B. TABLE RONDE DU 15 DÉCEMBRE 2010

STRUCTURES DE SOCIALISATION DES COLLÉGIENS DANS LES QUARTIERS SENSIBLES

PAROLES D'ACTEURS

« Le collège n'est pas un sanctuaire. Les élèves gardent leurs soucis en tête »

« Les enfants sont très présents au collège. C'est le lieu qui leur appartient »

« Ce qui est déterminant est la capacité des jeunes à se projeter, grâce à un projet d'envergure »

« J'ai été frappé par l'aspect social de mon travail d'enseignant »

«  Le collège est une institution que les parents ne connaissent pas ou plus »

« Le rite d'initiation éducatif est important »

« En 4 e et 3 e , la rue vient en concurrence du collège »

« Il faut redonner davantage d'ambition scolaire aux élèves des quartiers des ZEP »

« Il y a un désoeuvrement pour des raisons géographiques, culturelles et de coût »

« Les animateurs sont souvent le seul repère adulte des jeunes »

« Il faut tisser un réseau de partenaires autour de ces jeunes »

« Il faut renforcer la continuité éducative en coordonnant les acteurs sur le territoire »

Étaient présents :

- Mme Fabienne Keller, Sénatrice,

- Mme Leyla Arslan (Institut Montaigne)

- M. Max Daniel (Directeur de l'association Tremplin - Marseille)

- M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille)

- M. Mehmet Erdem (Directeur de l'association ETUDE PLUS)

- M. Philippe Gérard (Chargé de mission éducation au SGCIV - La Plaine Saint Denis)

- M. François de Jouvenel (Directeur d'études Groupe Futuribles)

- Mme Rania Lamdaouar (Principale du collège Michelet - St Ouen)

Après une première table ronde, le 10 novembre, sur l'identité des adolescents et leurs relations aux autres, cette seconde table ronde a pour objet d'évoquer les structures de socialisation dans lesquelles les jeunes se construisent. Dans le cadre d'une réflexion prospective, il s'agira d'envisager comment ces facteurs sont susceptibles d'évoluer au cours des vingt prochaines années et quelles sont les actions à mener pour rendre possible la réalisation de scénarios favorables.

Trois grandes variables sont en cause : le collège, la vie associative, la gouvernance.

Le collège : place de l'école, rôle des professeurs, mobilité des enseignants, organisation de l'orientation, offre éducative dans et hors collège, absentéisme.

La vie associative : structures, fréquentation, place dans la ville.

La gouvernance : politiques publiques spécifiques, présence et efficacité des acteurs, difficultés particulières (violence, isolement, histoire du quartier), évolutions institutionnelles.

M. François de Jouvenel ouvre le débat. Il serait intéressant de savoir avec qui travaille les principaux de collège, les différentes associations, le degré de maillage des différents acteurs.

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Du point de vue de mon expérience personnelle, je base mon action au collège sur la constatation que la dégradation de l'environnement fait que le collège doit travailler avec des personnels locaux, notamment les centres sociaux, les éducateurs de rue (tel ADAPT 13), les associations d'aide aux devoirs, les associations culturelles (comme les troupes de théâtre), et ceci afin de faire surgir les talents cachés, de donner de l'ambition aux élèves. Ceci est particulièrement important et représente l'esprit de socialisation de mon collège.

Cela reste complexe et demande beaucoup de travail. La pénibilité de l'environnement étant plus grande dans nos quartiers, le travail avec ces partenaires est obligatoire et très motivant.

Les partenaires de collège sont aussi partenaires entre eux, nous faisons souvent des réunions pour faire le point sur ce que chacun a à faire. Ce qui reste frappant c'est que ce sont des partenariats qui fonctionnent en réseau.

Mme la Sénatrice Fabienne Keller :

Et comment sont impliquées les collectivités locales ?

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Elles n'interviennent pas vraiment à notre niveau, elles sont en contact plus régulier avec les associations, directement je pense.

Mme Leyla Arslan (Institut Montaigne) :

Vous n'avez pas cité la ville dans vos partenaires, est-elle impliquée ?

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Les rapports sont courtois mais on n'a pas de rapport avec eux. On a quelques subventions au niveau culturel. Mais il n'y a pas de coordination de leur part.

Mme Rania Lamdaouar (Principale du collège Michelet - St Ouen) :

Au niveau du collège on travaille beaucoup avec les partenaires extérieurs, de plus en plus d'associations nous sollicitent afin de travailler avec nous au sein du collège. Parfois nous sommes presque obligés d'en refuser pour des activités qui existent déjà. Sur Aubervilliers, nous faisons un travail de proximité avec la municipalité en termes de politique de la ville. Il y a aussi un lien très fort avec l'Education nationale. Sur Saint-Ouen (qui n'est pas en zone Cucs - Contrats urbains de cohésion sociale ) , nous travaillons avec le service jeunesse, les centres sociaux et culturels. Un exemple : l'ECG93 qui subventionne plusieurs projets comme un voyage pour plusieurs classes sur la biodiversité ou des jeux olympiques et un voyage à l'étranger pour une classe sport et une classe bilingue. Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations du quartier, l'école est ouverte. On a le sentiment de ne pas être tout seul. L'école toute seule ne peut rien faire. Il faut aussi faire attention à ce que les projets ne se chevauchent pas.

