M. Patrick HETZEL, directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Vous avez pu le noter, la question des classements des universités est devenue un débat passionnel. Je vais essayer de revenir, avant d'entrer sur ce qu'on a pu faire et proposer au niveau européen, sur un élément historique assez frappant. Quand vous regardez la question des classements, elle est intervenue assez récemment. Le premier classement récent est celui que l'on trouve avec US-News en 1983. En fait, nous avons une très longue histoire pendant laquelle nos systèmes d'enseignement supérieur et de recherche étaient fortement ancrés dans des cultures nationales et régionales. La question de la comparaison internationale se posait peu et elle se posait d'autant moins pour l'Europe puisqu'elle était en situation de domination en termes d'idées au niveau mondial. L'un des éléments qu'il ne faut pas ignorer - et j'aurai l'occasion d'y revenir - c'est que ce qui se joue, et cela a été rappelé par différents intervenants : quand on aborde la question des classements, jusqu'à un certain point, ce qui est en jeu c'est la domination des idées et de ceux qui en assurent la production et la diffusion. On est en train de parler du système de valeurs. C'est quelque chose de très profond.

Dans un passé récent, ce qui a eu un autre impact très fort, c'est l'arrivée de la stratégie de Lisbonne, notamment parce qu'elle a montré que pour promouvoir l'innovation, il fallait mettre en place un dispositif qui faisait que les pays mettaient l'accent sur la formation, parce que la formation était un outil de compétitivité. On a mis l'accent à l'intérieur de l'espace européen sur la libre circulation des personnes et des biens, l'ouverture des frontières, l'essor des échanges. Cela a contribué à développer un phénomène, qui est à mettre en perspective avec la question des classements au moins jusqu'à un certain point, que l'on appelle le brain drain , c'est-à-dire le fait que les élites bougent. Nous avons à garder cela à l'esprit. Cela a des conséquences. Cela oblige les nations à développer et à investir de manière massive dans l'enseignement supérieur et la recherche. C'est pour cela que, plus que jamais, les parlementaires posent des questions quant à la performance, quant à l'efficacité de l'investissement des deniers publics, parce que sinon, on va s'épuiser et les investissements ne suffiront pas pour améliorer notre performance et notre efficacité. On voit bien que cela a donné lieu, à l'initiative des pays anglo-saxons, à un véritable marché. Le classement est à mettre en perspective avec la notion de marché. Pour être compétitif dans cet espace, il y a au moins trois choses : alimenter l'innovation par la recherche, assurer des formations pour créer le meilleur vivier possible de talents à tous les niveaux de formation, rendre un espace attractif, qu'il s'agisse de l'espace français ou de l'espace international.

Cela interroge désormais la définition des missions des universités. Quand vous regardez les débats parlementaires au moment de la LRU, on a bien vu que l'article premier sur les missions était très riche. Il faut éviter une lecture trop primaire de l'enseignement supérieur, qui serait uniquement un marché. On voit bien qu'on a d'autres valeurs à défendre. Ce n'est pas qu'un marché. En même temps, on ne peut pas limiter les universités aux seules missions de diffusion et de production de connaissances. Le débat autour de l'insertion professionnelle à cet égard est très intéressant. Cela va encore être présent avec le grand emprunt, puisque se pose la question de la valeur ajoutée, de la valorisation. Lorsque la nation investit dans un système, quel est le degré de retour sur investissement possible ? Ce n'est pas uniquement de nature économique mais de manière globale et sociétale.

Le vrai problème partagé, à mon avis, par tous les États, c'est cette question de l'attractivité du système de l'enseignement supérieur et de la recherche. On voit bien que les classements jouent un rôle dans la plus ou moins grande attractivité. Il y a deux grands types de classements. Il y a des classements qui sont là pour aider les étudiants à faire des choix. À l'autre bout du spectre, il y a des classements pour mesurer l'intensité de la recherche effectuée dans ces universités. Ce n'est pas exactement la même chose. Il faut être très prudent. Cela a été dit très largement. Tous les classements n'ont pas les mêmes objectifs et il faut intégrer cette dimension. Pour nous, en France, l'une des ambitions est de construire un continuum pour les étudiants entre information, orientation et insertion professionnelle et c'est pour cela que nous avons besoin d'un outil multicritères qui permette de mettre les choses en perspective. Quand on veut faire des classements, ce qui est important, c'est la collecte des données. C'est un sujet qui est très sensible parce que, très rapidement, on voit bien que ce qui peut constituer un frein à la collecte des données, c'est lorsqu'on utilise ces données pour attribuer des moyens. C'est typiquement le type de problème auquel les politiques publiques peuvent être confrontées : comment être sûrs d'avoir des données fiables et faire en sorte que l'on ait une acceptabilité sociale de ce que l'on est en train de faire ?

