M. Yves Jégouzo, professeur agrégé de droit public à l'université Paris-I

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Puis la mission a entendu M. Yves Jégouzo, professeur agrégé de droit public à l'université Paris-I.

Interrogé par M. Bruno Retailleau, président, sur les causes de la gravité du bilan humain de la tempête Xynthia, M. Yves Jégouzo a expliqué que la législation de l'urbanisme permettait une prise en compte effective des risques, non seulement en amont de la mise en place des documents d'urbanisme avec le principe général de prévention des risques qui figure à l'article L. 121-1 du code, mais aussi au moment de l'élaboration du PLU, puisque l'exposition aux risques est un élément essentiel du rapport de présentation de ce plan et que le zonage qu'il établit permet d'interdire la construction dans les zones à risque, et après sa mise en application avec l'article R. 111-2 du code, qui fonctionne comme un « article de secours » permettant au préfet de pallier les lacunes du PLU ou d'imposer la prise en compte de risques découverts ultérieurement.

Dès lors, M. Yves Jégouzo a estimé que ces outils étaient mal utilisés, et que le retard pris dans la mise en place des PPR et des PLU résultait largement des difficultés rencontrées sur le terrain par les décideurs publics, qui peinent à remettre en cause des situations préexistantes. À ce titre, il a jugé que la procédure d'expropriation pour risque naturel majeur prévue par la loi « Barnier », en dérogeant au principe de non indemnisation des servitudes d'urbanisme, permettait de passer outre ces difficultés en instaurant un système de solidarité nationale où les propriétaires expropriés sont indemnisés au prix du marché sans qu'il soit tenu compte de la moins-value liée à l'existence d'un risque.

M. Yves Jégouzo a ajouté que la jurisprudence du Conseil d'État, qui permet de recourir à cette procédure d'expropriation sans procéder à un bilan financier préalable, dès lors qu'aucune mesure de protection ne peut efficacement être mise en place, était de nature à permettre une utilisation raisonnée de ce mécanisme.

En réponse à une question de M. Bruno Retailleau, président, sur les liens entre les PPR et les documents d'urbanisme et sur l'opportunité d'une véritable transposition des PPR au sein des PLU, M. Yves Jégouzo a rappelé que, avant l'adoption de la loi dite « Solidarité et Renouvellement urbain » du 13 décembre 2000, le respect des servitudes d'urbanisme -comme les PPR- était un élément de légalité des PLU, tandis qu'en l'état actuel du droit, la hiérarchie entre ces deux types de documents n'était plus assurée qu'indirectement, par le biais des permis de construire (qui peuvent être censurés s'ils ne respectent pas les PPR, même s'ils sont conformes au PLU, ce qui indique une supériorité des PPR sur les PLU). De même, il a exposé que le juge administratif, s'il pouvait censurer les PLU non conformes à un PPR, ne pouvait en constater l'illégalité que de manière indirecte, c'est-à-dire sur le fondement de l'erreur manifeste d'appréciation. Il a observé que cette situation était peu lisible et peu compréhensible pour les citoyens et ce, malgré l'action positive des notaires qui informent les acquéreurs de biens immobiliers de l'existence d'un zonage PPR.

En outre, ayant marqué son accord avec la proposition exprimée par M. Bruno Retailleau, président, selon laquelle les documents d'urbanisme, et notamment le PLU, devraient être impérativement et automatiquement révisés en cas d'approbation ou de modification d'un PPR, M. Yves Jégouzo a rappelé que le préfet pouvait mettre une commune en demeure de réviser son PLU pour assurer sa conformité avec un projet d'intérêt général (cette notion pouvant, à son sens, intégrer les projets de PPR).

Ayant considéré que cette manière de faire valoir la supériorité du PPR sur les PLU était trop indirecte et complexe, M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité qu'une hiérarchie claire soit rétablie ; pour ce faire, il a envisagé que la liste des documents auxquels les autorisations individuelles d'urbanisme doivent se conformer soit clairement fixée par le code de l'urbanisme.

M. Yves Jégouzo a jugé que cette proposition était légitime et opportune, mais qu'elle devait être analysée avec prudence. Si elle était retenue par la mission, il conviendrait que l'énumération ainsi mise en place ne soit pas limitative. En outre, il a indiqué que la complexité croissante du droit de l'urbanisme, qui est progressivement devenu le réceptacle de nombreux enjeux (prévention des risques, protection de la nature, etc.) qui dépassent le cadre originel de la matière, n'était pas un phénomène propre à la France et que, à l'inverse, il pouvait être observé dans toute l'Europe.

