Audition de M. Dominique DUPAGNE,
médecin généraliste
(mercredi 26 mai 2010)

M. François Autain, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Dominique Dupagne, médecin généraliste.

Conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, M. Dominique Dupagne prête serment.

M. François Autain, président - Je vous remercie. Je vous demanderai également, puisque cette audition est publique, en application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Dominique Dupagne - J'ai, en effet, des liens d'intérêts, puisque mon épouse est cardiologue et travaillait pour le laboratoire Sanofi au moment de la campagne de vaccination. Je suis aussi administrateur d'une société familiale qui s'appelle Vygon et qui fait du matériel médical. Je suis enfin consultant pour les éditions du Vidal, qui éditent le fameux « livre rouge » des médicaments.

M. François Autain, président - Je vous remercie. Je vous propose de commencer cette audition par un exposé liminaire, puis vous répondrez ensuite aux questions du rapporteur, M. Alain Milon, et des autres commissaires.

M. Dominique Dupagne - De nombreux confrères ont déjà permis de préciser des éléments importants. Je pense notamment au professeur Marc Gentilini, aux docteurs Philippe Foucras, Jérôme Sclafer et Philippe de Chazournes. Je ne reviendrai donc pas sur les questions qu'ils ont abordées, sauf si vous m'interrogez. Il me semble que l'aspect intéressant que je pourrais développer aujourd'hui est la place d'Internet dans la campagne de vaccination. Je vais donc tenter de me situer dans ce contexte, avant de répondre à vos questions.

Je suis médecin généraliste libéral parisien. J'ai également des activités à l'université, dans la formation continue et dans l'évaluation des pratiques professionnelles. J'ai découvert Internet en 1996, et plus spécifiquement les espaces d'échanges avec les patients. Après quelques milliers de messages échangés entre 1996 et 2000, j'ai créé mon propre site Internet, Atoute.org, qui bénéficie d'un trafic significatif avec 1,2 million de visiteurs par mois. A titre de comparaison, c'est le double de celui de la Haute Autorité de santé. Ce site est géré par des bénévoles et n'a pas de vocation commerciale. J'ai présidé pendant quelques années l'Association des médecins maîtres-Toile qui regroupe les médecins webmasters francophones, les pionniers de l'Internet de santé.

Dès 1996, j'ai été confronté aux antivaccinaux primaires sur les espaces communautaires. Je parle de ceux qui sont fondamentalement opposés au principe même de la vaccination. Ce mouvement issu de l'homéopathie avait été terrassé dans les années soixante par les succès de la vaccination, notamment de la poliomyélite, qu'elle a fait quasiment disparaître. Malheureusement, la désastreuse campagne de vaccination contre l'hépatite B leur a permis de retrouver un public et une relative crédibilité au début des années quatre-vingt-dix. Je crois que vous en avez déjà entendu parler.

On a parlé de comportement sectaire au sujet des antivaccinaux primaires. C'est très exagéré. En revanche, il faut reconnaître que leurs chantres faisaient preuve d'une incapacité totale à débattre scientifiquement, enfermés qu'ils étaient dans leurs inébranlables certitudes. Les internautes ne s'y trompaient d'ailleurs pas et faisaient facilement le tri entre leur discours dogmatique et une approche scientifique raisonnée, défendue par les quelques médecins présents sur ce nouveau média.

Dans le même temps, l'outil Internet permettait un phénomène nouveau : la création de communautés professionnelles connectées grâce à des listes de discussion, des échanges de mails. J'ai ainsi pu échanger quotidiennement avec des centaines de confrères depuis plusieurs années, y compris étrangers. Sur ces forums qui fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l'information disponible est partagée, analysée, disséquée et critiquée en temps réel. Il s'en dégage une forme d'intelligence collective tout à fait étonnante.

Un des premiers effets de ces espaces de dialogue a été de permettre aux médecins de s'affranchir de la mainmise de l'industrie pharmaceutique sur l'information santé. Je ne développerai pas cet aspect que M. Philippe Foucras, du Formindep, vous a déjà exposé brillamment. L'intensité de cette mainmise est souvent sous-estimée.

Pour en revenir à notre sujet, la grippe a bien évidemment été au centre de nos échanges, tout d'abord, en 2005, lors de la menace de la pandémie aviaire. J'avais été à l'époque particulièrement inquiet des conséquences potentielles d'une telle épidémie au point d'écrire un article à ce sujet sur le site Atoute. J'y exposais les conséquences catastrophiques éventuelles d'une telle épidémie, tout en relativisant la probabilité de sa survenue. Cette inquiétude m'avait d'ailleurs valu d'être brocardé par mes confrères qui me trouvaient excessivement inquiet.

Lors de l'épidémie mexicaine, ces mêmes confrères se sont de nouveau tournés vers moi pour savoir si je partageais l'inquiétude des autorités sanitaires. Mais une évidence s'est imposée rapidement, c'est-à-dire début juin : cette épidémie n'était pas une grippe aviaire. Sa bénignité dans une mégapole comme Mexico était incompatible avec une mortalité massive, et encore moins dans des pays mieux dotés en infrastructures.

C'est à ce moment, au milieu de l'été, que s'est opérée une dichotomie entre un discours officiel catastrophiste et des évidences de terrain beaucoup plus rassurantes. Or, plus nos confrères de l'hémisphère Sud nous confirmaient la bénignité de l'épidémie, plus le Gouvernement et les instances sanitaires augmentaient la pression et la peur, complaisamment relayées par des médias étonnement peu critiques.