M. Max Daniel (Directeur de l'association Tremplin - Marseille) :

Pour rebondir, je vais réaffirmer que personne ne peut travailler seul dans son coin. Néanmoins il y a une grande difficulté à réunir et à coordonner chacun, car tous viennent d'horizon et de secteurs différents.

Dans les dernières années, il y a eu des avancées faites grâce à une acculturation de chacun afin de construire des projets communs. On est construit de manière disparate, notamment géographiquement. Il y aurait d'ailleurs besoin d'une étude qui rassemble ces projets, qui les évalue et qui tente de dégager le meilleur de chacun.

Il faut que l'Education nationale prenne en compte tout ce qui sort du purement scolaire. Le collège sort de ses attributions premières et cela a besoin d'être valorisé. Les professeurs ont besoin de plus de latitude dans leurs prérogatives et leurs missions.

Il faut aussi prendre en compte la spécificité de chaque territoire, il y a des disparités et des logiques différentes.

Votre étude, Mme Keller, doit prendre en compte ces différences. Tout n'est pas égal par ailleurs. Il faudrait rassembler tout ça afin d'avoir une vision globale mais pas totalisée.

Mme la Sénatrice Fabienne Keller :

Qu'est-ce qui est important aujourd'hui dans ces initiatives, ces structures ? Combien d'élèves sont concernés ? Quid de ceux qui ne sont pas concernés ?

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Environ la moitié des élèves de mon collège sont concernés par les associations extérieures, notamment l'aide aux devoirs. En ce qui concerne les élèves qui ne sont pas touchés par ces initiatives, en apparence il y a une forme d'isolement. Les parents peuvent avoir peur et préfèrent que leurs enfants restent à la maison. Ils y ont tout le confort nécessaire. C'est un des éléments qui n'existe que depuis 4 ou 5 ans. Il y a aussi un individualisme/consumérisme qui est très présent qui fait que l'on va moins à l'extérieur et que l'on participe moins aux activités collectives.

Mme Rania Lamdaouar (Principale du collège Michelet - St Ouen) :

Les enfants restent souvent chez eux le week-end. Ils arrivent le lundi matin surexcités au collège, dans les cités en tout cas. Le lieu de socialisation reste très important.

Lorsque l'Education nationale a mis en place l'accompagnement éducatif, cela a ébranlé beaucoup d'associations, notamment d'aide aux devoirs qui se sont retrouvées sans subventions. Il faut être vigilant sur le fait que les associations, puissent continuer à vivre car elles ont un rôle essentiel au sein même de l'école et aussi au niveau de la réinsertion des jeunes en décrochage.

M. Philippe Gérard (Chargé de mission éducation au SGCIV - La Plaine Saint-Denis) :

M. Gérard présente la SGCIV, qui est l'administration centrale du ministère de la ville. Quatre fonctions :

- préparer le comité interministériel de la ville ;

- mettre en place la politique interministérielle de la ville ;

- exercer la tutelle des deux agences de la politique de la ville (l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances- ACSE et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine- ANRU ).

- évaluation de la politique de la ville à travers son observatoire.

Notre préoccupation est de mettre en place des structures qui permettent aux différents acteurs de la ville de se rencontrer et de travailler ensemble.

On ne peut pas plaquer le même dispositif partout, il faut faire attention aux particularités locales.

Concernant l'aide aux devoirs, il faut réussir à articuler les compétences de l'Education Nationale et les associations sans tuer ces dernières.

Dans le cadre de la future expérimentation sur les contrats sociaux urbains, la coordination de tous les dispositifs sera primordiale.

M. Max Daniel (Directeur de l'association Tremplin - Marseille) :

Il y a une relation entre les missions locales qui accueillent énormément de jeunes et tout l'aspect d'accès aux soins qui est à mon sens négligé. Nous travaillons beaucoup sur les problématiques psychiques. Tous ces problèmes ont un impact important sur le collège. En effet, les espaces santé pour les jeunes ont une place centrale de relais afin de les aider.

M. Philippe Gérard (Chargé de mission éducation au SGCIV -
La Plaine Saint-Denis) :

Selon le gouvernement, la gestion de la politique de la Ville ne bougera pas avant 2014. Nous avons un dispositif de réussite éducative porté par l'Acsé (530 dispositifs en France), qui touche environ 100 000 enfants par année. Nous souhaitons faire évoluer ce dispositif afin de mieux prendre en compte le facteur santé, l'accès aux soins (physiques et psychiques), ainsi que tout ce qui touche au décrochage scolaire avec de fortes coordinations locales (Les cordées de la réussite ou encore les internats d'excellence).

Mme Leyla Arslan (Institut Montaigne) :

Dans l'étude que j'ai pu réaliser lors de l'écriture de ma thèse doctorale, les jeunes que j'ai pu rencontrer m'ont dit que le facteur le plus important pour eux est ou a été les personnes rencontrées au sein de leurs parcours. Ils sont conscients que, pour grimper l'échelle sociale, ces jeunes n'ont que l'école.