Faisant référence aux propos tenus par M. Jean-Bernard Auby, M. Bruno Retailleau, président, s'est interrogé sur la possibilité de mener la dynamique de décentralisation de l'urbanisme à son terme.

M. Yves Jégouzo a tout d'abord rappelé que la responsabilité de l'État pouvait être engagée lorsque les services préfectoraux en charge de l'instruction des demandes de permis de construire n'exécutaient pas les directives du maire en matière de prévention des risques, cette faute étant considérée comme une faute simple de nature à engager la responsabilité de l'État. Ayant exposé que la décentralisation de l'urbanisme s'était avérée problématique en tant qu'elle avait été opérée au profit de toutes les communes et de manière égale, alors même que les plus petites d'entre elles ne disposaient pas de moyens suffisants pour assumer les compétences qui découlaient de ce transfert, il a ensuite jugé qu'il était dangereux de confier l'élaboration des PLU à des communes de petite importance au regard des enjeux sur le littoral, et que l'instauration d'une distance minimale entre les élus responsables de la planification de l'urbanisme et les administrés était un « garde-fou » nécessaire.

Par ailleurs, il a déploré que le contrôle de légalité n'ait pas permis d'empêcher la construction d'habitations dans les zones à risque et émis le souhait que, à l'avenir, les services de l'État contrôlent, avec une vigilance et une rigueur particulières, la bonne prise en compte des risques naturels.

Interrogé par M. Bruno Retailleau sur les outils permettant de renforcer la cohérence entre les documents régissant l'occupation des sols, M. Yves Jégouzo a estimé que le PLU était, peu à peu, devenu un instrument de cohérence qui tenait compte de problématiques nombreuses, diverses et hétérogènes (environnement, préservation du patrimoine, mixité sociale, protection des ressources en eau, etc.), alors même que ce n'était pas sa vocation initiale.

M. Bruno Retailleau, président, a fait observer que le droit de l'urbanisme ne serait sans doute jamais apte à lui seul à éviter l'ensemble des dommages en cas de catastrophes naturelles, se demandant s'il ne vaudrait pas mieux adopter une vision plus globale et intégrée de la prévention.

Notant que ce droit avait l'avantage de saisir aisément l'activité humaine, M. Yves Jégouzo a convenu qu'une approche verticale des risques, telle que suivie en Grèce, en Espagne ou en Allemagne, pouvait fonctionner efficacement à condition, tout de même, d'établir un lien étroit avec les règles d'urbanisme.

M. Bruno Retailleau, président, a souligné que la volonté de la mission d'intégrer les PPRI aux PLU relevait de cette logique. Détaillant son propos, il a indiqué qu'il convenait sans doute de ne pas ériger le droit de l'urbanisme comme unique moyen de prévention, mais d'avoir une démarche globale et intégrée de l'ensemble des autres instruments, allant de la prévision des submersions à l'édification d'ouvrages de protection en passant par la prévention.

M. Yves Jégouzo a évoqué la Suisse, qui élabore des cartes de grande qualité sur le risque « avalanches ». Le croisement des documents d'urbanisme avec des éléments de prévention plus généraux impliquerait, selon lui, la transformation des PPR en plans mi prévisionnels, mi opérationnels, ce qui existe déjà en partie avec les SDAGE. Il conviendrait par ailleurs de prendre en compte les impératifs de recensement de l'information, très délicats à réaliser. En outre, le rôle de l'État devrait être réaffirmé, en tant que garant face aux catastrophes. Les ministres pourraient se substituer aux préfets pour prendre des décisions délicates à l'échelon local, tandis que le contrôle de légalité devrait être renforcé.

Mme Marie-France Beaufils a plaidé pour une concertation approfondie avec les services de l'État, ayant la connaissance du risque, durant laquelle se diffuserait une réelle « culture du risque » commune.

Relevant que l'applicabilité d'une norme dépendait désormais de son degré de compréhension et d'acceptation, M. Yves Jégouzo a souligné la difficulté d'appropriation liée à la technicité du droit de l'urbanisme. Le droit communautaire, orientant en ce sens notre droit national, y répond en favorisant le débat contradictoire. La procédure des PLU le permet, davantage encore que celle des PPR, qui pourrait donc utilement être amendée en ce sens. En revanche, l'efficacité d'une concertation renforcée à l'échelle de communes moyennes semble très réduite du fait que ces procédures débouchent nécessairement sur des servitudes de non construction.

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