C'est à ce moment que nos autorités, occupées à négocier d'importants contrats d'achat de vaccins, ont commencé à voir ce qu'elles croyaient au lieu de croire ce qui leur était donné à voir.

A partir de ce moment, Internet est devenu le lieu privilégié de diffusion de l'information critique et sourcée, tandis que le discours officiel et la presse diffusaient les idées parfois fantaisistes.

J'ai alors écrit un article de synthèse sur la vaccination antigrippale sur mon site, reprenant la réflexion menée sur les listes de discussion de médecins généralistes, et notamment MgList, animée par mon confrère réunionnais Hugues Raybaud. Cet article, signé par 240 confrères, en quelques jours, est devenu une référence sur le sujet. Il a été lu 1,3 million de fois et explique ma présence devant vous. Pourtant, je n'en suis pas vraiment l'auteur ; c'est encore une fois un article collectif pour lequel j'ai joué une sorte de rôle de rapporteur. Notez que l'une des raisons du succès de cet article est son absence de position sur le sujet de la vaccination : il exposait des faits et incitait les lecteurs à se forger leur propre opinion.

Dans le même temps, le pire et le meilleur foisonnaient bien sûr sur Internet, auberge espagnole de l'information. Je vous ai apporté deux exemples frappants. Le premier exemple concerne une page du site du laboratoire GSK consacrée à la grippe. On y apprend que la grippe asiatique de 1957 aurait fait 4 millions de morts aux USA, tandis que la grippe de 1968, dite de Hong Kong, aurait fait 2 millions de victimes en France. Ces chiffres sont bien sûr faux d'un facteur mille, mais ils sont restés sur le site du laboratoire producteur de vaccins pendant toute la campagne de vaccination.

L'autre exemple est plus récent, mais je trouve qu'il éclaire bien notre réflexion : le laboratoire MSD propose aux médecins un site gratuit de formation médicale. Le mois dernier, mon confrère Jean-Jacques Fraslin a découvert une vidéo qui affirme que la rougeole a fait 4 850 morts en Europe en 2004, soit une mortalité de 16 %, proche de celle de la vraie grippe aviaire. Après vérification, la mortalité réelle est mille fois inférieure. Averti de son erreur, le site du fabricant de vaccin a maintenu ce chiffre absurde, en s'appuyant sur un document ambigu de l'OMS contredit par d'autres données provenant de la même organisation.

Je suis personnellement convaincu de l'intérêt de la vaccination contre la rougeole, mais ce nouvel exemple confirme que nous sommes confrontés à deux réalités indéniables. La première est que la science est soluble dans l'industrie pharmaceutique. L'industrie pharmaceutique a vraiment un effet terrifiant sur la science qui semble être déliquescente à son contact.

La seconde est qu'en matière de vaccination, la France ne fonde pas ses stratégies sur l'information disponible, mais fabrique l'information qui valide ses stratégies.

M. François Autain, président - Merci, monsieur Dominique Dupagne, pour cette communication, particulièrement brève mais dense. Je vais passer la parole à M. Alain Milon, rapporteur, qui a quelques questions à vous poser.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vais vous poser trois premières questions. Nous en aurons peut-être d'autres dans le courant de la discussion. Si vous le permettez, je vais les poser une par une, ce qui permettra d'entretenir le dialogue.

Les arguments principaux avancés en faveur du dispositif de vaccination collective étaient les suivants : le conditionnement des vaccins en unités de 500 doses ; le souci de laisser aux médecins généralistes la disponibilité nécessaire pour la prise en charge de leurs patients atteints par la grippe et celui d'éviter la propagation de la maladie dans les salles d'attente. Ces arguments vous paraissent-ils recevables ?

La vaccination dans les cabinets médicaux n'aurait-elle pas aussi posé des problèmes d'organisation pratique (convocation des patients, approvisionnement en vaccins, charge administrative...) ? Selon vous, comment aurait-on pu, concrètement, organiser la vaccination par les médecins généralistes ?

Disposez-vous d'informations sur la façon dont les choses se sont passées dans les pays, comme la Belgique, où la vaccination a été assurée essentiellement par les médecins généralistes ?

M. Dominique Dupagne - Comme vous le savez, le conditionnement en grandes unités était lié à un plan grippe aviaire. Ce plan était adapté à mon sens à la grippe aviaire, c'est-à-dire que si nous avions eu une maladie dont la mortalité frôle les 50 %, avec une urgence absolue, il y aurait eu une mobilisation nationale de tous les professionnels de santé. Je pense que dans ces centres, les fameux « vaccinodromes », alimentés par des gens volontaires, venant jour et nuit vacciner, on aurait pu vacciner la totalité de la population française, à la seule condition de disposer d'assez de vaccins, car c'était l'élément limitant aussi.

Le problème est que ce « plan de guerre » était totalement déconnecté de la réalité et que cela a provoqué une sorte de résistance passive qui a été soulignée, liée au fait que les médecins étaient conscients du décalage absolu entre ce qui était dit et la réalité. S'il y avait eu une vraie grippe aviaire, on aurait tous été volontaires, jour et nuit, pour vacciner. Finalement, cette histoire de conditionnement, dans le cadre d'un plan grippe aviaire me paraît logique.

En revanche, à partir du moment où il ne s'agissait pas de la grippe aviaire mais d'une nouvelle grippe A pandémique, le dispositif habituel des cabinets médicaux qui permet de vacciner, bon an mal an, plusieurs millions de personnes tous les ans, aurait très bien pu suffire. Il aurait simplement fallu, dès la commande des vaccins, prendre acte que ce n'était pas une grippe aviaire ultra-mortelle, mais une nouvelle grippe A qui était un peu préoccupante, mais sans plus.

