4. Un volet « flexibilité » problématique dans un marché français dual et en équilibre stable

Pour adapter le niveau de la production à la demande, une entreprise peut recourir à la « flexibilité externe », en adaptant le niveau de ses effectifs, ou à la « flexibilité interne », en modulant leur degré d'occupation et leur rémunération.

a) Flexibilité externe : une orientation déterminante ?

Quelque degré de cohérence auquel atteignent les représentations du modèle de flexisécurité, les tentatives pour populariser en France l'objectif d'un système de protection donnant la primeur aux individus sur les emplois , dès lors que ces derniers seraient « flexibilisés » par un assouplissement des conditions de licenciement , ne rencontrent qu'un succès mitigé .

En définitive, ni la prégnance intellectuelle du libéralisme anglo-saxon - du moins jusqu'à une époque récente-, ni la cohérence du modèle de flexisécurité danois, pourtant plus « social » et interventionniste, n'auront véritablement entamé l'attachement des Français aux « statuts » qui structurent la société, de l'obtention du diplôme à la « situation » de fonctionnaire ou même de salarié en contrat à durée indéterminée qui, malgré la sécurité toute relative qu'il procure, conditionne dans une certaine mesure l'accès au logement et au crédit.

Ceux qui ont accédé à ces situations, parfois à l'issue d'un véritable « parcours du combattant », ainsi que ceux qui espèrent y accéder, considèrent volontiers que toute remise en cause des droits des « insiders » constituerait une rupture du pacte social.

On peut, certes, s'interroger sur l'échéance à laquelle cette facette du pacte social pourrait s'éroder, avec un volet « flexibilité » de la flexisécurité ne reposant plus sur la mobilité subie d'« outsiders » enregistrant des pertes de capital humain au gré des fluctuations d'un marché du travail fondamentalement dual, mais sur un assouplissement général des conditions de rupture de tous les contrats de travail 316 ( * ) .

On peut encore s'interroger sur le fait de savoir si le CDI constitue véritablement un obstacle à une gestion flexible des effectifs - le CDD comporte en comparaison des éléments de formalisme et de rigidité substantiels - et si la dualité du marché du travail, dont on admettra l'existence sur la base du capital humain, ne transcende pas, pour une part non négligeable, les catégories contractuelles que sont le CDI, le CDD et l'intérim. En ce sens, il existe évidemment une corrélation inverse entre le degré de diplôme et la probabilité de bénéficier d'un contrat court 317 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, il semble que le passage d'un modèle dual à un modèle caractérisé par l'unification (ou l'absence) de statut soit difficile . Le rapport précité sur « Les mobilités des salariés » relève avec réalisme qu'« il existe (...) des équilibres multiples liés à l'existence de complémentarités politiques : les institutions protégeant les travailleurs renforcent leurs droits mais diminuent le bien-être des outsiders, ce qui renforce l'incitation des insiders à conserver leurs droits, en raison de l'écart grandissant entre la situation objective des deux statuts .

« On peut ainsi avoir deux équilibres, l'un où les écarts de statut sont difficilement réformables et donc pérennes, ce qui est plutôt le modèle français et sud-européen, et l'autre où les différences de statut n'existent pas et où les salariés ne sont pas en demande de plus de protection comme dans le monde anglo-saxon et en partie les pays nordiques ».

A ce jour, la trajectoire française de moyen terme est bel et bien caractérisée par une « protection » globalement inentamée du CDI , doublée d'une élévation du nombre de contrats temporaires 318 ( * ) sur lesquels reposent une part importante des mobilités requises par les fluctuations et les mutations de l'activité ( supra ). Le même constat peut être dressé, depuis la fin des années quatre-vingt, dans les pays européens où la législation protectrice de l'emploi (LPE) était alors la plus stricte, les assouplissements constatés depuis résultant surtout d'un recours facilité aux différentes formes d'emploi temporaire.

