B. L'ESPAGNE À L'ÉPREUVE DE LA CRISE IMMOBILIÈRE

1. La spécificité de la crise espagnole

Au-delà de la crise économique et financière mondiale qui a contribué à affaiblir l'économie espagnole, les difficultés que rencontre l'Espagne à l'heure actuelle sont principalement liées à l'éclatement de la bulle immobilière. Cet effondrement des valeurs immobilières a été, à n'en pas douter, facilité par la crise des subprimes . Elle ne peut, en aucun cas, apparaître comme la seule responsable, à l'image de ce qui a pu se passer en Irlande.

La comparaison s'arrête néanmoins là. La crise immobilière que traverse l'Espagne n'a pas le même impact sur le système bancaire et, par ricochet, sur la dette publique que celle enregistrée en Irlande. L'aide accordée à l'Irlande par l'Union européenne et le Fonds monétaire international se justifiait, notamment, par le double risque d'insolvabilité du gouvernement irlandais et d'insoutenabilité de la dette publique. La crise espagnole ne concerne pas ainsi les deux grandes banques BBVA et Santander , protégées par leurs investissements internationaux. Les activités espagnoles ne représentent, en effet, que 30 et 17 % des résultats financiers de ces deux établissements. Aucune faillite majeure n'est à enregistrer.

De fait, en dépit de son surdéveloppement récent, le secteur financier espagnol représente 3,3 fois le produit intérieur brut du pays contre 10 en Irlande. Les aides publiques versées aux établissements financiers depuis le début de la crise ne représentent qu'un pour cent du PIB espagnol. Les actifs douteux représentent 12,3  % de la richesse nationale espagnole contre près du tiers en Irlande. L'ajustement sur les prix du logement induit par la crise a, par ailleurs, été moins sévère en Espagne : la baisse est de l'ordre de 9,5 à 30 % en Espagne contre 35 à 50 % en Irlande. Le marché immobilier tend, par ailleurs, à repartir en Espagne : les ventes ont progressé de 8,9 % en 2010 alors que l'Irlande est confrontée à une atonie durable dans ce secteur.

2. Une crise aux conséquences économiques et bancaires indéniables

La crise économique mondiale est venue révéler l'endettement de l'ensemble de l'économie espagnole, exacerbé par la bulle immobilière. L'éclatement de celle-ci en 2008 débouche sur un chômage massif induit par l'arrêt de l'activité dans le secteur de la construction - un million de personnes se retrouvent ainsi au chômage - et un effondrement de la consommation domestique qui tirait, jusque là, la croissance.

A cette crise économique s'ajoute une crise financière, qui si elle n'atteint pas l'intensité irlandaise, révèle la profonde fragilité du modèle bancaire espagnol. Les caisses d'épargne qui maillent les régions se retrouvent dans une situation délicate, confrontées à l'échec de leur stratégie de diversification et d'extension, manifestement peu en adéquation avec leur potentiel initial.

Combinée à l'explosion du chômage et à l'entrée en récession du pays, la situation du secteur bancaire local a contribué à renforcer la méfiance des marchés financiers à l'égard de l'Espagne, qui voit sa note régulièrement dégradée par les agences, au gré des publications des bilans.

Les établissements financiers espagnols possèdent, en effet, entre 1 et 1,5 million de logements vides, récupérés en raison de l'insolvabilité des emprunteurs. Une mise en vente de ces biens contribuerait à l'effondrement complet du secteur, les prix chutant régulièrement depuis 2008. Leur immobilisation contribue à ralentir ce phénomène (- 12,7 % en 2010). La Banque d'Espagne estime néanmoins à plus de 30 % la surévaluation des prix, le montant des créances douteuses dans les comptes des banques étant réévalué régulièrement. Il convient de noter que ces créances douteuses concernent plus les crédits aux entreprises immobilières et de construction (11,5 % des prêts) que ceux octroyés aux ménages (2,6 % des encours).

Le risque immobilier total des caisses d'épargne s'élève de facto à 100 milliards d'euros, dont 28 milliards de créances douteuses (arrêt des remboursements depuis 90 jours), 28 milliards de créances potentiellement risquées (dites subestandard ) et 44 milliards d'actifs immobiliers détenus. Le montant des crédits au secteur de la construction et de la promotion immobilière s'élève à 217 milliards d'euros. Les sept banques, dont les principales, qui ont publié leurs résultats voient leurs actifs immobiliers à risque s'élever à 46 milliards d'euros, dont 11,7 milliards d'euros au titre des créances douteuses, 13,7 de créances potentiellement risquées et 21 milliards d'actifs immobiliers détenus dans le bilan.

18 % du portefeuille des prêts du groupe Banco Financiero y de Ahorros , la plus grande union de caisses d'épargne, est ainsi exposé aux prêts immobiliers, soit 41,3 milliards d'euros. 20 % sont douteux et 20 autres pourraient le devenir. Elle dispose par ailleurs de près de 7,4 milliards d'euros de biens immobiliers saisis auprès de débiteurs défaillants, au risque d'apparaître comme la plus grande agence immobilière du pays et le premier propriétaire privé de terrains. Les habitations représentent 35 % de ces actifs à problème.

Exposition à l'immobilier des principales caisses d'épargne espagnoles
(en milliards d'euros)

Exposition totale aux promoteurs et constructeurs

Créances douteuses et quasi douteuses

Actifs immobiliers saisis

Banco Financiero y de Ahorros

41,28

15,112

7,4

La Caixa

33,23

6,057

3,65

Banco base

23,286

9,716

3,02

Catalunya Caixa

12,774

3,457

3,73

Mare Nostrum

11,554

4,635

2,949

Novacaixagalicia

11,150

4,438

2,616

Banca civica

9,187

3,368

1,418

Caja Espana - Duero

8,067

3,015

0,774

Les établissements financiers Santander , BBVA , Banco Popular , Caja Madrid et La Caixa concentrent 130 milliards de crédits immobiliers dont 22 sont considérés comme douteux et 19 le sont potentiellement. Ils détiennent 27,5 milliards d'actifs immobiliers saisis auprès de débiteurs. Ces cinq entités concentrent ainsi la moitié des actifs immobiliers considérés comme problématiques et détenus par le secteur financier, soit environ 140 milliards d'euros. La Banque d'Espagne estimait initialement ce chiffre à 180,8 milliards d'euros, intégrant notamment les crédits liés aux travaux publics. Quoiqu'il en soit, le taux de créances douteuses du portefeuille de crédits aux promoteurs et constructeurs tourne autour de 18 %. Un tel ratio oblige les établissements financiers à effectuer d'importantes provisions pesant de facto sur leurs bénéfices, en baisse de 5 % en 2010.

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