Concernant l'autre question, je n'ai pas d'information particulière sur les pays voisins. Nous avons quelques Belges dans nos espaces de discussion, mais nous nous sommes surtout concentrés sur l'évolution de la situation dans l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud. C'est là que la communication s'est faite, et plutôt sur la France.

M. François Autain, président - Vous prenez comme exemple la grippe aviaire. Dans vos sites de discussion, parle-t-on d'une impossibilité de pandémie en ce qui concerne la grippe aviaire ? On sait que la grippe aviaire ne se propage pas d'homme à homme pour l'instant. Dans la définition de la pandémie, y a-t-il des adaptations à prévoir pour pouvoir établir des plans de lutte qui soient différents en fonction de l'ennemi qu'on a en face de soi ?

M. Dominique Dupagne - Comme vous le savez, le mot pandémie a été l'objet de débats. Qu'est-ce qu'une pandémie ? Une pandémie doit-elle tuer obligatoirement pour mériter le titre de pandémie? Après cette affaire, je pense qu'il faudra trouver un nouveau mot. Il y a une pandémie de rhume qui déferle tous les ans sur le monde. Si un jour il y a une pandémie de virus Ebola ou une pandémie de grippe aviaire, il faudra que cela porte un autre nom. Il faudra appeler cela « mortélodémie », je n'en sais rien, mais un terme qui permet de bien distinguer et d'éviter le mélange.

Pourriez-vous me rappeler votre question ?

M. François Autain, président - Je vous interrogeais sur l'adaptabilité d'un plan mis en place par une pandémie.

M. Dominique Dupagne - C'est tout le problème des plans : en général, ils se révèlent inadaptés à la mission pour laquelle ils ont été conçus. C'est un problème plus général. Quand on est face à une maladie mortelle, on est forcés de faire des plans, même s'ils se révèlent in fine être la ligne Maginot. Dans le cas d'une grippe aviaire, j'ai été, comme je vous le disais, assez crédule en 2005. J'ai cru qu'il y avait vraiment une probabilité significative de grippe aviaire. A l'époque, je ne m'étais pas vraiment penché sur les réalités virologiques. Depuis on a fouillé la question avec nos collègues, et il apparaît que cette probabilité est vraiment infime.

Les virus sont intelligents. Un virus qui tue son porteur est un virus idiot. L'évolution darwinienne n'a pas sélectionné les êtres idiots. L'intérêt d'un virus est de protéger son porteur, bien sûr. Je pense que si le virus de la grippe A avait pu empêcher de mourir les quelques morts que nous avons eus, il l'aurait fait. C'est pour les virus une catastrophe de tuer leurs porteurs.

On va dire que le H5N1 est comme tous les autres virus : il évite de tuer son porteur. Quand on est confronté à de fortes mortalités, c'est généralement quand il y a un franchissement de barrière d'espèce. Quand un virus qui n'était pas destiné à l'homme touche l'homme, il est très peu contagieux généralement, car il n'est pas fait pour cela. En revanche, il va avoir des effets parfois désastreux. On le voit pour le virus Ebola. Je ne le savais pas à l'époque. Maintenant, très honnêtement, je ne crois plus beaucoup à la grippe aviaire.

M. François Autain, président - Vous n'y croyez plus beaucoup ?

M. Dominique Dupagne - Non, elle ne me paraît pas plausible. Je crois que la grippe aviaire existe. Il peut y avoir des recombinaisons chez l'oiseau avec des virus, mais de là à ce qu'un virus de mortalité de l'ordre de 25 % diffuse dans le monde entier, c'est une aberration darwinienne.

M. François Autain, président - C'est plus de 25 %.

M. Dominique Dupagne - Les effectifs sont tellement petits qu'il est difficile de savoir, en tout cas je reste modeste : je pourrais dire 50 % en effet. On dit 50.

M. François Autain, président - On dit 50 à 60.

M. Dominique Dupagne - Entre 25 et 50, cela ne change pas grand-chose.

M. Alain Milon, rapporteur - Quel jugement portez-vous sur la politique de communication en direction du public ? Comment expliquez-vous en particulier que les autorités sanitaires n'aient pas été en mesure de diffuser une information claire et pédagogique comme celle que vous aviez mise en ligne sur votre blog ?

M. Dominique Dupagne - Cela a été développé, et je vous l'ai redit dans mon exposé liminaire. Il y a une politique en France qui consiste à définir la stratégie et à fabriquer l'information après. Je crois vraiment que c'est ce qui résume cette situation. Il y avait un plan grippe aviaire. On a souhaité l'appliquer à tort. On a pu éventuellement bénéficier du doute au début : dans le doute, commençons. Dès l'été cependant, il était clair que c'était inadapté, totalement inadapté. Il fallait une adaptation. Les gens qui font de l'informatique appellent cela l'« agilité ». On sait en informatique qu'on est incapable de fabriquer le programme que veut le client. On commence à faire un outil technique. On va vers la personne qui a demandé le programme. Si cela va, on reprend et il y a un aller-retour incessant pour affiner le projet final.

Dans le cadre du plan grippe aviaire, c'était un plan militaire - j'irai jusqu'à dire soviétique - dans lequel on avait décidé quelque chose et où il fallait que le milieu se plie au plan, d'où le désastre.

