IV. DES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE QUI GAGNERAIENT À SE FONDER SUR DES PERSPECTIVES BUDGÉTAIRES

A. LES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE

Le chapitre 4 du projet de document-cadre est intitulé « la mise en oeuvre du changement ». Il est articulé autour de plusieurs idées : la promotion de la gouvernance démocratique au niveau local et national comme axe transversal de toute politique de coopération, une vision globale du financement du développement, la promotion de la cohérence des politiques, une meilleure articulation entre niveau bilatéral, européen et multilatéral, un renforcement des relations avec les pays partenaires et avec les acteurs de coopération non étatiques.

1. La promotion de la gouvernance démocratique

Le document-cadre fixe comme première modalité de la mise en oeuvre du changement « La gouvernance démocratique ». Cette expression associe la « bonne gouvernance », la démocratie et l'association de la société civile à la définition de l'ensemble des politiques de lutte contre la pauvreté, de gestion des biens publics, et de croissance.

On ne peut qu'approuver ces objectifs. La démocratie fait partie des valeurs fondamentales que la France souhaite promouvoir.

La bonne gouvernance constitue indéniablement un facteur discriminant dans la réussite de certains pays.

A l'inverse, au-delà du manque de ressources financières, le déficit de capacités institutionnelles et de gouvernance constituent des obstacles sérieux au développement.

L'appropriation par les gouvernements des pays en développement des objectifs de développement durable et notamment des OMD passant par leur déclinaison dans les politiques publiques nationales constituent les principaux gages de succès. Les progrès constatés correspondent le plus souvent à un engagement de tous les acteurs : autorités locales, pays donateurs, et société civile.

Les performances des pays comme le Ghana, l'Ouganda, le Mozambique ou le Burkina Faso, comparées à celles de pays disposant d'autant sinon plus d'atouts, illustrent l'impact de la gouvernance sur la conduite du changement.

Le déficit de gouvernance a de multiples conséquences : il rend difficile la définition et le suivi des programmes de développement et des politiques publiques, il renchérit le coût des actions, et amenuise le ciblage vers les groupes vulnérable, et finalement rend incertain la pérennité des résultats. Les risques, les incertitudes, l'insécurité, tout comme la corruption, introduisent des coûts de transactions élevés et nuisent à une allocation optimale des ressources.

L'ensemble des actions visant à accompagner la mise en place d'Etat de droit et la réforme des pouvoirs publics constitue un axe central de l'aide au développement.

2. Une approche globale du financement du développement

Les auteurs du document souhaitent également s'appuyer sur une approche globale du financement du développement. Ils observent que la part de l'aide publique au développement dans le financement du développement se réduit et que les instruments et modes de financement se diversifient. Ils constatent qu'à côté de l'aide publique au développement, l'aide de fondations privées, les investissements privés, les flux de migrants ainsi que de nombreux instruments de marché, comme les prêts aux entreprises, le capital risque, les mécanismes de garantie, participent au développement des pays du Sud.

Le document-cadre fixe en conséquence à la politique de coopération pour objectif de mobiliser et d'orienter l'ensemble de ces ressources. Comme l'a affirmé le ministre des affaires étrangères devant la commission : « L'aide publique est un levier parmi d'autres. Si nous voulons être efficaces, nous devons adopter une approche qui prenne en compte l'ensemble des leviers. ».

Sur ce point, vos rapporteurs observent qu'il faut bien distinguer l'analyse économique des sources de financement des pays en développement et la définition des leviers d'une politique d'aide au développement .

Ainsi les flux d'investissement direct des entreprises ou les flux financiers du Nord vers le Sud des migrants sont des sources majeures de financement des pays en développement. Mais ils ne participent pas aux financements des politiques d'aide au développement. Ils ne sont que marginalement des leviers d'une politique d'aide aux pays en voie de développement. Leurs allocations dépendent en effet de l'agrégation d'arbitrages privés que les pouvoirs publics ne peuvent influencer qu'à la marge.

Les investissements directs étrangers (IDE) représentent par exemple pour les pays en développement 5 fois le volume de l'aide publique au développement. Mais ils sont très concentrés sur les pays émergents : les dix principaux pays bénéficiaires ont reçu 70 % des investissements directs étrangers, la Chine à elle seule disposant d'un quart du total.

