B. UNE STRATÉGIE QUI DOIT SE FONDER SUR DES PERSPECTIVES BUDGÉTAIRES

Source : Sénat / OCDE

Le document-cadre tel qu'il a été présenté à la commission des affaires étrangères n'était pas accompagné d'un cadrage budgétaire. Comme l'a souligné M. Jean-Michel Severino lors de la table ronde : « la question de la « soutenabilité » budgétaire de l'aide publique au développement n'est pas abordée dans le projet de document. Elle est pourtant essentielle, tant il est certain que l'ambition relative aux moyens conditionnera celle des objectifs. »

Une politique est en définitive une série d'idées maîtresses auxquelles on attribue des moyens, des objectifs, et des budgets. Mais les idées ne sont rien sans les moyens qu'on y consacre. Sans cadrage budgétaire, le document-cadre relève plus du catalogue d'objectifs que de la stratégie. Sans perspectives budgétaires, le document ne peut avoir de visée prospective. Il doit se contenter d'offrir une vision systémique et de permettre de réfléchir à la cohérence des politiques passés, ce qui en soit n'est pas négligeable.

De ce point de vue, le document-cadre pouvait-il être amélioré en associant une prévision quantitative aux objectifs présentés ? Vos rapporteurs le pensent. Dans quelle mesure, là est la question. Comme l'ont souligné nombre d'intervenants, lors de la table ronde et de la présentation du document, on imagine mal un document-cadre sans cadrage budgétaire. Une stratégie d'aide au développement peut-elle être crédible sans stratégie budgétaire ?

Il ne s'agit pas de présenter avant l'heure le budget des programmes 209 et 110, mais de fixer un cadre aux objectifs fixés.

La difficulté est de définir un cadre qui ne soit immédiatement démenti par la prochaine loi de finances dont on sait qu'elle devra faire des arbitrages délicats dans un contexte où le redressement des finances publiques est une priorité.

Cette contrainte imposait sans doute de ne pas se fixer d'objectif en valeur absolue, mais en pourcentage du budget de l'aide publique au développement. Il est de même exclu de rentrer dans des déterminations par secteur ou par instrument qui deviendraient vite obsolètes. Le document doit permettre suffisamment de souplesse pour rester une référence à dix ans, ce qui suppose de pouvoir s'adapter à des contextes changeants.

Une fois cela dit, il semble que le document-cadre pourrait, sans anticiper sur la négociation sur le triennium budgétaire, définir les besoins pour les trois années à venir, qui découlent des engagements déjà pris par la France.

1. Faire un bilan des engagements de la France

L'engagement pris par la France d'élever son effort d'aide publique au développement à 0,7 % du revenu national brut a été renouvelé à de nombreuses reprises depuis le consensus européen sur le développement de décembre 2005. Le Président Sarkozy a réitéré cet engagement à l'occasion du sommet du G8 d'Heiligendamm en juin 2007, dans le communiqué conjoint du sommet France-Royaume Uni en mars 2008 et lors de la Conférence des Nations unies sur le financement du développement à Doha en novembre 2008.

En 2009, la France se situe à 0,46 % du revenu national brut et est 11 ème des pays membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE (CAD) en termes de niveau d'effort et en dessous de la moyenne des performances individuelles des membres, de 48 %. Cinq pays sont au-dessus de l'objectif de 0,7 % du revenu national brut, 8 des 15 pays de l'Union européenne membres du Comité d'aide au développement sont au-dessus de l'objectif fixé pour 2010 de 0,51 % du revenu national brut.

La France reste 2 ème du G8 en termes de niveau d'effort derrière le Royaume-Uni qui se détache du groupe à 0,52 %.

Source : OCDE/AFD

Pour un membre du Comité d'aide au développement comme la France appartenant à l'Union européenne, 2010 est une année charnière puisque les membres de l'Union se sont engagés en 2005 à consacrer cette année là à l'aide publique au développement nette 0,56 % de leur revenu national brut cumulé, et chacun au moins 0,51 % de leur RNB individuel. 2010 représente également pour ces pays le mi-chemin entre l'engagement de 2005 et l'objectif de 2015 pour atteindre le niveau de 0,7 % du RNB.