M. Alain Milon, rapporteur - Je vous suis assez bien sur ce point. Estimeriez-vous nécessaire de mener les recherches sur l'efficacité de la vaccination antigrippale, qu'elle soit saisonnière ou pandémique, et d'affiner le chiffrage des décès imputés à la grippe, saisonnière en particulier ?

M. Dominique Dupagne - On a été de surprise en surprise pendant cette affaire. Les généralistes se sont penchés sur les donnés disponibles, parce qu'Internet permet d'aller à la source et de se procurer les données. Nous avons constaté que le nombre de morts de la grippe saisonnière, les 5 000 morts annoncés, avec une surenchère dans les médias - 6 000 à 7 000 - reposait sur une lecture de marc de café ou d'entrailles de poulet.

On peut appeler cela ainsi. Je suis un petit peu méchant, mais quand vous regardez les vrais relevés épidémiologiques faits sur des données solides, notamment une étude faite sur les quatre-vingts départements les plus peuplés, vous vous apercevez qu'on est plutôt du côté de 500 et que ce sont essentiellement des personnes en fin de vie qui sont touchées : leur dernier souffle est légèrement hâté par la grippe, mais la mortalité précoce par la grippe saisonnière - quand je dis précoce, c'est 60 ans -, cela ne représente que quelques dizaines de cas tous les ans.

On nous avait encore menti sur ce plan. Il y a une perte de confiance. Mes confrères et moi-même, nous n'avons malheureusement plus confiance dans les chiffres fournis par les autorités sanitaires. Nous avons fait confiance, mais nous avons été confrontés à une difficulté que nous avons été voir. Nous avons constaté que les chiffres donnés par les autorités sanitaires peuvent être multipliés par dix, cent, mille et le tout sans un accroc dans la voix...

M. Alain Milon, rapporteur - Avez-vous des références épidémiologiques qui peuvent nous servir sur ce que vous venez de dire ?

M. Dominique Dupagne - J'ai écrit l'article à partir des données que nous avions recueillies. Il y a une étude solide faite par l'Institut national de veille sanitaire en 2003 avec un véritable relevé, dans lequel on a un nombre de morts. Elle ne porte que sur les quatre-vingts départements français les plus peuplés, mais cela donne une idée précise. On peut faire une projection proportionnelle ; il suffit de prendre la population de ces départements, de la rapporter à la population française. La marge d'erreur sera faible. On va arriver sans doute à 600 ou 700 morts, surtout avec une pyramide des âges très spectaculaire.

Ce qui me frappe, c'est que le chiffre d'affaires de la vaccination saisonnière antigrippale est considérable. Pourquoi les autorités sanitaires n'ont-elles pas exigé des laboratoires qu'ils fournissent à l'appui de cette démarche des travaux épidémiologiques solides et ne leur ont-elles pas demandé de les financer, de la même façon qu'on demande à un fabricant de médicaments de financer la démonstration de l'efficacité de son produit ?

J'ai vraiment l'impression que les autorités de santé publique étaient favorables à la vaccination grippale saisonnière. Comme c'était une bonne cause, on peut dire n'importe quoi. A partir du moment où la cause est jugée bonne ! Quand j'ai eu ce dialogue avec les responsables du site sur l'histoire de la rougeole - ces 4 850 décès -, ils m'ont dit que c'était pour appuyer la vaccination de la rougeole ! Moi aussi je suis favorable à la vaccination de la rougeole. Simplement, si les antivaccinaux primaires tombent sur cette histoire de 4 850 morts de la rougeole et qu'ils découvrent que c'est 4, c'est tout l'édifice scientifique qui s'écroule. Ce n'est pas parce que la cause est bonne qu'on a le droit de dire n'importe quoi.

M. François Autain, président - Je voudrais vous poser une question concernant l'utilité de la vaccination. Tout le monde a pris connaissance de cet excellent document destiné à informer les Français, vos malades : je crois que c'est parce que vous étiez assaillis de coups de téléphone que vous avez été amené avec vos confrères à faire cet excellent texte sur ce qu'est la vaccination. Beaucoup de gens ont sans doute appris en lisant votre texte que la vaccination antigrippale n'était pas la vaccination contre la polio, qu'il fallait qu'elle soit renouvelée tous les ans. Beaucoup de nos concitoyens n'avaient pas conscience de cette contrainte. Quand on a commencé à se faire vacciner contre la grippe, si on veut continuer à être protégé, il faut continuer à se faire vacciner.

On a aussi appris que pour qu'une vaccination soit efficace et ait une chance quelconque d'enrayer l'épidémie - si éventuellement une vaccination peut l'enrayer -, il fallait qu'elle n'intervienne pas plus d'un mois après le début de la circulation active du virus dans la population. Il est évident que ces conditions n'ont pas été remplies.

Par ailleurs, quand on sait que la vaccination a commencé en novembre, on peut s'interroger sur l'efficacité réelle de cette vaccination. Les premières personnes protégées l'ont été au moment du pic de l'épidémie. Cette vaccination a-t-elle véritablement produit l'effet escompté ? En termes d'effet barrière, je pense que la réponse est non, mais qu'en est-il en termes de protection individuelle ?

Pensez-vous que cette vaccination était utile ? Plus généralement, face à une pandémie, la vaccination vous semble-t-elle le moyen le plus efficace - je ne dirai pas le moins coûteux - pour faire face ? On a eu la chance cette fois-ci d'avoir un virus qui avait circulé dans l'hémisphère Sud avant de venir chez nous, mais imaginons que celui-ci prenne naissance à proximité, on n'aurait pas le temps de produire ces vaccins ; c'est ce qui a été le cas pour les pays de l'hémisphère austral. A ce moment-là, on est bien obligé de recourir à des mesures physiques. Quid de l'utilité de cette vaccination, et de la vaccination d'une manière générale, face à une pandémie ?