Si l'aide publique au développement est si essentielle au développement des zones les plus pauvres d'Afrique, c'est aussi précisément parce que les investissements directs étrangers sont peu présents, voire absents. L'Afrique subsaharienne ne représente par exemple que 1,5 % des investissements direct de la France. Ces investissements sont, en outre, extrêmement fluctuants. Ainsi en 2008, en pleine crise financière, les flux de capitaux privés vers les pays en développement ont accusé une baisse sans précédent de plus de 780 milliards de dollars par rapport au niveau record de 2007, soit une diminution de 40 %. Il est indéniable que l'aide au développement a joué depuis deux ans un rôle d'amortisseur limitant l'impact de la crise financière en Afrique.

De même, les transferts de migrants dans les pays récipiendaires représentent dans certains pays d'Afrique entre 9 et 24 % du PIB soit entre 80 et 750 % de l'aide publique au développement dont ils sont bénéficiaires 19 ( * ) . Mais toutes les études montrent que ces sommes sont essentiellement des transferts de revenus destinés à la consommation courante et qu'il est très difficile d'orienter ces flux vers des investissements durables.

Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas essayer de réduire le coût de ces transferts ou de les orienter vers des investissements privés ou collectifs. La commission des affaires étrangères a déjà eu l'occasion de montrer combien cette piste pouvait être prometteuse 20 ( * ) . Comme l'a souligné devant elle M. Ramon Fernandez, directeur du Trésor, « la France participe activement aux actions en cours pour réduire les coûts des transferts des migrants, afin de répondre à l'objectif du G 8 d'abaisser en cinq ans ce coût moyen de 10 % à 5 % au niveau mondial » 21 ( * ) . A cet égard, la nouvelle réglementation sur les services de paiement en France ouvre des perspectives grâce à une plus grande concurrence et une plus grande transparence sur le marché, ce qui pourrait apporter chaque année plusieurs milliards d'euros de ressources supplémentaires aux habitants des pays en développement.

L'utilisation de ces flux dans les pays signifie en revanche qu'il est délicat de les comptabiliser au même titre que l'aide publique au développement.

De ce point de vue, le document-cadre se doit de bien distinguer plusieurs problématiques :

- celle des sources de financement des pays en développement et au premier chef les recettes fiscales de ces pays qui constituent un enjeu majeur de leur capacité d'investissement ;

- celle de la comptabilisation de l'aide publique au développement. Il apparaît clairement que la définition de l'aide publique au développement par l'OCDE, qui est la référence mondiale en ce qui concerne les objectifs quantitatifs aujourd'hui liés aux objectifs du millénaire (OMD) doit être améliorée et complétée par d'autres instruments de mesure;

- celle d'une approche globale de l'aide au développement qui dépasserait les seuls mécanismes financiers et les sphères publiques pour englober les financements privés, les mécanismes de marchés, ainsi que les négociations commerciales multilatérales.

La confusion entre ces différentes problématiques peut conduire à décrédibiliser la stratégie française en donnant l'impression de remettre en question la définition de l'aide publique au développement par l'OCDE, au profit d'une définition plus large au moment même où la France éprouve des difficultés à atteindre les objectifs qu'elle s'est fixée en matière d'aide publique au développement.

Dans une période où il apparaît probable que l'aide publique au développement de la France n'atteindra pas les 0,7 % du PIB en 2015, la tentation est grande de « changer de thermomètre au moment où la température n'est pas celle attendue ». Vos rapporteurs sont d'avis de ne pas y céder.

La référence dans le document-cadre à une approche globale qui « considère l'ensemble des flux, qu'ils soient publics (dont les ressources fiscales des pays, pour lesquelles la marge de progression est considérable) ou privés » peut être comprise comme une façon de « ringardiser » l'aide publique au développement.

La réaffirmation de l'objectif de 0,7 % du PIB et des objectifs pour le millénaire ne doit cependant pas nous empêcher de mener une réflexion sur ces trois problématiques.

La stratégie française de coopération gagnerait à bien analyser la diversité des sources de financement des pays en développement afin de définir l'allocation optimale des moyens entre le financement direct de ces pays notamment par l'impôt, la mobilisation des subventions des donateurs et les divers moyens de favoriser et de faire levier sur les sources de financement privées.

Il faut en particulier souligner que la source prioritaire de financement du développement doit être la mobilisation des ressources nationales et en particulier l'impôt. Comme l'avait souligné le consensus de Monterrey : l'aide aux pays en développement doit avoir pour contrepartie un effort de ces pays pour mettre en place un système fiscal efficace .

