COMPTE RENDU DES ENTRETIENS - Londres 16 février 2010

1. Entretien avec M. Alex Dorian, CEO THALES UK

M. Alex Dorian a tout d'abord rappelé le caractère apolitique de la société Thalès qui entretient des contacts étroits avec le gouvernement travailliste actuellement en poste ainsi qu'avec le shadow cabinet : MM. Liam Fox (shadow defense secretary) et Gerald Howard (shadow defense minister).

En matière de coopération franco-britannique dans le domaine de la défense, la situation a considérablement évolué depuis 10 ans. À un quasi-refus d'une industrie dominée par Bae, le succès de MBDA a montré que les deux gouvernements pouvaient accepter un degré de dépendance mutuelle en matière de missiles. De son côté, Thalès a montré l'exemple d'une coopération industrielle réussie entre les deux pays qui a contribué à renforcer les capacités mutuelles sans intervention des gouvernements (exemple des sonars pour frégates de type 23).

La création, en 2006, du groupe de haut niveau présidé par le DGA et son homologue et au sein duquel Thalès est représenté par son président, M. Vigneron, est un excellent véhicule de dialogue, en particulier pour la R&T.

Au niveau politique, le parti conservateur comme le parti travailliste sont favorables au développement d'une coopération bilatérale franco-britannique. Il en va de même pour les libéraux qui pourraient être une force d'appoint aux conservateurs pour former un gouvernement et une majorité parlementaire.

Les difficultés budgétaires au Royaume-Uni ne permettent pas d'espérer un budget ambitieux en matière de défense alors même que les engagements sont supérieurs aux budgets et que la guerre en Afghanistan pèse d'un poids très lourd, même si elle est directement financée par le Trésor. Les autorités britanniques ont lancé un exercice de « défense review », équivalent au Livre blanc français, dont les orientations seront déterminées par les choix de politique étrangère et non par le budget. Cependant M. Liam Fox, s'il sanctuarise la dissuasion, n'exclut aucune remise en cause, que ce soit pour les OPEX ou pour les programmes concernant les trois armées. Il existe une prise de conscience très claire que la Grande-Bretagne ne peut plus tout faire toute seule, qu'il faut faire des choix, et que la dynamique est européenne. Il n'y a en Europe que deux pays qui dépensent suffisamment en recherche et technologie, en équipement et dont les forces armées soient comparables : la France et le Royaume-Uni.

La coopération en Europe ne peut se faire qu'avec la France, qui est définie, dans cet espace géographique, comme le partenaire stratégique au même titre que les Etats-Unis sont le partenaire stratégique au niveau mondial.

Pour Liam Fox, les trois conditions de cette coopération seront : une mutuelle dépendance, un budget suffisant entre les deux pays et le fait de combattre ensemble. Cette volonté de coopération avec la France se manifeste au plus haut niveau politique mais connaît des résistances au fur et à mesure où l'on descend dans la hiérarchie, en particulier au ministère chargé des achats.

S'agissant de la R&T, l'industrie britannique est confrontée à une baisse de 25 % de son montant en 2010 par rapport à 2009. Le budget de R&T n'atteindra que 400 millions de Livres sterling en 2010. Il est vital de renverser la tendance. La coopération franco-britannique a été redynamisée ces dernières années grâce au groupe de haut niveau. Les résultats obtenus en R&T (avec près de 80 M€ engagés en 2009 mais seulement 50 millions en 2010) sont un signe de la confiance des équipes de programmes.

Il convient de trouver des projets, comme par exemple en matière de sonars, où le groupe Thalès a des grandes capacités dans les deux pays. Jusqu'à présent les choses étaient dupliquées en particulier en matière de sous-marins nucléaires. La cause de cette duplication tient à l'accord passé entre les États-Unis et la Grande-Bretagne dans les années 50 qui a permis de réaliser d'importantes économies sur les sous-marins nucléaires notamment en matière de propulsion dont la technologie est d'origine américaine. On peut donc toujours craindre une interdiction américaine de travailler avec la France. C'est ce qui s'est passé pour la coopération entre DCNS et Bae. Toutefois, l'amélioration des relations entre la France et les États-Unis depuis l'arrivée à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy crée un climat favorable.

Liam Fox n'a aucune objection d'un point de vue financier à acheter sur étagère aux Etats-Unis mais est également sensible aux signaux de prudence de l'industrie qui l'engage à préserver une capacité souveraine. On peut relever que le document stratégique sur l'espace, publié par le ministère de la défense, souligne la nécessité pour le Royaume-Uni de se doter d'une capacité de surveillance de l'espace indépendante des Etats-Unis. L'option française peut donc permettre de ne pas être totalement dépendants des Etats-Unis.