M. Dominique Dupagne - Vous m'avez d'abord interrogé sur l'intérêt d'une vaccination en période épidémique, compte tenu du délai nécessaire entre l'injection et l'apparition de l'immunité. Je n'ai pas matière, en tant que généraliste à vous répondre, mais vous pourriez interroger un étudiant en médecine de troisième année qui pourrait vous répondre facilement que c'est totalement idiot et qu'il faut un certain délai entre l'injection et l'efficacité et que la gravité de la situation ne justifiait pas de jeter aux orties les bases de l'immunologie.

Sur l'intérêt d'une vaccination : une vaccination est justifiée quand la maladie expose à un risque significatif. Ensuite, c'est mieux si le virus est stable. Vacciner contre la polio, contre la diphtérie, contre la coqueluche - toutes ne sont pas des virus -, ce n'est pas du tout inutile et ce n'est pas très compliqué, puisqu'on est protégé pendant dix ans. Bien sûr, on peut aussi considérer qu'on peut survivre sans vaccin, comme le font les antivaccinaux.

Sur les virus mutants comme celui de la grippe qui ont une évolutivité annuelle, là c'est une vaccination annuelle à vie. Les gens qui se sont fait vacciner cette année contre la grippe A ne savent pas qu'ils ont une protection transitoire qui durera - on le saura bientôt - un ou deux ans. Il n'y a pas de raison de se protéger cette année et de ne pas se protéger l'année prochaine, ou de ne pas se protéger dans dix ans. C'est : je me protège ou je ne me protège pas. A partir de ce moment-là, ces gens doivent se vacciner toute leur vie.

Est-ce une politique de santé publique utile que de vacciner la totalité de la population tous les ans, y compris les personnes qui ne sont pas à risque, pour une maladie dont la mortalité se situe autour de 1 pour 100 000 ? Je pense qu'il y a d'autres priorités pour les budgets sociaux. Malheureusement, il y a des choses inévitables : des gens meurent de la varicelle tous les ans ; des gens meurent en allant chercher des médicaments à la pharmacie en se faisant écraser par une voiture. Chercher le risque zéro est absurde.

M. François Autain, président - D'une manière générale, la vaccination vous semble-t-elle le moyen le plus efficace pour lutter contre une pandémie grippale ?

M. Dominique Dupagne - Je suis très surpris de ne pas retrouver un chiffre très intéressant qui est le pourcentage de vaccinés parmi les gens qui ont fait une complication grave de la grippe ou qui sont décédés de la grippe. On aimerait bien savoir si, parmi les gens qui ont été gravement atteints par la grippe A cette année en France, il y en avait qui avaient été vaccinés.

M. François Autain, président - Cette fois-ci, c'est vous qui posez la question et je vais vous répondre. On a des chiffres sur les 1 250 ou 1 300 personnes qui ont été admises en service de réanimation. Seules 18 étaient vaccinées. Avaient-elles été vaccinées suffisamment tôt ? Je ne sais pas depuis combien de temps elles étaient vaccinées.

M. Dominique Dupagne - Entre 1 % et 2 %. Pour ce qui est de l'effet barrière, si nous étions un jour confrontés à une maladie effroyablement mortelle à diffusion rapide, une grippe aviaire - je vous ai dit que je n'y croyais plus, mais imaginons que je me trompe et qu'une grippe aviaire soit possible - à ce moment-là, il ne s'agit pas de dire : 25 % de la population va y passer, c'est l'évolution darwinienne. Ce n'est pas possible. Cela demande des mesures d'exception. Confrontés à une menace aussi grave, le plan grippe aviaire, tel qu'il avait été prévu au départ, trouve toute sa signification : centres de vaccination, organisation militaire, tout le monde est sur la brèche, tout le monde vaccine à tour de bras, en attendant de trouver d'autres solutions. L'autre solution serait sans doute de vacciner la totalité de la population mondiale tous les ans.

M. François Autain, président - Vous dites qu'il faudrait vacciner à tour de bras, mais à condition d'avoir des vaccins !

M. Dominique Dupagne - Dans le plan grippe aviaire, c'est une bataille contre la montre, d'où ces fameux adjuvants qui étaient destinés à fabriquer encore plus. Il y a une légitimité. Le manque de légitimité est d'avoir utilisé un canon de 75 pour écraser un moustique, avec des dégâts collatéraux.

M. François Autain, président - De toute façon, on sait bien que ces médicaments n'arriveront pas à temps.

M. Dominique Dupagne - Vous voulez parler des vaccins.

M. François Autain, président - Ce ne sont pas les premiers moyens dont on dispose pour lutter contre une pandémie. Il y a un véritable problème. On était dans les conditions les plus favorables, où l'épidémie se manifeste d'abord dans l'hémisphère Sud, et on n'a pas été capable de disposer du vaccin, au moment où on en aurait eu besoin. C'est le problème.