Ainsi qu'on l'a vu (cf. titre I), l'amélioration de la flexibilité emprunte vraisemblablement en France le chemin d'un renforcement d'une « couche de flexibilité » (CDD et intérim) en partie subie - même si la gestion des CDI peut aussi participer à cette flexibilité, tandis que le recours à des contrats courts est susceptible de répondre à d'autres objectifs.

Cette évolution se traduit par un dualisme accru du marché du travail , ce qui est bien entendu problématique . Lorsqu'elles n'ont pas débouché sur un échec 319 ( * ) , les mesures prises, à ce jour, dans le sens d'une flexibilité contractuelle accrue, n'ont pas bouleversé les équilibres existants.

QUELQUES MESURES RATTACHABLES AU VOLET « FLEXIBILITÉ »
DE LA FLEXISÉCURITÉ EN FRANCE


La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, qui a parallèlement relevé les indemnités légales de licenciement, a introduit :

? la rupture conventionnelle du contrat de travail

La rupture conventionnelle du contrat de travail s'effectue d'un commun accord entre le salarié et l'employeur. L'employeur et le salarié conviennent des conditions de la rupture du contrat de travail et de l'indemnité de rupture à verser, qui ne peut être inférieure à l'indemnité légale de licenciement. Le salarié a droit aux allocations de chômage dans les mêmes conditions qu'un salarié licencié. En dépit d'une forte montée en charge de ce dispositif, « il est encore trop tôt pour évaluer les effets proprement économiques de la rupture conventionnelle » 320 ( * ) .

? l' allongement des périodes d'essai

Antérieurement fixée à un mois en moyenne pour les employés et à trois mois en moyenne pour les cadres, la période d'essai, renouvelable une fois, a été portée à deux mois au maximum pour les ouvriers et les employés, trois mois au maximum pour les agents de maîtrise et les techniciens et quatre mois au maximum pour les cadres.

?le CDD à objet défini (ou « de mission »)

Ne pouvant servir qu'au recrutement de cadre ou d'ingénieurs, ce contrat ne saurait être a priori considéré comme le vecteur d'un approfondissement du dualisme du marché du travail. Subordonné à la conclusion d'un accord de branche étendu ou, à défaut, d'un accord d'entreprise l'instituant, ce contrat, d'une durée comprise entre 18 et 36 mois, prend normalement fin avec la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.


* 316 Outre que l'assouplissement du CDI compte parmi les demandes réitérées du MEDEF pour favoriser les créations d'emploi, les rapports et proposition allant dans ce sens abondent ; en dernier lieu, on citera l'Institut Montaigne, qui, parmi ses « 15 propositions pour l'emploi des jeunes et des seniors », propose simultanément de supprimer le CDD et de rendre le CDI plus flexible (septembre 2010).

* 317 Voir, sur le site de l'INSEE, le document intitulé « Statut d'emploi et type de contrat des actifs occupés selon le diplôme et la durée depuis la sortie de formation initiale » dernièrement mis à jour en juillet 2010.

* 318 Contrats à durée déterminée, intérim, stages et contrats aidés, apprentissage.

* 319 Instauré par l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, le contrat nouvelles embauches ( CNE ), proposé aux entreprises de vingt salariés au plus, comportait une période de « consolidation de l'emploi » de deux années au cours desquelles une rupture sans annonce du motif de licenciement était théoriquement possible. Ces caractéristiques ont été déclarées contraires au droit international par l'Organisation internationale du travail (OIT) le 14 novembre 2007. Le CNE a été abrogé par la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. On rappelle que le contrat première embauche ( CPE ), instauré par la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances à destination des moins de 26 ans, présentait, entre autres spécificités, les caractéristiques précitées. A la suite de vives contestations, le CPE a été retiré par le gouvernement (abrogation par la loi du 21 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise).

* 320 Note d'analyse n° 198 du Centre d'analyse stratégique, octobre 2010.

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