B. UNE PRODUCTIVITÉ EN DEÇÀ DES ATTENTES

A titre de mise en perspective, on rappelle ici la sous-optimalité des performances économiques résultant à long terme ( via une moindre importance accordée à l'investissement en capital humain ou physique) de fortes exigences actionnariales de rentabilité, qui entretiennent souvent un rapport de connexité avec l'acclimatation des nouvelles organisations du travail.

En effet, ces dernières sont généralement adoptées dans la perspective d'améliorer la productivité. Mais, à moyen terme, ces gains directs peuvent, de même, s'avérer en partie hypothétiques lorsque les salariés sont stressés par trop de sollicitations psychologiques et physiques, en arrivant parfois à se poser la question du sens de leur engagement professionnels. Ces personnels ne sauraient donc contribuer, à hauteur des espérances, à la performance de l'entreprise.

1. Coûts objectifs de l'inconfort et sous-optimalité de la performance des entreprises

Les organisations du travail et les modes de management nocifs peuvent contribuer au développement de maladies et à la survenance d'accidents du travail qui débouchent sur des coûts importants pour les entreprises et la société.

L'émergence du stress , qui est fortement lié aux nouvelles modalités de l'organisation productive , a pu donner lieu à des chiffrages qui, pour être marqués par d'importantes marges d'incertitude, montrent que le phénomène est rien moins qu'anodin pour les comptes publics ainsi que ceux des entreprises. Nous reprenons ici les observations de la récente mission d'information sur le mal-être au travail du Sénat.

LE COÛT EXORBITANT DU STRESS POUR L'ÉCONOMIE

Le stress semble avoir un coût élevé pour l'économie. L'INRS a, en partenariat avec Arts et Métiers Paris Tech, mené une étude sur le coût du stress professionnel en France. La première évaluation, réalisée en 2002, sur la base de données datant de 2000, faisait état d'un coût compris entre 830 millions et 1,6 milliard d'euros.

Une actualisation de cette évaluation a été entreprise en 2009 à partir des chiffres datant de 2007. L'estimation du coût a considérablement augmenté puisque celui-ci serait compris entre 1,9 milliard et 3 milliards d'euros. Comme l'a indiqué Valérie Langevin, psychologue du travail à l'INRS lors de son audition 140 ( * ) , ces chiffres, qui intègrent à la fois les coûts directs (dépenses de soins) et les coûts indirects (liés à l'absentéisme, aux cessations d'activité et aux décès prématurés), constituent une évaluation a minima. Les coûts réels du stress sont vraisemblablement nettement supérieurs et ce, pour deux raisons :

- les chercheurs n'ont pris en compte qu'un seul facteur de stress, le « job strain » ou « situation de travail tendue » définie par la combinaison d'une forte pression subie et d'une absence d'autonomie dans la réalisation du travail. Or, le « job strain » représente moins d'un tiers des situations de travail fortement stressantes ;

- parmi les pathologies liées au stress, les auteurs n'ont retenu que celles qui font l'objet de nombreuses études : les maladies cardio-vasculaires, la dépression et certains troubles musculo-squelettiques (TMS). D'autres maladies sont donc exclues du champ de l'étude.

Rapport d'information n° 642 (2009-2010) de M. Gérard DÉRIOT, fait au nom de la Mission d'information sur le mal-être au travail et de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 7 juillet 2010

Sans déboucher sur un quelconque « chiffrage », le rapport « Lachmann » 141 ( * ) , intitulé « Bien-être et efficacité au travail » 142 ( * ) , estime que, d'une façon générale, plus de « bien-être » au travail débouche sur une amélioration de la performance globale des entreprises : « Parce que social, santé, organisation et management sont indissociables, nous n'avons pas souhaité entrer dans le sujet sous l'angle du seul traitement de la souffrance : pour nous, l'amélioration de la santé psychologique au travail ne doit pas se limiter à la gestion du stress professionnel. Le vrai enjeu est le bien-être des salariés et leur valorisation comme principale ressource de l'entreprise ».

Ainsi, la prévention des risques psychosociaux n'est qu'un élément d'un enjeu plus large, celui de la « valorisation du bien-être » des salariés dans l'entreprise.

Les propositions de ce rapport pour améliorer le « bien être et l'efficacité au travail » se rattachent d'ailleurs à un certain nombre de problèmes se recoupant assez largement avec ceux qui ont été identifiés dans les pages qui précèdent.

LISTE DES PROPOSITIONS DU RAPPORT « LACHMANN »

1. L'implication de la direction générale et de son conseil d'administration est indispensable.

L'évaluation de la performance doit intégrer le facteur humain, et donc la santé des salariés.

2. La santé des salariés est d'abord l'affaire des managers, elle ne s'externalise pas.

Les managers de proximité sont les premiers acteurs de santé.

3. Donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail.

Restaurer des espaces de discussion et d'autonomie dans le travail.

4. Impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé.

Le dialogue social, dans l'entreprise et en dehors, est une priorité.

5. La mesure induit les comportements.

Mesurer les conditions de santé et sécurité au travail est une condition du développement du bien-être en entreprise.

6. Préparer et former les managers au rôle de manager.

Affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes.

7. Ne pas réduire le collectif de travail à une addition d'individus.

Valoriser la performance collective pour rendre les organisations de travail plus motivantes et plus efficientes.

8. Anticiper et prendre en compte l'impact humain des changements.

Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l'impact et la faisabilité humaine du changement.

9. La santé au travail ne se limite pas aux frontières de l'entreprise.

L'entreprise a un impact humain sur son environnement, en particulier sur ses fournisseurs.

10. Ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes.

Accompagner les salariés en difficulté.

Source : rapport intitulé « Bien-être et efficacité au travail - 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail », février 2010.


* 140 Audition de Stéphane Pimbert, directeur général, et Valérie Langevin, psychologue du travail,

de l'INRS, mercredi 24 février 2010, par la Mission d'information sur le mal-être au travail.

* 141 Rapport coécrit par Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, Christian Larose, vice-président du Conseil économique, social et environnemental et Muriel Penicaud, directrice générale des ressources humaines de Danone.

* 142 « Bien-être et efficacité au travail - 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail - », février 2010.

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