B. ASSURER LA COHÉRENCE DES INITIATIVES MULTIMÉDIA AU SEIN D'UN PROJET INDUSTRIEL ET ÉDITORIAL LISIBLE

1. La transformation des modes de consommation des médias

France Télévisions évolue dans un environnement changeant, tant du point de vue des évolutions sociétales que des développements technologiques. La réussite de sa transformation en média global reposera sur une juste appréciation de ces mutations rapides, en vue de déterminer les supports et les formats les plus adéquats pour répondre aux besoins et aux aspirations du public.

La commission de la culture et de la communication du Sénat a auditionné en avril 2010 les responsables de la société Médiamétrie qui exerce une veille sur la transformation de la consommation des médias en France. Selon les données communiquées à la commission, le budget annuel moyen d'un foyer consacré aux médias, hors redevance, a crû de 4,3 % en un an pour atteindre 2 324 euros en 2009, un quart des foyers dépensant plus de 3 100 euros par an. Les ventes d'équipements audiovisuels se sont également accrues, de telle sorte que la part des foyers équipés en téléviseurs à écran plat est passée de 40 % en 2008 à 53 % en 2009. De plus, la montée en charge du numérique et l'arrêt programmé de la diffusion analogique ont fait progresser de 16 % le taux de foyers équipés d'un poste numérique qui atteint désormais 78 %. Enfin, le nombre de contacts médias et multimédias a augmenté de 9,7 % depuis 2006, ce qui indique une croissance du « budget temporel » alloué par les ménages aux médias.

La diffusion des équipements numériques et l'augmentation des budgets et du temps consacrés par les ménages aux médias, s'ils profitent à Internet, ne sont pas pour autant défavorables à la télévision. Le marché des médias est, en effet, plutôt caractérisé par des effets d'addition des consommations, sans effet d'éviction entre supports . Il serait inexact de penser qu'Internet a pris la place de la télévision, le temps passé sur le réseau n'ayant pas véritablement rogné le temps consacré à ce média traditionnel.

Selon les études de Médiamétrie, les Français de 15 ans et plus consacrent en moyenne 3 heures 27 minutes par jour à la télévision, ce qui est proche de la moyenne mondiale qui varie entre 4 heures 35 en Amérique du Nord et 2 heures 41 en Asie. Parallèlement, le temps moyen consacré à Internet s'élevait en 2009 à 1 heure 22 minutes par jour. La consommation de télévision n'a été amputée ni par l'arrivée d'1,2 million d'internautes de plus en un an, ni par le triplement du nombre d'inscrits à un réseau social de type MySpace ou Facebook, qui atteint désormais 18,5 millions d'individus.

En revanche, la consommation de télévision augmente avec l'âge, les jeunes de 15 à 24 ans ne regardant en moyenne qu'1 heure 45 par jour la télévision. L'écart entre les modes de consommation des jeunes et des adultes, voire des seniors, n'est pas nouveau, mais il tend à s'accroître avec la croissance du réseau Internet, la multiplication des nouveaux supports et des offres délinéarisées . Toutefois, malgré la surconsommation d'Internet par rapport à l'ensemble de la population qui caractérise les 15-24 ans, le segment des jeunes n'a pas fui la télévision. Il demeure vrai qu'ils manifestent une appétence nettement plus forte pour les chaînes de la TNT, notamment pour les chaînes thématiques musicales, que pour les chaînes historiques.

La télévision de rattrapage ou catch-up TV permet de regarder en différé et à la demande, les programmes qui ont préalablement été diffusés en linéaire par les chaînes de télévision. Ces services sont potentiellement disponibles sur différents équipements : télévisions, ordinateurs, téléphones portables. La télévision de rattrapage , qui a connu une forte progression sur l'année écoulée, constitue un vecteur de diffusion prometteur et notamment pour reconquérir les publics les plus jeunes . 20,6 % des plus de 15 ans ont utilisé en 2009 ce nouveau dispositif sur une durée quotidienne moyenne de 4 minutes, ce chiffre atteignant 18 minutes chez les jeunes de moins de 25 ans. C'est donc là un mode de consommation de programmes télévisés d'ores et déjà installé, qui devrait encore croître dans les années à venir. Tous les groupes de télévisions, privés et public, se positionnent rapidement sur ce créneau, complément délinéarisé naturel de leur offre premium.

