2. La conduite interministérielle de crise sur le territoire national
a) L'organisation institutionnelle et la conduite de la crise

Une des conséquences importante du Livre blanc a été de consacrer le rôle prédominant du ministère de l'intérieur dans la gestion des crises sur le territoire national. Le Livre blanc indique en effet que « Le ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité intérieure, ainsi que de la sécurité et de la protection civiles, dans l'acception élargie que recevront ces termes dans les codes de la défense et de la sécurité intérieure, assurera, au niveau opérationnel, la conduite interministérielle de la crise sur le territoire » 8 ( * )

Le ministre de l'intérieur est ainsi chargé de la conduite opérationnelle de la crise sur le territoire national. A ce titre, la direction de planification de sécurité nationale (DPSN) dirige le centre de gestion interministérielle de crise situé place Beauvau, où est activée la cellule interministérielle de crise (CIC).

Ce centre garantit l'information de la direction politique et stratégique de crise (Premier ministre et Président de la République) et du ministre de l'intérieur, propose les décisions stratégiques à la direction politique et stratégique de la crise (DPSC), assure la conduite opérationnelle interministérielle via les centres opérationnels des ministères et élabore, en lien étroit avec la DPSC, la stratégie de communication de crise.

Schéma de l'organisation gouvernementale de gestion de crise (exemple d'une pandémie) 9 ( * )

Les zones de défense et de sécurité

Au niveau local, la zone de défense et de sécurité est le niveau privilégié de la gestion de crise, de concertation, et de dialogue entre les différents acteurs civils et militaires. C'est à ce niveau que sont évaluées puis réalisées l'adéquation entre besoins exprimés et capacités nécessaires ainsi que la définition des priorités et des conditions d'engagement des différentes forces civiles et militaires.

Les zones de défense et de sécurité

Source : ministère de la défense

Le décret du 4 mars 2010, relatif à la loi du 29 juillet 2009 sur la programmation militaire pour les années 2009-2014, élargit les pouvoirs des préfets de zone de défense.

Prenant le titre de préfet de zone de défense et de sécurité , ces derniers interviennent dorénavant dans les matières relevant de la sécurité intérieure, de la sécurité civile et de la sécurité économique concourant à la défense et à la sécurité nationale. En effet, ils sont « l'échelon de déconcentration interministérielle de premier rang en matière de préparation et de gestion des crises majeures. »

L'objectif est de renforcer leurs pouvoirs en matière de gestion de crise. Ils pourront ainsi procéder à des réquisitions de biens et de services et prendre des décisions de police administrative.

Sous l'autorité du Premier ministre et sous réserve des compétences du ministre de la défense et de l'autorité judiciaire, le préfet de zone de défense et de sécurité est le délégué des ministres dans l'exercice de leurs attributions en matière de défense et de sécurité nationale.

A cet effet, il dirige les services des administrations civiles de l'Etat dans le cadre de la zone de défense et de sécurité et exerce les attributions fixées par le décret. Il est également responsable de la préparation et de l'exécution des mesures de sécurité nationale au sein de la zone de défense et de sécurité. 10 ( * )

Le préfet de zone de défense et de sécurité a pour mission de préparer et de mettre en oeuvre les mesures de sécurité nationale relevant de la sécurité civile, de la sécurité économique, de la sécurité des secteurs et installations d'importance vitale, d'organiser la veille opérationnelle et des exercices de simulation de crise.

L'organisation territoriale interarmées de défense

Lorsque les autorités civiles estiment avoir besoin du concours des forces armées, cette demande de participation suit une procédure bien rodée. Ces demandes sont adressées par le préfet de zone ou le représentant de l'Etat à l'officier général de zone de défense. Elles sont rédigées sous forme d'effets à obtenir. Le chef d'état-major des armées conserve le choix des modalités et de la désignation des moyens à mettre en oeuvre.

L'engagement centralisé des capacités et des moyens constitue la règle générale des actions de sécurité intérieure et de sécurité civile. En concertation avec le cabinet du ministre de la défense, le chef d'état-major des armées (CEMA), à travers le centre de planification et de commandement des opérations (CPCO), donne l'ordre aux armées de fournir à l'officier général de zone de défense (OGZD) les capacités et les moyens nécessaires.

Le centre de planification et de commandement des opérations (CPCO), que la mission a visité, est ainsi placé au coeur de la gestion des crises, constituant pour chaque théâtre d'opération une cellule particulière.

Source : CPCO

Hors situation d'urgence, les OGZD ont délégation du CEMA pour engager d'initiative des militaires à hauteur de 130 personnes et des moyens communs pour une durée maximale de 3 jours. Au-delà, l'accord du CPCO est nécessaire.

