C. UN ENCADREMENT PRAGMATIQUE DE LA PROPAGANDE ÉLECTORALE

Les règles en matière de propagande électorale paraissent inadaptées à plusieurs égards au vu de l'évolution des pratiques. Vos rapporteurs ont ainsi tenu à ce que le groupe de travail consacre une partie de ses travaux à l'examen tant des conditions matérielles de la propagande électorale qu'à leur encadrement par le code électoral, dans l'objectif de rendre le droit à la fois plus adapté aux pratiques légitimes du point de vue de l'objectif d'information pluraliste des électeurs et plus compréhensible par les candidats eux-mêmes.

1. La modernisation de la campagne électorale sénatoriale

Parallèlement à leur proposition d'instituer un compte de campagne pour les élections sénatoriales, vos rapporteurs suggèrent de moderniser le déroulement de la campagne électorale sénatoriale , actuellement régi par l'article L. 306 du code électoral.

D'une part, l'article L. 306 dispose que « des réunions électorales pour l'élection des sénateurs peuvent être tenues au cours des six semaines qui précèdent le jour du scrutin ».

Vos rapporteurs estiment que cette restriction temporelle à la tenue de réunions électorales pour la campagne sénatoriale est largement obsolète et devrait être supprimée. En effet, les élections sénatoriales ayant généralement lieu le dernier ou l'avant-dernier dimanche de septembre, la période autorisée pour organiser des réunions électorales commence dans le courant du mois d'août, ce qui n'est guère pertinent. En pratique, il est très fréquent que les candidats aux élections sénatoriales convient les grands électeurs et les élus locaux à des réunions électorales bien avant le mois d'août. Cette restriction ne semble pas aujourd'hui justifiée par un souci d'égalité des candidats ou de préservation de la sincérité du scrutin.

Cette disposition se situe dans la continuité de celle figurant dans le code électoral de 1956, selon laquelle des réunions électorales ne pouvaient se tenir qu'à compter de la publication du décret de convocation des électeurs. Cette rédaction a été modifiée en 2000 par la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs, qui a introduit le délai de six semaines.

De plus, dès lors que serait institué un compte de campagne, une telle restriction perdrait tout son sens , puisque des dépenses électorales, engagées en vue de l'élection au Sénat, peuvent intervenir au cours de toute la période couverte par le compte. Dans ce contexte, il serait en effet paradoxal que des dépenses électorales puissent être engagées alors que les réunions électorales seraient interdites : en pratique, cette restriction impliquerait que l'envoi de courriers aux électeurs soit la seule action de propagande autorisée pendant plus de quatre mois.

D'autre part, l'article L. 306 prévoit que « les membres du collège électoral de la circonscription et leurs suppléants, ainsi que les candidats et leurs remplaçants, peuvent seuls assister à ces réunions ».

Vos rapporteurs considèrent dans leur grande majorité que cette restriction de l'accès aux réunions électorales sénatoriales n'est plus adaptée. Actuellement sont seuls autorisés à participer à ces réunions les membres du collège électoral, c'est-à-dire les députés du département et les élus locaux du département ayant la qualité d'électeur sénatorial, ainsi que les délégués supplémentaires des conseils municipaux dans les communes de plus de 30 000 habitants, ainsi que leurs suppléants. Seule une partie des élus locaux sont ainsi conviés. Dès lors que le Sénat est le représentant constitutionnel des collectivités territoriales, il serait légitime que tous les élus locaux , qu'ils soient électeurs sénatoriaux ou non, puissent assister aux réunions . Ceci ne porterait en rien atteinte à la sincérité du scrutin.

Plus largement, vos rapporteurs approuvent majoritairement le fait que toute personne puisse assister à la réunion . En pratique, les élus locaux seront toujours les plus nombreux à participer à ces réunions, qui n'ont en tout état de cause pas vocation à se transformer en réunions électorales ouvertes à tous les citoyens. La pratique consacre déjà dans son évolution cette approche libérale.

Enfin, aucune décision du Conseil constitutionnel statuant en matière de contentieux des élections sénatoriales ne fait référence à une violation des dispositions de l'article L. 306, tant en matière de calendrier pour la tenue des réunions électorales que d'assistance à ces réunions. Dans ces conditions, l'abrogation de l'article L. 306 peut être envisagée sans difficulté.

Proposition n° 24 :

Moderniser la campagne électorale sénatoriale en supprimant :

- les restrictions temporelles à l'organisation de réunions ;

- les restrictions d'accès aux réunions électorales.

2. La prise en compte des technologies de l'information et de la communication

Le code électoral dans sa rédaction actuelle ne prend en compte que de façon très incomplète l'évolution des technologies dans l'organisation des campagnes électorales. La propagande électorale utilise désormais pleinement les technologies de l'information et de la communication , comme l'a illustré la campagne présidentielle de 2007 : c'est un outil de propagande électorale à part entière. À cet égard, il n'existe généralement pas dans les législations étrangères de dispositions qui concernent spécifiquement l'utilisation de ces technologies dans les campagnes électorales (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni) 78 ( * ) .

