2. Une croissance à crédit

L'adoption de l'euro et la baisse des taux d'intérêts qu'induisait la monnaie unique a permis un financement à crédit de l'économie espagnole. Cette tendance a été d'autant plus marquée que l'investissement public a, dans le même temps, diminué, la priorité des gouvernements allant au désendettement et à la réduction des dépenses publiques en vue de respecter les critères de Maastricht.

Une inflation supérieure à la moyenne européenne a contribué, par ailleurs, à renforcer le recours des ménages et des entreprises au crédit. Le crédit au secteur privé a ainsi augmenté de 22 % par an en Espagne de 2003 à 2008. Il s'élève ainsi à près de 1 700 milliards d'euros, 910 étant octroyés par les caisses d'épargne.

L'endettement extérieur de l'économie espagnole est, quant à lui, passé de 28,8 % du PIB en 1998 à 168 % en 2009.

3. La « brique » comme moteur de croissance interne et de l'endettement

L'investissement dans l'immobilier répondait à une double logique, sociologique et démographique. La population est ainsi passée de 40 à 46 millions d'habitants entre 1995 et 2008. La population immigrée (principalement d'origine équatorienne, roumaine et marocaine) qui a quadruplé entre 1995 et 2006, passant de 0,5 % de la population totale en 1995 à 11 %, a servi, d'ailleurs, de moteur à cette croissance démographique, créant une forte demande de logements. L'aspiration à posséder son logement fait, par ailleurs, partie de la culture espagnole, 86 % des foyers étant propriétaires. Une politique fiscale plus favorable aux propriétaires qu'aux bailleurs et locataires conforte une telle option.

L'immobilier comme moteur de la croissance n'est, par ailleurs, pas une nouveauté tant les deux périodes précédentes de forte expansion économique du pays, 1969-1974 et 1986-1991, avaient déjà été marquées par un fort développement du secteur. La libéralisation de l'offre foncière via la loi du sol adoptée en 1998 va faciliter un nouveau boom immobilier.

La singularité de la période actuelle tient à l'aspect spéculatif de ce boom du secteur du « ladrillo » (la brique en espagnol). La faiblesse des taux d'intérêts a conduit à une augmentation exponentielle de l'investissement dans le secteur, sans rapport avec la demande effective de logement. L'Espagne a construit entre 2005 et 2007 plus de 800 000 logements par an, soit plus que l'Allemagne, la France et l'Italie réunies. La demande réelle était alors de l'ordre de 350 000 logements. L'achat d'un logement est, dès lors, conçu comme un placement extrêmement rentable, via des crédits hypothécaires de très longue durée (35 à 50 ans) à taux variable.

Le système bancaire local, marqué par la forte présence des caisses d'épargne régionales, a rendu possible l'émergence d'une telle bulle immobilière. 60 % des crédits accordés par les établissements financiers (1 020 milliards d'euros) ont servi au financement du secteur immobilier. Les crédits immobiliers représentent 69 % des prêts accordés par les caisses d'épargne - les cajas - contre 52 % pour les banques. En 1997, à la veille de ce boom immobilier, les investissements privés dans le secteur immobilier ne dépassaient pas 40 % du montant total des financements privés. Pour la seule année 2005, les crédits consentis aux promoteurs immobiliers ont augmenté de 40 %.

Les cajas espagnoles

Les caisses d'épargne espagnoles maillent le territoire national depuis deux cents ans. Au nombre de 45 avant la crise, elles emploient 128 000 personnes (125 000 personnes pour le réseau français).

Leur expansion au cours des années 2000 s'est notamment traduite par la multiplication d'agences en dehors de leur zone d'activité traditionnelle. On compte ainsi 23 330 guichets en Espagne contre 10 000 en France.

En décembre 2010, l'encours de ses prêts s'élève à 910 milliards ; les caisses disposent par ailleurs de 790 milliards de dépôts. La crise ne s'est pas traduite de la part des déposants par des manifestations de défiance et de retrait.

Gérées par les pouvoirs locaux, elles contribuent au développement des territoires via les « oeuvres sociales » ( obras sociales ). Ces actions concernent les domaines de la culture, de la recherche, du bien-être ou du sport. Le montant total de ces financements équivaut chaque année à 1,5 milliard d'euros. On estime à plus de 162 millions le nombre de bénéficiaires d'une « oeuvre sociale » des caja s en 2009, soit quatre actions par espagnol.

L'investissement dans le secteur répondait à une double logique aux yeux des caisses d'épargne. D'une part, celle du développement de leur activité à l'échelle nationale. Les caisses dépassent alors leur vocation locale. D'autre part, pour les pouvoirs locaux impliqués dans la gestion des cajas , les projets immobiliers représentent une opportunité indéniable pour l'activité sur leurs territoires. Une partie des investissements va, à ce titre, en direction de des résidences de tourisme. Les larges pouvoirs des communautés autonomes et des municipalités en matière urbanistique facilitent la concrétisation de tels projets. L'immobilier vient compenser un manque de ressources, la vente du patrimoine foncier leur permettant de se financer. Les transactions constituent par ailleurs l'essentiel de leurs recettes fiscales.

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