2. Quelles voies d'adaptation aux exigences des détenteurs du capital ?

Dans ce contexte, il est primordial de s'interroger sur les réponses données par les agents économiques aux tensions qu'exerce la mobilité du capital .

Les effets de la mondialisation sur les conditions de formation des revenus du capital ont pu être discutés notamment parce que les évolutions du partage de la valeur ajoutée et celles des indices de mondialisation n'ont pas été toujours parallèles.

Mais, une certaine corrélation existe malgré tout entre ces phénomènes et, surtout, la globalisation financière n'a pas attendu la mondialisation pour produire des changements structurels du type de ceux engendrés par la mondialisation et qu'il paraît difficile de considérer comme n'étant pas encore amplifiés par elle.

Par exemple, le marché unique européen n'est pas strictement un élément de la mondialisation (c'est un phénomène de régionalisation économique) mais ses effets sont proches de ceux que la mondialisation produit, même si celle-ci en accroît l'intensité.

La réallocation mondiale du capital peut être l' une de ces réponses , avec une affectation du capital dans les zones de rentabilité comparativement élevée.

Sans doute, pourrait-on être rassuré par les observations empiriques, et les réflexions des théoriciens de l'économie industrielle. Elles conduisent à penser qu'une partie des investissements financiers est complémentaire des investissements physiques, de sorte que les prises de participation dans un but de croissance externe répondant à la même logique que l'investissement physique (à savoir assurer le développement de l'entreprise), il y aurait, plutôt que concurrence entre ces investissements, une complémentarité. De fait, lorsqu'on exclut du montant des investissements financiers les placements en valeurs mobilières correspondant à une logique de court terme, on observe une corrélation positive entre investissements financiers et investissements physiques. Autrement dit, les entreprises qui investissent le plus en prises de participations externes sont aussi celles qui dépensent le plus pour leurs investissements physiques .

Mais, il n'est pas sûr que ces observations aient résisté à la globalisation croissante , qu'elle s'exerce dans un cadre régional ou dans un cadre mondial.

Sur le plan mondial, par exemple, d'un côté, on remarque que les flux d'épargne mondiaux voient les pays émergents financer les pays développés ce qui correspond a priori à une inversion des flux de capitaux par rapport à ce que le processus de rattrapage laisse présager. Mais, d'un autre côté, une analyse plus fine des capitaux en cause montre que les flux sortants des pays émergents financent les dettes souveraines des pays développés dont les flux sortants vers les pays émergents financent davantage les entreprises qui font concurrence aux établissements localisés dans les pays d'origine.

En bref, les opérations patrimoniales nourries par les financements des entreprises du Nord (qu'ils viennent de leur épargne ou des dettes qu'elles contractent) contribuent à une recomposition de la localisation de la valeur ajoutée à l'échelle mondiale au terme de laquelle le produit de la valeur ajoutée territorialisée dans les pays du Nord est de plus en plus consacré au financement du développement de valeurs ajoutées à l'extérieur .

D'autres processus peuvent intervenir qui passent par l'élévation de la rentabilité du capital dans les zones concurrencées .

Celle-ci peut emprunter des voies financières comme l'exploitation de l'effet de levier (fondé sur l'écart entre les charges d'endettement externe - les taux d'intérêt - et la rentabilité du capital investi) ou des voies plus « réelles ». Il s'agit alors d'attribuer davantage de valeur ajoutée au capital, ce qui passe par une réduction de la part des salaires, autrement dit par une augmentation du rendement économique du capital.

Le contexte de mobilité des capitaux à l'intérieur ou à l'extérieur accentue les probabilités de déséquilibres d'autant qu'il se combine avec une autonomisation - du moins une autonomisation imaginée 231 ( * ) - de la sphère financière.

A cet égard, la quasi-totalité des chefs d'entreprise auditionnés par vos rapporteurs se sont inscrits dans le courant actuel des réflexions théoriques sur le capitalisme qui s'interroge sur sa cohérence.

En théorie, le profit est justifié par les risques pris par le capital et permet aux capitalistes d'en prendre de nouveaux en investissant.

On connaît la phrase du chancelier allemand Helmut Schmidt justifiant le profit en faisant valoir que : « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain qui sont les emplois d'après-demain » .

Au demeurant, cet enchaînement n'est pas une simple promesse visant à justifier les profits pour le potentiel d'épargne qu'ils contiennent (du reste, l'épargne peut aussi bien être prélevée sur les salaires), c'est une condition nécessaire à la justification des profits dans une économie où existe un objectif de croissance 232 ( * ) .

Quoi qu'il en soit, pour les personnalités auditionnées par vos rapporteurs, y compris pour les chefs d'entreprise, l'horizon temporel semble s'être tellement rétréci que les profits d'aujourd'hui ne riment plus qu'avec eux-mêmes, les investissements étant désormais considérés comme des ennemis d'un profit de court terme qui, dans le capitalisme financier, seul compterait.

Cette suggestion aboutit à considérer un problème de cohérence du capitalisme qui, pour être microéconomique au départ, concerne au-delà les équilibres macroéconomiques dans leur ensemble .


* 231 Les excès d'endettement à laquelle conduit ce fantasme d'autonomie ont buté sur le réel.

* 232 Lorsqu'on ne se préoccupe pas de la croissance, on peut justifier les profits par la nécessité de constituer une base de rentes. Mais alors les profits ne sont plus justifiés économiquement mais par des considérations sociales, qui à l'examen, sont évidemment contestables.

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