D'autres usages, pour l'instant encore limités, comme la télévision mobile personnelle et les téléviseurs connectés à Internet, devraient également se développer. Ils nécessiteront une adaptation de l'offre de France Télévisions, qui a vocation à investir l'ensemble des supports de diffusion. En 2009, 43,1 millions de personnes utilisaient un téléphone mobile et 16 % d'entre elles disposaient d'un téléphone intelligent ou smart phone qui leur permet notamment d'avoir accès à la radio, à la télévision et à Internet. Il paraît important que France Télévisions ne néglige pas ce support, qui intéresse particulièrement les plus jeunes et pourrait constituer un débouché intéressant pour son offre de contenus d'information et de programme sportif notamment.

Un autre développement technologique récent contribuera à modifier les rapports entre la télévision et l'Internet : les téléviseurs connectés à Internet, qui prolongent les services d' Internet Protocol Television (IPTV) comme la télévision de rattrapage et de vidéo à la demande. La consommation de télévision et des services interactifs y est entrelacée : les contenus web deviennent accessibles directement sur le poste de télévision et permettent d'enrichir à volonté le programme télévisé proprement dit. C'est l'aboutissement de la logique de délinéarisation où le téléspectateur-internaute compose et recompose son propre programme à partir de contenus hétérogènes. Le manque de contenus adaptés a retardé jusque récemment l'essor de la télévision connectée. Mais, d'après les estimations de Samsung France 67 ( * ) , la part des téléviseurs connectés à Internet devrait représenter entre 25 % et 30 % des 8,3 millions de téléviseurs qui seront vendus d'ici à la fin de l'année 2010. Son modèle économique reste à préciser, la question du partage des coûts et des gains entre les acteurs du secteur audiovisuel et les opérateurs télécoms étant centrale.

2. L'enracinement progressif d'une culture de média global à France Télévisions
a) Le lancement de la télévision de rattrapage

Parallèlement à la mise en place d'une plate-forme de vidéodiffusion à la demande, francetvod.fr, qui permettait d'accéder de manière payante aux programmes diffusés sur les chaînes du groupe et qui renvoyait aux sites des différentes antennes pour visionner les programmes consultables gratuitement, France Télévisions avait initié en 2007 la télévision de rattrapage par le biais d'un accord exclusif avec Orange . Ce service permettait aux clients d'Orange de voir et revoir les principaux programmes des chaînes du bouquet numérique gratuit de France Télévisions, sur tous les supports de distribution (Internet, télévision par ADSL et mobile), sur une durée de sept à trente jours à compter du lendemain de leur diffusion en mode linéaire.

L'accord entre Orange et France Télévisions avait fait l'objet d'une décision du Conseil de la concurrence du 7 mai 2008, ce dernier ayant été saisi par l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST). Le Conseil de la concurrence avait validé l'accord, en soulignant notamment sa durée limitée et le fait que les contenus susceptibles de générer la plus grande audience, comme les émissions d'information et de sport ou les oeuvres cinématographiques en étaient exclus. Il s'était également appuyé sur le fait que France Télévisions proposait, sur ses sites Internet, des services de télévision de rattrapage comparables et accessibles à tous les internautes.

Le partenariat exclusif avec Orange a surtout présenté un intérêt financier à court terme pour France Télévisions, sans que cette logique d'externalisation n'aide véritablement l'entreprise à mûrir en interne une culture et un projet industriel de télévision de rattrapage. C'est le législateur qui l'a conduite à infléchir sa stratégie de développement de SMAD à l'expiration du partenariat avec Orange, qui, s'il respectait le droit de la concurrence, ne remplissait pas pleinement la vocation du service public audiovisuel.