En dépit des progrès considérables cette dernière décennie, encore trop de pays en développement ont un pourcentage de recettes fiscales en proportion du PIB inférieur ou égal à 15 %, c'est-à-dire à un niveau assez proche de l'aide publique au développement qu'ils reçoivent avec un risque de substitution entre l'aide étrangère et les recettes fiscales.

De ce point de vue, l'aide consacrée à la mise sur pied dans ces pays de systèmes fiscaux stables, basés sur une assiette élargie constitue une priorité.

La question de la meilleure façon de comptabiliser l'aide publique au développement ne doit également pas être ignorée. Le propos n'est pas ici de conduire un exposé technique sur le travail de définition particulièrement complexe de l'aide publique au développement effectué au sein du Comité d'aide au développement de l'OCDE. Il faut cependant dire que la définition actuelle présente des inconvénients de plus en plus visibles.

Comme l'a observé M. Serge Michaïlof lors de la table ronde « le concept d'aide publique au développement est un fourre-tout statistique : on y trouve nombre de dépenses qui n'ont aucun rapport avec une aide de terrain effective, telles que les annulations de dettes, la prise en charge du coût des étudiants étrangers, des frais administratifs, des dépenses pour Mayotte, Wallis et Futuna. En même temps, il ne prend pas en compte nombre d'efforts qui relèvent clairement d'une aide au développement, comme les garanties apportées par l'Agence Française de Développement, les prises de participation de Proparco, le montant des dotations privées des organisations non gouvernementales (ONG) bénéficiant de déductions fiscales. » .

Vos rapporteurs ont pu l'observer lors de leurs auditions, la définition de l'aide publique au développement au sens de l'OCDE sert essentiellement à mesurer notre effort pour atteindre les 0,7 % et a largement perdu de sa pertinence pour mesurer les moyens effectivement disponibles sur le terrain pour des projets de coopération.

Dès qu'un interlocuteur veut parler de l'effort réel en faveur d'un pays, ou bien de l'argent effectivement disponible pour financer des projets, il évoque d'autres critères dont l'aide programmable. Autrement dit l'aide dont on a enlevé les annulations de dette, les coûts d'écolage et de prise en charge des réfugiés, et autres éléments moins en rapport avec le développement.

Il y aurait sur ce critère d'aide programmable également beaucoup à redire puisqu'on y trouve l'aide aux TOM, les financements de l'AEFE ou encore la rémunération des dépôts des banques centrales des pays de la Zone franc. Il permet néanmoins de se faire une première idée des financements effectivement disponibles pour l'aide au développement.

Si on se situe au niveau des pays récipiendaires, les études de terrain montrent que les montants vraiment disponibles sont encore plus limités. Une enquête de l'OCDE sur 55 pays a établi que sur les 8 milliards de dollars d'aide publique au développement brute française, seulement 1,7 milliard de dollars était effectivement disponible pour des projets d'aide au développement.

Ainsi sur 8 milliards déclarés en 2008 par la France, seulement 5 sont programmables et un peu moins de 2 ont été constatés dans les pays récipiendaires.

C'est dire que les batailles de chiffres auxquelles se livrent les pays désireux d'atteindre leur objectif d'aide publique au développement n'ont pas toujours de sens.

C'est souligner également combien la définition actuelle de l'aide publique au développement mesure mal la réalité qu'elle est supposée appréhender.

Les défauts de cet agrégat ont des conséquences sur la conduite de la politique d'aide au développement et introduisent un biais dans ses orientations. La pression exercée afin que les Etats remplissent leur engagement en termes de pourcentage d'aide publique au développement dans le revenu national conduit sur le long terme les gouvernements à maximiser des dépenses qui rentrent dans l'agrégat au détriment d'autres types d'interventions qui peuvent s'avérer tout aussi utiles sinon plus.

Votre commission estime en conséquence qu'il conviendrait d'améliorer et de diversifier les instruments de mesure dans le cadre de l'OCDE.

3. Mécanismes et financements innovants

Le document-cadre souligne qu'une « attention particulière doit être portée aux mécanismes et financements innovants » telle que la taxe sur les billets d'avions ou le projet de taxe sur les produits financiers.

