C. QUELLES SANCTIONS ?

Le système de sanctions prévu par le Pacte de stabilité et de croissance n'a pas fonctionné, en partie parce ces sanctions sont trop massives . Ainsi peut-on légitimement s'interroger sur la pertinence, et l'efficacité, de sanctions financières consistant à infliger, par exemple, des amendes à un État qui présente déjà des difficultés budgétaires. Cela revient à accentuer le caractère procyclique du Pacte.

Aussi la réflexion s'oriente-t-elle, non seulement vers la refonte de ce système, mais aussi vers l'instauration de sanctions non financières.

La question des sanctions est sans doute l' une des plus délicates abordées dans le cadre de la réforme de la gouvernance économique en Europe et, contrairement à d'autres sujets, elle ne progresse guère.

1. Des propositions qui suscitent des divergences entre États

La crédibilité du Pacte de stabilité et de croissance a souffert de ce que les sanctions prévues en cas de non respect des règles qu'il fixait n'ont jamais été appliquées.

L'accord sur la nécessité de les renforcer est désormais général, mais ne va guère au-delà.

Le communiqué publié par le Président Van Rompuy après la réunion du groupe de travail du 12 juillet 2010 l'indique implicitement : « Les grands paramètres d'une réforme du système de sanction ont été discutés. Ces sanctions pourront être appliquées y compris dans le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. Le champ des sanctions financières et non financières devra être élargi, y compris au budget communautaire. Les sanctions devront être progressives et différentes options pour en renforcer l'automaticité ont été discutées ». Le communiqué publié après la réunion du 6 septembre, particulièrement laconique, illustre la persistance de ces désaccords : « Le groupe de travail a eu une discussion approfondie sur [...] le système de sanctions », sans autres précisions.

Pour rendre le mécanisme de surveillance plus dissuasif et plus efficace, le système de sanctions à mettre en place pourrait répondre aux principes suivants :

- être fondé sur des règles ;

- être plus automatique, l'objectif étant que le précédent de 2003, lorsque le Conseil avait finalement refusé de voter les sanctions contre l'Allemagne et la France, ne se reproduise plus ;

- être utilisé de manière plus préventive, les sanctions actuelles intervenant trop tardivement dans la procédure ;

- être plus progressif pour éviter la « solution nucléaire », les sanctions pouvant intervenir tout au long de l'examen de la situation budgétaire.

Le 29 septembre dernier, la Commission a adopté une proposition de règlement sur la mise en oeuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro (11 ( * )). Ce texte vise à instaurer des sanctions supplémentaires concernant à la fois le volet préventif et le volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance.

Pour le volet préventif

Les pays de la zone euro se verraient appliquer des sanctions de manière à les inciter à mener des politiques budgétaires prudentes , c'est-à-dire à garantir que le taux de croissance des dépenses publiques ne dépasse pas un taux de croissance prudent du PIB sur le moyen terme. La conduite d'une telle politique vise à respecter l'objectif budgétaire à moyen terme et à préserver une marge de manoeuvre budgétaire par rapport à la valeur de référence de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire.

Si un Etat de la zone euro est considéré comme ne menant pas une politique budgétaire prudente ou dont l'assainissement budgétaire ne progresse pas assez vite, il devrait effectuer un dépôt provisoire portant intérêt d'un montant de 0,2 % du PIB . Cette obligation lui serait imposée lorsque, après un avertissement initial de la Commission, et l'adoption d'une recommandation par le Conseil, l'Etat membre concerné continue à se conduire d'une manière imprudente et donc susceptible de compromettre le bon fonctionnement de l'UEM, alors même qu'il ne se trouve pas en situation de déficit excessif .

Cette sanction serait mise en oeuvre à la majorité inversée .

Le dépôt portant intérêt serait restitué à l'Etat membre concerné, majoré des intérêts acquis, lorsque la situation qui en a justifié le versement a pris fin.

Pour le volet correctif

Les Etats de la zone euro en situation de déficit excessif se verraient infliger des sanctions prenant la forme de la constitution d'un dépôt ne portant pas intérêt d'un montant de 0,2 % du PIB , qui deviendrait une amende du même montant en cas de non-respect d'une recommandation du Conseil visant la correction de ce déficit excessif.

Le montant de ces différentes sanctions, dépôt portant intérêt, dépôt ne portant pas intérêt et amende, serait fixé de manière à permettre une gradation de ces sanctions . La Commission aurait la possibilité de proposer de réduire le montant de cette sanction, ou de l'annuler, en cas de circonstances économiques exceptionnelles.

Ces sanctions sont également adoptées selon les modalités de la majorité inversée .

Le dispositif proposé se heurte à des difficultés de différentes natures.

D'une part, dès lors que le choix a été fait de ne pas modifier les traités, les marges de manoeuvre juridiques sont étroites . Les sanctions prévues par l'article 126.11 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (12 ( * )) ne peuvent être mises en oeuvre qu'en cas de non respect des décisions de l'Union par un État membre. Elles ne sont donc possibles que dans le cadre du volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance et non dans celui de son volet préventif.

Or, la conditionnalité que la Commission souhaite introduire pour sanctionner les États membres dans le volet préventif du Pacte suppose d'importantes modifications de l'ensemble des règlements financiers si bien qu'une telle réforme ne pourrait concrètement être conduite que dans le cadre des nouvelles perspectives financières, soit à compter de 2014.

En outre, il serait plus conforme au traité de fonder de telles sanctions sur l'article 136 qui donne au Conseil la faculté d'adopter des mesures pour renforcer la coordination et la surveillance de la discipline budgétaire des États membres présentant des déséquilibres et pour élaborer, en ce qui les concerne, les orientations de politique économique et en assurer la surveillance. Mais cet article ne s'applique qu'à la seule zone euro. C'est le choix qu'a finalement retenu la Commission dans sa proposition de règlement.