Vos rapporteurs se félicitent que, dans le respect de son cahier des charges, France Télévisions annonce pour le mois de juillet 2010 le lancement de la plateforme Pluzz , qui concurrencera dans ce domaine les services de catch-up déjà offerts par TF1 Replay, M6 Replay, Canal + à la demande et Arte + 7. Les programmes de l'ensemble du bouquet devraient désormais y être accessibles au plus grand nombre, gratuitement pendant sept jours à compter de leur diffusion. France Télévisions s'est fixé un objectif pour la fin 2010 de plus de 80 % de programmes disponibles calculés à partir des grilles des cinq chaînes premium, entre 18h et minuit, hors sport et cinéma.

Le point d'entrée unique, lisible pour le téléspectateur, que constituera Pluzz est de nature à renforcer l'identité de groupe, la marque France Télévisions, même s'il cohabitera avec les sites Internet existants du groupe qui pourront proposer également des émissions en rattrapage. Une promotion sur les antennes de France Télévisions de ce nouveau service sera très bienvenue. La direction de France Télévisions s'est engagée devant vos rapporteurs à ce que l'offre de Pluzz soit distribuée largement sur tous les supports, aussi bien sur les plateformes ADSL et câble au travers d'accords non-exclusifs avec les fournisseurs d'accès, que directement sur les téléviseurs connectés à la faveur d'accords avec les fabricants ou sur les smartphones . Des projets sont, en outre, à l'essai pour proposer la TV de rattrapage en Push VOD sur les plateformes hertziennes et satellites. Cette attention à l'ensemble des supports technologiques, y compris les plus récents, témoigne de la volonté nouvelle de France Télévisions d'assumer sa transformation en média global de service public, et les coûts qui en sont la conséquence.

b) Les web TV régionales : un projet aux fortes ambitions mais aux contours encore incertains

Il aura fallu de nombreuses auditions, déplacements et démonstrations pour que vos rapporteurs puissent se faire une idée du projet de web TV régionales dont France Télévisions paraît espérer beaucoup en termes de dynamisation du réseau régional, de rajeunissement de l'audience et d'acclimatation de la pratique du média global. Sans doute faudrait-il commencer par lui fixer des objectifs plus modestes et y voir pour les antennes régionales une nouvelle vitrine et pour le groupe un laboratoire , parmi d'autres, des évolutions du mode de consommation de la télévision. Il apparaît également clair que les web TV serviront de nouveau canal pour accroître le ratio d'heures de programmes diffusées par rapport aux heures produites en région et pour optimiser ainsi l'utilisation des ressources des réseaux. Le projet répond donc à une pure logique d'offre , alors même que son succès dépendra de son adéquation avec les besoins et les attentes des publics locaux.

Les 24 web TV régionales seront très progressivement mises en place en régions, en commençant à l'été 2010 par Lyon, Lille, Limoges et Nantes. S'agissant de la ligne éditoriale, chaque région gardera la main au sein d'un cadre commun , ce qui paraît légitime afin d'éviter une homogénéité contreproductive. Une boucle de programmes réactualisables d'une douzaine de minutes, débutant par un flash d'information et susceptible d'une vision linéaire ou délinéarisée devraient en constituer le coeur. Autour de ce noyau seront agrégés différents services de renseignement portant sur l'ensemble de la région et permettant une recherche par mots-clés.

L' articulation avec les chaînes premium , c'est-à-dire essentiellement France 3 nationale et régionale, méritera un examen attentif une fois que les programmes commenceront leur diffusion. Si les web TV doivent redynamiser France 3, il faut à la fois qu'elles soient bien identifiées comme des produits locaux de la chaîne et qu'elles s'en distinguent par le contenu et le format de leurs programmes. Le recyclage des programmes actuels de France 3 ne suffira pas, ce dont localement les équipes sont pleinement conscientes.

