B. QUELQUES FAITS STYLISÉS COMPLÉMENTAIRES

Sur le plan des faits , il convient de compléter la description qui vient d'en être proposée par quelques constats.


• Le premier d'entre eux est que la France est probablement le pays qui a subi la plus forte baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée au cours de cette période. Autrement dit, même en tenant pour valide le constat d'une relative stabilité de la valeur ajoutée ces dernières années, on pourrait voir dans celui-ci la simple cessation d'une forte décrue de la part salariale réalisée plus tôt que dans de nombreux pays.


• Deuxième constat
: si, dans le champ des seules entreprises non financières, la France appartient au groupe des pays où la part des salaires dans la valeur ajoutée est plutôt élevée, elle est accompagnée dans ce groupe par des pays aux institutions aussi différentes que les Etats-Unis 221 ( * ) et la Suède et a été rattrapée par le pays souvent décrit (mais sans doute à tort) comme le moins réglementé d'Europe, le Royaume-Uni. Ceci conduit à relativiser considérablement les hypothèses d'une influence décisive des institutions sur la répartition de la valeur ajoutée et, plus encore, l'idée que la France se caractériserait par une rigidité qui nuirait (et dans quel sens ?) à un partage de la valeur ajoutée compatible avec un rendement élevé du capital.

Il est vrai que les comparaisons internationales sur cette question sont particulièrement fragiles ainsi qu'on l'a indiqué plus haut.

COMPARAISONS INTERNATIONALES : CERTAINES CONVERGENCES
MAIS DES SITUATIONS DIVERSIFIÉES, NOTAMMENT EN ALLEMAGNE

Les comparaisons internationales - qui sont fragiles du fait de la diversité qualitative des données - montrent que les pays développés connaissent des situations et des évolutions différenciées sur le plan du partage global.

COMPARAISON INTERNATIONALE - PART DE LA RÉMUNÉRATION DES SALARIÉS
DANS LA VALEUR AJOUTÉE (AU COÛT DES FACTEURS)
DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES

Source : Calculs INSEE pour la France, BEA pour les Etats-Unis, ONS (Blue Book 2008) pour le Royaume-Uni, OCDE pour les autres pays

S'agissant des pays figurés dans le graphique à peu près comparables sous l'angle des données utilisées, on observe un écart de 12 points entre l'Allemagne et les Etats-Unis s'agissant de la part des salaires. Les Etats-Unis sont le pays où celle-ci est à son niveau le plus élevé et ce phénomène est structurel. Il contredit l'opinion commune qui associe au « capitalisme américain » singulièrement « financiarisé » un sacrifice systématique des salariés.

Dans le même esprit, on peut relever que si le Royaume-Uni n'est pas le pays européen où la part des salaires est la plus élevée, il n'en est pas très loin n'étant séparé de la Suède et de la France que de deux points. Du reste, si l'on raisonnait au niveau de l'ensemble de l'économie, on observerait que le Royaume-Uni a une part de sa valeur ajoutée revenant aux salaires sensiblement supérieure à celle de nombreux pays d'Europe continentale. Le poids des services financiers au Royaume-Uni où la proportion prise par les salaires dans la valeur ajoutée est plus forte est relativement important ce qui explique cette situation.

Les données italiennes n'étant pas du même ordre que les autres, la singularité de l'Allemagne ressort du graphique : la part des salaires dans la valeur ajoutée y est beaucoup plus basse que dans les autres pays.

Par ailleurs, la répartition globale de la valeur ajoutée a évolué différemment . Dans les pays où elle était relativement élevée (Etats-Unis, Suède), elle s'est repliée dans les années 2000 mais vers un niveau qui reste plutôt haut. Au Royaume-Uni elle a, au contraire, progressé (de près de 4 points entre 1996 et 2006). Stable en France, la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises non financières a, en revanche, beaucoup diminué en Allemagne (- 7,2 points par rapport au niveau de 1995).

PART DES SALAIRES DANS LA VALEUR AJOUTÉE DES ENTREPRISES NON FINANCIÈRES EN 2007 (EN %)

France

67,6

Etats-Unis

70,0

Royaume-Uni

64,7 (en 2006)

Allemagne

58,1

Italie

55,8

Espagne

64,4

Suède

67,2

Finlande

54,0

PART DES SALAIRES DANS LA VALEUR AJOUTÉE DES ENTREPRISES NON FINANCIÈRES ÉVOLUTION (2007-2000) - (en points de la valeur ajoutée)

France

+ 0,3

Etats-Unis

- 3,4

Royaume-Uni

+ 0,3

Allemagne

- 5,5

Italie

+ 4,2

Espagne

+ 0,3

Suède

- 1,7

Finlande

- 0,6

Une première observation s'impose : les évolutions relevées ici confirment que le partage de la valeur ajoutée n'est pas nécessairement stable contrairement aux prédictions de certaines théories économiques qui lui attribuent cette propriété (les économistes classiques). Manifestement, les forces qui le déterminent n'ont pas l'automaticité décrite.