Le Royaume-Uni souhaite partager le fardeau de la défense avec ses partenaires en Europe. Différentes réflexions sont en cours, comme par exemple la spécialisation de la défense entre les Européens selon les régions, sur la projection de force expéditionnaire en profitant des marines d'autres pays ou sur des économies en matière d'aviation.

S'agissant de la coopération en matière de drones, M. Alain Dorian a rappelé que le programme Watchkeeper avait été remporté par la société Thalès-UK et qu'il représentait un marché d'un milliard d'euros, dont 75 % sont consacrés aux différents systèmes (communication, senseurs) nécessaires à la reconnaissance, et 25 % à la plateforme elle-même. Cette répartition privilégiant le « logiciel » sur le « matériel » résulte d'une volonté affichée par Thalès de valoriser l'électronique, qui constitue son domaine d'excellence. Une coopération avec la France serait possible dans ce domaine mais elle se heurte à des rivalités entre l'armée de terre et l'armée de l'air, les premiers craignant que les seconds ne prennent le contrôle puisque ces drones décollent d'une piste. Ces obstacles existent également entre les deux armées au Royaume-Uni, l'armée de terre ne voulant pas armer un drone dont la fonction est principalement d'observation et non de combat.

Le drone Hermes 450 du constructeur aéronautique israélien Elbit Systems, qui a servi de base au système Watchkeeper, est en service en Afghanistan depuis deux ans. Il est opéré par des techniciens de Thalès. Une nouvelle version sera lancée fin 2010 début 2011.

Une coopération entre la France et le Royaume-Uni serait très productive pour les drones de future génération. Le choix doit néanmoins être fait entre une coopération avec le Royaume-Uni ou avec l'Allemagne. La France est très engagée avec EADS sur le projet Advance UAV. M. Alain Dorian a souligné que si la France se dotait de Watchkeeper elle disposerait de drones tactique dont l'utilisation permettrait de renforcer les connaissances et de créer une doctrine d'emploi car ces drones change la vision du commandement. Ils peuvent être utilisés à haute altitude de manière invisible ou à basse altitude de manière à avoir un effet dissuasif sur l'adversaire.

M. Josselin de Rohan a indiqué que, dans l'intérêt des contribuables et dans un contexte de restrictions budgétaires qui impliquent des choix, il proposerait la création d'un groupe de réflexions et d'échanges parlementaires, parallèle au groupe de haut niveau, afin de suivre les questions de coopération en matière de défense entre les deux pays.

2. Entretien avec M. Gerald Howarth MP, Shadow Defence Minister, Parti Conservateur

La dernière Defense review qui date de 1998, doit être réexaminée en fonction de ce que sera le nouvel ordre mondial. Ce document spécifiait que le Royaume-Uni devait être prêt pour mener des opérations de moyenne et basse intensité et pour diriger des opérations simultanées ce qui impliquait le maintien de capacités expéditionnaires. Un accord politique bipartisan existe pour procéder à un réexamen stratégique. Si le parti conservateur remporte les élections, cette revue sera engagée sur la base d'une définition des lignes de force de la politique étrangère du Royaume-Uni. Si celui-ci veut demeurer un acteur important au niveau mondial, ce qui est la conviction des responsables du parti conservateur, des décisions difficiles seront à prendre. Il s'agira également de définir les nouvelles menaces auxquelles le Royaume-Uni doit faire face : sécurité de l'espace, cyber défense, sécurité énergétique et alimentaire, etc. De l'analyse de ces menaces seront tirées les structures nécessaires et les équipements adéquats. L'objectif est de conclure cette revue dans un délai très bref, d'ici la fin de l'année 2010. Dans un cadre économique très difficile (200 milliards d'euros de dette) il conviendra de définir des priorités après avoir répertorié les menaces.

S'agissant de la guerre en Afghanistan, il est impératif de prendre rapidement des décisions. Le plan proposé et mis en oeuvre par le général MacChrystal est la façon la plus logique d'avancer bien qu'il soit très difficile aujourd'hui d'en évaluer les résultats. Il s'agit de protéger les populations, de leur rendre des conditions de vie normales et de leur montrer le bénéfice qu'il n'y a à ne pas soutenir les talibans. Cette opération, menée par l'OTAN, suppose une empreinte militaire plus importante et une plus grande participation des autres pays. M. Howarth s'est montré sceptique sur l'objectif de former 134 000 soldats de l'armée nationale afghane d'ici la fin 2010.

