3. Un engagement volontaire et par nature fragile

La mission a constaté qu'une des spécificités et des contraintes majeures de la réserve en tant qu'outil de défense réside dans le caractère volontaire de cet engagement.

La création en 1999 d'une réserve fondée sur le volontariat a été un profond bouleversement pour les armées qui ont été contraintes d'attirer vers elles des réservistes qui ne sont plus tenus de participer à aucune réserve et qui parfois n'ont jamais été en contact avec l'institution militaire.

Or le caractère volontaire de cette participation constitue à l'évidence la difficulté majeure de l'utilisation des réserves en cas de crise.

a) Un engagement volontaire

Si le volontariat est une contrainte pour constituer une réserve de plusieurs dizaines de milliers de réservistes, c'est aussi une force. Car c'est l'assurance d'avoir des réservistes motivés qui viennent spontanément proposer leurs services aux armées.

(1) Le volontariat : force et faiblesse des réserves

Plusieurs motivations sont à l'origine de cet engagement volontaire. Il y a l'intérêt pour la chose militaire, le souhait de contribuer à la défense de la patrie, le goût pour l'action ou l'aventure.

Une étude sur les motifs du non-renouvellement des contrats ESR effectuée à la demande du CSRM en juin 2009 confirme sur la base de nombreux entretiens que l'engagement du réserviste résulte avant tout d'un intérêt pour le cadre militaire. C'est une volonté de servir son pays, « d'être sous les drapeaux », de mettre ses compétences au service de l'armée et de prendre sa part à la défense du pays.

Sur le terrain les réservistes rencontrés par la mission ont confirmé les conclusions de cette étude. Ainsi les réservistes du CPCO ont-ils fait part à la mission de leur enthousiasme à participer de façon très opérationnelle à la gestion de crises qui font « la une » des journaux, un des intéressés disant qu'il avait au CPCO des missions plus importantes que dans le civil où il exerçait des fonctions d'informaticien.

Cet engagement peut s'accompagner dans le même temps de la recherche de bénéfices matériels ou symboliques.

L'activité de réserviste peut en effet constituer pour un salarié ou un retraité un complément intéressant de rémunération bénéficiant, de surcroît, d'une exonération fiscale. Pour les officiers et les sous-officiers à la retraite, la réserve constitue un complément de retraite appréciable. Pour un réserviste issu de la société civile en revanche, les vingt jours d'activité moyenne annuelle, rapportent en moyenne entre 820 à 3 120 euros par an.

Rarement la recherche d'un complément de rémunération constitue en soi le seul motif de présence dans la réserve. Le niveau de rémunération est en effet en deçà de nombreuses activités saisonnières ou intérimaires. En outre, les réservistes n'ont pas la garantie d'être employés.

Dans un certain nombre de cas, les périodes d'activité quand elles se traduisent par une interruption de revenu dans l'activité civile conduisent même à une perte de revenu. C'est le cas par exemple des médecins réservistes du service de santé des armées qui sont rémunérés 150 euros par jour, soit moins de sept consultations de généraliste. C'est pourquoi le Médecin-Chef des services Luc GUILLOU 29 ( * ) , délégué aux réserves du service de santé des armées a observé devant la mission que « pour cette catégorie comme pour d'autres, servir dans la réserve de ce service permet de partager une aventure humaine au service du pays et de rompre avec le quotidien et la routine ».

Comme le souligne l'étude précitée : « la solde n'est pas un élément déterminant dans la décision de s'engager ».

Engagement au profit de la collectivité, la réserve peut aussi être un moyen d'obtenir en retour une valorisation que constitue notamment l'accès à des honneurs militaires et aux grades.

L'ensemble de ces motivations constitue généralement un tout qui conduit certains citoyens, à un moment de leur vie, à préférer ce type d'engagement à d'autres activités domestiques, sportives, associatives ou professionnelles.

Le choix de s'engager dans la réserve implique en effet nécessairement un arbitrage dans l'allocation du temps avec la vie familiale, les obligations professionnelles et d'autres activités.

Dans ce contexte, l'attachement aux forces armées, le patriotisme, le goût de l'aventure ou de la camaraderie, l'ensemble des motivations des réservistes doivent être mis en perspective avec la contrainte qu'impliquent une vingtaine de jours d'activité par an dans une société qui valorise de façon croissante la réussite individuelle, professionnelle et familiale.

L'ensemble forme donc un équilibre assez fragile pour lequel le renforcement éventuel des contraintes dans l'intérêt des services des armées se heurte à la nécessité de ne pas dissuader les volontaires de s'engager.

Le volontariat impose aux gestionnaires des réserves non seulement un recrutement continu alors même que la fin du service national ne permet plus de mettre en contact les armées avec une classe d'âge, mais également une fidélisation des réservistes qui peuvent à tout moment rompre leur contrat.