Seconde observation : si les évolutions observées manifestent une certaine convergence des conditions de partage de la valeur ajoutée, qui pourrait traduire l'existence des contraintes communes auxquelles se seraient trouvées confrontées les différentes économies, des pays peuvent se singulariser . Ainsi, l'Allemagne, première économie européenne, diverge nettement . Cette dernière évolution qui concerne le premier « partenaire économique » de la France et l'économie la plus influente d'Europe n'est évidemment pas sans poser de problèmes. La désinflation compétitive (qui passe en Allemagne par une compression des salaires) appelle, pour le futur, des développements dont certains pourraient se solder par une baisse prononcée de la part des salaires dans la valeur ajoutée dans l'ensemble des pays européens.

PART CORRIGÉE DES SALAIRES DANS LA VALEUR AJOUTÉE AU COÛT DES FACTEURS - ENSEMBLE DE L'ÉCONOMIE (2007-2001)

Belgique

Allemagne

France

Italie

Pays-Bas

Suède

Royaume-Uni

Norvège

Etats-Unis

Japon

Canada

Australie

1991

70,4

66,8

68,1

68,2

67,8

70,8

75,8

59,7

68,4

69,5

70,7

65,6

1992

70,7

68,0

67,7

67,9

68,9

69,2

75,5

60,4

68,0

69,8

71,3

65,0

1993

71,6

68,0

68,1

67,1

69,7

67,2

73,5

59,1

67,8

69,8

70,6

64,9

1994

70,9

66,7

67,3

65,0

68,1

66,0

72,1

59,2

67,2

70,7

68,1

64,9

1995

70,3

66,3

67,3

63,2

67,6

63,9

71,2

58,7

67,1

71,0

66,8

65,6

1996

70,7

66,0

67,4

63,2

67,2

67,1

69,3

57,3

66,3

70,2

66,5

66,0

1997

70,5

65,2

66,9

63,8

66,4

67,3

69,1

57,3

66,1

70,1

66,5

65,2

1998

69,9

65,0

66,1

62,9

66,9

68,0

70,2

61,9

67,3

71,2

67,4

65,3

1999

70,8

65,5

66,7

62,6

66,8

67,8

70,7

60,4

67,5

70,5

65,9

64,9

2000

69,7

66,3

66,2

61,7

65,9

69,0

71,9

52,6

68,6

69,4

64,2

64,9

2001

70,8

65,9

66,0

61,4

66,2

71,1

72,5

53,6

68,2

69,4

64,5

63,4

2002

71,1

65,5

66,3

61,6

66,6

70,5

71,5

56,2

67,8

68,0

64,7

63,1

2003

70,3

65,4

66,2

61,9

66,9

69,9

71,3

55,2

67,3

66,8

64,1

62,2

2004

68,8

64,5

66,2

61,7

66,7

68,9

71,2

52,9

66,5

65,1

63,5

62,5

2005

67,9

63,6

66,2

62,3

65,0

68,3

71,3

50,0

66,0

65,0

63,1

62,3

2006

67,5

62,6

65,8

63,0

64,7

67,1

71,2

49,2

65,8

65,1

63,5

61,9

2007

67,4

62,2

65,4

62,4

64,9

68,3

70,1

51,7

65,8

63,8

63,7

Nc

Différence
2007-1991

- 3,0

- 4,6

- 2,7

- 5,8

- 2,9

- 2,5

- 5,7

- 8,0

- 2,6

- 5,7

- 7,0

- 3,7
(2006-91)

Troisième constat : le niveau des salaires dans la valeur ajoutée est aujourd'hui à un échelon historiquement bas , inférieur à ce qu'il était avant les chocs pétroliers des années 70 et 4 à 5 points plus bas que pendant les Trente Glorieuses.

Autrement dit, le soi-disant processus de retour vers un état « naturel » de partage de la valeur ajoutée n'a pas abouti à une convergence des salaires vers un point d'équilibre du partage de la valeur ajoutée analogue à ce qu'il était sur longue période en France mais vers un point d'équilibre plus bas de l'ordre de 5 points de PIB .

Enfin, quatrième constat : le processus de concentration des salaires vers le haut de l'échelle salariale, à supposer même qu'on l'appréhende dans les termes conventionnels restrictifs généralement utilisés, établit que la part de la quasi-totalité des salariés dans la valeur ajoutée a baissé en France.

Ces constats conduisent à considérer que le point d'équilibre du partage de la valeur ajoutée est singulièrement bas aujourd'hui en France par rapport aux valeurs historiques qui ont été les siennes. Ils montrent aussi que le point d'équilibre du partage de la valeur ajoutée n'est pas nécessairement « naturel » et que la considération de quelques variables institutionnelles (comme le niveau de règlementation du marché du travail) ne suffit pas à expliquer le partage constaté.


* 221 L'extrême concentration des salaires dans ce pays ôte à ce constat une grande partie de sa portée.

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