L'OTAN, pierre angulaire de la sécurité collective, doit se transformer. Les pays qui ne contribuent pas aux opérations par l'envoi de troupes doivent contribuer financièrement. Citant les interventions de M. Liam Fox sur l'OTAN et son financement ainsi que sur les relations avec la sécurité européenne, M. Howarth a partagé les analyses du président de Rohan et de M. Reiner sur la suppression d'un certain nombre de quartiers généraux inutiles. S'agissant de la sécurité européenne le parti conservateur est partisan de relations bilatérales entre le Royaume-Uni et les autres Européens.

M. Howarth a manifesté son scepticisme sur la PSDC. Le parti conservateur n'est pas en faveur d'une Europe politique. Le fonctionnement de l'Eurogroupe peut, au contraire, être un modèle.

Les Etats-Unis restent l'allié principal dans le monde et la France l'allié principal en Europe. Les deux pays consacrent le même pourcentage de leur PIB à la défense, ce sont deux puissances nucléaires et les relations entre leurs armées sont excellentes. En matière de défense le principe pourrait être de « payer et combattre ». Certains pays comme l'Estonie, le Danemark ou les Pays-Bas ont fait un travail remarquable en Afghanistan. Cependant la coopération en matière de programmes n'a pas connu beaucoup de succès car trop de nations étaient impliquées. En matière industrielle, il convient d'être pragmatique et de ne pas être trop ambitieux. Si MBDA a bien marché c'est grâce aux industriels et aux synergies, non pas grâce aux politiques.

S'agissant de la gouvernance de la coopération de défense entre les deux pays, le parti conservateur souhaite renforcer le groupe de travail de haut niveau pour qu'il fonctionne au niveau ministériel.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur l'Agence européenne de défense (AED), M. Howarth a souligné sa faible réactivité au niveau industriel. La relation bilatérale entre la France et le Royaume-Uni est préférable d'autant que 70 % de la R&T européenne relève de ces deux pays et qu'il convient de ne pas donner un « ticket d'entrée » aux autres. L'exemple de l'Euro Fighter a conduit à une répartition permettant de donner du travail aux Allemands alors que le Royaume-Uni était la première nation en capacités. Le résultat a été un avion très coûteux et trop long à développer.

À la question d'une plus forte implication de l'Allemagne dans les projets de défense, M. Howarth a rappelé que la reconstruction de ce pays avait été permise par le parapluie nucléaire américain. Tout en comprenant les raisons constitutionnelles et psychologiques de la retenue allemande, il a souhaité un plus fort engagement de ce pays, en soulignant que, s'il existait de bonnes relations entre la France et la Grande-Bretagne, les autres pays suivraient rapidement.

La coopération entre les deux pays fonctionnera sur des avancées concrètes. Il ne s'agit pas de faire de grandes déclarations politiques mais de définir des problèmes où la France et le Royaume-Uni ont des intérêts communs (exemple le Scalp) et d'avancer de manière très concrète.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur l'A400M, M. Howarth a rappelé son opposition personnelle à l'origine du projet bien que la décision d'acheter 25 avions ait été prise en 1996 par un gouvernement conservateur. La principale erreur a été de prendre l'option de la construction ex nihilo du moteur. La RAF ne veut pas de cet avion et souhaite disposer de C17 et de C130. Cependant l'A400M est très important en matière de conservation des compétences notamment pour les ailes composites qui sont construites au Royaume-Uni. Pour l'avenir, face à la concurrence internationale, on ne peut se permettre la répétition de ce genre d'erreur. Si un nouveau programme militaire est défini, il faut décider qui est le mieux à même de le développer.

Quoi qu'il en soit, la « défense review » examinera cette question parmi d'autres et sans exclusive. À l'exception du programme de remplacement du Trident, tout le reste sera mis à plat. Les stratégies industrielles doivent définir les programmes qui permettent de rester au plus haut niveau technologique.

L'héritage laissé par le gouvernement travailliste est dramatique. Le déficit est cinq fois supérieur à celui de la France et vingt fois supérieur à celui hérité du gouvernement Thatcher.

À la suggestion faite par le président de Rohan de créer un groupe parlementaire de suivi des politiques de coopération en matière de défense, M. Howarth a indiqué qu'il était ouvert à cette suggestion et qu'il en référerait à M. Liam Fox.