(2) Un renfort qui doit constamment être fidélisé

Le volontariat fait de la réserve une institution qui doit constamment assurer son attractivité. C'est pourquoi le taux de fidélisation est un souci omniprésent pour les gestionnaires des réserves.

La mission a pris conscience au fil de ses auditions que pour faire des réserves un outil permanent des armées permettant de faire face aux crises, il faut alors prendre en compte cet impératif de fidélisation. D'autant plus qu'il détermine également la qualité des prestations des réservistes au service des armées. En effet, les réservistes et notamment ceux de plus en plus nombreux issus de la société civile mettent des années à être formés.

Un fort « turnover » signifie inévitablement une diminution de la qualification des réservistes. Comme le souligne le bureau ressources humaines de l'état-major des armées dans une présentation faite à la mission « la difficulté réside dans la fidélisation des volontaires, déjà engagés et en partie formés, et non dans leur recrutement. Clairement, ici, se pose la question de la qualité de l'emploi du volontaire et de l'adéquation de sa formation avec la mission confiée ainsi que de celle de la prise en compte de la variabilité, au moins sur le moyen terme, de sa disponibilité ».

En 2008, ce sont 8 145 réservistes sous ESR qui ont été recrutés (nouveaux contrats) par l'ensemble des armées et formations rattachées. Mais dans le même temps, 6 151 contrats ont pris fin 30 ( * ) , parmi lesquels 42 % résultent d'une décision d'arrêt d'activité prise par les réservistes 31 ( * ) .

En 2009, on a assisté à 8484 cessations d'activité dont 63 % correspondent à une décision d'arrêt d'activité prise par les réservistes. 70 % des réservistes qui mettent fin à leur contrat ont une ancienneté inférieure à 5 ans.

Ces données démontrent à la fois la grande capacité des forces armées à recruter des volontaires pour la réserve opérationnelle et l'importance primordiale de les fidéliser.

En 2007, l'armée de terre a observé une non-reconduction des ESR, par un non renouvellement à l'échéance du contrat ou par résiliation en cours d'engagement à hauteur d'environ 10 % du total des réservistes. Cela révèle une difficulté importante à fidéliser les volontaires qui a justifié que les armées mandatent le Centre d'Études en Sciences Sociales de la Défense pour étudier les motifs de non-renouvellement des contrats ESR 32 ( * ) .

Il ressort de cette étude comme des travaux précédents sur le sujet que les motifs d'insatisfaction des volontaires qui quittent la réserve sont multiples. Le principal motif est le sentiment de ne pas être suffisamment utile. Comme l'a souligné lors de son audition le délégué aux réserves du service de santé des armées le Médecin-Chef des services Luc GUILLOU : « C'est l'emploi qui apporte au réserviste un sentiment d'utilité ».

Le « sous-emploi » des réservistes est un élément de frustration important qui peut conduire certains à quitter la réserve faute de pouvoir se donner pleinement à une activité pour laquelle ils sont prêts à sacrifier des congés.

Viennent ensuite d'autres motifs d'insatisfaction. L'insuffisance ou le caractère peu valorisant des activités proposées, une gestion administrative lourde, les délais de paiement de la solde et l'avancement sont autant de raisons qui expliquent la non-reconduction.

On observe que ce sont les réservistes sans passé militaire, c'est-à-dire ceux qui constituent de manière croissante le recrutement clé de la réserve, qui manifestent le plus de mécontentement.

(a) S'assurer le bon emploi des réservistes

La mission constate qu'après un taux assez élevé de 22 jours par an de recours aux réserves en 2002, les armées et les services l'ont fait décroître jusqu'à environ 19 jours par an, de 2003 à 2005.

En 2007, le taux d'activité était de 22,7 jours. En 2008 cependant, la moyenne a baissé à 19,8 jours pour se stabiliser à ce niveau en 2009.

Ces chiffres constituent cependant des moyennes représentant des situations assez contrastées.

En raison des contraintes budgétaires, une part non négligeable des réservistes est appelée chaque année pour seulement quelques jours : cinq jours d'activité ou moins. 9 % des réservistes ne sont jamais sollicités au cours de l'année. De l'autre côté, 17 % des réservistes sont employés de 31 à 60 jours, 9 % de 61 à 150 jours.

L'effet de ces très courtes durées de convocation conduit les réservistes à douter de l'utilité de leur mission. Or d'après l'étude sur les motifs du non-renouvellement des contrats ESR 33 ( * ) , près de 60 % des réservistes qui ne renouvellent pas leur contrat n'ont pas effectué de jour d'ESR, ou moins de 5 jours lors de leur dernière année de services.