C'est pour l'essentiel le juge électoral qui a assuré la prise en compte des technologies de l'information et de la communication en droit, pour pallier le relatif silence du code électoral. Ainsi, comme vos rapporteurs l'ont déjà souligné :

- les informations diffusées par le site Internet ou le blog d'un candidat sont considérées comme des informations diffusées par le candidat au même titre que toute autre, seul le support de la diffusion étant différent. Il s'agit de documents de propagande électorale sur support informatique , au même titre qu'une publication ;

- les dépenses de création et de fonctionnement d'un site Internet créé aux fins de propagande électorale doivent bien être intégrées dans le compte de campagne, comme n'importe quelle dépense électorale ;

- les interdictions en matière de campagne publicitaire qui s'imposent aux collectivités dans les périodes précédant les élections (article L. 52-1 du code électoral) s'appliquent aux sites Internet officiels de ces collectivités : ceux-ci ne doivent pas être utilisés comme des outils de propagande électorale, au même titre que les publications régulières réalisées par les collectivités, ou des outils de promotion de la collectivité. Au surplus, une telle utilisation serait considérée comme un financement électoral par une personne morale, ce qui constitue un avantage prohibé.

La majorité de vos rapporteurs souhaitent que les technologies de l'information et de la communication soient explicitement prises en compte par le code électoral , de façon à ce qu'il n'y ait pas de doute sur le fait que la législation générale en matière de propagande leur est pleinement applicable. Un site Internet constitue bien une forme de communication électorale qui ne doit pas échapper au code. Cette prise en compte consisterait en la consolidation, dans le code électoral, des éléments stables et clairs de la jurisprudence .

Proposition n° 25 :

Prendre en compte, de manière explicite, les technologies de l'information et de la communication dans le code électoral.

Ponctuellement, vos rapporteurs prônent majoritairement que la pratique du « phoning » soit encadrée par le code électoral et prohibée le jour du scrutin. Cette pratique consiste pour le candidat à appeler les électeurs par téléphone, par des membres de son équipe ou par un prestataire rémunéré à cet effet. Il aussi existe aujourd'hui des systèmes d'appel automatisé, par serveurs téléphoniques. En tout état de cause, cette pratique doit être interdite le jour du scrutin, sur la base de l'article L. 49 du code électoral, mais elle ne devrait pas être possible après la fin de la campagne officielle, selon le droit commun prôné par vos rapporteurs en matière de propagande électorale.

Proposition n° 26 :

Préciser que la pratique du « phoning » est interdite après la fin de la campagne électorale.

3. Les documents autorisés au cours de la campagne

La distribution de tracts dans la période électorale est, en théorie, prohibée par la législation actuelle : en effet, seule est autorisée la diffusion de la profession de foi. L'article L. 165 du code électoral dispose ainsi, pour l'élection des députés, que « l'impression et l'utilisation, sous quelque forme que ce soit, de tout autre circulaire, affiche ou bulletin et de tout tract sont interdites ». Les articles L. 211 et L. 240, concernant respectivement l'élection des conseillers généraux et des conseillers municipaux, prévoient que « l'impression et l'utilisation, sous quelque forme que ce soit, de circulaires, tracts, affiches et bulletins de vote pour la propagande électorale, en dehors des conditions fixées par les dispositions en vigueur, sont interdites ».

Toutefois, l'interdiction de la distribution de tracts dans la période électorale est méconnue en pratique de tous les candidats , qui n'hésitent pas à contrevenir aux règles posées par le code électoral.

Si vos rapporteurs approuvent le maintien de cette interdiction pour les affiches, de façon à pouvoir lutter contre l'affichage sauvage, sous réserve d'autoriser explicitement l'affichage sur les panneaux d'expression libre , ils estiment unanimement qu'elle est obsolète en matière de distribution de tracts et documents électoraux : il s'agit ici d'accorder le droit et la pratique, qui sont en ce domaine en contradiction flagrante. La diffusion de tracts dans la période qui précède l'élection est un des aspects essentiels de toute campagne électorale. Il s'agit en effet d'un instrument indispensable d'information des électeurs, information que les documents officiels de propagande (circulaire, affiche et bulletin de vote) ne suffisent pas à assurer, du fait de leur envoi très tardif aux électeurs.

Cette interdiction est d'autant plus inadaptée que le plafonnement des dépenses électorales établit une relative égalité entre les candidats en matière de moyens financiers pour assurer leur propagande électorale. Sous certaines conditions, chaque candidat dispose globalement des moyens d'imprimer ses documents électoraux et de les porter à la connaissance des électeurs, d'autant qu'il peut en être remboursé.

Proposition n° 27 :

Supprimer l'interdiction d'imprimer et d'utiliser, sous quelque forme que ce soit, des circulaires, tracts ou tout autre document de propagande électorale pendant la campagne électorale, maintenir l'interdiction de l'affichage en dehors des panneaux officiels et permettre l'affichage sur les panneaux de libre expression.