Certains pays atteindront ou dépasseront cet objectif, notamment la Suède, qui affiche, avec 1,01 %, le rapport APD/RNB le plus élevé du monde, le Luxembourg (1 %), le Danemark (0,83 %), les Pays-Bas (0,8 %), la Belgique (0,7 %), le Royaume-Uni (0,60 % d'après les estimations actuelles), la Finlande (0,56 %), l'Irlande (0,52 %) et l'Espagne (0,51 %).

D'autres risquent de ne pas atteindre cet objectif, bien que certains aient fait des progrès considérables depuis 2004 ; la France dont l'estimation se situe entre 0,44 % et 0,48 %, l'Allemagne (0,40 %), l'Autriche (0,37 %), le Portugal (0,34 %), la Grèce (0,21 %) et l'Italie (0,20 %).

Le maintien de notre APD au niveau prévisionnel de 2009 jusqu'à 2015 nécessiterait la mobilisation d'un effort additionnel d'environ 540 millions d'euros chaque année en moyenne sur la période 2010-2015.

Mais la France a également pris de nombreux autres engagements.

Notre pays s'est engagé en faveur des Pays les moins avancés (PMA) à leur consacrer 0,15 % du RNB lors de l'adoption du Programme d'action 2001-2010 des Nations unies sur les PMA en 2001. Le CICID du 18 mai 2005 avait acté l'atteinte de cet objectif d'ici 2012. Or l'aide publique en direction des PMA s'élevait à 0,11 % du RNB en 2007 et 2008.

La France a pris de nombreux engagement vis-à-vis de l'Afrique.

Lors de l'adoption du Consensus européen sur le développement en 2005, la France a promis qu'un accroissement de 50 % de l'aide de l'Union européenne d'ici 2010 devrait aller à l'Afrique. Dans le cadre d'un doublement de l'aide mondiale d'ici 2010, les membres du G8, à l'occasion du sommet de Gleneagles (2005), ont appelé à doubler leur aide pour l'Afrique. En termes d'APD nette, la France a consacré en 2005 5 800 millions d'euros à l'Afrique. Un doublement supposerait de passer à 11 600 millions d'euros en 2010. En 2008, l'aide de la France à l'Afrique est retombée à 2 400 millions d'euros.

Lors du discours du Cap en février 2008, le chef de l'Etat a également indiqué que le total des engagements financiers français bilatéraux pour l'Afrique subsaharienne s'élèvera à 10 milliards d'euros sur les 5 prochaines années. L'engagement dépasse le seul cadre de l'APD pour inclure les 2,5 milliards annoncés dans le cadre du soutien à l'initiative privé, dont des garanties et participations. Le montant moyen de 2 milliards d'euros par an est à comparer avec la totalité de notre aide bilatérale programmable pour le monde qui s'élevait, en 2008, à 2,2 milliards d'euros.

D'autres engagements concernent des secteurs en particuliers. En matière de santé. A l'occasion du sommet d'Heiligendamm (2007), puis du Sommet de Toyako (2008), les pays du G8 se sont engagés à consacrer 60 000 millions de dollars, au cours des 5 prochaines années à la santé en Afrique. Le Président Sarkozy a précisé que la France y consacrerait pour sa part 1 000 millions de dollars, soit plus de 700 millions d'euros .

Dans le domaine de l'éducation, à l'occasion du sommet France -Royaume-Uni en mars 2008, ces deux pays ont annoncé le lancement d'un partenariat en faveur de l'éducation en Afrique. Chacun de ces deux pays s'est engagé à scolariser 8 millions d'enfants en Afrique subsaharienne, d'ici 2010.