La mission a pu constater dans la zone de défense Sud Ouest, en analysant à posteriori avec le Général de corps d'armée CLÉMENT-BOLLÉE, Officier général de la zone de défense, le déroulement des opérations lors de la tempête Xynthia, que ce dispositif fonctionne de façon très réactive.

En situation d'urgence mettant en danger des vies humaines, l'officier général de zone de défense (OGZD), voire le délégué militaire départemental (DMD), doit actionner les moyens des armées de son ressort. Il rend compte au CPCO et en informe les armées dans les plus brefs délais.

Si l'autorité administrative locale s'adresse directement à un commandant de formation, ce dernier prend les mesures appropriées tout en rendant compte dans les meilleurs délais à l'organisation territoriale interarmées de défense.

Comme l'a souligné le vice-amiral Bernard ROGEL 11 ( * ) , sous chef Opérations à l'état-major des armées, entendu par la mission : « l'organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD) constitue l'interface entre autorité civile et autorité militaire pour tout ce qui concerne la contribution des armées à la sécurité intérieure et à la sécurité civile. C'est pour cela qu'elle a été élaborée, au niveau des zones de défense et département, en structure miroir de l'organisation civile. »

Elle comprend, aux ordres du chef d'état-major des armées (CEMA) :

- au niveau national : le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) ;

- au niveau zonal : les officiers généraux de zone de défense (OGZD) ou les commandants supérieurs outre-mer (COMSUP), conseillers militaires des préfets de zone, qui disposent d'un état-major interarmées de zone de défense (EMIAZD) ;

- au niveau départemental : les délégués militaires départementaux (DMD), conseillers militaires des préfets de département.

D'un point de vue juridique, l'engagement des armées sur le territoire national, y compris dans le cadre du contrat opérationnel de protection, s'inscrit dans le cadre du droit commun en matière de sécurité et de défense : le code de la défense (article L.1321-1) prescrit " qu'aucune force armée ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles sans une réquisition légale ".

L'initiative du recours aux armées revient à l'autorité civile au travers de deux procédures administratives bien identifiées et régies par des instructions interministérielles :

- la demande de concours principalement pour toute contribution des armées à des missions relevant de la sécurité civile ;

- la réquisition pour les déploiements de détachements armés, dans un dispositif de sécurité intérieure.

Le régime d'emploi des armées dans le cadre du contrat opérationnel de protection est celui de la réquisition. La décision d'engagement des armées, notifiée par écrit, tient lieu de réquisition légale au sens de l'article L1321-1 du code de la défense. Sur la base de cette décision, les préfets de zone adressent aux officiers généraux de zone de défense (OGZD) des réquisitions précisant les objectifs particuliers fixés aux armées au sein de leur zone de défense.

Source : CPCO

b) Les conditions d'emploi des forces d'active et des réserves sur le territoire national

Au-delà de cet aspect juridique, l'intervention des forces armées sur le territoire national a une dimension politique importante. En cas de crise, les demandes de concours sont toujours l'objet au cas par cas d'un dialogue entre les autorités civiles et militaires sur la nature des effets que les autorités civiles souhaitent obtenir et sur les moyens que les armées proposent d'engager.

Dans l'esprit de l'opinion publique, lorsque le territoire français est durement touché par une catastrophe, il est naturel que les forces armées viennent renforcer les forces de secours et sécurité.

La réquisition de moyens militaires pour des crises à caractère civil allait historiquement d'autant plus de soi que les forces armées étaient largement composées de militaires issus de la conscription.

Comme l'a souligné le Préfet François LUCAS, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au SGDSN lors de son audition 12 ( * ) : « Au temps de la conscription, le recours aux bras armés du contingent pour lutter contre les effets d'une catastrophe naturelle, voire d'une interruption des services publics, était fréquent. On avait besoin de bras, et les bras étaient dans les casernes. ».

Avec la professionnalisation des armées, certains militaires ont pu avoir tendance à penser qu'ils ne seraient désormais employés que pour des missions militaires et vraisemblablement que sur des théâtres extérieurs. Il n'était ainsi plus question de « faire les poubelles de Marseille lors des grèves ». Dans ce contexte, les crises civiles relèveraient exclusivement de la sécurité civile, des forces de police, éventuellement de la gendarmerie.

Cela n'a pas été le cas. Les armées n'ont jamais cessé de contribuer au renforcement des capacités de sécurité intérieure et de sécurité civile sur le territoire national, comme l'attestent le maintien de leur participation au plan Vigipirate depuis son origine et les actions conduites au profit des populations lors des tempêtes et inondations survenues ces dernières années.

