B. NE PAS CONFONDRE COMPÉTITIVITÉ ET PRODUCTIVITÉ ET NE PAS IMAGINER QUE L'ÉCONOMIE EST DE CONCURRENCE PURE ET PARFAITE

Il faut alors conjurer l'erreur de confondre compétitivité et productivité, en imaginant, ce qui aggraverait encore les choses, que le monde économique est un monde de concurrence pure et parfaite. Il faut ajouter d'emblée que l'imperfection de la concurrence ne peut être vue comme l'absence de toute concurrence.

Les conséquences nocives de telles confusions ont été exposées dans le précédent chapitre du présent rapport.

Il s'agit ici de montrer quelles difficultés l'économie contemporaine conduit à surmonter pour restaurer un avenir possible de prospérité économique et pour un pacte social dans l'entreprise de progrès 256 ( * ) .

Dans les économies modernes ouvertes sur l'extérieur et financiarisées, la compétitivité microéconomique des entreprises est une contrainte qui a des visages différents.

Dans la sphère de l'économie réelle , on assiste à une dualisation des entreprises avec, d'un côté, de souvent très grandes entreprises opérant sur de vastes marchés internationaux placées dans des situations où les concurrents sont soit inexistants (monopoles) soit peu nombreux (oligopoles) et, de l'autre, de nombreuses entreprises soumises à une très forte concurrence, qu'elles produisent des biens et services pour les consommateurs ou comme fournisseurs des grands donneurs d'ordre.

Une forte pression s'exerce généralement sur les prix des biens et services (ce qui explique le rythme généralement faible de l'inflation) excepté pour les entreprises oligopolistiques ou monopolistiques qui, dans une certaine mesure, peuvent fixer leurs prix comme elles le souhaitent.

Dans un tel contexte, la valeur ajoutée tend à se déplacer vers les grandes entreprises . Face à l'attrition de la valeur ajoutée restant, aux entreprises ordinaires, celles-ci subissent des tensions sur la répartition de leur valeur ajoutée. Elles s'efforcent de préserver leur taux de marge (rapport de l'EBE à la valeur ajoutée) mais celui-ci est structurellement inférieur à celui des grandes entreprises financières. En effet, elles sont partiellement contraintes par l'état du marché du travail, que celui-ci résulte de mécanismes de marché ou d'institutions (salaires minima, cotisations sociales...) qui peut être dans un équilibre les empêchant de flexibiliser l'emploi ou/et les salaires jusqu'au point qui serait nécessaire pour défendre un niveau souhaité de rentabilité économique du capital.

Pour autant, les salaires versés par ces entreprises sont structurellement inférieurs à ceux des grandes entreprises. En outre, l'emploi y est plus précaire. Cette situation vient d'un ensemble de facteurs qui se cumulent :

- une plus faible capacité à maintenir des prix « rémunérateurs » pour leur production ;

- la productivité plus basse de la plupart des activités économiques auxquelles se livrent ces entreprises ;

- la qualification inférieure des emplois concernés ;

- l'existence d'une forte concurrence sur les segments du marché du travail où recrutent les entreprises en cause avec un niveau relativement élevé du chômage (le taux de chômage des non-qualifiés est plus élevé que le taux de chômage moyen) ;

- le ratio comparativement important des emplois atypiques (contrats courts, travail à temps partiel...)...

La faiblesse relative des salaires dans ce qui représente la partie majoritaire du tissu des entreprises provient ainsi de facteurs structurels, en lien avec la nature économique de leurs productions mais aussi avec l'organisation des marchés de biens et services sur lesquels elles opèrent et avec l'état du marché du travail sur lequel elles interviennent.

A l'inverse, les salariés des grandes entreprises bénéficient, mais relativement seulement, des facteurs inverses. Leurs salaires sont structurellement plus élevés et leur emploi est mois précaire. Pour autant, les entreprises qui les emploient ont également un taux de marge structurellement supérieur à celui des petites et moyennes entreprises. La rentabilité économique du capital y est plus forte. La « dépendance » de ces entreprises aux marchés financiers explique sans doute cette situation parmi d'autres facteurs dont les modalités particulières de rémunérations de leurs dirigeants. Sur ce point, il n'y a pas de raison particulière de considérer que les systèmes de rémunérations fondés sur une variabilité de celles-ci en fonction des « performances » financières des entreprises financières n'ont pas les mêmes effets dans le secteur non financier 257 ( * ) .

Avec ces grandes entreprises, le joint est établi entre les systèmes productifs nationaux et l'économie mondiale, ou, à tout le moins, régionale, ainsi qu'avec la sphère financière .

Si, microéconomiquement, leur valeur ajoutée est fractionnée dans des espaces économiques supranationaux, leur influence économique sur chaque espace national est forte à la fois par les revenus distribués à leurs salariés ou aux propriétaires locaux de leur capital et par les commandes passées aux fournisseurs locaux. Autrement dit, si elles attraient une part croissante de la valeur ajoutée de leurs pays d'origine, les grandes entreprises internationales participent à la création de valeur ajoutée locale, ce qui leur attribue une position-clef dans le système économique des Nations.

En outre, comme elles sont hautement financiarisées, à la fois par l'importance absolue du capital financier qu'elles réunissent (alors que leur capital technique matériel peut être assez faible) mais aussi par l'importance relative que le capital occupe dans les ressources qu'elles mettent en oeuvre, elles atteignent un niveau élevé de mobilité potentielle. Celle-ci, combinée avec l'ouverture du monde, leur offre un vaste choix de localisation mais les soumet aussi aux règles du concours de beauté que les grandes entreprises passent, quotidiennement, devant les marchés financiers et les épargnants.

Au total, la dualisation des entreprises est un phénomène essentiel de l'économie contemporaine qui implique d'en interpréter les évolutions dans des termes différents de ceux de la concurrence pure et parfaite.

Les phénomènes de domination sur les marchés des biens et services trouvent un prolongement dans la situation des salariés, qu'il faut prendre en compte pour résorber les déséquilibres qu'ils entraînent.

Parmi ces déséquilibres, il faut tant particulièrement relever la dissociation entre les performances productives réalisées par certaines grandes entreprises et celles des autres entreprises, dissociation qui semble étroitement liée aux effets asymétriques des contraintes de compétitivité subies par chacun des producteurs.

Dans un tel contexte, les progrès de productivité des uns peuvent se faire au détriment de celle des autres avec un bilan comptable nul pour l'économie et des perspectives économiques incertaines.

Sous ce dernier angle, l'utilisation de l'EBE des entreprises les plus productives est une question majeure dont tend à dépendre la prospérité économique de tous.


* 256 Les facteurs d'émancipation ici identifiés, qui concernent le contexte économique du pacte social dans l'entreprise ne sont bien-sûr pas les seuls nécessaires mais on peut douter que les autres facteurs puissent intervenir sans que les premiers soient mis en oeuvre.

* 257 Alors que jusqu'à présent les mesures réglementant la partie variable des rémunérations en fonction des performances financières ont été réservées au secteur financier.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page