Ces chiffres laissent penser que les réservistes quittent la réserve opérationnelle parce qu'ils ne sont pas suffisamment sollicités et que l'utilité de leur participation à la réserve ne leur paraît plus évidente.

La mission s'interroge sur l'utilité de recruter des gens pour ne pas les utiliser. Elle constate que les 9 % d'ESR qui n'ont pas effectué de journée en 2009 représente plus de 3 000 réservistes.

Elle s'interroge sur la pertinence des programmes d'activité qui prévoient moins de 5 jours d'activité au regard des coûts de gestion des réservistes qui ne sont pas entièrement proportionnels à la durée des activités.

La mission se demande s'il ne serait pas plus pertinent de réduire le rythme de la montée en puissance des effectifs pour accroître la durée moyenne des activités. Cette mesure pourrait passer par une réduction de la proportion des contrats de faible durée. Elle permettrait de dégager des marges de manoeuvre pour étoffer les programmes d'activité qui prévoient entre 20 et 30 jours, de façon à ce que la situation soit plus satisfaisante pour les réservistes motivés et le retour sur investissement en termes de formation et de coût plus élevé pour les armées.

Une telle mesure pourrait s'accompagner d'une plus grande souplesse de gestion permettant à des réservistes d'interrompre et de reprendre plus facilement leur engagement avec une prise en compte des années de suspension du contrat et la conservation de l'ancienneté par pluriannualisation de l'activité afin de ne pas accroître par la suppression des contrats « courts » la rigidité du système par rapport à une vie active instable et exigeante.

(b) L'insuffisante prise en compte des compétences

Le type d'emploi et la nature des tâches confiées au réserviste est également de nature à influencer la fidélisation des réservistes.

En 2003, l'aspect qui motivait le plus les candidats pour entrer dans la réserve était « la possibilité de participer à des missions humanitaires (en France et à l'étranger) ». Or plus de 80 % du temps d'emploi du réserviste est consacré à l'activité militaire normale. Loin des idées reçues anciennes, la plus grande partie des tâches effectuées par les réservistes ne consiste pas à suivre une formation propre à la réserve. En ce qui concerne les années 2005 à 2007, environ 7,5 % des activités se déroulent dans le cadre d'opérations extérieures, si l'on exclut la réserve de gendarmerie 34 ( * ) . En 2009, les OPEX représentaient 4,1 % des activités volontaires sous ESR. De fait, il y a souvent, en particulier chez les réservistes issus du civil, une différence entre les attentes et la réalité des tâches.

Dans les enquêtes menées auprès de réservistes, de nombreuses réponses soulignent le fait que les réservistes ont le sentiment que leurs compétences réelles sont insuffisamment prises en compte, notamment lors du choix de l'affectation. Un officier de la marine de réserve a ainsi déclaré à la mission dans la même perspective : « Bien que les volontaires E.S.R. remplissent des fiches de renseignements très détaillées sur leurs compétences et leurs acquis, il semble que ces éléments ne soient guère pris en considération pour les propositions de postes » .

Beaucoup de réservistes suggèrent l'installation d'un outil informatique de gestion des compétences applicable à toutes les unités. Un officier de réserve de l'armée de terre à ajoute à ce propos : « Vous pourriez mieux nous employer si vous chargiez une base de compétences à partir des curriculum vitae de chaque réserviste ».

De fait, il semble que nombre de diplômes et de compétences opérationnelles des réservistes ne sont pas recensés et, le cas échéant, pas utilisés. La fiche interarmées de synthèse pour la gestion prévue dans le programme « Concerto » et bientôt intégrée au système général de paiement de la solde dit « Louvois » ne prévoit quasiment pas de place pour les diplômes civils et aucune pour la fonction/ responsabilité civile exercée.

Certes, les armées ne peuvent pas toujours proposer des emplois correspondant à leurs compétences civiles, mais il conviendrait d'optimiser les ressources ainsi mises à disposition des armées.

Cette observation rejoint celle relative à la faible utilisation du dispositif relatif aux spécialistes prévu par l'article L 4221-3 du code de la défense qui permet aux armées de recruter dans la réserve opérationnelle « des spécialistes volontaires pour exercer des fonctions déterminées correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique . ».

Ce constat, sans doute à approfondir, contraste avec les objectifs du Livre blanc qui appelle de ses voeux « la constitution d'une réserve, si nécessaire moins nombreuse, mais plus spécialisée, mieux formée et mieux intégrée dans le dispositif militaire ». Il invoque également « l'accroissement sensible de l'emploi des forces et les besoins qui s'expriment régulièrement dans certaines spécialités » pour justifier un effort significatif. Il précise que l'effort prioritaire de recrutement doit être entrepris au profit des réservistes issus de la société civile plutôt qu'issus des anciens militaires d'active. Il demande que « leur emploi dans des fonctions où leur expertise spécialisée peut être mise à la disposition d'un commandement de haut niveau [soit] encouragé ». Il indique, en outre, que « Afin de renforcer les capacités de haut niveau de la réserve, des mesures incitatives devront aussi être prises pour les cadres supérieurs exerçant des responsabilités dans le civil ».

