C. LE DÉVELOPPEMENT DU NICKEL ET L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE DES PROVINCES NÉO-CALÉDONIENNES

1. La nécessité de préserver l'équilibre financier entre les provinces néo-calédoniennes
a) Le déséquilibre initial entre les provinces néo-calédoniennes

Les ressources minières de nickel sont inégalement réparties sur le territoire néo-calédonien . Les mines sont majoritairement situées dans la province Sud, bien que certaines des plus importantes d'entre elles, notamment celle de Koniambo, se trouvent dans la province Nord. En outre, la province des îles Loyauté est totalement dépourvue de cette ressource qui fait pourtant la richesse du territoire dans son ensemble.

Cette inégalité s'ajoute à un déséquilibre démographique et économique qui a déjà été évoqué . D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la province Sud rassemble près de 75 % de la population de la Nouvelle-Calédonie, 80 % des emplois du territoire et plus de 80 % de son produit intérieur brut.

b) La fonction de rééquilibrage de la répartition des ressources financières

C'est pour remédier à ces déséquilibres préexistants que la loi référendaire du 9 novembre 1988 13 ( * ) , faisant suite aux accords de Matignon et créant les trois provinces néo-calédoniennes, a fixé une règle spécifique dictant la répartition des ressources fiscales du territoire.

Les trois provinces et les communes de Nouvelle-Calédonie ne bénéficient pas d'une fiscalité locale autonome, à l'exception des centimes additionnels et de quelques taxes spécifiques. Leurs ressources proviennent majoritairement de la redistribution des recettes fiscales perçues par la collectivité de Nouvelle-Calédonie elle-même, à hauteur de 55,5 % pour les trois provinces et de 16,5 % pour les trente-trois communes. La Nouvelle-Calédonie ne conserve ainsi au profit de son propre budget que 28 % des ressources fiscales qu'elle recouvre.

En outre, au sein des fonds alloués aux provinces, un objectif de redistribution des richesses du territoire a été poursuivi. Cet objectif justifie le choix d'une clef de répartition des deux dotations versées par la Nouvelle-Calédonie à chacune de ses provinces déconnectée de la réalité démographique du territoire. L'article 181 de la loi précitée du 9 novembre 1988 prévoit que le reversement des ressources au profit des provinces s'effectue via deux dotations :

- une dotation de fonctionnement, « répartie à raison de 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté » ;

- une dotation d'équipement, « répartie à raison de 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté ».

Déjà éloignées de la réalité démographique du territoire lors de leur adoption, ces clefs de répartition s'en sont progressivement écartées du fait de la centralisation, à Nouméa et au sein de la province Sud, des activités économiques et de la population du territoire . Au recensement de l'année 2009, la population néo-calédonienne était ainsi répartie : 75 % dans la province Sud, 18 % dans la province Nord et 7 % dans les îles Loyautés.

La répartition des ressources financières publiques du territoire n'a pas été modifiée par la loi organique de 1999 14 ( * ) . Il est en revanche prévu qu'une loi du pays de Nouvelle-Calédonie, votée à la majorité des trois cinquièmes, puisse la modifier.

D'après les avis recueillis sur le terrain par votre rapporteur spécial, aucun consensus ne se dégage quant à la modification de cette clef de répartition, qui traduit en pratique la volonté de rééquilibrage du territoire exprimée tant lors des accords de Matignon que dans l'accord de Nouméa. Toutefois, figer dans le marbre une règle qui, de fait, est de plus en plus éloignée de la situation réelle du territoire n'est pas sans poser problème. Les représentants de la province Sud rencontrés par votre rapporteur spécial n'ont pas manqué d'insister sur les difficultés financières croissantes auxquelles la province fait face du fait du déséquilibre de cette clef de répartition. A contrario , la situation financière de la province Nord est particulièrement confortable puisque ses réserves financières sont évaluées à environ 200 millions d'euros en 2010 15 ( * ) .

Au vu de ces éléments, votre rapporteur spécial pointe le risque réel que le déséquilibre financier croissant entre les provinces soit considéré comme de plus en plus injuste par les populations locales et ravive les tensions politiques internes à la Nouvelle-Calédonie. Il estime urgent qu'une négociation approfondie soit mise en oeuvre pour parvenir à un consensus sur une modification de la clef de répartition des ressources financières sur le territoire .

2. Quels enjeux pour les participations financières des provinces aux usines de nickel ?
a) Les trois provinces détiennent des participations dans les usines de nickel du territoire
(1) La SLN

Outre les retombées fiscales potentielles des usines de nickel et l'enjeu de leur clef de répartition, les nouvelles usines du territoire engagent financièrement les provinces au travers des participations que celles-ci détiennent dans chacun des projets .

En ce qui concerne l'usine historique de Nouméa, la société STCPI, (société territoriale calédonienne de participation industrielle), qui représente les intérêts des trois provinces, a acquis 34 % du capital de la SLN 16 ( * ) et 4 % de celui d'Eramet.