Selon le document-cadre, l'objectif de ces financements innovants est triple. Il s'agit d'élargir l'assiette traditionnelle de l'aide publique au développement, qui repose trop exclusivement sur le contribuable des pays de l'OCDE, à une fiscalité assise sur les activités économiques internationales. Il s'agit également d'améliorer la prévisibilité du financement, notamment pour prendre en charge de nouvelles dépenses récurrentes. Il s'agit enfin de changer d'échelle.

Dans ce contexte national et international de restriction des moyens budgétaires et d'endettement historique, la France joue un rôle moteur sur la question des financements innovants pour le développement. Ces derniers pourraient dégager, à terme, de nouvelles marges de manoeuvre pour faire face à la pression croissante de la réalisation des OMD autour de l'échéance 2015 et à la montée en puissance de nouveaux besoins financiers liés au changement climatique. L'accord de Copenhague prévoit ainsi 100 milliards de dollars de fonds publics et privés d'ici 2020 avec mention explicite à des financements « alternatifs ».

Avec la taxe sur les transports aériens, la France a été pionnière pour l'instauration d'un premier mécanisme. Elle est aujourd'hui à la pointe du débat de la taxe sur les transactions financières au bénéfice du développement.

Comme l'a souligné M. Jean-Michel Severino lors de la table ronde, « l'élaboration de ce document doit être l'occasion de faire progresser la recherche en matière de financements innovants. ».

Au regard des besoins estimés pour atteindre les OMD et de ceux qui sont évalués pour faire face au réchauffement climatique, les financements innovants sont la seule solution qui permettrait d'atteindre des montants significatifs. En effet, les sommes en jeu sont sans commune mesure avec les dotations budgétaires actuelles des pays de l'OCDE.

Asseoir le financement des politiques d'aide au développement sur une ressource fiscale mondialisée permettrait en outre de jeter les bases de politique publique de redistribution à l'échelle mondiale. Leur mise en place est d'autant plus justifiée qu'elles constituent une forme moderne de redistribution internationale basée pour l'essentiel sur la taxation d'activités qui bénéficient de la mondialisation vers ceux qui n'en profitent pas ou peu 22 ( * ) .

Votre commission estime que cette approche pourrait constituer un axe majeur de la stratégie française. Elle est indispensable aux financements des nouveaux objectifs de l'aide au développement liés à la préservation des biens publics mondiaux.

4. La cohérence des politiques

Le document-cadre souligne qu'il « importe de restituer l' aide publique au développement dans un cadre plus global des politiques et initiatives qui ont un impact sur le développement : négociations commerciales, politiques agricoles, flux de migrants, flux de capitaux, évolution des prix sur les marchés internationaux, etc ».

Les traités européens définissent la cohérence comme une obligation de garantir que les politiques domestiques et extérieures de l'Union européenne et des Etats membres ne nuisent pas à l'objectif d'éradication de la pauvreté dans les pays en développement. Une communication de la Commission européenne publiée en 2005 identifie douze politiques devant répondre à cette obligation. Il s'agit notamment de la coordination des politiques économiques, monétaires et budgétaires, des règles et régulations commerciales, des normes sociales et environnementales, des politiques sectorielles (énergétiques, agricoles,...) et des questions de migration, de sécurité, et de lutte contre les trafics, autant de sujets sur lesquels une approche non coopérative entraîne davantage de précarité et de vulnérabilité au Nord comme au Sud.

On ne peut que souscrire à cette volonté tant ces autres politiques ont un impact parfois beaucoup plus important sur le développement des pays du Sud que l'aide elle-même. Il est paradoxal de financer des millions d'euros de projets agricoles en Afrique et de contribuer à fermer les frontières commerciales aux produits issus de ces projets.

Cette préoccupation affichée du document-cadre est d'autant plus importante que la France ne dispose pas d'un cadre général donnant une assise politique à un travail interministériel structuré sur ces dossiers de cohérence des politiques publiques comme l'a souligné l'examen de la politique Française de développement par l'OCDE en 2008.

Le document-cadre répond à cette préoccupation en proposant de mettre en place un dispositif institutionnel structuré pour la mise en oeuvre et le suivi de la cohérence de ses politiques nationales et des politiques européennes avec les objectifs de développement. Il faut souhaiter que ce dispositif se mette en place.