(c) Le niveau de rémunération

La gestion du vivier des réservistes a conduit les armées à essayer d'offrir une rémunération suffisamment attractive tout en minimisant les coûts d'un dispositif dont le budget a été, dès les années 2000, très contraint et très en deçà des objectifs fixés.

Longtemps l'avancement d'échelon et les primes des réservistes ont été moindres que ceux des actifs, si bien que, partant des mêmes barèmes, réservistes et actifs n'aboutissaient pas aux mêmes rémunérations. Or dans certains corps de réserves spécialisés comme le service de santé ou des essences, la concurrence d'activités intérimaires beaucoup mieux rémunérées était et reste particulièrement problématique.

En ce qui concerne l'avancement d'échelon, la règle fixée par le décret de 2000 était différente selon qu'il s'agissait de grade ou d'échelon dans le grade. Les anciennetés dans le grade, prises en compte pour l'avancement de grade, étaient décomptées depuis la date d'accès au grade. En revanche, pour déterminer l'ancienneté prise en compte dans les avancements d'échelon, il n'était tenu compte que de la durée des services militaires et du temps passé dans le dernier échelon.

La conséquence était que le réserviste pouvait avancer en grade, mais presque jamais en échelon : une fois nommé ou promu dans son grade, il y restait au premier échelon.

Sur ce point, l'avancement d'échelon a été théoriquement facilité par le décret du 5 octobre 2007 qui assouplit la mesure de l'ancienneté pour l'avancement d'échelon pour les réservistes opérationnels. La nouvelle règle dispose que trente jours de service équivalent à une année d'ancienneté lorsque ce total de jours de services est atteint dans une année ou lorsqu'ils sont répartis sur au plus trente-six mois consécutifs.

En revanche, aucun dispositif de prime n'a abouti. En 2003, la mise en oeuvre de la disposition légale prévoyant une prime de fidélité n'a pas été complète lors de l'exécution de la loi de programmation militaire. Les crédits programmés en 2003 et 2004 n'ont pu être dégagés. Un concept de prime alternatif (prime de réactivité et fidélisation) n'a pas non plus abouti.

La disposition de l'article L 4251-1 du code de la défense reste donc non appliquée, alors qu'il y aurait sans doute là un levier intéressant pour favoriser la fidélisation des réservistes.

(d) La lourdeur de la gestion administrative de la réserve

La lourdeur des procédures administratives de la réserve opérationnelle, en particulier pour le recrutement et le versement de la rémunération, est connue de longue date, ainsi que ses effets démotivants qui perdurent.

Le plan d'action du ministère de la défense de 2004 avait dressé la liste des dossiers les plus saillants : alléger les procédures de contrôle médical, simplifier les ordres de route et de convocation, raccourcir les délais de nomination, d'affectation, de paiement des soldes et d'indemnités, instaurer une période probatoire dans le contrat initial, harmoniser la procédure de signature de l'engagement à servir dans la réserve.

La plupart de ces actions, si elles ont été accomplies, ne l'ont pas été suffisamment pour produire les résultats attendus : par exemple en 2007, 28 % des réservistes interrogés faisaient état de délais de paiement trop longs. En 2007, le décret modificatif de la réglementation de la réserve a quelque peu simplifié les engagements sans vraiment régler le problème de la complexité des procédures de liquidation.

Le plan d'action de 2008, qui devait réduire les délais, mentionne l'objectif de porter les délais de 3 mois à 45 jours, c'est dire combien les réservistes sont payés avec retard et selon une procédure complexe qui implique notamment de multiples bulletins de solde, voire dans certains cas un bulletin par journée d'activité 35 ( * ) .

D'après les personnes auditionnées, les blocages constatés pourraient être levés afin de rendre la paye des réservistes plus rapide et moins complexe.

La mission constate que, les points bloquants étant semble-t-il maintenant bien identifiés, il y aurait là un moyen important d'améliorer le quotidien des réservistes. Elle s'étonne que des améliorations n'aient toujours pas été apportées au problème des retards de paiement des soldes.

(e) L'attribution des grades et de l'avancement

L'attribution des grades et de l'avancement constitue également un point délicat de la gestion des réservistes qui, bien que collaborateurs occasionnels des armées, souhaitent « faire une carrière » dans la réserve.