Je pense que cette question des moyens est aussi l'un des freins en France, même si je sais qu'il y a quelques universitaires qui se sont intéressés sous forme de communauté académique à la question de l'évaluation et de l'étude scientifique de l'univers de l'enseignement supérieur et de la recherche... À l'étranger, les pays anglo-saxons et les Pays-Bas ou d'autres nous montrent que les académiques se sont emparés du sujet et font de véritables recherches pour que l'on ait un regard scientifique sur ces questions. Cette approche développée autour des classements et qui concerne l'enseignement supérieur doit aussi répondre à des politiques sociales, comme les questions d'égalité des chances et d'accès du plus grand nombre à l'appareil de formation. Cette question a été évoquée tout à l'heure. L'un des objectifs qui nous est fixé, c'est de faire en sorte que 50 % d'une classe d'âge soit diplômée de l'enseignement supérieur. On est en pleine stratégie de Lisbonne. Pour atteindre cet objectif, il y a un défi pour les politiques publiques et leurs instruments de faire en sorte que l'on puisse créer des conditions favorables pour le développement et le financement de l'enseignement supérieur d'une part mais que d'autre part, on puisse en rendre compte. Les classements sont une manière, dans un certain nombre de cas et lorsque l'on est très multicritères, de rendre compte comment sont mobilisés les deniers publics. On est ici au Parlement et c'est un élément qui revient fréquemment parce que, quand on a un budget de l'enseignement supérieur qui augmente d'un milliard par an, c'est aussi un élément dont il faut tenir compte.

Le dernier point qui me semble essentiel, c'est la structuration actuelle de l'enseignement supérieur français. Il doit intégrer cette question des classements, mais il ne faut pas s'y tromper. Un classement est un indicateur, un outil. Je pense que ce qui est important, c'est de revenir à ce qu'il y a en amont des classements. En amont, ce sont des stratégies d'établissements d'enseignement supérieur et de recherche, ce sont des projets. Ce qui est essentiel c'est de prendre conscience que si nous voulons pouvoir progresser, nous devons plus que jamais nous poser des questions stratégiques. En l'occurrence, le ministère a fait évoluer progressivement sa politique de contractualisation en centrant la discussion sur un certain nombre d'indicateurs et en ayant une discussion sur la stratégie. Il faut pouvoir échanger sur le projet d'un établissement et c'est le projet qui, lorsqu'il sera mis en oeuvre, sera capté par les classements et sera plus ou moins mis en valeur. Il me semble important d'indiquer que si nous avons un énorme travail en amont, si les établissements d'enseignement supérieur améliorent leur stratégie et la construction de leurs choix stratégiques, ipso facto cela aura des conséquences sur les positionnements dans les classements. C'est pour cela que nous avons aussi une action à mener. Le classement européen doit nous aider à faire prendre conscience de la nécessité d'une approche multicritères. Il y a différents acteurs qui peuvent s'en emparer. Les classements doivent être positionnés comme des outils et doivent rester à leur place. Ils ne sont en aucun cas la stratégie. Ils ne peuvent être que des formes de représentation à un instant T de celle-ci. Il y a toute une pédagogie à faire pour les remettre à leur place, dans leur contexte, savoir que ce sont des outils pouvant être mobilisés par les étudiants pour faire leurs choix. Cela peut être des outils pour aider au positionnement stratégique des établissements d'enseignement supérieur. Ce sont des outils, même si - et il ne faut pas être naïf à ce sujet - dans un certain nombre de cas - et je pense que dans le cas du classement de Shanghai c'est assez clair - ce sont aussi des outils de domination culturelle. Notre rôle est de ne pas être naïfs à cet égard. C'est une autre raison pour laquelle, plus que jamais, il est essentiel que l'Europe puisse faire entendre sa spécificité et puisse à nouveau faire part de toute cette richesse. Quelqu'un a dit que nous avons peur de l'uniformité. Je crois que nous avons aujourd'hui la chance d'avoir un système qui a une certaine richesse. Il faut la préserver car elle constitue un levier important pour nous positionner au niveau international par rapport à d'autres systèmes d'enseignement supérieur et de recherche. Je vous remercie beaucoup.

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