Votre commission souhaiterait l'élaboration d'un document évaluant la cohérence des politiques publiques françaises avec les objectifs de développement. Un tel document supposerait une mise au clair des rapports entre la politique agricole commune et la politique d'aide au développement.

La France doit se distinguer tant au niveau national qu'au niveau européen par la volonté d'assurer une cohérence globale de ses politiques, en particulier lors de la reprise des négociations lors du cycle de Doha. Les pays en voie de développement souhaitent une conclusion rapide de ce cycle qui permettra à leurs produits d'accéder plus facilement aux marchés des pays de l'OCDE.

Votre commission estime souhaitable que la France soutienne les initiatives en matière commerciale comme l'approfondissement des régimes préférentiels avec l'accès sans quota ni droits de douane aux marchés des pays développés pour les exportations des pays d'Afrique sub-saharienne à bas revenus.

Si l'objectif ultime de l'aide au développement est de créer les conditions pour que ces pays soient autonomes, il importe de favoriser la croissance des économies en développement par des mécanismes du marché et des échanges.

5. La complémentarité entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales

Le projet document-cadre souligne la complémentarité entre les actions bilatérales, européennes et multilatérales. Il estime que le G20 offre une opportunité d'intégration des questions de développement au coeur des politiques globales. Il souhaite que l'Union européenne devienne un acteur de poids pour la construction des nouvelles politiques globales et régionales. Il constate que « l'influence sur les niveaux européen et multilatéral dépend d'une capacité propre, financière et opérationnelle, en bilatéral ». Il estime qu'il faut définir un équilibre pour le partage multi/européen et bilatéral.

Votre commission souscrit à ces objectifs généraux, mais souhaiterait que cet aspect de la stratégie française fasse l'objet d'une attention plus soutenue.

Elle rappelle que l'aide multilatérale et européenne constitue 55 % de l'aide programmable française. La question de l'articulation, du pilotage et de l'équilibre entre les différents niveaux d'aide est un aspect primordial puisque l'aide multilatérale représente plus de la moitié des financements disponibles.

Source : Sénat / PLF 2010

Votre commission regrette que les travaux sur la stratégie de la France à l'égard de la politique européenne de développement ou de la Banque mondiale n'aient pas fait l'objet d'une consultation identique à celle du document-cadre.

a) Améliorer la qualité du partenariat qu'entretient la France avec les organisations européennes et multilatérales chargées de l'aide au développement

Votre commission souhaite que la question du pilotage des contributions françaises aux instances multilatérales soit intégrée parmi les priorités de la stratégie française. Elle a le sentiment que la part croissante de nos contributions aux instances multilatérales ne s'est pas traduite par une influence croissante dans la programmation de ces organismes.

De nombreux intervenants lors de la table ronde ont souligné combien il était difficile de peser sur la programmation des instances internationales. M. Jean-Michel Severino a observé ainsi que cela était « d'ailleurs plus difficile encore au niveau européen qu'au niveau international » jugeant « opportun de définir un objectif d'influence en la matière » et de « prévoir une stratégie plus offensive à l'égard de l'aide publique au développement assurée par le canal multilatéral et européen ».

Ces propos rejoignent les évaluations faites par la DGTPE (DGT maintenant) du ministère des finances sur l'efficacité de l'interaction des organisations multilatérales dans les pays africains 23 ( * ) . Ces dernières soulignent la faible corrélation entre la programmation de la Banque mondiale et les priorités de la France.

Cette situation que l'on retrouve au Fonds Européen de Développement est particulièrement surprenante dans la mesure où la France y était le principal contributeur depuis 2005.

La France consacre chaque année 34 % de son aide au développement à la politique européenne d'aide au développement, soit près de 1,8 milliard d'euros. Plusieurs intervenants lors de la table ronde ont fait part du sentiment que, d'une part, la France a du mal à peser le cours de la programmation du Fonds Européen de Développement (FED) et, d'autre part, que l'efficacité globale de la politique européenne n'était pas toujours aussi satisfaisante qu'elle pourrait l'être.

Votre commission souhaiterait que, dans la perspective de la reconstitution du budget du Fonds Européen de Développement (FED), soit évaluée la qualité du partenariat français avec ce fonds, qui représente dans le budget français de l'aide au développement, avec prés de 900 millions d'euros, la première contribution multilatérale française.

Elle estime que l'amélioration du partenariat entre le France et les grandes institutions que sont le Fonds Européen de Développement (FED) et la Banque mondiale est un objectif important de notre politique d'aide au développement.