Pour des réservistes opérationnels qui détiennent une forte compétence ou de fortes responsabilités d'encadrement dans le civil, le principe de nomination au premier grade d'officier ne peut que diminuer l'attrait de la réserve. Un dirigeant d'entreprise sans passé militaire, qui entre comme aspirant ou sous-lieutenant de réserve, se voit confronté à la totalité des officiers supérieurs en grade. Il expérimente un décalage excessif avec sa vie civile. Les données de 2007 sur l'armée de terre illustrent que la démotivation pour la réserve frappe préférentiellement les grades subalternes des officiers et des sous-officiers.

On constate également, comme il a été indiqué à propos de la prise en compte des compétences des réservistes, une utilisation réduite de la dérogation des spécialistes. En effet, la loi de 1999 comporte une dérogation à la nomination au bas de l'échelle des grades. Pour recruter des « spécialistes volontaires pour exercer des fonctions déterminées correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique », le grade dans lequel ce spécialiste était nommé est conféré librement par arrêté du ministre chargé des armées, et ne donne pas droit à l'exercice du commandement hors le cadre de la fonction exercée 36 ( * ) .

Globalement, cette possibilité de déroger au principe de nomination au premier grade a été peu utilisée entre 2006 et 2008, en regard du volume de la réserve : quelques dizaines de décisions chaque année pour un total d'environ 30 000 réservistes opérationnels, dont un tiers ne détenant pas de grade militaire antérieur. Le principe de nomination au premier grade, un principe fondamental dans les armées depuis 1870, est resté, de très loin, l'unique règle suivie par les employeurs de réservistes.

Pour 18 245 réservistes opérationnels en 2007, on compte 7 264 agents sans passé militaire. Parmi ceux-ci, une faible proportion (40 agents) est commandant ou lieutenant-colonel (recrutement par la voie de spécialiste), aucun n'est colonel. La quasi-totalité des 2 387 officiers supérieurs de la réserve sont donc des anciens militaires professionnels ou appelés. Aucun des réservistes sans passé militaire n'est sous-officier supérieur, 26 d'entre eux sont sergents-chefs, 1 024 sont au premier grade de sous-officier (sergents).

b) Un engagement peu contraignant

Dans une réserve opérationnelle ouverte aux personnes issues de la société civile, la capacité d'engagement des réservistes, de même que leur disponibilité, réactivité et capacité de mobilisation en situation de crise, repose très largement sur la qualité de la relation triangulaire entre l'employeur civil, le salarié réserviste et la réserve.

(1) Un contrat hybride

L'ESR est un engagement entre le réserviste et les armées qui a cela de particulier qu'il a des conséquences pour un tiers qui n'est pas partie prenante au contrat : l'employeur. Ce dernier est concerné à double titre : une fois son contrat signé et à condition d'avoir déposé un préavis d'un mois, le réserviste peut s'absenter de son poste de travail au titre de la réserve 5 jours ouvrés par an (au-delà, il doit être autorisé par son employeur 37 ( * ) ), il bénéficie lors de son activité de réserviste des prestations de sécurité sociale liées à son emploi. L'ESR, contrat bipartite, est en fait tripartite.

Dans la pratique, comme l'ont souligné MM. Xavier GUILHOU 38 ( * ) et Loïk VIAOUËT du Comité Liaison Défense du MEDEF devant la mission, « les chefs d'entreprise ignorent cette situation parce que les salariés ne préviennent pas leur employeur de leur appartenance aux réserves et font leurs jours d'activité sur leurs congés ».

La loi prévoit qu'à son retour le réserviste retrouve le poste qu'il a quitté et ne peut faire l'objet de sanction dans son emploi civil en raison des absences liées à son activité dans la réserve.

Le caractère hybride du contrat se retrouve également au regard du droit du travail : le contrat de travail du salarié exerçant une activité dans la réserve pendant son temps de travail est suspendu ; toutefois, cette période de suspension est considérée comme une période de travail effectif pour les avantages légaux et conventionnels en matière d'ancienneté, d'avancement, de congés payés et de droit aux prestations sociales.

En matière de protection sociale, en cas de dommage lié à ses activités dans la réserve, le réserviste, ou le cas échéant ses ayants droits, se voient octroyer une réparation calculée selon les règles communes à l'ensemble de la communauté militaire. Mais il bénéficie toutefois des prestations de l'assurance-maladie, maternité, invalidité, et décès du régime de sécurité sociale dont il relève en dehors de son service dans la réserve.

La situation semble toutefois moins claire pour les contrats collectifs de prévoyance complémentaires souscrits par les entreprises dont certains prévoient en particulier depuis le 11 septembre 2001 des exclusions spécifiques pour les situations de guerre. L'obligation faite aux employeurs de maintenir les couvertures de prévoyance complémentaires à leurs salariés réservistes est remplie, dès lors que les cotisations à ces contrats continuent d'être versées normalement. Le fait que les contrats prévoient des exclusions du risque de guerre n'engage pas les entreprises.