3. Entretien ave Mr Tom McKane, DG Strategy (ministère de la défense)

La publication du Livre vert est une étape qui conduit à la revue de défense. Ce Livre définit le contexte international avec, en particulier, la prégnance de plus en plus grande de la mondialisation, le changement climatique et l'Asie comme carrefour mondial des questions de sécurité. Ces différents aspects impactent directement les intérêts du Royaume-Uni. Ce serait une erreur d'interpréter le Livre vert comme un éloignement par le Royaume-Uni du multilatéralisme.

De manière délibérée, le Livre vert pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses, dans l'attente des décisions qui seront prises par un nouveau gouvernement. Les travaillistes indiquent que la revue de défense sera fondée sur le Livre vert et les mises à jour de la stratégie nationale de sécurité définie à l'été 2009. De leur côté, les conservateurs annoncent une nouvelle stratégie de sécurité dès le lendemain des élections et l'incorporation de la revue de défense dans un exercice plus large de remise à plat. De plus, M. Cameron s'est engagé à présenter un nouveau budget dans les 50 jours suivant l'élection.

Dans ce contexte, le ministère de la défense travaille dans l'hypothèse de présenter la revue de défense à la fin de l'année 2010, ce qui est un véritable défi puisque l'examen de la précédente revue de défense avait pris plus d'un an. Le changement de parti politique au pouvoir va certainement exercer une influence mais, au final, les conclusions ne seront pas très différentes qu'elles soient présentées par les travaillistes ou par les conservateurs.

La première priorité est de confirmer l'engagement du Royaume-Uni en Afghanistan pour les trois à quatre prochaines années. En décembre le ministère de la défense a annoncé l'affectation de ressources pour assurer cet engagement.

Le point de départ de la revue de défense sera de déterminer les objectifs de politique étrangère du Royaume-Uni et d'en tirer les hypothèses de planification révisée. Il faudra par exemple décider de la structure des forces armées qui sera déterminante pour les théâtres d'opérations (quels effectifs, quelle vitesse de rotation des personnels, etc.). L'une des grandes questions du Livre vert est de savoir si l'Afghanistan constitue l'avenir des opérations de stabilisation, ce qui entraînerait vers un choix de guerres hybrides. Ou bien le monde est-il plus incertain, ce qui conduirait à une structure plus équilibrée des forces armées. Cela étant, on ne peut préjuger des décisions qui seront prises dans la revue de défense. Le ministère de la défense a annoncé en décembre 2009 des réductions drastiques sur les programmes. La question du point jusqu'où on peut aller doit être étudié avec attention. L'un des grands défis à relever tient à l'engagement pris par le gouvernement actuel de publier un plan décennal pour l'achat d'équipements militaires après et en concordance avec la revue de défense. La faisabilité de ce plan devra être vérifiée d'ici la fin 2010. Sa planification sera très difficile.

Dans une situation budgétaire très difficile le ministère de la défense va plaider pour le maintien de l'effort consacré à la défense en termes de pourcentage du PIB. Des travaux sont lancés pour voir dans quelle mesure il est possible de réaliser des économies en termes de personnel, de nombre de bases, de terrains ou d'immeubles.

L'une des autres grandes questions que se posent les planificateurs en termes d'équipements est celle de la défense antimissiles. En ce qui concerne les missiles destroyer 45 (Aster) et les radars, le Royaume-Uni souhaite des discussions avec la France sur les différentes options disponibles. La revue de défense devra étudier la question des missiles balistiques. M. McKane, répondant à une question de M. Josselin de Rohan, a indiqué que le Royaume-Uni ne participait pas à part entière au projet OTAN en matière de défense antimissiles et que, comme la France, il convenait de ne pas payer deux fois par rapport à l'effort fait en matière de dissuasion nucléaire.

La cyber sécurité sera un autre élément fondamental. Les questions de cryptologie sont un domaine très important qui doit être approfondi dans la ligne de la stratégie gouvernementale.

En matière de renseignement, M. Josselin de Rohan a rappelé les dispositions du Livre blanc français qui met en exergue la fonction anticipation et le continuum sécurité-défense. Il a été procédé à une réforme du SGDN, devenu le SGDSN, à la création d'une commission spéciale pour le renseignement et à la nomination d'un coordinateur du renseignement auprès du président de la République.

