N° 385

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la crise économique et financière en Espagne ,

Par M. Jean-François HUMBERT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Mme Roselle Cros, M. Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

Vingt-cinq ans après son adhésion à l'Union européenne, l'Espagne se trouve confrontée à une crise économique et financière durable, qui vient sanctionner un modèle économique largement tourné sur le secteur immobilier.

Les avantages liés à l'adhésion à l'Union européenne puis à la zone euro ont permis au pays de moderniser de façon conséquente ses infrastructures et de hisser son économie au cinquième rang européen. L'endettement de tous les secteurs a contribué à stimuler sa croissance sans pour autant qu'il n'opère de réformes destinées à consolider sa compétitivité ou à renforcer sa position de « bon élève » de la classe européenne.

C'est un pays largement décentralisé qui fait désormais face aux pressions des marchés financiers. L'Espagne doit, à cet égard, faire preuve de cohésion en vue de proposer une réponse crédible à la crise pour pouvoir se financer, alors même que les craintes - en large partie infondées - d'une contagion des crises grecque, irlandaise et portugaise effraie les investisseurs.

Au-delà de l'interrogation sur l'éventualité d'un recours de l'Espagne à l'aide conjointe du Fonds européen de stabilité financière et du Fonds monétaire international, le déplacement organisé par la commission des affaires européennes à Madrid, les 22 et 23 mars derniers, avait pour ambition d'évaluer l'impact social et politique de la crise et de cerner les défis structurels auxquels est confronté le pays, afin qu'il puisse renouer avec la croissance.

L'Espagne en quelques chiffres

Superficie : 504 782 km²

Population : 46 661 000 habitants

PIB (2009) : 1 053 milliards d'euros

PIB par habitant (2009) : 22 900 €

Taux de croissance (2009) : - 3,7 %

Taux de croissance 2010 (prévision) : - 0,4 %

Taux de chômage 2010 : 19,7 %

Taux d'inflation 2009 : - 0,3 %

Solde budgétaire 2010 : - 9,24 % du PIB

Dette publique 2010 (prévision) : 62,8 % du PIB

Solde commercial 2009 : - 94,7 milliards d'euros

Principaux clients : France (18,3 %), Allemagne (10,5 %)

Principaux fournisseurs : Allemagne (14,7 %), France (12,0 %)

I. LA FAILLITE D'UN MODÈLE ÉCONOMIQUE TOURNÉ VERS LE SECTEUR IMMOBILIER

L'Espagne est confrontée depuis près de trois ans à une crise économique et financière inédite, qui contraste avec les années d'expansion qu'elle a pu connaître depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. La volonté politique de rattraper les voisins européens et son intégration au sein de la zone euro avaient, en effet, permis un développement spectaculaire du pays.

L'Union européenne a, en effet, un rôle indéniable dans cette « movida économique » espagnole, stimulée à la fois par les fonds structurels - l'Espagne demeure au sein de l'Union européenne le premier bénéficiaire des fonds de cohésion avec 35,2 milliards pour la période 2007-2013 (14,3 milliards d'euros pour la France) - mais aussi par l'accès plus aisé aux marchés financiers. La convergence nominale a, à cet égard, permis au pays de longtemps bénéficier de taux d'intérêts très faibles, inférieurs au taux d'inflation.

Cependant, à la différence de son voisin portugais, cette situation ne s'est pas traduite par un endettement excessif de l'État espagnol. Madrid est restée jusqu'en 2007 un des très bons élèves de la classe européenne, cumulant soldes budgétaires positifs (+ 1,9 % du PIB en 2007) et endettement limité (36,2 % du PIB en 2007). Les difficultés que rencontre actuellement l'Espagne sur les marchés financiers tiennent de fait plus aux conséquences de l'investissement massif des agents économiques dans les secteurs de la construction et de l'immobilier. La crise espagnole se distingue à cet égard des cas grec et portugais mais également des problèmes majeurs qu'affronte l'Irlande, tant les défis auxquels est confronté le secteur bancaire irlandais sont d'une toute autre ampleur et menacent directement la solvabilité du pays.

A. LA MOVIDA ÉCONOMIQUE ESPAGNOLE

1. L'impact de l'adhésion à l'Union européenne

Entre 1986, année de l'adhésion à l'Union européenne, et 2006, l'augmentation de la croissance du produit intérieur brut espagnol a dépassé de 17 % la croissance moyenne européenne.

Taux de croissance du PIB 2000-2007

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Espagne

+ 5 %

+ 3,6 %

+ 2,7 %

+ 3,1 %

+ 3,3 %

+ 3,6 %

+ 4 %

+ 3,6 %

UE (27)

+ 3,9 %

+ 2 %

+ 1,3 %

+ 1,4 %

+ 2,5 %

+ 2 %

+ 3,2 %

+ 3 %

La compétitivité de sa main d'oeuvre comme la faiblesse de la peseta ont constitué un avantage indéniable lors de l'intégration de l'Espagne dans le marché communautaire. L'installation de grandes entreprises automobiles européennes sur son territoire symbolise ainsi l'attractivité du territoire alors que l'adoption de l'acquis communautaire lui a permis de moderniser le cadre économique, encore marqué par le franquisme. Les effets de l'Union européenne sur l'économie espagnole sont rapidement observables : en 1991, les exportations espagnoles sont aux deux tiers en direction des autres États membres contre la moitié six ans auparavant. Sur la même période, 35 % des investissements étrangers en Espagne sont d'origine française, allemande et néerlandaise. De fait, en 2010, le taux cumulé d'investissements depuis l'adhésion représentait 34 % du PIB. Ce flux a notamment facilité un réel transfert de technologie et l'expansion des multinationales espagnoles à l'étranger.

L'éligibilité de ses régions aux fonds européens contribue dans le même temps à conférer à l'Espagne un certain nombre d'atouts en matière d'infrastructures, notamment dans le domaine des transports. L'Espagne dispose ainsi à l'heure actuelle de plus de liaisons ferrées à grande vitesse que la France. Le pays possède aujourd'hui plus de 13 000 kilomètres d'autoroutes et de voies rapides, contre 2 117 en 1985. Quatre kilomètres sur dix ont été financés par des fonds communautaires. Les fonds européens reçus par l'Espagne au titre de la cohésion économique et sociale depuis son entrée dans l'Union ont été assimilés par les autorités espagnoles à un « Plan Marshall » en faveur de l'économie et du développement local. Estimés à plus de 211 milliards d'euros, ces fonds ont créé entre 1986 et 2010 près de 300 000 emplois et représenté environ 5 275 euros par habitant.

Ce développement économique a néanmoins été contrarié au début des années quatre-vingt-dix, l'Espagne entrant en récession, le chômage déjà élevé auparavant touchant 23,9 % de la population active en 1994. La relance de l'activité par le biais d'une augmentation de la consommation interne, facilitée par un accès au crédit plus simple avec l'intégration dans la zone euro, va permettre à l'Espagne de bénéficier d'un second souffle. Elle renoue ainsi avec la croissance pour devenir la cinquième économie européenne. Cette augmentation est notamment rendue possible par l'augmentation régulière du revenu qui, par habitant, atteint progressivement la moyenne communautaire, alors qu'il atteignait à peine 70 % au moment de l'adhésion.

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