Le mémento guide relatif à la « Protection sociale du réserviste titulaire d'un engagement à servir dans la réserve opérationnelle 39 ( * ) », édité par le Conseil supérieur de la réserve militaire, conseille aux réservistes de faire le point sur leurs contrats d'assurance souscrits à titre personnel ou dans le cadre de l'entreprise, et à souscrire le cas échéant des contrats auprès d'organismes spécialisés tel que le groupe AGPM (association générale de prévoyance militaire) ou le GMPA (groupement militaire de prévoyance des armées).

De ce fait les réservistes sont placés dans la même situation que les militaires d'activé qui assument seuls leur protection sociale complémentaire, généralement auprès de l'un de ces deux organismes. Enfin, au-delà des salariés du privé ou des fonctionnaires, la réserve militaire concerne également les indépendants, notamment les professionnels de santé, qui eux aussi devront avoir recours à ces couvertures spécifiques.

La mission s'interroge sur cette situation qui n'est pas propice à l'engagement des réservistes pour des opérations extérieures ou en cas de catastrophes naturelles.

L'obligation de contracter une couverture complémentaire à sa charge, qui est la règle pour les militaires d'active, semble, pour quelques jours d'activité par an, particulièrement lourde pour un engagement volontaire au profit de la communauté nationale.

(2) Un cadre juridique fondé sur un double volontariat

Le code de la défense ne prévoit pas de sanction si le réserviste ne répond pas à l'appel des armées. A l'occasion d'une activité programmée, le réserviste peut donc toujours refuser la veille de se présenter puisqu'il n'existe aucun dispositif de sanction s'il méconnaît les engagements qu'il a contractés dans le cadre de l'ESR.

Autrement dit le volontariat dans la réserve ne se situe pas seulement au moment de la souscription à l'ESR, mais au niveau de chaque convocation. Le réserviste est à chaque instant en mesure d'accorder ou non son temps aux armées. La réserve est ainsi fondée sur un double volontariat par lequel le réserviste accepte d'une part de consacrer du temps à la réserve et d'autre part d'y effectuer telle ou telle mission. De fait, cette situation explique que le réserviste choisisse très largement son affectation.

L'ESR n'est donc pas un contrat d'engagement au sens militaire, ni même un contrat tout court avec de véritables obligations réciproques. De ce double volontariat naît un dialogue avec les autorités militaires. Comme l'a souligné un réserviste auditionné : « la réserve est un dialogue par lequel l'armée dit  je t'emploie si je veux et à laquelle le réserviste répond je viens si je veux ».

Dés lors, la fiabilité du réserviste relève moins du contrat que de la relation que l'armée a su tisser avec lui . C'est à la fois la force, mais aussi la faiblesse des réserves comme instrument de gestion de crise.

(3) Des réservistes discrets voire « clandestins ».

Si, dans ce dialogue, l'accord nécessaire des employeurs au-delà de 5 jours semble faire des entreprises des éléments centraux du bon fonctionnement des réserves, on a indiqué à la mission qu'un grand nombre de réservistes salariés accomplissent leur engagement sur leur temps de congé et de fin de semaine, sans se déclarer réservistes auprès de leur employeur.

Les réservistes seraient ainsi discrets sur leur engagement citoyen pour ne pas effrayer leur employeur sur leur disponibilité au service de leur entreprise. Cette observation très unanimement reprise par l'ensemble des personnes auditionnées qui estiment volontiers que 80 % des réservistes ne se déclarent pas, est en contradiction avec les études d'opinion portées à la connaissance de la mission.

Ainsi une étude du S.G.A. en 2005 indique que 87 % des employeurs de réservistes en 2004 connaissait l'engagement de ceux-ci. L'étude pour le compte du CSRM sur les motifs de non-renouvellement des contrats ESR de juin 2009 indique également que 80 % des réservistes font connaître à leur employeur leur activité militaire.

La mission constate, quoi qu'il en soit, que même en l'absence de dissimulation des réservistes, le fait que nombre de périodes de réserves soient prises sur les congés facilite sans doute l'acceptation par les employeurs de ce qui est une sujétion.

En instaurant un droit d'absence pour le salarié avec obligation de réintégration à son poste, la réserve fait peser une nouvelle obligation sur les employeurs publics et privés. Mais, force est de constater qu'aucun cas de conflit du travail entre employeur et réserviste au sujet d'absences pour réserve n'a été porté à la connaissance des organisations patronales ou du ministère de la défense.

Les cas de désaccord isolés de la part de l'employeur, qui doivent inévitablement exister même si leur survenue n'est pas signalée au niveau national, ne semblent pas avoir eu pour conséquence de handicaper le recrutement et la convocation des réservistes opérationnels.

