2. Un climat de défiance contre-productif pour l'entreprise

Les nouvelles formes d'organisation du travail , lorsqu'elles s'assortissent d'un management dévoyé, sont susceptibles de conduire, en termes de qualité du travail, à une situation fort dégradée au regard de l'idéal plus ou moins libérateur d'accomplissement et de dépassement de soi dans le travail véhiculé par le discours managérial dominant.

Cependant, les abandons en termes de sécurité , au regard de la situation qui prévalait dans la régulation fordiste, apparaissent conséquents, voire disproportionnés.

Le déséquilibre qui en résulte est, en certaines circonstances, flagrant . La crise économique actuelle est de nature à l' aggraver encore, en crispant les détenteurs du capital de l'entreprise sur le « return on equity » tout en accroissant la peur du chômage des « insiders ».

Dès lors, il suffit de peu pour que l' insatisfaction des salariés ne se dégrade en défiance générale vis-à-vis de l'entreprise .

Un management autoritaire et une gestion humaine et salariale inattentive aux efforts des salariés, est constitutive d'un manque de considération , voire de confiance envers le personnel qui suscite, en retour, une certaine forme de défiance envers l'entreprise .

Par ailleurs, le spectacle réitéré, d'une part, de licenciements massifs associés à des délocalisations opérées en dépit de la réalisation de bénéfices et du versement de certaines rémunérations très élevées aux dirigeants et, d'autre part, de suicides de salariés mettant en cause certaines pratiques managériales, donnent aux Français la vision, sans doute caricaturale, de grandes entreprises dont le comportement est aussi peu édifiant qu'elles peuvent être exigeantes envers leur personnel .

Certes, une telle représentation , qui devient familière à la faveur de la médiatisation de mouvements de personnels successifs liés à la fermeture d'unités de production sur le territoire national ou de gestions humaines susceptibles de pousser certains salariés au désespoir, ne saurait correspondre, en réalité, à une pratique courante.

Mais il semble que, par l' indignation suscitée auprès de très nombreux Français, ce type de représentation, volontiers véhiculé par les médias, parvient à diffuser et entretenir , d'une façon générale, une véritable défiance de la part des salariés vis-à-vis de l'entreprise, alors même qu'elle ne résulterait pas objectivement de l'expérience vécue (à laquelle elle peut cependant donner une coloration particulière, entretenant cette défiance).

Quoi qu'il en soit, un sondage réalisé en octobre 2009 de la SOFRES intitulé « salarié et sortie de crise » conclut ainsi que « La rupture du lien entreprise-salarié semble consommée », cette rupture pouvant d'ailleurs être analysée comme s'inscrivant dans le cadre plus général d'une « société de défiance » 143 ( * ) ...

Puis, dans le contexte d'une crise confirmée, qui devrait susciter un resserrement de toutes les parties prenantes autour d'un objectif de survie économique, un sondage IFOP-Le Monde-Michael Page, publié mardi 8 juin 2010, sur la prise en compte du capital humain dans la gestion des grandes entreprises françaises, conclut au contraire à une défiance accrue des salariés vis-à-vis de leur management .

Certes, la « valeur travail » ne semble pas compromise, avec des salariés toujours très « investis » dans des entreprises dont ils partagent globalement les valeurs. Mais une majorité des salariés interrogés estiment ne pas comprendre ou adhérer à la stratégie de l'entreprise (51 %) et ont le sentiment de ne pas être écoutés (55 %).

Or, d'une façon générale, la défiance est contre-productive . Elle favorise des comportements exclusivement orientés par la préservation des avantages individuels, au mépris de l'intérêt collectif. La perte d'esprit d'initiative, le scepticisme quant au bien-fondé des instructions données par la hiérarchie et une moindre adhésion à la culture de l'entreprise sont autant de comportements de nature à compromettre sa compétitivité. Structurellement, elle constitue un frein à l'acclimatation d'organisations apprenantes.


* 143 « La société de défiance - Comment le modèle social français s'autodétruit », par Yann Algan et Pierre Cahuc, éditions rue d'Ulm, 2007.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page