M. McKane a indiqué qu'au Royaume-Uni il existait un comité conjoint sur le renseignement et que la fonction anticipation était effectivement centrale pour comprendre les menaces futures. La structure actuelle pourrait être modifiée par les conservateurs avec la création d'un nouveau « conseil de sécurité nationale » et une accentuation mise sur la sécurité intérieure. La question du continuum sécurité-défense est également étudiée puisqu'il est évident qu'aujourd'hui on ne peut plus séparer la sécurité nationale intérieure et la sécurité extérieure. Un autre mécanisme a été introduit en 2009 par la création d'une unité intergouvernementale sur la sécurité dont le but est de traiter les menaces immédiates.

Répondant à M. Daniel Reiner, M. Kane a indiqué qu'en matière de dissuasion le Livre vert a réaffirmé la politique de décembre 2006 qui affirmait que la dissuasion nucléaire est une partie constitutive de la politique de défense, même si le Royaume-Uni a pris position pour un désarmement à long terme. Le ministère de la défense vient de confirmer que la dissuasion nucléaire sera exclue de la revue de défense, et donc sanctuarisée. En matière de désarmement, M. Josselin de Rohan a indiqué que la France attendait de la Russie et les Etats-Unis les mêmes efforts de transparence que ceux effectués par la France et le Royaume-Uni. Il s'est montré opposé à la position de l'Allemagne qui prône le désarmement mais qui a toujours bénéficié du bouclier nucléaire américain.

En conclusion, M. McKane a souhaité que soit poursuivie les excellentes relations entre la France et le Royaume-Uni.

4. Entretien avec le Air Chief Marshal Sir Graham Eric Stirrup, chief of the Defence Staff

Le général Stirrup a tout d'abord abordé la question de l'Afghanistan en soulignant que le vrai défi reste toujours la politique à tous les niveaux : national, district, province, village. Le rôle des militaires est de créer un espace de sécurité pour une solution politique. Le bilan de l'action de l'armée britannique dans les provinces dont elle a la responsabilité depuis trois ans est positif. L'accroissement des effectifs en cours peut permettre de faire la différence mais la finalité est de trouver une solution politique.

À ces signes encourageants s'opposent la crédibilité des élections présidentielles et des élections législatives à venir et la décision du président Karzai de retirer la représentation d'experts étrangers de la commission électorale indépendante.

Les opérations actuelles dans le sud de l'Afghanistan sont marquées par l'implication du ministère de la défense et du ministère de l'intérieur ainsi que les gouverneurs des provinces et des responsables du district afghans. C'est un changement considérable qui montre que les signes de gouvernance émergent bien que le chemin soit encore long à parcourir. Il reste beaucoup à faire en matière de formation de l'armée nationale afghane et de la police et pour l'établissement d'un véritable État de droit. L'efficacité de l'ANA s'est beaucoup améliorée. Des opérations militaires sont menées en partenariat.

S'agissant du Pakistan il existe d'excellentes relations avec les militaires et, en particulier, avec le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Kayani. Il est clair que les Pakistanais n'agiront que s'ils sont persuadés que c'est dans leur intérêt. La priorité du général Kayani reste néanmoins le maintien de la réputation de l'armée vis-à-vis de la population. Les opérations menées en 2009 dans la vallée de Swat constituent un véritable tournant. La rupture de l'accord passé avec les talibans a fait bouger l'opinion publique et a permis le déclenchement des opérations militaires. Dans la mesure où, au Pakistan, c'est l'opinion publique qui compte, il convient que les alliés travaillent sur cette question. Il est inutile de faire pression sur l'armée et le gouvernement pakistanais s'ils ne sont pas persuadés que c'est dans leur intérêt. Sinon ils ne feront que le minimum. L'important c'est ce que doit faire le Pakistan pour lui-même. Le Pakistan ne peut être considéré comme un problème sous le seul angle afghan. Le Pakistan est le problème en soi même s'il convient de gérer l'ensemble Afghanistan-Pakistan. Le Pakistan reste très soupçonneux vis-à-vis de la communauté internationale sur son engagement en Afghanistan. Le départ des forces de la coalition amènerait le retour des talibans. Le problème n'est plus aujourd'hui celui d'Al Qaïda qui a subi beaucoup de dommages dans les zones tribales. Il est celui des talibans pachtounes et du réseau Haqqani.