Participation des provinces dans le capital de la SLN

Source : Sofinor

Comme l'indique le graphique ci-dessus, le capital de la STCPI est composé à parts égales :

- de la société d'économie mixte Promosud, détenue majoritairement par la province Sud ;

- et de la société d'économie mixte Nordil, détenue à 25 % par la Sodil, aux mains de la province des îles Loyautés , et à 75 % par la société Sofinor, elle-même détenue à 75 % par la province Nord .

La STCPI versant des dividendes aux sociétés qui constituent son actionnariat, les trois provinces bénéficient ainsi directement de ressources financières liées à la production de nickel par la SLN . En outre, leur participation leur permet d'être représentées au conseil d'administration de la SLN et d'y jouer un rôle, bien que minoritaire.

(2) L'usine du Nord

En ce qui concerne le projet du Nord, en application des principes définis lors des accords de Matignon, la province Nord est, à travers plusieurs intermédiaires, l'actionnaire majoritaire de l'usine de Koniambo .

Ainsi, la SMSP (société minière du sud pacifique) détient 51 % des parts de la société Koniambo Nickel SAS, le reste appartenant au groupe Xstrata. Or, la SMSP est majoritairement détenue par la province Nord puisqu'elle est une filiale à hauteur de 87 % de la SEM Sofinor.

Le modèle d'actionnariat servant de support à l'usine du Nord reflète ainsi le choix de confier à la province Nord, et donc aux néo-calédoniens eux-mêmes, la responsabilité de la mise en oeuvre du projet ainsi que de garantir les retombées de ce projet pour le territoire. Cette participation majoritaire de la province n'a été rendue possible que grâce à l'intervention de l'Etat. En effet, c'est l'apport en nature, par la SMSP, du gisement de Koniambo qui constitue le fondement de cet actionnariat et cet apport a nécessité une soulte de 152 millions d'euros versée par l'Etat pour assurer l'équilibre de l'échange entre le gisement de Poum, détenu par la SMSP, et celui de Koniambo, détenu par Jacques Lafleur au moment du protocole de Bercy.

(3) L'usine du Sud

Enfin, en ce qui concerne le projet de l'usine du Sud, les trois provinces ont décidé de se réunir au sein d'une société de participation, dénommée « Société de participation minière du Sud calédonien » (SPMSC), afin de prendre part à hauteur de 10 % à l'actionnariat de Vale, à raison de 50 % pour la province Sud et 25 % pour chacune des deux autres provinces.

Toutefois, la participation actuelle de la SPMSC est limitée à 5 %, en raison de l'importance des investissements à consentir. Celle-ci devra remonter à 10 % dans un délai de deux ans après la mise en service commerciale, nécessitant ainsi de la part des trois provinces de nouveaux efforts financiers.

b) Une participation qui répond davantage à un choix politique qu'à des perspectives de retombées financières

Si l'on excepte la participation dans la SLN, la détention par les provinces néo-calédoniennes d'actions dans les deux grands projets d'usines de nickel du territoire semble davantage répondre à une logique politique qu'à une logique de rentabilité économique .

En effet, d'après les entretiens que votre rapporteur spécial a pu mener sur le sujet, si la province Nord est indirectement actionnaire majoritaire du projet de Koniambo, elle n'a toutefois pas pu contribuer autant que Xstrata au financement d'une usine, dont le coût est estimé à 2,6 milliards d'euros. Par conséquent, les bénéfices que dégagera l'usine une fois sa mise en production effective serviront, dans un premier temps, à rétribuer l'investissement majoritairement réalisé par Xstrata. Ce n'est que dans un second temps que la province Nord, bien que majoritaire, peut espérer tirer des bénéfices financiers de sa participation dans le projet de Koniambo.

De même, il est apparu, au vu des auditions réalisées par votre rapporteur spécial, que la participation des provinces dans le projet de Vale, au Sud, via la SPMSC, était particulièrement coûteuse et ne pourrait générer des retombées financières, à court terme, pour des motifs identiques.

De manière générale, votre rapporteur spécial est circonspect quant à la volonté des provinces néo-calédoniennes de participer au capital des usines de nickel . Les retombées potentielles économiques et fiscales des projets sont telles qu'il ne semble pas nécessaire d'y ajouter la volonté de participer au capital des entreprises exploitantes. En outre, le coût des participations est particulièrement élevé pour ces acteurs publics. Enfin, les acteurs privés spécialisés dans l'activité minière et la production de nickel sont les plus à même de faire les bons choix de production et de garantir la rentabilité et la viabilité des projets .

C'est pourquoi votre rapporteur spécial est réticent à l'idée que les participations de provinces deviennent majoritaires dans le capital de la SLN. Or, selon Pierre Alla, directeur général de la SLN, les provinces du Nord et des îles Loyauté souhaitent parvenir à cette participation majoritaire, alors que la société Eramet y est opposée.


* 13 Loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

* 14 Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 15 Près de 24 milliards de francs Pacifique.

* 16 Eramet en détient 56 % et le principal client japonais de la SLN, Nisshin Steel, en dispose de 10 %.

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