Néanmoins, la suspension du service national, les diminutions de format et le recentrage des armées sur les opérations extérieures ont pu laisser craindre à la fin des années 90 un désintérêt des militaires pour ce domaine d'action.

En réalité, une nouvelle organisation territoriale, désormais interarmées calquée sur l'organisation civile en zones de défense, se mettait en place au début des années 2000, peu de temps après que la tempête de 1999 avait souligné le besoin urgent d'une coordination interministérielle renforcée et d'un dialogue civilo-militaire accru au sein des zones de défense.

Le renforcement du dialogue civilo-militaire, l'évolution de la doctrine des armées au nom du continuum sécurité/défense ont fait évoluer les esprits.

Le vice-amiral Bernard Rogel, sous chef d'opérations à l'état-major des armées, a ainsi indiqué devant la mission que : « La position des armées a évolué avec le temps, d'une part parce que les armées disposent de moyens incontournables, spécialisés et spécifiques, même s'ils sont en nombre compté, pour contribuer, en complément ou en renforcement des moyens de la sécurité civile, à la gestion des conséquences des catastrophes naturelles comme les tempêtes, et d'autre part parce que les armées ont conscience qu'elles ne peuvent se couper des préoccupations des populations en situation de crise . ».

Ainsi pour l'ensemble des militaires auditionnés, c'est l'honneur des armées que de contribuer à restaurer les conditions de vie normale pour des concitoyens touchés par le malheur.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité réaffirme cet engagement : « Au même titre que tous les organismes relevant de l'autorité de l'Etat, la force militaire est appelée à agir en soutien, en accompagnement ou en complément des forces et moyens civils spécialisés. » 13 ( * ) .

La montée de nouveaux risques et menaces dont la probabilité d'occurrence s'est brutalement révélée extrêmement haute avec les attentats du 11 septembre 2001, mais aussi plus récemment avec les catastrophes climatiques ont également accéléré le processus de modernisation du dialogue civilo-militaire.

Dans ce nouveau contexte, le Livre blanc a posé les fondements d'une stratégie de sécurité nationale qui réaffirme l'importance du rôle des armées dans la fonction stratégique de protection et prévoit la mise en oeuvre du contrat opérationnel de protection.

Les conclusions du Livre blanc relatives à l'engagement des armées sur le territoire national sont ainsi systématiquement déclinées dans les publications interarmées (PIA) relatives aux concepts et doctrines d'organisation du commandement, de planification opérationnelle et d'emploi des forces.

Parallèlement, toujours sur ce sujet, l'état-major des armées est engagé dans des travaux de portée interministérielle dirigés par le SGDSN, dont le plus récent, l'instruction interministérielle du 3 mai 2010, relative à l'engagement des armées sur le territoire national en cas de crise majeure.

Selon la soudaineté d'occurrence de la crise, sa localisation et sa cinétique d'évolution, l'engagement des armées s'inscrit d'abord, sous forme de réponse immédiate, dans une logique de première urgence, par l'engagement des moyens de proximité et des dispositifs militaires permanents maintenus en alerte.

Dans un second temps sous la forme d'une réponse progressive pouvant s'étaler sur plusieurs jours, en complément des forces et renforts de sécurité intérieure et de sécurité civile, avec leurs unités disponibles, selon une logique de réaction à temps et de priorités définies en interministériel ; les armées interviennent alors de façon complémentaire en mettant à disposition des autorités civiles les capacités et moyens dont ces dernières expriment le besoin pour assurer la gestion de la crise.

Ainsi lorsque occasionnellement et localement surviennent des événements majeurs qui menacent la vie des citoyens et mettent en péril l'activité économique, les armées apportent leur concours, parfois à leur initiative, sinon à la demande d'autres ministères ou des préfets de zone de défense et de sécurité.

Soutien des armées à l'action de l'Etat

Source : Ministère de la défense

Les armées sont ainsi intervenues très récemment en 2009 et 2010, à l'occasion des tempêtes Klaus et Xynthia et des pluies torrentielles qui ont frappé le sud de la France.

Au-delà des actions parfois spectaculaires d'héliportage, de pompage ou de déblaiement, leur engagement peut aller jusqu'à s'impliquer dans des micro-actions de sauvegarde de l'activité économique locale, telle que le ramassage de fruits et légumes. Comme l'a souligné le Général de corps d'armée CLÉMENT-BOLLÉE, Officier général de la zone de défense de la Zone Sud Ouest : « dans la mesure où les récoltes de ces fruits ou légumes par nature périssable sont essentiels à l'économie locale, le soutien aux populations peut aussi passer par ce type d'action, si la situation nous permet de le faire ».