Dans le secteur de l'agriculture , la France s'est engagée en 2008 à investir 1 milliard d'euros dans l'agriculture africaine dans les 5 prochaines années . Actuellement l'AFD investit 200 millions d'euros par an dans l'agriculture africaine.

En matière d'environnement, la France s'est engagée à élever sa contribution à hauteur de 500 millions d'euros pour le fonds technologies propres.

Ce recensement est sans doute encore incomplet. Il y manque sans doute les conséquences de l'intégralité des engagements pris à Copenhague et à Aquila. Mais il illustre déjà les sommes considérables que la France s'est engagée à dépenser.

Sans même évoquer ni l'état des finances publiques ni les annonces d'une réduction des crédits d'interventions de tous les ministères envisagées sur plusieurs années, l'addition des sommes qu'il faudrait annuellement dépenser pour honorer ces engagements laisse penser qu'un certain nombre d'entre eux ne seront pas tenus. Les pouvoirs publics devront opérer de nombreux arbitrages dans la décennie à venir.

Votre commission estime que le Parlement aurait une plus grande visibilité sur les enjeux de ces arbitrages, si le document-cadre retraçait les efforts budgétaires nécessaires pour que la France tienne ses engagements en matière d'aide au développement.

2. Définir des objectifs en matière de répartition des financements par zones et par objectifs ?

Faut-il aller plus loin ? Faut-il, par exemple, déterminer un objectif de répartition entre les 4 zones géographiques prioritaires définies par le document-cadre ? Faut-il aller plus loin que les objectifs fixés en matière d'effort budgétaire consacré à Afrique subsaharienne et de dons aux 14 pays prioritaires ?

Faut-il également définir une répartition entre l'aide programmable destinée à l'aide bilatérale et à l'aide multilatérale ? N'est ce pas là un moyen de nous contraindre à rééquilibrer notre aide en faveur du canal bilatéral ? Mais où fixer le niveau ?

En attribuant leur aide bilatérale et leur aide multilatérale, quelques pays décident de plafonner la seconde. C'est le cas de l'Allemagne qui stipule que les montants alloués chaque année aux organisations multilatérales ne doivent pas représenter plus du tiers du budget du ministère fédéral de la coopération économique et du développement (BMZ). Alors que le débat se poursuit en Suisse sur l'imposition d'un plafond à l'aide multilatérale, d'autres pays, comme le Danemark, ont remplacé le plafonnement de cette aide par une politique de versement des fonds là où ils ont le plus de chances de produire des résultats.

Est-on sûr qu'une telle contrainte puisse être pertinente sur une longue période ? Le niveau pertinent est-il le même selon le niveau du budget.

Il est apparu à vos rapporteurs que définir des proportions de façon arbitraire indépendamment d'une appréciation sur l'efficacité respective des différents dispositifs et du niveau du budget n'était pas une solution très satisfaisante .

C'est pourquoi, ils ne proposent pas, en dehors de la redéfinition du critère proposé pour les pays pauvres prioritaires, d'objectifs chiffrés au-delà de ce qui a été proposé.

3. Définir des priorités suffisamment précises pour qu'elles puissent servir de cadre quelque soit l'état des finances publiques

En l'état, le projet de document-cadre définit le champ des objectifs souhaitables sans évoquer de contrainte budgétaire. Il définit la politique d'aide au développement que la France devrait poursuivre presque indépendamment des moyens dont elle dispose. Il définit ainsi « le souhaitable » plus que le possible. C'est d'ailleurs dans un premier temps de bonne méthode.

Il reste que la situation des finances publiques est telle que la poursuite de notre aide publique au développement devra s'inscrire dans un débat budgétaire qui sera soumis à une forte exigence de rigueur.

Dès lors il est souhaitable que le document puisse aussi être utile dans des situations où les budgets sont réduits.

Vos rapporteurs souhaitent en conséquence que le document-cadre soit suffisamment précis dans la définition des priorités pour qu'il puisse servir de référence dans les arbitrages qu'imposeront les réductions de crédits opérées dans le cadre du redressement des finances publiques.

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