La France est le deuxième contributeur en volume d'aide multilatérale, en termes absolus. Son influence sur la programmation des instances internationales doit être à la hauteur de cet engagement.

Votre commission estime que le document-cadre doit fixer pour objectif à notre politique de coopération d'obtenir dans les programmations de ces organismes un poids proportionnel à ses contributions.

Elle souhaite la mise en place d'une stratégie d'influence dans ces organismes qui impose notamment de promouvoir auprès de nos partenaires multilatéraux et bilatéraux le recours à l'expertise française comme l'a souligné notre collègue M. Joseph Kergueris, rapporteur de notre commission sur le projet de loi relatif à l'action extérieure de l'Etat 24 ( * ) .

b) Trouver un meilleur équilibre entre les financements des actions bilatérales, européennes et multilatérales

Le document-cadre évoque la recherche d'un équilibre entre les financements des actions bilatérales, européennes et multilatérales.

Lors des auditions que vos rapporteurs ont effectué tout au long de l'année, ils ont pu constater les conséquences concrètes de la diminution de notre aide bilatérale qui semble avoir atteint un niveau plancher.

Source : AFD

Nombre d'intervenants lors de la table ronde ont effectué le même constat. M. Serge Michaïlof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, a estimé que « nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée ». Il en conclut qu'il est « indispensable de revenir sur cette ancienne décision, jamais explicitée, qui a sacrifié l'aide programmable bilatérale en subventions au profit des grands multilatéraux (Banques régionales de développement, Banque mondiale), des canaux européens, et des fonds des Nations unies.»

Le ministre lui-même lors de son audition a concédé que « Le canal bilatéral est fragilisé... la répartition actuelle n'est pas efficace face aux situations de crise. Il faut renforcer la coopération bilatérale : c'est l'un des traits de la politique française dont il faut renouveler le sens et l'image sociale. ».

Force est de constater que l'aide bilatérale et singulièrement celle sous forme de dons s'est considérablement réduite ces dernières années comme l'illustre le graphique suivant.

Source : Sénat / OCDE

Cette diminution des subventions affecte particulièrement les pays qui n'ont pas accès aux prêts et qui de ce fait ont le plus besoin de l'aide internationale. La réduction des moyens de notre aide bilatérale a déjà diminué l'ancrage de la France dans certains pays d'Afrique Saharienne. Qui s'attendrait par exemple à voir le Canada ou les Pays-Bas devant la France au Mali ?

Source : Sénat / OCDE

La contrainte budgétaire qui pèse par exemple sur les secteurs de l'éducation et de la santé inquiète de nombreux bénéficiaires dans la zone francophone qui considèrent l'opérateur français comme un partenaire historique ayant la connaissance nécessaire pour accompagner la modernisation des systèmes sectoriels nationaux. Cette situation prive la France des avantages comparatifs de l'aide bilatérale qui résident dans une expertise sectorielle forte, une capacité d'innovation, une réactivité et une flexibilité élevées. Elle réduit également les leviers d'influence français au niveau multilatéral. Comme le souligne le document cadre « l'influence sur les niveaux européen et multilatéral dépend d'une capacité propre, financière et opérationnelle, en bilatéral ».

Les évaluations disponibles sur le rôle de la France dans la programmation des organisations multilatérales et européennes laissent en effet penser que l'influence française dans ces instances passe aussi par des crédits bilatéraux préservés qui garantissent à la France une expertise sectorielle forte.

Votre commission estime que le redressement des crédits bilatéraux français constitue un préalable incontournable à la crédibilité de sa politique de coopération.

Votre commission juge en conséquence que le document-cadre doit se fixer comme objectif la restauration d'une capacité d'aide bilatérale.

Elle n'ignore cependant pas l'utilité et l'efficacité de l'aide multilatérale. La Commission européenne ou les partenaires multilatéraux, dont l'universalité de l'action est plus forte que celle des partenaires bilatéraux, disposent d'avantages comparatifs indéniables qui font d'eux des acteurs incontournables sur des thèmes comme la gouvernance ou dans le financement de projets d'infrastructures. Les capacités financières qui sont les leurs permettent des avancées importantes dans l'atteinte d'« indicateurs » de développement, à l'image de certains résultats réalisés par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme.