C'est en particulier dans le cadre de ces événements majeurs que l'idée d'un recours plus large aux réserves militaires est régulièrement évoquée.

La mission a constaté à plusieurs reprises que pour les armées, ce recours ne peut s'envisager en dehors du cadre général d'intervention des armées sur le territoire national. C'est ce qui fait dire au préfet François LUCAS, directeur de la protection et de la sécurité de l'Etat au SGDSN, lors de son audition devant la mission « qu'en temps de crise, tant au plan national qu'au niveau local, en raison de leur intégration au sein des unités d'actives, l'emploi des réservistes n'avait aucun caractère spécifique, les réservistes accomplissant les mêmes missions que le personnel d'active ».

Or le cadre général d'intervention des armées sur le territoire national pour ces missions en soutien des forces et moyens civils demeure la règle des « 4 i » selon laquelle : « Les armées sont engagées sur le territoire national en complément des forces de sécurité et des moyens des autres ministères, dans des missions de sécurité intérieure et de sécurité civile, dès lors que les moyens civils, y compris les moyens de la gendarmerie nationale, s'avèrent inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles (règle des 4 i) ».

En effet, les armées considèrent qu'elles doivent conserver la maîtrise d'un réservoir unique de capacités destiné à servir indifféremment aux opérations extérieures (OPEX) et aux missions intérieures (MISSINT).

Aussi, placées sous la responsabilité des autorités civiles qui assurent la conduite des opérations de sécurité sur le territoire national, elles n'en demeurent pas moins sous le commandement opérationnel du chef d'état-major des armées (CEMA) afin de garantir la cohérence générale d'emploi de l'ensemble des troupes.

Pour cette raison, les forces militaires restent en permanence sous commandement d'un chef militaire qui fixe l'organisation du commandement, les missions, les moyens, les règles d'engagement et de comportement.

Comme l'a souligné devant la mission le vice-amiral Bernard Rogel, sous chef opérations à l'état-major des armées « seules les armées ont une connaissance suffisante de leurs moyens et de la disponibilité de ces moyens pour déterminer les unités susceptibles d'atteindre les objectifs fixés par les préfets » . Il a fait observer, par exemple, que dans une situation où le préfet demanderait directement le concours d'une unité proche géographiquement du lieu de crise, mais en cours de préparation opérationnelle à une projection en Afghanistan, il essuierait sans doute un refus car sa demande serait tout à fait contraire à une bonne gestion des ressources et pourrait même mettre en danger nos forces en opération en Afghanistan.

S'agissant du recours aux réservistes, le général de corps d'armées André de SAINT-SALVY, sous-chef ressources humaines de l'état-major des armées, a précisé à la mission que « selon l'intensité du besoin, les préfets peuvent effectuer une demande de concours, mais il appartient à ces autorités militaires de définir s'il est nécessaire d'utiliser ou pas des réservistes pour atteindre l'objectif. »

Tous les interlocuteurs militaires de la mission ont ainsi insisté sur la nécessité pour les autorités civiles de raisonner en termes d'effets à obtenir en laissant les états-majors le soin de définir eux-mêmes les personnels et les moyens les plus pertinents à utiliser.

Il ne fait cependant aucun doute dans l'esprit de l'ensemble des personnes auditionnées que si une crise majeure touchait la communauté nationale, les forces armées ne compteraient pas leur soutien pour limiter les victimes. C'est ce que général d'armée Elrick IRASTORZA, chef d'état-major de l'armée de terre a indiqué à la mission en lui assurant que « le chiffre de 10 000 hommes inscrit dans le contrat opérationnel pour la protection du territoire national serait, dans le cadre d'une crise majeure, théorique, car s'il y avait nécessité, les armées emploieraient jusqu'à leur dernier homme sans compter ».

La logique politique, administrative et militaire d'un engagement en dehors du territoire national est quant à elle quelque peu différente.


* 8 Extrait du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (p.192)

* 9 Pour les abréviations, voir le glossaire annexe 5, page 395

* 10 A noter la particularité de la zone de défense et de sécurité de Paris, le préfet de police, qui est préfet de zone, dispose d'un secrétariat général de zone de défense et de sécurité placé sous la direction d'un préfet.

* 11 Audition du vice-amiral Bernard ROGEL, sous chef Opérations à l'état-major des armées le 9 mars 2010, annexe 1 page 254

* 12 Cf Audition du Préfet François LUCAS, Directeur de la protection et de la sécurité de l'État au SGDSN le 5 mai 2010, annexe 1 page 274

* 13 Extrait du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (p.129)

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