II. UNE APPROCHE PRAGMATIQUE

Comme l'indiquait Hans Jonas 21 ( * ) , il y a quelque paradoxe à débattre aujourd'hui du droit à la mort alors que l'essentiel du combat pour les droits de l'homme a été mené pour la reconnaissance du droit à la vie, qui figure en tête de la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis et dans les conventions internationale protectrices des droits que sont la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme. C'est du droit à la vie que découlent tous les autres droits sociaux. La question du droit à la mort ne peut se poser qu'en raison de l'évolution de la médecine et de l'emprise toujours imparfaite sur le vivant de la technique, capable d'empêcher de mourir mais pas de guérir. Plus qu'une question théorique c'est donc bien une question pratique qui est posée au législateur. Quelles sont les meilleures conditions possibles pour la fin de vie ?

Le débat actuel porte sur le refus du recours exclusif aux soins palliatifs après la fin des traitements curatifs, et sur le caractère éventuellement préférable de l'euthanasie pour ceux qui le souhaitent. Mais la législation actuelle empêche-t-elle réellement le recours à la mort assistée ? L'examen du cadre légal et une meilleure connaissance des pratiques liées à la fin de vie sont nécessaires pour que le législateur puisse se prononcer sur la demande de faire évoluer le droit.

A. QUE PERMET L'ÉTAT DU DROIT ?

1. L'intentionnalité

La loi Leonetti du 22 avril 2005 a d'abord cherché à faire respecter la volonté des personnes en ce qui concerne les soins. Si elle n'a pas autorisé l'injection délibérée d'une substance létale à un malade qui en ferait la demande, elle a admis, comme partie intégrante de la démarche palliative, le fait que la lutte contre la douleur peut avoir pour conséquence de raccourcir l'espérance de vie. Cette théorie dite du « double effet » est connue en philosophie, comme l'a rappelé le professeur Sadek Beloucif, depuis Thomas d'Aquin. Elle fait reposer l'appréciation de l'acte sur son intention. Ainsi, un acte de soin destiné à empêcher la souffrance du patient (comme l'augmentation d'une dose de morphine) doit être apprécié comme tel, même si le praticien sait qu'il peut aussi réduire l'espérance de vie. La loi pose simplement comme exigence que le malade, ou ses proches s'il n'est plus conscient, soient informés des conséquences potentielles de l'acte sur l'espérance de vie. L'encadrement législatif des soins palliatifs n'implique donc pas le respect d'une échéance supposée naturelle de l'existence : les soins, et notamment la lutte contre la douleur, peuvent avoir pour effet de raccourcir la vie, mais il ne peut s'agir du but recherché.

C'est la mise en pratique de ce principe sur le terrain que le professeur Régis Aubry a expliquée au groupe de travail. Les soins qui entourent la fin de vie s'exercent dans un cadre éthique ; ils supposent avant tout une discussion avec le malade et son entourage. Celle-ci est destinée à comprendre exactement ses besoins mais aussi à éviter que les proches ne subissent, pendant de nombreuses années, le poids d'une culpabilité morale lorsque les soins prodigués aboutissent dans les faits à la mort du patient, et peuvent être assimilés, de ce fait, à une euthanasie. C'est donc au plus près du malade et de ses proches que doivent se prendre les décisions palliatives. Si celles-ci répondent aux désirs des malades, il n'y a pas lieu de modifier ou de compléter la loi.

Les partisans de l'euthanasie accusent pourtant la théorie du double effet de ne permettre de donner la mort qu'à condition de prétendre pratiquer des soins. Cette « hypocrisie » est, pour le docteur Denis Labayle, source d'ambiguïté et donc d'inapplication de la loi. Cependant, la différence d'appréciation d'un même acte selon l'intention qui le sous-tend est au fondement du droit pénal français, par opposition au système pénal britannique. La théorie du double effet s'inscrit donc dans la logique même de notre système juridique.

L'interprétation des pratiques liées à la fin de vie à la lumière de l'intentionnalité offre même la possibilité d'apporter une solution juridiquement et humainement satisfaisante aux cas peu nombreux (vingt sur les dix dernières années) d'euthanasie qui, faisant l'objet d'une instruction judiciaire, peuvent être appelés devant les tribunaux où ils suscitent l'attention des médias et une émotion populaire légitime. L'analyse faite par le président de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, Bertrand Louvel, pose clairement les conditions dans lesquelles une instruction du Garde des Sceaux pourrait amener l'arrêt rapide des procédures judiciaires dans les cas avérés d'euthanasie :

« Le recours à une qualification permise par le droit pénal en vigueur et de nature à répondre à ces situations exceptionnelles a été utilisé dans une affaire, devenue à cet égard exemplaire, où une information avait été ouverte pour approfondir les vérifications des circonstances d'un décès. Il s'agit du cas d'une mère qui, le désespoir dans l'âme, a administré une substance létale à son fils rendu tétraplégique par un accident et qui lui réclamait de mourir. Le juge d'instruction a conclu son information par un non-lieu fondé sur l'article 122-2 du code pénal qui dispose que n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'emprise d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister.

« Dans le cas qui nous occupe, le juge d'instruction a considéré que l'amour de cette mère n'avait pas pu résister à la volonté de son fils, qui s'est en quelque sorte substituée à la sienne.

« Ce non-lieu a fait l'objet d'un consensus et n'a pas été frappé de recours, tant il est apparu qu'on se trouvait là en présence d'un cas authentique d'euthanasie active, légitimé par des sentiments d'humanité très dignes et très respectables.

« Donc, notre droit offre des ressources qui permettent de discerner ces situations, de les distinguer des situations plus douteuses, et de leur apporter le traitement approprié du classement sans suite ou du non-lieu que le corps social dans son ensemble comprend, admet et approuve. »


* 21 Réf. précitée

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