Source : Sénat / OCDE

Votre commission estime que la complémentarité entre les deux niveaux passe par un équilibre aujourd'hui rompu. Elle considère qu'il convient de retrouver cet équilibre en restaurant la capacité d'initiative de l'aide bilatérale.

c) Donner une vision de l'architecture internationale de l'aide au développement

Elle estime cependant nécessaire que la France prenne position pour une plus grande cohérence de l'architecture internationale de l'aide au développement.

Actuellement, quelques 263 organisations internationales peuvent recevoir des apports d'aide publique au développement. Au nombre de 15 en 1940, on en dénombrait 47 en 1960. Plus de 80 organismes sont devenus éligibles dans les années 60 et 70, dont 10 orientés vers la recherche sur l'environnement et 10 sur la recherche agricole. Cette prolifération s'est ralentie dans les années 80 et 30 organismes « seulement » ont été admis à recevoir des apports d'aide publique au développement au cours de cette période. Les années 90 ont vu l'apparition de 45 nouvelles organisations éligibles et, en 2006, une vingtaine d'organismes nouveaux ont été créés, notamment dans le secteur de la santé.

Les agences multilatérales ont été créées dans l'objectif de mettre en oeuvre des principes d'action collective au niveau de la communauté internationale, de bénéficier d'économies d'échelle et d'éviter ainsi de faire perdurer des stratégies nationales non-coopératives là où une solution collective semble avoir un avantage comparatif avéré. Avec 263 organisations internationales et la multiplication d'instruments autonomes comme les fonds verticaux, le paysage institutionnel de l'aide semble avoir reproduit au niveau international la cacophonie à laquelle elle devait mettre fin au niveau bilatéral. Comme le souligne de nombreux observateurs « Le système international dans le domaine de développement ressemble aujourd'hui de plus en plus à un écosystème où il y a toujours plus de naissances et jamais de morts. »

Un des objectifs que doit fixer le document-cadre à la politique française de coopération est de veiller à la cohérence de l'architecture internationale, de contribuer à la réduction du nombre des organismes et de promouvoir les mécanismes de mise en cohérence des institutions multilatérales et bilatérales existantes.

Il importe donc que la France prenne clairement position en faveur d'une meilleure spécialisation des agences multilatérales. Spécialisation basée sur leurs avantages comparatifs respectifs, dans la logique du code de bonne conduite de l'Union européenne sur la complémentarité et la division du travail dans les politiques de développement. Les pratiques de cofinancement, de mutualisation, de délégations de gestions et de fonds fiduciaires doivent également être favorisées afin d'assurer une plus grande cohérence de l'action collective.

Peut-on « mettre de l'ordre dans la pagaille » se demande M. Serge Michaïlof dans son dernier ouvrage sur l'aide au développement. Il convient sans doute de se résigner à ce que les politiques d'aide au développement mobilisent de nombreux acteurs de diverses origines nationales, multinationales, publiques et privées. On peut même penser que la concurrence entre ces différents acteurs peut avoir des effets bénéfiques. Mais votre commission estime qu'il y a une marge de manoeuvre vers un peu plus de cohérence et de coordination.

6. Moderniser les relations avec les pays partenaires

Le projet de document-cadre souligne la nécessité de moderniser les relations avec les pays partenaires. Il observe que « l 'efficacité nécessite une approche partenariale, fondée sur l'égalité des partenaires, un diagnostic commun et partagé des besoins et une contractualisation des engagements réciproques » Il constate que « l'émergence d'une coopération internationale équilibrée requiert la capacité des pays en développement à identifier leurs intérêts et à les faire entendre dans les instances pertinentes, dans une égalité de statut qui suppose aussi responsabilisation et réciprocité ».

Le document reprend ici la méthodologie issue de la déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide. La dernière évaluation de la mise en place de cette déclaration en France 25 ( * ) fait ressortir que le « Document-Cadre de Partenariat est en pratique généralement utilisé comme un document de planification de l'aide publique au développement française, limitant la notion de partenariat aux institutions françaises concernées. ». Elle souligne qu'il faudrait peu de modifications concernant la procédure de formulation de ce document pour permettre la consultation réelle des autres partenaires (gouvernement et autres bailleurs) avant que les acteurs français prennent les décisions ultimes qui leur reviennent. Une telle évolution aurait des effets positifs.