Il est vrai que contrairement au service militaire antérieur qui, en principe, enlevait à l'activité civile la totalité d'une classe d'âge d'hommes français pendant douze mois, soit près de 250 000 hommes, la nouvelle réserve a mobilisé 18 000 salariés pendant 21 jours en moyenne, en 2008. Ceci représente une fraction infime de la force de travail salariée nationale, de l'ordre de 0,01 %.

(4) Les tentatives pour faire des entreprises des partenaires

Au-delà de l'application du code de la défense, des mesures tendant à faciliter l'engagement, l'activité et la réactivité dans la réserve peuvent résulter du contrat de travail, de clauses particulières de l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle ayant reçu l'accord préalable de l'employeur, des conventions ou accords collectifs de travail, ou des conventions conclues entre l'employeur et le ministre chargé des armées.

Le ministère de la défense a naturellement cherché à faciliter cet engagement à travers le développement de conventions de partenariat avec les entreprises. Dans ce cadre, les entreprises qui acceptent de mettre en oeuvre des dispositions plus favorables que celles prévues par la loi matérialisent cette adhésion par la signature d'une convention de soutien à la politique de la réserve militaire.

Ces conventions ont pour objectif, en premier lieu, de faciliter la disponibilité et la réactivité des membres de l'entreprise titulaires d'un ESR, en second lieu d'améliorer les conditions de rémunération des réservistes pendant leurs activités militaires par le maintien de tout ou partie de leur salaire. Il s'agit troisièmement, de resserrer les liens entre l'entreprise et les forces armées par l'intermédiaire de ses réservistes et du référent défense désigné dans l'entreprise, interlocuteur direct du CSRM. Le dernier objectif de la convention est de mettre en place le socle d'un partenariat durable entre la défense et l'entreprise permettant le développement d'autres domaines ou formes de coopération.

Signer une convention de soutien à la politique de réserve, c'est pour l'entreprise affirmer son civisme. L'entreprise reçoit par ailleurs la qualité de « partenaire de la réserve » et le logo qui lui est associé. Celui-ci peut être utilisé par l'entreprise sur ses documents et supports pendant la durée de la convention.

L'entreprise reçoit aussi d'autres avantages comme l'assimilation de certaines périodes de réserve à la formation professionnelle continue de l'entreprise et la récupération des coûts salariaux correspondants, ou encore jusqu'à l'année dernière l'accès au crédit d'impôt réserve militaire prévoyant la récupération d'une partie des rémunérations des salariés réservistes, ainsi qu'un stage sur l'intelligence économique. Ces procédures semblent cependant très peu utilisées en raison de leur complexité.

Le partenariat avec les entreprises poursuit sa montée en puissance. 25 correspondants régionaux entreprise-défense sont opérationnels, 270 conventions de soutien à la politique de la réserve militaire ont été signées 40 ( * ) .

Par exemple, le 6 octobre 2009, Dassault aviation et Thales ont signé les deux premières conventions cadre pour permettre le placement sous statut de réserviste de leur personnel qui participe au soutien direct des forces françaises projetées. La société Défense Conseil international a signé en décembre 2009 une convention. EADS, SAGEM, SODEXO sont en phase finale de rédaction de ces conventions.

La loi du 18 avril 2006 a instauré par ailleurs une clause de réactivité. Insérée dans le contrat d'engagement à servir dans la réserve, cette clause permet de rappeler les réservistes par arrêté ministériel lorsque les circonstances l'exigent, dans un délai de 15 jours. Pour les réservistes qui exercent une activité civile à titre principal, l'insertion de cette clause est soumise à l'accord préalable de l'employeur. Elle devient caduque dès lors que le réserviste change d'employeur. Le délai de 15 jours peut être réduit avec l'accord de l'employeur.

On peut relever que certaines conventions Etat-employeur, comme celle signée par l'Oréal, aménagent le délai de préavis à « mi-chemin » de la clause de réactivité (quinze jours de préavis, pour des absences allant jusqu'à dix jours).

En outre, il faut souligner que des travaux ont été lancés pour mettre en oeuvre un nouveau type de convention qui autorise des réservistes opérationnels à servir auprès d'une entreprise qui participe au soutien des forces armées ou accompagne des opérations d'exportation relevant du domaine de la défense 41 ( * ) .

On constate évidemment que certaines entreprises présentent de manière avérée un terrain plus favorable aux absences de leurs salariés pour réserve opérationnelle. Ce sont les très grandes entreprises, où l'absence d'un réserviste quelques jours peut avoir moins de conséquences négatives immédiates que dans les petites entreprises et ce sont les entreprises dont l'activité est particulièrement proche des marchés du ministère de la défense qui connaissent mieux la réserve et font un lien entre leur bonne volonté à l'égard de la réserve et leur activité.