Beaucoup sont surpris en 3 e par la violence du « réveil » au niveau de l'orientation. C'est hors-collège, avec les associations, que beaucoup d'élèves arrivent à y voir plus clair, à être motivés.

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Concernant les internats d'excellence, d'une part, il n'y a pas beaucoup de places disponibles. Et d'autre part, ces internats ne prennent souvent que les meilleurs éléments sortant du collège, qui vont alors, cruellement manquer aux établissement sensés les accueillir. Tout ceci est aggravé par l'assouplissement de la carte scolaire.

M. Philippe Gérard (Chargé de mission éducation au SGCIV - La Plaine St Denis) :

Ce ne sont pas forcément les meilleurs élèves qui y vont mais ceux qui ont un « potentiel d'excellence ».

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Dans notre académie (celle de Marseille), les places offertes le sont dans des établissements prestigieux et on voit mal envoyer des élèves moyens, même porteurs d'un grand potentiel. Même les élèves excellents ont des difficultés importantes dans ces établissements.

M. Mehmet Erdem (Directeur de l'association Etude Plus) :

L'association Etude Plus, présente sur tout le territoire, tente de se faire connaître à travers la mairie et les différents établissements.

M. François de Jouvenel (Directeur d'études Groupe Futuribles) :

Il y a beaucoup d'organismes qui cherchent à sortir les jeunes de leurs structures de socialisation, de leur milieu.

Nous n'avons pas parlé de structures propres aux jeunes et faites par eux-mêmes (type club de sport, etc.) et il est dur d'avoir une coordination des besoins de chacune de ces structures.

Mme Leyla Arslan (Institut Montaigne) :

Nous avons beaucoup de difficultés avec les 11-15 ans car peu de structures s'occupent de cette tranche d'âge particulièrement ciblée. Ce public est dur à fidéliser, à attirer.

Il faut à tout prix passer d'une relation de consommateur à une autre relation où l'on peut construire des projets d'activités.

Mme Rania Lamdaouar (Principale du collège Michelet - St Ouen) :

Sur Saint Ouen, ce groupe d'âge est pris en charge par le service enfance qui propose des centres de loisirs adaptés.

Mme Leyla Arslan (Institut Montaigne) :

Souvent la tranche d'âge des 11-15 ans est un peu oubliée. Or si l'on n'arrive pas à leur proposer des choses et à se rendre crédible, c'est très dur de s'en occuper plus tard. Il faut les habituer très tôt à ces structures.

Mme Rania Lamdaouar (Principale du collège Michelet - St Ouen) :

Il y a un gros problème de discontinuité dans le suivi des élèves entre le primaire et le collège.

Mme la Sénatrice Fabienne Keller :

Et qu'en est-il du dispositif CLAIR ?

M. Bernard Duvenon (Principal du collège Elsa Triolet - Marseille) :

Rien n'est figé pour le moment, ce dispositif est tout neuf. Il incite à la fois à :

- l'innovation pédagogique ;

- la gestion des ressources humaines (ce n'est pas non plus le mercato sportif de l'Education nationale mais on peut cibler sur quelques postes) ;

- la mise en place du Préfet des études. On choisit certains collègues qui vont essayer de mettre de la cohérence sur un projet spécifique.

Si on suivait la circulaire CLAIR à la lettre, le Préfet des études remplacerait tout le monde dans le collège. On essaie tout d'abord de canaliser cette fonction. Les gens qui travaillent au sein du collège ne veulent pas forcément qu'il y ait un nouvel échelon entre la direction et le personnel enseignant.

Mme Keller propose un tour de table final afin de conclure cette deuxième table ronde : Que faudrait-il faire pour adapter correctement ces structures de socialisation ?

- Il faut travailler sur la demande de présence adulte pour les jeunes qui font la demande de ce lien, pas forcément sur des activités précises mais justement, sur ces moments informels de fin de classe, ces zones grises où la prise de contact est plus facile.

- Il faut créer des centres d' «inactivité » (rires dans la salle). Plutôt des centres de dialogue. Travailler sur l'isolement des jeunes à la maison, la dimension de l'espace public, en le sécurisant et en le rendant accessible à tous.

- Il faut une continuité éducative, une action structurée, coordonnée. Chacun à sa place dans son domaine de compétence.

- La famille doit être aidée par les associations et l'établissement dans leurs rôles de structures de socialisation.

- Il faut recréer de la normalité dans ces quartiers.

- Changer le regard que l'on porte sur cette jeunesse car elle est notre avenir, celui de la France. C'est un moment d'opportunité, il faut saisir ce moment afin de renverser la tendance et donner une place à cette jeunesse.

- Mobiliser le droit commun sur ces quartiers. Que tous les acteurs ciblent dans le même sens sur ces quartiers. Il faut par ailleurs un diagnostic commun sur des dispositifs efficaces.

- Je n'ai plus envie de rêver mais d'agir. Nous sommes à un moment essentiel et il faut avoir la sagesse de reconnaitre que dans ces quartiers se joue notre avenir. Si on ne le comprend pas, nous allons droit dans le mur.

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