7. Travailler en partenariat avec les acteurs non étatiques de la coopération

Le document-cadre souligne qu'une partie significative du dynamisme de la coopération internationale pour le développement provient d'acteurs non-étatiques : organisations non gouvernementales, associations de migrants, entreprises, partenaires sociaux, fondations, collectivités territoriales. Il observe que « Cette diversité est à la fois une richesse, parce qu'elle offre un champ très large de connaissances et de compétences (tous participent au repérage des problèmes et aux solutions à apporter), et un problème, dans la mesure où la multiplication des acteurs dans certains pays peut poser des problèmes de cohérence et de régulation ». L'enjeu pour la coopération française réside dans sa capacité à accompagner cette dynamique collective en soutenant les initiatives en faveur du développement propres à chaque famille d'acteurs et en appuyant le renforcement de leurs capacités.

Alors que la France a longtemps peiné à concevoir sa politique de coopération autrement qu'au niveau interétatique, la reconnaissance de la contribution des ONG à l'efficacité de l'aide progresse. Alors que cette situation se traduisait au niveau budgétaire par le peu de crédits publics transitant par les ONG, la coopération non-gouvernementale restant le parent pauvre de la coopération française, l'engagement de 2005 du Président Jacques Chirac, repris par le Président Nicolas Sarkozy, de doubler la part d'aide publique au développement transitant par les ONG françaises devrait permettre progressivement de rattraper le retard français dans ce domaine.

On ne peut pas à la fois regretter de ne pas avoir des ONG structurées disposant d'une expertise reconnue comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons et ne pas accorder à ces ONG un rôle à part entière dans les politiques d'aide au développement. Vos rapporteurs souhaitent que ce mouvement de reconnaissance des ONG se poursuive.

Les ONG sont en effet des acteurs assurant une véritable complémentarité par rapport aux institutions et aux administrations chargées de la mise en oeuvre des politiques de coopération. Les ONG sont les acteurs d'une coopération de proximité qui mènent sur le terrain des actions souvent remarquables.

Autre acteur incontournable, les collectivités territoriales sont en passe de devenir des acteurs majeurs de la coopération. Les 26 régions, plus des trois quarts des départements, la quasi-totalité des grandes villes et des communautés urbaines, de très nombreuses communes moyennes ou petites et un nombre croissant de structures intercommunales sont en effet impliqués dans des projets de coopération à l'international.

Au total, près de 3 800 collectivités territoriales françaises ont consacré, en 2007, 72 millions d'euros à des projets menés dans des pays en développement ou au bénéfice d'associations agissant pour elles à l'international.

Comme l'a souligné M. Jean-Louis Vielajus lors de la table ronde « il faut considérer trois niveaux dans l'aide au développement : le niveau global, le niveau national et le niveau local. L'ambition, c'est de trouver la bonne combinaison entre les trois niveaux. Les ONG et les collectivités territoriales sont nécessaires pour initier les projets. »

Vos rapporteurs souhaitent que le document-cadre fasse de la promotion des actions des ONG et des collectivités territoriales un objectif stratégique et que l'Etat puisse, dans le respect de leur autonomie, les aider à structurer leurs efforts dans ce domaine.

* 19 Les transferts des fonds des migrants, un enjeu de développement, Banque Africaine de développement, 2009

* 20 Le co-développement à l'essai, rapport d'information n° 417 (2006-2007) de Mme Catherine TASCA, MM. Jacques PELLETIER et Bernard BARRAUX http://www.senat.fr/rap/r06-417/r06-417.html

* 21 Audition de M. Ramon Fernandez, directeur général du trésor et de la politique économique, sur le projet de loi de finances pour 2010 (mission Aide publique au développement).Mardi 14 octobre 2009. http://www.senat.fr/bulletin/20091012/etr.html#toc9

* 22 Cf Aide internationale : vers une justice sociale globale, Jean-David Naudet, Jean Michel Sévérino et Olivier Charmoz, Esprit Mai 2007.

* 23 Mars 2010 - Efficacité de l'interaction des organisations multilatérales dans les pays africains DGTPE

* 24 Rapport n° 262 (2009-2010) du 3 février 2010 - par M. Joseph KERGUERIS sur le Projet de loi relatif à l'action extérieure de l'État, http://www.senat.fr/rap/l09-262/l09-262.html

* 25 Evaluation de la mise en oeuvre de la déclaration de paris par la France Rapport Final - Version révisée 11 Janvier 2008

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