Non seulement l'utilisation de documents autres que ceux prévus pour la propagande officielle est interdite, mais elle est sévèrement sanctionnée par le code . Pour l'élection des conseillers généraux, l'article L. 215 prévoit une peine de 3 750 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement en cas d'infraction aux dispositions de l'article L. 211 ou d'utilisation de la franchise pour adresser aux électeurs tous autres documents que ceux envoyés par les commissions de propagande. Pour l'élection des conseillers municipaux, l'article L. 246 prévoit la même peine d'amende mais une peine de six mois d'emprisonnement et non d'un an. Pour l'élection des députés, l'article L. 168 prévoit la même peine d'amende mais une peine de seulement trois mois d'emprisonnement.

Outre qu'elles sont incohérentes entre elles, ces sanctions sont manifestement obsolètes , inadaptées à la pratique et, en tout état de cause, inappliquées. Elles devraient donc, selon vos rapporteurs, être abrogées .

Par ailleurs, dans le souci que les candidats soient pleinement informés, vos rapporteurs souhaitent unanimement que soit consolidée dans le code électoral la jurisprudence selon laquelle un candidat ne peut diffuser à la fin de la campagne un document comportant des informations nouvelles sans que le candidat adverse ait la possibilité d'y répondre compte tenu de l'achèvement de la campagne. Cette jurisprudence repose sur le souci d'égalité des candidats et d'information sincère des électeurs et considère qu'une telle pratique porte atteinte à la sincérité du scrutin. Il s'agirait de reprendre dans le code la formule actuellement retenue par la jurisprudence.

Proposition n° 28 :

Mentionner dans le code électoral l'interdiction de diffuser en fin de campagne électorale, sous quelque forme que ce soit, tout élément nouveau n'ayant pu faire l'objet d'un débat.

Enfin, alors que le contenu et le format des documents de propagande officielle (affiche, circulaire autrement appelée profession de foi, bulletin de vote) sont réglementés par le code électoral (interdiction de l'usage des couleurs tricolores par exemple, en dehors des emblèmes de partis politiques), il a semblé justifié à la majorité de vos rapporteurs de prévoir leur validation obligatoire par la commission de propagande, déjà chargée de leur envoi et de leur distribution, pour éviter toute insécurité juridique au détriment des candidats, sous réserve de la faculté pour tout candidat de déposer directement ses bulletins de vote dans les bureaux de vote.

Proposition n° 29 :

Rendre obligatoire la validation des documents de propagande officielle par la commission de propagande.

4. Le calendrier de la campagne électorale

Pour des raisons de cohérence et de simplicité du calendrier, vos rapporteurs proposent unanimement que l'ouverture de la campagne électorale officielle coïncide avec la clôture du délai de dépôt des candidatures . En effet, sous réserve du contentieux des candidatures, dès lors que le délai de dépôt est expiré, tous les candidats qui se sont déclarés peuvent légitimement considérer que la campagne est formellement ouverte entre eux.

Ainsi, l'article L. 164 concernant l'élection des députés indique que « la campagne électorale est ouverte à partir du vingtième jour qui précède la date du scrutin ». Cette campagne dite officielle comporte la mise en place des emplacements réservés aux affiches officielles des candidats et la constitution des commissions de propagande dans chaque circonscription électorale, chargées de l'envoi des circulaires et des bulletins de vote. Pour l'élection des députés, selon l'article L. 157, les candidatures sont reçues « au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin ».

Proposition n° 30 :

Faire coïncider le début de la campagne électorale officielle avec la clôture du délai de dépôt des candidatures.

Vos rapporteurs ayant très majoritairement proposé de ramener d'un an à six mois la période couverte par le compte de campagne, ils estiment pour la plupart d'entre eux pertinent d'aligner sur cette même période , par souci de cohérence et de clarté, certaines interdictions en matière de propagande électorale qui commencent actuellement trois mois avant l'élection.

Il s'agit de la mise à disposition du public d'un numéro d'appel téléphonique ou télématique gratuit (article L. 50-1), de l'affichage en-dehors des emplacements officiels prévus à cet effet (troisième alinéa de l'article L. 51) et de l'utilisation de toute publicité commerciale par voie de presse ou de communication audiovisuelle (premier alinéa de l'article L. 52-1). L'interdiction faite aux collectivités territoriales d'engager une campagne de promotion publicitaire de leurs réalisations ou de leur gestion sur leur territoire est déjà prévue dans la période des six mois qui précèdent l'élection.

De la sorte, l'entrée dans la période des six mois précédant l'élection constituerait une information claire pour les candidats.

Par ailleurs, compte tenu de la difficulté pratique à faire respecter l'interdiction d'affichage en-dehors des panneaux officiels, vos rapporteurs rappellent qu'ils ont proposé que soit autorisé l'affichage sur les panneaux d'expression libre 79 ( * ) .

Proposition n° 31 :

Aligner la durée couverte par les interdictions en matière de propagande électorale sur la durée couverte par le compte de campagne.


* 78 Voir l'étude de législation comparée présentée en annexe 4.

* 79 Voir supra, proposition n° 27.

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