C. UN DIAGNOSTIC À DIFFÉRENCIER

Le propos qui précède, inspiré par la lecture de statistiques globales et l'élucidation de logiques socio-économiques qui s'appliquent typiquement aux grandes entreprises capitalistes, en prise avec la mondialisation, mérite assurément d'être nuancé et décliné selon le type et le contexte particulier aux différentes entreprises.

Dans cette perspective, certains facteurs susceptibles d'alimenter le « déséquilibre » constaté en défaveur des salariés méritent a priori d'être isolés : le type d'organisation du travail, le secteur concerné, l'architecture et le positionnement de l'entreprise dans son environnement productif, la taille des établissements, enfin la catégorie socioprofessionnelle.

1. Selon le type d'organisation ? Une explication en partie tautologique

La distinction établie entre les différents types d'organisation (« apprenantes », « au plus juste », taylorienne et de structure simple 144 ( * ) ) permet de figurer une sorte d'« échelle des risques » de l'inconfort au travail, l'organisation « au plus juste », de par sa diffusion, étant potentiellement la plus nocive pour les salariés, qui se trouvent placés en situation d'« autonomie contrôlée » avec, d'une part, des objectifs de performance et de qualité très ambitieux et, d'autre part, un faisceau de contraintes et de contrôles particulièrement pesant, les rémunérations étant, par ailleurs, tirées par le bas en raison d'une forte exposition à la concurrence.

Le potentiel d'inconfort au travail des organisations tayloriennes, davantage lié aux contraintes physiques, n'est pas moins élevé, mais il ne constitue pas à proprement parler un effet des nouvelles formes d'organisation du travail.

PERSISTANCE ET AFFRES DU TAYLORISME

« Souvent considéré comme dépassé, le taylorisme n'a pourtant pas complètement disparu du monde industriel, si l'on en croit les témoignages recueillis lors des auditions. La psychologue Marie Pezé 145 ( * ) , en charge de la consultation « Souffrance et travail » au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, a évoqué le cas de ces ouvrières d'usine qui vissent vingt-sept bouchons à la minute.

« Pour tenir cette cadence infernale, les ouvrières doivent renoncer à toute activité mentale et se concentrer sur la seule répétition de leur geste de travail. Leur rage et leur frustration sont entièrement tournées vers l'accélération du geste. Lorsque la tension devient trop forte, les ouvrières font des crises de nerfs dans l'atelier, s'allongent sur les brancards prévus à cet effet, prennent des anxiolytiques et retournent au travail une fois la crise passée ».

Rapport d'information n° 642 (2009-2010) de M. Gérard DÉRIOT, fait au nom de la Mission d'information sur le mal-être au travail et de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 7 juillet 2010

L'impact des organisations de « structure simple » peut être considéré comme neutre a priori, les qualités humaines de l'employeur faisant alors la différence dans un environnement globalement peu qualifié. Quant aux organisations apprenantes, si elles procurent une authentique liberté dans le travail, elles paraissent ne pouvoir fonctionner, à l'inverse, que dans un environnement relativement qualifié.

Cette grille de lecture, utile à la compréhension du sujet, s'avère au demeurant peu opérationnelle dès lors qu'on ne connaît pas l'organisation interne d'une entreprise, ou qu'on ignore sa cause. En outre, elle peut apparaître tautologique : si je définis la production « au plus juste » comme une épure organisationnelle présentant toutes les caractéristiques d'une structure potentiellement nocive pour les salariés (cf. l'encadré supra concernant les quatre types d'organisation), dois-je vraiment m'étonner qu'il en soit ainsi ?

Mais ce n'est pas la seule approche envisageable. D'autres critères permettent d'étalonner le jugement global formulé sur l'évolution des conditions de travail, et de présumer utilement de l'organisation et de l'intensité du travail.


* 144 On rappelle que ces quatre types d'organisation concerneraient en France respectivement 47 %, 25 %, 18 %, et 11 % des salariés d'établissements d'au moins dix personnes (supra).

* 145 Audition de Marie Pezé, psychologue en charge de la consultation « Souffrance et travail » au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, mercredi 20 janvier 2010, dans le cadre de la mission d'information sur le mal-être au travail du Sénat.

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