De plus, l'armée pakistanaise demeure dominée par la question de la profondeur stratégique et du conflit potentiel avec l'Inde. L'ISI a changé son point de vue sur les talibans. Il y a un accord général au sein des forces armées pour réduire l'influence des talibans mais certainement pas pour les démanteler car il existe toujours une solution de précaution dominée par la question du Cachemire. Des signes de décrispation apparaissent aujourd'hui entre les deux pays mais il y a peu de probabilité d'amélioration dans les deux à trois années à venir. Il existe beaucoup de soupçons, dont certains sont justifiés, sur la politique indienne en Afghanistan et au Baloutchistan. Les mêmes préventions existent du côté indien sur le soutien pakistanais aux mouvements terroristes. Les efforts pour rapprocher les deux pays sont un effort de long terme qui exige un changement fondamental des comportements. Ce changement s'est déjà produit en Inde qui est une démocratie qui fonctionne et dont le développement crée des opportunités pour les individus. Le cas du Pakistan est naturellement différent avec une classe politique dominée par la corruption, ce qui n'était pas le cas du général Musharaf.

À l'objectif du début du retrait des forces de la coalition fixé par le président Obama en 2011, les talibans répondent en citant l'adage selon lequel l'Occident a la montre, eux ont le temps. L'objectif est bien évidemment de remettre les rênes aux Afghans eux-mêmes mais le rythme du retrait dépendra de la situation sur le terrain. Néanmoins, il est important de comprendre que les talibans ont besoin que la coalition abandonne rapidement car ils sont dans une situation précaire.

Abordant la question de la réforme de l'OTAN, le général Stirrup s'est montré pessimiste car toutes les tentatives précédentes ont échoué sur l'autel des intérêts nationaux. La structure est évidemment beaucoup trop lourde. Le Royaume-Uni a décidé d'arrêter d'envoyer des gens pour occuper des sièges inutiles et de concentrer l'envoi de personnel là où ils peuvent faire la différence. La question du déficit de 680 millions de dollars est une question politique et non militaire.

La coopération entre la France et le Royaume-Uni est excellente dans le domaine militaire. Le problème provient plutôt des obstacles politiques et de questions « théologiques » : le Royaume-Uni a toujours souhaité développer les capacités, mais la France, qui partage cet objectif, donne l'impression que ce développement est vu comme un symbole de l'unité européenne.

La crise économique et financière a exacerbé les problèmes budgétaires. Quel que soit le prochain gouvernement, il faudra s'attaquer au déficit structurel et ceci entraînera une baisse des dépenses publiques. Le budget de la défense ne sera pas épargné, ce qui conduira à des choix difficiles. S'agissant des opérations extérieures en Afghanistan leur financement est assuré hors du budget de la défense par le Trésor mais les restrictions budgétaires auront naturellement des conséquences sur les achats. Cela étant, les programmes qui sont lancés arriveront à échéance alors que l'armée britannique et la coalition occidentale se seront retirées d'Afghanistan.

Le général Stirrup a indiqué que la décision prise sur l'A400M n'avait jamais été considérée comme une bonne décision. Mais qu'une fois qu'elle avait été prise les forces armées britanniques seraient satisfaites à condition que les avions soient livrés à échéance prévue. Les forces aériennes ont besoin de cet avion pour le transport stratégique qui est fragilisé comme en France.

En conclusion, le général Stirrup a souligné l'importance de la relation militaire avec la France même si des difficultés persisteront sur la question de l'Union européenne. Du point de vue des militaires il est possible de faire plus et mieux.

5. Entretien avec Mme Gloria Craig, director international Security Policy, M. Stephen French, direction international Acquisition Policy et M. Sandy Johnston, Assistant Head of NATO and Europe Policy (Ministère de la défense)

Interrogée sur les réflexions en cours sur le concept stratégique de l'OTAN, Mme Gloria Craig a rappelé que le groupe d'experts réunis autour de Madeleine Albright avait pour vocation de verser des idées au débat et de faire rapport au secrétaire général de l'OTAN. M. Rasmussen a clairement indiqué que le projet de concept serait rédigé sous sa responsabilité à compter de l'été 2010. L'objectif est d'aboutir à un document court de cinq ou six pages explicitant les missions de l'OTAN.

Globalement parlant le Royaume-Uni approuve complètement la déclaration sur la sécurité de l'alliance rédigée en 2009. Les autorités britanniques souhaitent un document qui trouve un équilibre entre les dispositions de l'article 5 et les missions « expéditionnaires » qui correspondent à deux catégories différentes d'alliés. S'agissant de l'origine des menaces, la question des relations avec la Russie se posera puisqu'un certain nombre de membres de l'OTAN appartenant à l'Europe de l'Est s'inquiètent de la politique menée par ce pays, surtout après la crise avec la Géorgie.