De même, dans la mesure où les réseaux régionaux sont d'abord construits comme un système de collecte d'informations pour irriguer la chaîne, vos rapporteurs s'interrogent sur les possibles articulations avec le nouveau portail Internet dédié à l'information , prévu pour septembre prochain, qui devrait succéder au site info.francetelevisions.fr lancé en août 2008. Celui-ci devrait constituer non pas une chaîne d'information continue sur Internet mais un produit complexe qui rassemblera tous les produits des différentes rédactions de France Télévisions, en permettra un visionnage délinéarisé, y compris sur des téléviseurs connectés, et donnera en quelque sorte la main aux téléspectateurs-internautes. Les possibilités de synergies, de liens ou de renvois entre ce portail et les web TV mériteront sans doute d'être étudiées attentivement.

Hors de toute considération hors-sol, sur papier, le projet des web TV régionales méritera d'être jugé sur pièce, au cas par cas. Cependant, d'ores et déjà, il apparaît clairement que l'échec de Culture Box, techniquement remarquable et éditorialement novateur avec un système de géolocalisation performant, ne doit pas être reproduit. Le manque d'exposition médiatique s'est traduit pour l'instant par une large méconnaissance de cet outil de médiation culturelle mis à la disposition du public. À l'inverse, il conviendra donc de faire connaître les web TV auprès du public régional par l'ensemble des moyens possibles, sur les antennes de France 3 avant tout. Le facteur clé du succès de l'entreprise résidera cependant dans la capacité des équipes locales à adapter empiriquement, par essais et erreurs successifs, leurs contenus et leurs formats à la demande des téléspectateurs-internautes de chaque région .

c) Investir l'amont de la chaîne de production

Les évolutions des modes de consommation des medias demandent des mutations majeures aux chaînes de télévisions, publiques et privées, françaises et internationales. Pour transformer France Télévisions en véritable service public de média global, il convient d'exercer une veille à la fois technologique et sociologique. Le domaine Fabrication et le secteur des études en sont les responsables évidents dans la nouvelle organisation. À partir de cette veille, qui constitue à vrai dire le moment le moins ardu de l'entreprise, une démarche stratégique cohérente devra coordonner toutes les décisions éditoriales. Vos rapporteurs ne peuvent à cet égard que souligner de nouveau l'importance qu'il faudra donner de plus en plus au secteur du marketing stratégique au sein de France Télévisions, si l'on souhaite négocier adroitement le virage du média global .

Pour assurer son rayonnement maximal dans le respect de ses missions de service public, France Télévisions se doit d'être présente sur tous les supports . Le risque serait de la voir s'engager dans une démarche brouillonne tous azimuts où se diluerait l'identité de marque du groupe, tout autant que celle de ses antennes, sans attirer de nouveaux publics. Un profilage et un ciblage précis des initiatives multimédias au service d'une ligne clairement définie ont manqué à France Télévisions par le passé. Tout contenu ne mérite pas forcément une déclinaison multisupport, sur Internet notamment. Pour éviter la dispersion illisible de la programmation et la cannibalisation des canaux de diffusion , il faut donc jouer sur la spécificité de chaque support et de son mode de consommation par l'usager et sur la complémentarité entre les supports.

La déclinaison d'un programme pour de multiples supports ne peut intervenir en aval de la chaîne de production, puisque le support conditionne pour partie le format et le contenu. L'effort doit être placé en amont, dès la conception des programmes. Parallèlement à la mise en place opérationnelle de nouveaux services interactifs et multisupport, c'est sur la diffusion de la culture du média global tout au long de sa chaîne de production que France Télévisions doit insister dans les années à venir . Elle devra également accompagner ses fournisseurs de contenus externes, les auteurs et les producteurs, dans l'évolution de leur métier.


* 67 Intervention de M. André Bousquet, Vice-président Consumer de Samsung France, au cours d'une table ronde consacrée à l'impact des innovations technologiques (3D, TV connectés, Push VOD) sur le marché des médias numériques, organisée par NPA Conseil en juin 2010.

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