B. LE « SERPENT DE MER » DE LA COGESTION À LA FRANÇAISE

La question de la participation des salariés à la gouvernance de l'entreprise se pose en effet différemment selon que l'on envisage la place des salariés actionnaires, c'est-à-dire apporteurs de capitaux, ou celle des salariés apporteurs de leur seule force de travail. Dans la problématique de la cogestion, c'est bien de la participation des travailleurs à la gouvernance de l'entreprise qu'il s'agit.

1. Un débat ancien

Le programme du Conseil national de la Résistance prévoyait le droit d'accès, dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l'économie.

L'instauration des CE en 1946 s'est accompagnée de dispositions prévoyant la participation de 2 ou 4 de ses membres avec voix consultative au conseil d'administration (ou conseil de surveillance).

Dans les années 1960, le général de Gaulle a renouvelé la problématique de l'association du capital et du travail dans le cadre de la relance de la participation , qui n'était pas seulement financière dans son esprit 176 ( * ) .

Inspirés par les principes gaullistes, deux rapports ont, à cette époque, préconisé une meilleure association des salariés aux instances décisionnelles de l'entreprise.

L'ouvrage de François Bloch-Lainé , « Pour une réforme de l'entreprise » (1963), qui évoque déjà le « gouvernement de l'entreprise », propose une gestion collégiale et la réalisation d'une démocratie industrielle en instaurant, dans les grandes entreprises, une « commission de surveillance » composée de représentants du capital et du personnel, chargée de contrôler un « collège de directeurs ».

Le rapport de Pierre Sudreau , « La réforme de l'entreprise » (1975), réalisé à la demande du président de la République Valéry Giscard d'Estaing, préconisait notamment d'accorder aux représentants des salariés un tiers des postes dans les conseils d'administration des entreprises dotés des seuls droits d'information et de contrôle.

Ces propositions n'ont toutefois pas trouvé de débouché concret avant la mise en oeuvre des nationalisations.

A la même époque, l'Allemagne a mis en place le système de la codétermination , consistant en une représentation paritaire, depuis 1976 dans les entreprises de plus de 2.000 salariés, ou minoritaire des salariés dans le conseil de surveillance de l'entreprise.

LA CODÉTERMINATION À L'ALLEMANDE

Type d'entreprise

Nombre de représentants des travailleurs au Conseil de surveillance (CS)

500 à 2.000 salariés

1/3 du CS

> 2.000 salariés

½ du CS
Le Président est nommé par les représentants des actionnaires au CS. Il a voix prépondérante

Secteurs métallurgie/charbon
> 1.000 salariés

½ du CS
+ une « personne externe neutre »
Le président est nommé par les représentants des actionnaires au CS

Le système allemand est aujourd'hui remis en question en particulier sur les points suivants : l'évaluation controversée de ses effets économiques et sociaux, le maintien de la parité dans les conseils de surveillance des grandes entreprises, l'interaction entre conseils d'entreprise et d'établissement, la possibilité d'introduire une option permettant à chaque entreprise de négocier individuellement la forme concrète de la codétermination. Il est généralement admis que l'objectif de la loi sur la codétermination de 1976 n'était pas d'augmenter la compétitivité des entreprises, mais de donner aux salariés une possibilité de participation démocratique aux décisions de l'entreprise les concernant. La codétermination est donc fondée sur une perception de l'entreprise comme une instance sociale dans laquelle propriétaires, direction d'entreprise et salariés collaborent en vue de la réalisation d'objectifs communs 177 ( * ) . Cette vision est remise en cause par le patronat allemand, au nom de l'efficacité économique. Les principales confédérations de patrons allemands 178 ( * ) proposent ainsi de laisser davantage de liberté aux entreprises dans la détermination des formules de codétermination : parité ou représentation minoritaire (1/3), transfert de la cogestion vers un système consultatif... ou, à défaut, application d'une législation contraignante ne retenant pas la cogestion paritaire, dont les patrons allemands soulignent le caractère unique au monde, comme pierre angulaire 179 ( * ) .

Les experts de la commission précitée présidée par Kurt Biedenkopf ont toutefois estimé que la codétermination ne constituait pas un frein à la compétitivité allemande. Au contraire :

« C'est précisément dans une époque de tensions économiques que la codétermination au niveau de l'établissement comme la codétermination des salariés au conseil de surveillance ont rempli leur mission de servir d'outil efficace de médiation entre les intérêts différents des employeurs et des salariés. L'approche coopérative de la codétermination n'a pas seulement des effets positifs sur la motivation et le sens de responsabilité des salariés, mais en contribuant à la paix sociale elle a aussi d'importants effets politiques sur la société. Les entreprises peuvent et devraient utiliser la productivité de la coopération dans la compétition . » 180 ( * )


* 176 « Il y a une troisième solution : c'est la participation, qui, elle, change la condition de l'homme au milieu de la civilisation moderne. Dès lors que des gens se mettent ensemble pour une oeuvre économique commune, par exemple, pour faire marcher une industrie, en apportant soit les capitaux nécessaires, soit la capacité de direction, de gestion et de technique, soit le travail, il s'agit que tous forment ensemble une société, une société où tous aient intérêt à son rendement et à son bon fonctionnement et un intérêt direct. Cela implique que soit attribuée de par la loi, à chacun, une part de ce que l'affaire gagne et de ce qu'elle investit en elle-même grâce à ses gains. Cela implique aussi que tous soient informés d'une manière suffisante de la marche de l'entreprise et puissent, par des représentants qu'ils auront tous nommés librement, participer à la société et à ses conseils pour y faire valoir leurs intérêts, leurs points de vue et leurs propositions. C'est la voie que j'ai toujours cru bonne. C'est la voie dans laquelle j'ai fait déjà quelques pas; par exemple en 1945, quand, avec mon gouvernement, j'ai institué les comités d'entreprises, quand, en 1959 et en 1967, j'ai, par des ordonnances, ouvert la brèche à l'intéressement. C'est la voie dans laquelle il faut marcher. » Charles de Gaulle (1968)

* 177 Rapport de la Commission gouvernementale pour la modernisation du système allemand de codétermination au niveau de l'entreprise présidée par M. Kurt Biedenkopf (2006) http://www.bundesregierung.de/Content/DE/Archiv16/Artikel/2006/12/Anlagen/2006-12-20-mitbestimmungskommission,property=publicationFile.pdf

Résumé en français (par la fondation Hans Böckler, proche de la Confédération allemande des syndicats DGB) : : http://www.boeckler-boxen.de/files/Zusammenfassung_BiKo-FR.pdf

* 178 BDA (confédération des associations d'employeurs allemands) et BDI (confédération de l'industrie allemande)

* 179 Mitbestimmung modernisieren, Bericht des Kommission Mitbestimmung (BDA, BDI) : http://www.bda-online.de/www/arbeitgeber.nsf/res/547B1EE4EA194F30C12574EF0053DBFF/$file/Mitbestimmung_Modernisieren.pdf

* 180 Rapport précité de la Commission Biedenkopf, pages 19-20.

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