M. Dominique Dupagne - Comme je l'ai écrit dans l'article de 2005, si c'était arrivé, s'il y avait eu une grippe aviaire, la vie se serait arrêtée. On serait resté enfermé chez soi. Des gens masqués, encagoulés auraient distribué de la nourriture. Il n'aurait pas été question d'aller faire ses courses ou d'aller travailler. En matière de protection physique, c'est tout ou rien. Soit on isole tout le monde parce que c'est grave, soit ce n'est pas grave et on observe une hygiène standard. La demi-mesure n'a aucun sens : si la maladie est bénigne, on arrête le cinéma des masques. J'ai failli vous apporter des masques « canard » et vous forcer à les porter. Vous auriez vu ce que c'est.

M. François Autain, président - J'ai l'avis du 11 septembre 2009 du Haut Conseil de la santé publique, dans lequel il est écrit : « Toutes les personnes qui désirent être vaccinées doivent pouvoir l'être. » Le Haut Conseil va, dans cet avis, jusqu'à émettre l'hypothèse que des groupes de personnes ou des professionnels « puissent être vaccinés pour des raisons autres que sanitaires » .

Je voulais savoir si on pouvait envisager une vaccination pour des raisons autres que sanitaires. Si oui, pourriez-vous me citer des exemples ?

M. Dominique Dupagne - C'est une devinette finale assez amusante. La première réponse que je vous ferais serait la punition. Les gens qui n'ont pas été sages seraient vaccinés pour les punir. Ou alors, on pourrait vouloir tester la solidité du matériel.

M. François Autain, président - Donc, vous êtes d'accord avec moi.

M. Dominique Dupagne - Je ne sais pas si vous aviez émis cette possibilité. Ensuite, ce pourrait être pour pouvoir former le personnel vaccinal à vacciner pour une épidémie ultérieure. Dois-je continuer ?

M. François Autain, président - Je vois très bien. Nous sommes d'accord, mais je poserai ma question à quelqu'un du Haut Conseil. Je n'ai pas eu le temps l'autre jour de poser cette question à son président que nous avons entendu.

M. Dominique Dupagne - Vous remarquerez que je n'ai pas supposé que l'industrie pharmaceutique pourrait avoir des motifs de vacciner pour des causes non sanitaires.

M. François Autain, président - Il faut quand même être correct !

Mme Marie-Thérèse Hermange - Les personnes qui ont été vaccinées et qui décideraient de ne pas se refaire vacciner prennent-elles un risque sanitaire ? Je pense par exemple aux femmes enceintes qui ont voulu se protéger parce qu'elles étaient enceintes et qui décideraient de ne pas se refaire vacciner. Quel est le risque ?

M. Dominique Dupagne - Les Français vont découvrir que leur protection, pour ceux qui ont été vaccinés, ne durera pas. On va donc les inciter à poursuivre la vaccination saisonnière dans lequel le vaccin H1N1 nouveau sera intégré cette fois-ci. La question que vous me posez va être révélée au grand jour et va sûrement être l'objet de communication dans les médias.

Quand le virus s'est confirmé comme étant bénin dans l'hémisphère Sud, la réaction des pro-vaccins, des gens qui étaient vraiment dans le plan, a été de dire : « Oui, certes, il n'est pas méchant, il n'a pas l'air, mais il pourrait muter et devenir pire. » Sur le moment, cela paraissait crédible, même si, a posteriori , on découvre qu'aucun virus grippal pandémique n'a jamais muté une deuxième fois pour changer sa virulence depuis que les virus grippaux sont connus.

C'était une certaine forme de vue de l'esprit. Dans le cas précis, on est tombé face à un virus A (H1N1)v, avec un tropisme un peu particulier pour les jeunes et pour les poumons, mais qui, globalement, faisait moins de malades et donnait moins de symptômes qu'une grippe saisonnière.

Si je croyais à la mutation virale, je pourrais dire : « Attention, maintenant vous avez été vacciné. Si le virus se révèle beaucoup plus méchant, vous pourriez être exposé à un risque supérieur. ». Cela me paraît extrêmement fumeux. Je pense que, comme tous les virus grippaux, comme les autres A (H1N1)v qui se sont succédé depuis que le A (H1N1)v existe, on aura des virus qui vont muter sournoisement pour trouver de nouvelles victimes, c'est-à-dire que face à une barrière immunitaire qu'ils n'arrivent pas à franchir parce que les gens sont immunisés, ils vont muter de façon à pouvoir réinfecter des gens nouveaux, mais de là à changer de virulence, c'est extrêmement peu probable.

Les femmes enceintes qui étaient vaccinées en 2009 se sont protégées en 2009. Si elles veulent se protéger en 2010, elles seront dans la même situation que quelqu'un qui n'a jamais été vacciné, sauf à penser que leur injection d'il y a un ou deux ans - cela va se renouveler tous les ans - leur a conféré une semi-immunité qui les protégerait des formes graves. Comme dit mon fils étudiant en médecine : « C'est jouer de la flûte de dire cela. » On ne sait pas très bien où on va. Une chose est sûre : les gens qui veulent se protéger définitivement contre cette grippe A doivent et devront se vacciner toute leur vie.

Mme Marie-Thérèse Hermange - A vos yeux, par rapport à votre analyse, pour être conséquents, quel discours devraient avoir les pouvoirs publics à la rentrée, au moment où le problème va se reposer ?