D'autre part, le contenu de la réforme des sanctions met en lumière des divergences entre États membres , certains d'entre eux, l'Allemagne en particulier, avec le soutien de la BCE, souhaitant aller assez loin (13 ( * )) , tandis que d'autres - généralement ceux qui seraient les premiers sanctionnés - sont beaucoup plus réticents.

Ces divergences portent plus particulièrement sur le degré d'automaticité des sanctions . La France a exprimé de fortes réserves sur le caractère totalement automatique des sanctions qui pourraient être infligées aux États membres ne respectant pas les dispositions du Pacte de stabilité et de croissance ou ne mettant pas un terme aux déséquilibres qui affectent leurs économies. Elle a plaidé pour la semi-automaticité des sanctions, afin de laisser un pouvoir d'appréciation aux autorités politiques, leur totale automaticité revenant à ne laisser intervenir que des experts. Elle a également plaidé pour que, dans le cadre de la majorité inversée, les États membres prennent la décision de ne pas appliquer ces sanctions à la majorité simple et non à la majorité qualifiée, ce qui serait moins difficile à obtenir. Elle considère en effet que les décisions à la majorité inversée, outre la faiblesse de leur fondement juridique, se traduiraient par un transfert de compétences du Conseil vers la Commission, y compris lorsque le non respect des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance ne relève pas de la responsabilité des États membres.

La Déclaration franco-allemande du 18 octobre dernier devrait permettre de clarifier la question du système de sanctions. Elle indique qu' « une gamme de sanctions plus large devrait être progressivement applicable dans le volet préventif du Pacte comme dans son volet correctif. Ces sanctions devraient être plus automatiques, tout en respectant le rôle des différentes institutions et l'équilibre institutionnel ».

La Déclaration retient le dispositif suivant :

- pour le volet préventif, le Conseil doit pouvoir décider, à la majorité qualifiée, d'imposer de manière progressive des sanctions sous la forme de dépôts portant intérêt lorsque la trajectoire de consolidation budgétaire d'un Etat membre dévie de manière particulièrement significative par rapport à la trajectoire d'ajustement prévue sur la base du Pacte ;

- pour le volet correctif, lorsque le Conseil décide d'ouvrir une procédure de déficit excessif, des sanctions automatiques devraient être appliquées dès lors que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide qu'un Etat membre n'a pas pris les mesures correctrices nécessaires dans un délai de six mois .

Cet accord franco-allemand comporte deux changements majeurs par rapport aux propositions législatives de la Commission : d'une part, il ne retient pas l'adoption des sanctions à la majorité inversée et, d'autre part, dans le volet correctif, il préserve la responsabilité politique du Conseil à qui il reviendra d'apprécier les efforts entrepris, dans un délai de six mois, par l'Etat membre concerné.

Il convient de noter que certaines des sanctions qui avaient été envisagées de manière informelle n'ont finalement pas été reprises par la Commission dans ses propositions législatives, en raison de leur portée politique et faute de base juridique.

C'est notamment le cas des sanctions qui auraient été fondées sur l'accès au budget communautaire.

Avait ainsi été évoquée la possibilité de subordonner le versement aux États membres des contributions au titre de la politique de cohésion à des réformes structurelles et institutionnelles directement liées à l'application de cette politique.

Il avait aussi été envisagé que les versements du budget communautaire puissent être conditionnés par le respect des dispositions du Pacte, un État membre durablement en situation de déficit excessif se voyant, par exemple, privé de subventions au titre de la politique de cohésion. Ces sanctions n'auraient pas affecté les bénéficiaires des fonds européens puisque les aides auraient été versées par les États qui, eux, n'auraient pas été remboursés par le budget communautaire.

Cette proposition avait provoqué de fortes protestations de la part des nouveaux États membres qui estimaient qu'une telle sanction aurait été proportionnellement plus lourde à leur égard compte tenu de l'importance des fonds dont ils bénéficient à ce titre. Du reste, sanctionner financièrement un pays dont les finances publiques sont déjà en difficulté pourrait avoir un effet amplificateur de la crise budgétaire.

La Commission a manifestement abandonné ces pistes, même si le commissaire Olli Rehn a indiqué qu'il pourrait formuler d'autres propositions à l'avenir.

Plusieurs États membres sont également hostiles à l'introduction de sanctions non financières.


* (11) COM (2010) 524 final.

* (12) Article 126.11 : « Aussi longtemps qu'un État membre ne se conforme pas à une décision prise en vertu du paragraphe 9, le Conseil peut décider d'appliquer ou, le cas échéant, de renforcer une ou plusieurs des mesures suivantes :

- exiger de l'État membre concerné qu'il publie des informations supplémentaires, à préciser par le Conseil, avant d'émettre des obligations et des titres ;

- inviter la Banque européenne d'investissement à revoir sa politique de prêts à l'égard de l'État membre concerné ;

- exiger que l'État membre concerné fasse, auprès de l'Union, un dépôt ne portant pas intérêt, d'un montant approprié, jusqu'à ce que, de l'avis du Conseil, le déficit excessif ait été corrigé ;

- imposer des amendes d'un montant approprié ».

* (13) Ainsi l'Allemagne a-t-elle demandé au Président Van Rompuy, le 13 septembre 2010, de présenter des propositions concrètes pour renforcer les sanctions, jugeant « nébuleuses » les propositions actuelles. Quelques jours plus tard, Angela Merkel a indiqué que l'Allemagne allait soutenir des sanctions sévères.

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