S'agissant de l'élargissement, le Royaume-Uni considère que les pays candidats ont un droit à l'adhésion pour peu qu'ils respectent les critères de celle-ci.

La dissuasion, en particulier la dissuasion nucléaire, mais aussi la dissuasion conventionnelle ou la cyber dissuasion devront être incluses dans le concept stratégique.

L'OTAN dans sa forme actuelle est encore une construction de la guerre froide qui doit être profondément réformée. L'organisation est très mal gérée sur le plan budgétaire, sur les structures et le processus de décision. De ce point de vue, il est très important que la France soit totalement de retour dans l'OTAN puisqu'elle partage cette volonté de réforme. Les Etats-Unis comme la France et l'Allemagne sont en faveur d'une réforme de la structure de commandement. De plus, lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Istanbul les 4 et 5 février 2010, le secrétaire d'Etat à la défense, Robert Gates, s'est prononcé de manière très ferme pour la réforme, en particulier pour celle de la gestion financière de l'organisation.

L'avenir et la mise en oeuvre de la PSDC ne fait pas débat au sein de l'opinion publique même si certains conservateurs et certains journaux tabloïds y sont fortement opposés. D'une manière générale les conservateurs ont adopté une rhétorique nuancée pour se laisser une marge de manoeuvre dans l'hypothèse de son arrivée au gouvernement et des décisions difficiles qu'il devra prendre rapidement. Depuis quatre ans l'apport de capacités a montré que la politique de sécurité et de défense européenne pouvait fonctionner. L'exemple de l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie a montré que l'Europe a pu agir avec succès avant l'OTAN et une coopération avec d'autres nations comme la Chine ou la Russie, qui participent à la sécurisation des voies maritimes. Atalanta a montré que l'OTAN et l'Union européenne peuvent travailler efficacement ensemble.

M. Sandy Johnston a rappelé les deux niveaux de coopération, renforcée et structurée permanente, que le traité de Lisbonne prévoit pour les pays européens qui souhaitent contribuer à la construction de la PSDC. Pour ces coopérations il convient de fixer des critères. En dépit des réticences d'un certain nombre de petits pays le traité de Lisbonne met à disposition des instruments utiles.

Le Royaume-Uni reste toujours réticent à l'instauration d'un OPQ permanent, constatant que la mise en place d'Etat-majors temporaires est plus économe, budgétairement parlant, qu'une institution permanente qui, de plus, constituerait un doublon avec l'OTAN. Même dans l'hypothèse où cet état-major permanent serait de petite taille à l'origine, il faut tenir compte de la logique de développement de ces organismes qu'il est difficile d'enrayer ou de limiter. Le président de Rohan a rappelé la position française sur ce point et a souligné les limites du système de Berlin +.

Concernant la défense antimissiles et l'OTAN, le Royaume-Uni n'a pas de position à ce stade et souligne les coûts extrêmement importants d'un tel système complet. Une étude est en cours à l'OTAN dont on attend les résultats. M. Josselin de Rohan a rappelé l'impact que pourrait avoir la défense antimissiles sur la dissuasion. En matière de désarmement les États-Unis et la Russie doivent faire preuve de la même transparence que le Royaume-Uni et la France.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur la question de l'A400M, M. Stéphane French a indiqué que le ministère de la défense voulait obtenir l'avion qui avait été commandé pour la somme engagée. Le Royaume-Uni se tourne vers la France et l'Allemagne pour s'assurer que le fournisseur tienne sa parole. Le Royaume-Uni ne peut contribuer à n'importe quel coût. La balle est désormais dans le camp d'EADS auquel une proposition a été faite en marge du sommet de l'OTAN. Le ministère de la défense fait face à un besoin opérationnel puisqu'il ne dispose plus d'avions de transport stratégique. L'Afghanistan a en effet tiré sur les capacités et il existe une lacune importante qui devait être comblée par l'A400M. Les vols d'essais qui ont eu lieu ont rassuré sur les capacités de l'avion mais il faut désormais avoir un calendrier et un coût définitif.

6. Entretien avec Mr Julian Miller, Deputy Head Foreign and Defence Policy Secretariat (Cabinet office)

Interrogé sur les perspectives de coopération entre la France et le Royaume-Uni, M. Julian Miller a tout d'abord abordé la question des sonars. Il existait auparavant de petits projets sur cette question mais le potentiel de coopération est peut-être plus important notamment pour les sous-marins. Thalès UK est en effet le point de contact industriel pour les sonars de sous-marins. De son côté, s'agissant des sonars pour les navires de surface qui utilisent les basses fréquences, la France bénéficie peut-être de plus d'expérience. Il existe donc des possibilités d'échanges techniques et tactiques.