M. Dominique Dupagne - Je suis tellement déçu par les pouvoirs publics que je doute qu'ils soient conséquents à la rentrée. A imaginer qu'ils le soient, ils devraient dire : « Nous nous sommes trompés, nous avons lancé un gigantesque mouvement de vaccination pour une maladie dont la gravité ne justifiait pas un mouvement de telle ampleur. Nous avons décidé de réaffecter les montants disponibles à d'autres priorités sanitaires et nous allons arrêter la prise en charge de la vaccination antigrippale. »

Je vous signale que l'Australie a commencé à supprimer la vaccination des enfants contre la grippe. D'autres pays ont choisi de ne pas vacciner leur population. Une approche conséquente serait de dire : « Nous nous sommes fait peur. Nous avons cru à la grippe aviaire, ce n'était pas la grippe aviaire. Nous avons le temps de réfléchir. Désormais, nous allons affecter nos ressources à d'autres priorités. »

Mme Marie-Thérèse Hermange - Donc, ils devraient dire « nous vous conseillons de ne pas vous refaire vacciner ».

M. Dominique Dupagne - Nous garderons la vaccination pour les sujets à risques, pour les personnes qui ont des problèmes respiratoires graves, et chez qui cette grippe bénigne chez monsieur ou madame tout le monde pourrait conduire à un décès.

M. François Autain, président - Je crois que le Haut Conseil, dans son avis de septembre 2009, avait classé les enfants de moins de cinq ans dans les groupes à risque. Etes-vous d'accord avec cette classification ? Cela va à l'encontre de l'exemple que vous citiez à propos de l'Australie, puisque vous venez d'indiquer que l'Australie avait supprimé la vaccination pour les enfants de moins de cinq ans. Encore faudrait-il, en ce qui nous concerne, qu'elle existât pour qu'on puisse la supprimer. Je pense qu'elle est peu pratiquée dans notre pays pour les enfants de moins de cinq ans.

M. Dominique Dupagne - Elle n'est pas dans les priorités vaccinales.

M. François Autain, président - Faites-vous entrer les enfants de moins de cinq ans dans les catégories à risques pour les vaccinations que vous préconisez ?

M. Dominique Dupagne - Je ne suis pas devant vous en tant qu'expert de la grippe. Je suis devant vous en tant que représentant autoproclamé - si je puis dire - des médecins qui communiquent entre eux sur Internet et qui ont constaté des réalités dont le discours officiel était déconnecté. Vous me demandez quelque chose qui n'est pas de ma compétence.

Je me suis documenté en lisant. Ce que disent les Australiens, ce n'est pas que ce médicament n'est pas utile chez l'enfant. Ils disent qu'ils ont constaté des cas de convulsions fébriles qui les inquiètent. Compte tenu du fait que l'épidémie se révèle relativement bénigne, ils considèrent que cette prise de risque n'est pas justifiée pour l'instant. Voilà la réponse des Australiens. C'est un rapport bénéfice/risque. Le choix de la vaccination doit résulter d'un équilibre entre un bénéfice, un risque et un coût. C'est une triangulation. Il y a des choix à faire.

M. François Autain, président - Pensez-vous que la vaccination qui est conseillée pour les personnes de plus de 65 ans dans notre pays mérite d'être poursuivie ou de ne pas l'être, pour se fixer sur les personnes à risques ? Les plus de 65 ans sont-elles des personnes à risques ?

M. Dominique Dupagne - Un Canadien que j'aime beaucoup qui s'appelle Laurence Peter, connu pour son principe : « le principe de Peter », a dit une phrase un peu compliquée, mais qui résume très bien ma position : « certaines choses sont d'une telle complexité, qu'il faut être particulièrement bien informé à leur sujet pour n'avoir aucune opinion » . J'en arrive à ce stade. On ne sait plus si la vaccination contre la grippe est utile ou non chez la personne âgée. On ne sait pas quels sont les vrais chiffres. On ne sait rien. On est dans un brouillard total. La décision peut être individuelle. On a un patient en face de nous. On n'est pas des robots. On a quelqu'un qui est fragile des bronches, comme on dit, qui a des problèmes respiratoires fréquents : on va peut-être être plus incitatif. L'autre est un sportif de 65 ans, qui joue au tennis régulièrement : à quoi bon le vacciner plus qu'un obèse de 40 ans ?

Il y a une adaptation individuelle. Les fondements scientifiques de la vaccination annuelle antigrippale - vous avez vu M. Thomas Jefferson récemment - sont peu solides.

Mme Marie-Thérèse Hermange - Par rapport au discours que vous appelez officiel et que j'appelle plutôt discours normé, vous avez été un certain nombre à vous exprimer : on a entendu vos voix, mais en même temps vous êtes assez discrets. Par rapport à la rentrée, où le problème va se reposer, avez-vous décidé d'avoir une stratégie par rapport à cette problématique ? Ou, au contraire, chacun travaille-t-il dans son secteur ?

Par rapport au discours normé, il y a toujours un mécanisme de réseaux qui est mis en place pour arriver à une pensée unique.

M. Dominique Dupagne - La grande force du réseau est sa réactivité. Ce qui caractérise le mouvement des médecins connectés, c'est qu'on n'a pas besoin de prévoir à l'avance. On peut, trois jours avant la rentrée, définir ensemble ce que les données scientifiques nous laissent penser et le faire figurer sur Internet. Il n'y a pas de validation, il n'y a pas de programme. D'un côté, comme vous dites, on a des gens qui ont un système normé, prévisionné, planifié, ce qui pose d'énormes problèmes. De l'autre côté, vous avez un mouvement brownien, darwinien, dans lequel des forces émergent.

Le fameux article dont on parle, je l'ai écrit en deux jours. Au bout d'un moment, on a commencé à avoir des coups de téléphone incessants de nos patients dans nos cabinets pour savoir ce qu'ils devaient faire. On ne pouvait plus travailler. Ce n'est pas la vaccination qui nous a désorganisés complètement, c'est la panique des gens terrorisés par la pandémie de la peur. J'ai écrit cet article en un week-end, en amalgamant tout cela, et c'est parti comme un feu de poudre.

