastructures. Les capacités financières qui sont les leurs permettent des avancées importantes dans l'atteinte d'« indicateurs » de développement, à l'image de certains résultats réalisés par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme.

Source : Sénat / OCDE

Votre commission estime que la complémentarité entre les deux niveaux passe par un équilibre aujourd'hui rompu. Elle considère qu'il convient de retrouver cet équilibre en restaurant la capacité d'initiative de l'aide bilatérale.

c) Donner une vision de l'architecture internationale de l'aide au développement

Elle estime cependant nécessaire que la France prenne position pour une plus grande cohérence de l'architecture internationale de l'aide au développement.

Actuellement, quelques 263 organisations internationales peuvent recevoir des apports d'aide publique au développement. Au nombre de 15 en 1940, on en dénombrait 47 en 1960. Plus de 80 organismes sont devenus éligibles dans les années 60 et 70, dont 10 orientés vers la recherche sur l'environnement et 10 sur la recherche agricole. Cette prolifération s'est ralentie dans les années 80 et 30 organismes « seulement » ont été admis à recevoir des apports d'aide publique au développement au cours de cette période. Les années 90 ont vu l'apparition de 45 nouvelles organisations éligibles et, en 2006, une vingtaine d'organismes nouveaux ont été créés, notamment dans le secteur de la santé.

Les agences multilatérales ont été créées dans l'objectif de mettre en oeuvre des principes d'action collective au niveau de la communauté internationale, de bénéficier d'économies d'échelle et d'éviter ainsi de faire perdurer des stratégies nationales non-coopératives là où une solution collective semble avoir un avantage comparatif avéré. Avec 263 organisations internationales et la multiplication d'instruments autonomes comme les fonds verticaux, le paysage institutionnel de l'aide semble avoir reproduit au niveau international la cacophonie à laquelle elle devait mettre fin au niveau bilatéral. Comme le souligne de nombreux observateurs « Le système international dans le domaine de développement ressemble aujourd'hui de plus en plus à un écosystème où il y a toujours plus de naissances et jamais de morts. »

Un des objectifs que doit fixer le document-cadre à la politique française de coopération est de veiller à la cohérence de l'architecture internationale, de contribuer à la réduction du nombre des organismes et de promouvoir les mécanismes de mise en cohérence des institutions multilatérales et bilatérales existantes.

Il importe donc que la France prenne clairement position en faveur d'une meilleure spécialisation des agences multilatérales. Spécialisation basée sur leurs avantages comparatifs respectifs, dans la logique du code de bonne conduite de l'Union européenne sur la complémentarité et la division du travail dans les politiques de développement. Les pratiques de cofinancement, de mutualisation, de délégations de gestions et de fonds fiduciaires doivent également être favorisées afin d'assurer une plus grande cohérence de l'action collective.

Peut-on « mettre de l'ordre dans la pagaille » se demande M. Serge Michaïlof dans son dernier ouvrage sur l'aide au développement. Il convient sans doute de se résigner à ce que les politiques d'aide au développement mobilisent de nombreux acteurs de diverses origines nationales, multinationales, publiques et privées. On peut même penser que la concurrence entre ces différents acteurs peut avoir des effets bénéfiques. Mais votre commission estime qu'il y a une marge de manoeuvre vers un peu plus de cohérence et de coordination.

* 23 Mars 2010 - Efficacité de l'interaction des organisations multilatérales dans les pays africains DGTPE

* 24 Rapport n° 262 (2009-2010) du 3 février 2010 - par M. Joseph KERGUERIS sur le Projet de loi relatif à l'action extérieure de l'État, http://www.senat.fr/rap/l09-262/l09-262.html

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