CLÔTURE

M. Joël BOURDIN, président de la délégation sénatoriale à la prospective

Je vais vous dire le grand plaisir que j'ai eu à participer à ce colloque aux côtés du président Legendre, en tant que président de la délégation sénatoriale à la prospective. Je connais la sensibilité de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication à ces problèmes d'évaluation. Cela me fait plaisir de me retrouver avec lui, puisqu'il y a vingt-cinq ans, il était mon ministre, j'étais recteur et on parlait déjà d'évaluation et de l'affectation des moyens. Le sujet a évolué un peu.

Les débats de cet après-midi, riches d'enseignement et de communications diverses, ont montré qu'il ne s'agit pas de tourner le dos à l'évaluation, même quand on intitule notre colloque « Oublier Shanghai ». C'est répondre à plusieurs défis. D'abord, dépasser les polémiques et se tourner vers l'avenir en tenant compte des conséquences inévitables de la mondialisation et de la mobilité. Ensuite, favoriser l'émergence de systèmes d'information transparents, performants, intelligents, c'est-à-dire prenant en compte la diversité des structures et des objectifs de l'enseignement supérieur. Enfin, ne pas se voir imposer de l'extérieur un outil imparfait pour nous, mais construire ensemble dans un cadre européen des indicateurs d'évaluation adaptés à notre histoire et à notre culture.

Au-delà des polémiques, le consensus est possible autour d'un certain nombre de constats.

Au cours des trente dernières années, le monde s'est transformé. La mobilité internationale des étudiants a triplé. Trois millions d'étudiants étudient aujourd'hui en dehors de leur pays d'origine et ils pourraient être entre quatre à six millions d'ici 2025. Plusieurs autres tendances à long terme sont identifiables. La recherche est de plus en plus internationalisée, ce qui se traduit par davantage de coopération mais aussi de compétition. Le leadership américain est progressivement concurrencé par des systèmes d'enseignement supérieur européens ou asiatiques de plus en plus influents. À l'échelle mondiale, l'enseignement supérieur privé progresse. Enfin, toujours au plan mondial, la gouvernance des établissements tend à être soumise à des mécanismes de marché, s'agissant de l'allocation des moyens. Qu'on les approuve ou qu'on les regrette, ces évolutions ne peuvent pas être ignorées. Elles expliquent la multiplication des comparaisons et des classements dont la presse se fait l'écho dans le domaine de l'enseignement comme d'ailleurs dans d'autres domaines comme les hôpitaux. On voit fleurir assez souvent des classements des hôpitaux et cliniques.

Dans ce contexte, il devient indispensable de favoriser l'émergence de systèmes d'information transparents et performants. Il s'agit de donner une image fidèle, non déformée, des systèmes d'enseignement supérieur. La question est politique et la France s'en était emparée lors de sa présidence de l'Union européenne, relayée par la Commission, qui était à l'origine du futur classement européen U-Multirank. Le Parlement ne peut s'en désintéresser. C'est pourquoi l'ancienne délégation à la planification, qui est devenue la délégation à la prospective, avait, en son temps, produit un rapport d'évaluation sur les classements universitaires. Demain, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication continuera, dans ce domaine, à veiller et à produire des observations pour que la voix de la France soit entendue.

La question est éminemment aussi scientifique. La recherche française, cela a été souligné, doit se préoccuper de cette question de l'évaluation de l'enseignement, qui est un véritable sujet de recherche. J'ai entendu dire qu'il y avait beaucoup de programmes de recherche dans ce domaine et je m'en réjouis. Il ne peut pas y avoir que les politiques et les journalistes qui répondent à cette question. C'est pourquoi, avec le président Jacques Legendre, nous souhaitons que la communauté scientifique française se mobilise pour qu'émerge une recherche française performante et reconnue dans ce domaine et une véritable force de proposition novatrice mondiale.

Cette recherche nécessite des financements. Nous proposons en tout état de cause de nous retrouver périodiquement pour faire le point sur l'état d'avancement de la recherche française dans ce domaine de la mesure des performances et des mesures concrètes qui pourraient être prises dans ce domaine. Comme la délégation à la prospective s'efforce de le montrer, l'avenir n'est pas écrit. Il se construit à partir d'un certain nombre de contraintes et de tendances du temps présent. Quels sont les scenarii possibles ? Ignorer la problématique de l'évaluation, c'est risquer d'être hors-jeu, de se mettre à l'écart de la compétition. Comme je l'avais montré dans mon rapport en 2008, le classement de Shanghai est très favorable aux universités américaines. Le classement anglais valorise mieux les performances des établissements du Royaume-Uni. Le classement néerlandais, de l'université de Leyde, donne une belle place aux universités néerlandaises, non que ces classements soient délibérément pondérés pour favoriser les établissements nationaux, bien que l'on pourrait se poser la question, mais plutôt en raison du choix d'indicateurs valorisant au mieux les critères communément acceptés au plan national comme reflétant la performance des établissements d'enseignement supérieur et prenant en compte les spécificités des structures nationales de recherche et d'enseignement. C'est pourquoi il faut être présent dans la construction des classements, non seulement pour participer à cet exercice d'évaluation, mais aussi pour promouvoir les qualités de notre enseignement supérieur et assurer sa pérennité, dans un monde de plus en plus mobile, où l'anglais pourrait s'imposer si l'on n'y prend garde, comme langue de l'enseignement et les établissements anglo-saxons attirer toujours davantage d'étudiants issus non seulement des pays en voie de développement mais aussi de la vieille Europe. Tel est le scénario noir à l'horizon des vingt prochaines années. Gageons que nous saurons éviter ce scénario noir - et je suis très optimiste ce soir - en faisant preuve de réalisme et de volontarisme. Plutôt qu'une mondialisation unificatrice, le chemin à suivre est celui d'une internationalisation durable et diversifiée. Ne gommons pas les spécificités propres à chaque système d'enseignement supérieur. À cet effet, des classements multidimensionnels, comme le suggère Mme Filliatreau, à la carte, sont souhaitables. Pour les construire, il faut mettre en place un système d'information public harmonisé, regroupant toutes les informations utiles.

La mobilisation de chacun de nous est nécessaire pour parvenir à ces objectifs. Un premier pas a été accompli ce soir. Je vous remercie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page