On constate également le rôle essentiel de la personnalité des chefs d'entreprise dont certains sont par conviction particulièrement favorables aux salariés réservistes alors que d'autres y sont réticents. Sans doute l'équation personnelle du chef d'entreprise ou du responsable hiérarchique direct joue-t-elle un rôle aussi important que la taille de l'entreprise.

*

La mission constate que le cadre juridique de l'exercice des réserves ne semble guère utilisé par la majorité des réservistes qui ne souhaitent pas informer leur employeur et critiqué par une partie des employeurs qui le connaissent parce qu'ils les engagent sans qu'ils soient partie au contrat. Elle observe que ce contrat offre aux armées et aux réservistes peu de garanties sur leurs engagements réciproques.

Cette situation ne lui semble pas très satisfaisante tant il lui apparaît que la transparence sur les engagements de chacun est importante pour la performance d'une force d'appoint en temps de crise.

La mission estime qu'il serait utile que s'engage, au-delà des besoins liés à la gestion de crise, une réflexion sur le cadre juridique du contrat de réserviste.


* 29 Cf Audition du Médecin-Chef des services Luc GUILLOU, Délégué aux réserves du service de santé des armées le 16 mars 2010, annexe 1 page 260

* 30 Rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2008, page 5.

* 31 En outre, un nombre non négligeable d'entre eux ont rejoint l'armée active (7 %) ou la réserve citoyenne (3 %).

* 32 Centre d'Études en Sciences Sociales de la Défense, Étude sur les motifs de non renouvellement des contrats ESR. Juin 2009.

* 33 Centre d'Etudes en Sciences Sociales de la Défense pour étudier les motifs de non renouvellement des contrats ESR, juin 2009.

* 34 Rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2008, page10

* 35 C'est le cas le plus fréquent, notamment en raison du fait que les week-ends ne sont pas soldés, même dans le cas d'une activité d'un mois d'affilée. Idem pour les virements sur les comptes bancaires des réservistes qui sont aussi nombreux que les bulletins.

* 36 Article 9 de la loi, codifié L4221-3 du code de la défense

* 37 Article L.4221-1 : « le contrat d'engagement à servir dans la réserve opérationnelle est souscrit (...) en vue :

- d'apporter un renfort temporaire aux forces armées, en particulier pour la protection du territoire national et dans le cadre des opérations conduites en dehors du territoire national ;

- de participer aux actions civilo-militaires, destinées à faciliter l'interaction des forces opérationnelles avec leur environnement civil (...)».

Art. L. 4221-4. Le réserviste qui accomplit son engagement à servir dans la réserve opérationnelle pendant son temps de travail doit prévenir l'employeur de son absence un mois au moins avant le début de celle-ci. Lorsque les activités accomplies pendant le temps de travail dépassent cinq jours par année civile , le réserviste doit en outre obtenir l'accord de son employeur, sous réserve des dispositions de l'article L. 4221-5. Si l'employeur oppose un refus, cette décision doit être motivée et notifiée à l'intéressé ainsi qu'à l'autorité militaire dans les quinze jours qui suivent la réception de la demande.

Lorsque les circonstances l'exigent, le ministre de la défense peut, par arrêté pris dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, faire appel, sous un préavis de quinze jours, aux réservistes qui ont souscrit un contrat comportant la clause de réactivité prévue à l'article L. 4221-1. Ce délai peut être réduit avec l'accord de l'employeur. Des mesures tendant à faciliter, au-delà des obligations prévues par le présent livre, l'engagement, l'activité et la réactivité dans la réserve peuvent résulter du contrat de travail, de clauses particulières de l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle ayant reçu l'accord de l'employeur, des conventions ou accords collectifs de travail, ou des conventions conclues entre l'employeur et le ministre de la défense.

Article L. 4221-6 : « la durée des activités à accomplir au titre de l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle est déterminée selon des modalités fixées par décret, (...), dans la limite de trente jours par année civile (...). Cette limite peut être augmentée dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, dans la limite, par année civile, de soixante jours pour répondre aux besoins des armées , de cent cinquante jours en cas de nécessité liée à l'emploi des forces et de deux cent dix jours pour les emplois présentant un intérêt de portée nationale ou internationale ».

* 38 Cf Audition de M. Xavier GUILHOU, Président du Comité de Liaison Défense du MEDEF, en présence de M. Loïck VIAOUËT, Directeur général de l'Union des Industries et Métiers de la Métallurgie rhodanienne et du Colonel Bernard HUARTE, Secrétaire général Comité de Liaison «Défense-MEDEF» Le 13 octobre 2010, annexe 1 page 326

* 39 Protection sociale du réserviste titulaire d'un engagement à servir dans la réserve opérationnelle, CSRM.

* 40 Rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2009, page 1

* 41 Article L 4221-7 du code de la défense

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