Une sociologue est en train de travailler dessus car le phénomène est très intéressant. Il a été lu 1,3 million de fois, ce qui est colossal. Je vous passe les impressions qui ont tourné dans les écoles. A la rentrée, peut-être réagira-t-on trois jours avant ou une semaine avant, mais on n'a pas besoin de se préparer.

M. François Autain, président - Concernant les groupes d'experts, essentiellement le Comité de lutte contre la grippe, le Haut Conseil de la santé publique, et en particulier les deux comités ou commissions qui ont été amenés à se prononcer dans la gestion de cette grippe - la Commission des maladies transmissibles et le Comité technique des vaccinations -, ce sont des structures qui sont composées essentiellement de virologues. Finalement, on y trouve très peu de cliniciens. Si vous ajoutez que tous ces virologues ont des liens d'intérêts, souvent nombreux, avec les fabricants de vaccins ou d'antiviraux, cela ne vous amène-t-il pas à critiquer cette organisation et à envisager qu'on intègre à ces structures un plus grand nombre d'hommes de terrain ?

Il nous apparaît de plus en plus que ceux qui ont été amenés à conseiller le Gouvernement sont souvent des personnes compétentes et très respectables, mais qui avaient perdu de vue les malades et qui étaient souvent derrière leur ordinateur à mettre en place des modèles mathématiques, ou qui étaient des experts dans leur laboratoire, faisant de la recherche.

N'y aurait-il pas intérêt à ouvrir ces structures sur la société civile ? Ceux qui ont un contact direct avec la réalité nous éviteraient peut-être de tels errements ? Ce n'est pas suffisant sans doute, mais ce pourrait être une réforme qui nous permettrait de nous orienter dans le bon sens ?

M. Dominique Dupagne - Puisque vous me posez cette question, monsieur le président, je vais développer des arguments qui me tiennent à coeur. Il est clair que nous marchons sur la tête, c'est-à-dire qu'actuellement les conseillers qui sont autour de la ministre de la santé sont presque tous des hospitalo-universitaires.

La médecine générale qui est très forte dans les pays anglo-saxons, notamment en Angleterre, est totalement brimée en France, avec une filière universitaire inexistante. Il y a depuis peu, je crois, un conseiller médecin généraliste auprès de la ministre, mais sur cinquante conseillers, il n'y en avait aucun. Traditionnellement, la politique de santé française exclut de son champ de réflexion les médecins de terrain, pas uniquement les généralistes, les pédiatres libéraux aussi, dans une politique, à mon avis, extrêmement dangereuse. Je ne peux que vous appuyer dans ce sens.

C'est lié aussi au fait que, généralement, aucun budget n'est prévu pour s'assurer des compétences de ces experts de terrain. Quand on est salarié plein temps à l'hôpital, on peut très bien se détacher une journée pour participer à la réflexion ministérielle, voire être détaché à plein temps auprès de la ministre. Quand on a un cabinet à faire tourner, qu'on doit gagner sa vie, on ne peut pas se permettre d'aller faire des actions bénévoles. C'est une première explication. Il faudrait peut-être une réforme de la rémunération des experts.

L'autre problème qui se pose est cette croyance maintes fois répétée, ici notamment, que quelqu'un qui ne travaille pas pour l'industrie pharmaceutique ne peut pas être compétent. C'est vraiment un discours récurrent. C'est incroyable qu'on ose dire des choses pareilles. C'est une négation de l'indépendance de l'expertise. Dans le cadre du procès Erika, imaginez que les magistrats qui font face aux pétroliers soient tous des consultants de l'industrie pétrolière, tout le monde hurlerait en disant que ce n'est pas possible, qu'on ne peut pas être à la fois juge et avoir des intérêts.

En santé, il semblerait au contraire que ce soit la règle : plus on travaille pour l'industrie, plus on serait indépendant. C'est ahurissant d'entendre cela. Si la France veut se doter d'une politique de santé publique cohérente, il faut qu'elle fasse l'effort d'avoir un panel d'experts pharmacologues, cliniciens, qui s'interdisent tout contact avec l'industrie pharmaceutique, qui bien sûr écoutent les experts, qui travaillent avec l'industrie, comme un magistrat écoute un expert, mais que l'organe de décision, le comité, le haut comité de ceci, l'institut de cela, soient entièrement habités par des experts libres de toute forme de conflits d'intérêts.

Par rapport aux sommes en cause, l'économie serait considérable, même en payant très bien ces personnes. Nous n'avons pas en France d'experts professionnels dont le métier serait de porter un avis sur différentes politiques de santé à partir d'un éclairage expertal, certes, mais à l'abri de tout conflit d'intérêts.

J'en ai parlé parfois avec des experts que je ne citerai pas et qui m'ont dit : « Si on était mieux payés, peut-être pourrait-on se permettre de ne pas travailler pour l'industrie ! » C'est absurde d'en arriver là.

M. François Autain, président - On a des témoignages qui vont dans ce sens de la part d'experts. Ils nous ont indiqué que sans l'industrie pharmaceutique, il y a un certain nombre d'actions qu'ils ne pourraient pas mener. C'est évident.

Si plus personne n'a de question à poser, nous allons pouvoir vous libérer en vous remerciant de toutes les informations que vous nous avez apportées et qui seront certainement très utiles pour la rédaction de notre rapport.

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