D'une manière générale le Royaume-Uni attache beaucoup d'importance au partenariat entre les deux pays qui sont des partenaires clés en matière de défense. Comme l'a confirmé M. Liam Fox, l'importance de la relation ne sera pas affectée par le résultat des élections.

S'agissant de l'avion de combat du futur M. Miller a indiqué qu'il était difficile aujourd'hui de se prononcer sur la façon dont ce programme «Fastjet » sera développé car c'est l'une des questions clés qui sera examiné par la revue de défense après les élections législatives. Des décisions difficiles seront à prendre. Ce qui est certain c'est qu'aujourd'hui on a trop d'avions de combat : EuroFighter, JSF et autres. Si le Royaume-Uni continu à acheter des JSF cela mène à l'horizon 2025-2030. Projeter la réflexion au-delà c'est regarder dans une boule de cristal. Y a-t-il un avenir pour des chasseurs avec pilote ? S'orientera-t-on vers des drones ?

M. Josselin de Rohan a rappelé que si rien n'était fait, la base industrielle en matière d'aéronautique de défense au Royaume-Uni comme en France disparaîtra avec ses conséquences en matière de dépendance technologique, de perte de savoir-faire et naturellement d'emplois. Une vision à long terme est certes nécessaire, puisque la durée de vie de ces appareils est d'une quarantaine d'années mais il faut bien être conscient que les décisions doivent se prendre aujourd'hui.

M. Daniel Reiner a rappelé qu'il existe des possibilités de coopération entre Dassault et Bae sur le drone MALE. M. Miller a indiqué que le Royaume-Uni souhaiterait plus de coopération dans ce domaine.

Sur l'A400M les arguments ont été présentés par EADS pour qu'ils obtiennent plus de fonds. Cependant l'audit réalisé par Price a chiffré à 2 milliards d'euros les surcoûts supplémentaires alors qu'EADS demande 4,5 à 5 milliards d'euros. Ces demandes, pas plus que celles concernant les avances remboursables, ne sont pas agréées par le gouvernement britannique dont l'analyse financière ne montre pas un tel besoin de financement. Le gouvernement souhaite disposer de cet avion de transport stratégique pour combler le manque actuel. M. Miller partage les analyses de M. de Rohan sur les possibilités à l'exportation de cet avion et sur le fait qu'il permettra aux états membres du consortium de ne pas être totalement tributaire des Etats-Unis.

Pour M. Daniel Reiner la même problématique se pose en matière de missiles, qui ne valent que par les avions qui les emportent. MBDA a des choix à faire, en particulier pour rationaliser ses implantations, si aucun plan de charge ne lui est fourni pour les années à venir. Il convient de coordonner les commandes entre les deux pays. M. Miller a rappelé que lorsque le Royaume-Uni est entré dans le programme Météor, c'était en partie pour préserver une base industrielle britannique et consolider la relation en Europe. En matière de satellites, les capacités nationales ont été acquises par partenariat public-privé (PPP) et le Royaume-Uni n'a pas de projets pour aller dans une voie différente aujourd'hui, alors que la capacité anglo-américaine actuelle donne des possibilités en matière de reconnaissance.

Évoquant la question des ravitailleurs et du marché de renouvellement de ces appareils aux Etats-Unis, M. Julian Miller a indiqué que le cabinet britannique s'inquiétait des conditions de cet appel d'offres et faisait pression sur les États-Unis pour qu'ils acceptent un marché équitable. Il a rappelé que le Royaume-Uni était sur le point d'acquérir les mêmes Airbus pour ses propres besoins.

En conclusion, M. Julian Miller a rappelé qu'il était important pour l'Europe de disposer d'une capacité et d'une base industrielle de défense mais qu'il ne fallait pas hésiter non plus à acheter au meilleur coût, ce qui favorise évidemment les États-Unis qui offrent des prix inférieurs comptent tenu des séries et du taux du dollar par rapport à l'euro. Le groupe de haut niveau mis en place depuis 2006 est un bon forum pour réfléchir à cette problématique. Réagissant à la proposition de M. de Rohan de la création d'un groupe de suivi parlementaire, M. Julian Miller a indiqué qu'effectivement celui-ci pourrait être très utile pour favoriser la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni.

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