d) Une « atomisation » du personnel fragilisante

Sans revenir sur les multiples causes de la désyndicalisation en France, le salarié qui se trouve en difficulté connaît une nouvelle solitude résultant d'une parcellisation des collectifs de travail au sein de l'entreprise.

(1) Un délitement des collectifs de travail objectivement préjudiciable

Dans les nouvelles formes d'organisation , le travail au sein d'équipes successives, la polyvalence et un plus fort turn-over favorisent un certain délitement des « collectifs de travail » , surtout lorsqu'ils s'accompagnent d'un mouvement de filialisation et d'externalisation concernant des fonctions auparavant exercées par l'entreprise.

Par contraste, il apparaît d'ailleurs que, d'une certaine façon, le taylorisme « faisait » le collectif de travail ...

Les conditions de travail et de rémunération apparaissent aujourd'hui comme généralement moins favorables dans la nébuleuse des PME sous-traitantes que dans les entreprises donneuses d'ordre, les premières recourant d'ailleurs moins fréquemment au contrat à durée indéterminée.

Les personnels concernés, peu syndiqués et portés à une attitude plus résignée, apparaissent moins à même d'exercer une pression utile pour l'amélioration de leurs conditions de travail.

Par ailleurs, les objectifs de performance, souvent libellés collectivement au sein d'« équipes », peuvent aboutir, d'une part, à une « concurrence » entre salariés d'une même entreprise et, d'autre part, à une surveillance accrue entres salariés d'une même « équipe ».

Enfin, on notera que l' instauration des « 35 heures » a débouché, dans de nombreuses entreprises, sur la remise en cause ou la réduction de nombreux « temps interstitiels » (pauses café etc.) afin de permettre l'acclimatation de la RTT sans perte de compétitivité. Or, il s'agit de temps privilégiés pour tisser du « lien social » et consolider ainsi le « collectif de travail ».

De même, les modifications organisationnelles , parfois fréquentes, en recomposant les équipes, fragilisent les collectifs de travail, surtout lorsqu'elles s'assortissent d'un changement d'établissement, dans un contexte marqué par une augmentation de leur nombre au sein de l'entreprise ( infra ) corrélé à une diminution de leurs effectifs. Le développement du télétravail participe, par ailleurs, de ce mouvement.

(2) Des situations de « souffrance au travail » plus vivement ressenties

Rien n'indique qu'au sein de l'entreprise fordiste, qui prévalait encore dans les années soixante-dix, les risques de souffrance au travail furent objectivement moins importants qu'aujourd'hui .

En effet, dans le contexte d'un travail parcellisé et fortement hiérarchisé, les ouvriers, en particulier, avaient un encadrement rapproché, potentiellement « caporaliste » et parfois coupable de harcèlement, pour l'exécution de tâches répétitives parfois accablantes.

Pourtant , ainsi que le souligne Danièle Linhart 124 ( * ) , la souffrance au travail n'était pas un sujet « de société », du fait d'une certaine prise en charge par le collectif de travail , qu'il s'agisse d'entraide ou de veille organisationnelle, dans le sens d'une rotation du personnel sur les postes les plus pénibles.

Par ailleurs, l'engagement politique et syndical permettait aux travailleurs de s'identifier à une classe sociale selon un référentiel partagé. D'une part, cet engagement pouvait servir d'exutoire à certaines formes de souffrance , susceptibles d'être vécues comme collectives plutôt qu'individuelles (cf. l'attente de la « fin du capitalisme » par la CGT). D'autre part, les perspectives d'améliorations, dans le contexte d'une progression continue des droits des salariés, qu'elles soient d'origine légale ou conventionnelle, n'étaient pas invraisemblables.

Aujourd'hui, les salariés en situation de souffrance au travail ne trouvent pas de sens collectif à leur histoire , et ont davantage le sentiment d'être victime d'une injustice personnelle ou de ne pas être à la hauteur de la tâche qui leur est impartie. Par ailleurs, l'amélioration constante des droits ainsi que des conditions matérielles et financières de salariés ne semble plus constituer une tendance de fond irrépressible.


* 124 Voir le lien : http://videos.senat.fr/video/videos/2010/video4116.html

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