D. LES STRUCTURES ÉCONOMIQUES FRANÇAISES FACE AU « MODÈLE ALLEMAND »

1. Le « modèle allemand » est intéressant mais imparfait

Le « modèle allemand » est critiqué en France et même en Allemagne. Ses faiblesses sont dénoncées : problèmes démographiques et difficultés persistantes en matière d'emploi, pénurie de main d'oeuvre qualifiée, sous-capitalisation, et exposition des banques à la dette souveraine. Il est question de rééquilibrer la croissance outre-Rhin, irrégulière et sensible aux variations de la conjoncture mondiale, par une contribution accrue de la demande intérieure, de sorte que le commerce extérieur n'en soit plus le moteur presque exclusif 110 ( * ) . Il est proposé aussi de diversifier les fondements de l'excédent commercial qui repose actuellement, pour l'essentiel, sur trois branches traditionnelles seulement : l'automobile, la construction mécanique et la chimie. Trois branches nouvelles à haut potentiel de création de valeur ajoutée et d'emploi pourraient leur être associées : les services (notamment aux entreprises et dans le domaine de la santé), l'industrie pharmaceutique, le génie biomédical et la métrologie 111 ( * ) .

Le régime allemand de croissance tirée par l'exportation (principalement industrielle) se trouve ainsi, actuellement, « entre succès et remise en cause » 112 ( * ) .

Dans ces conditions, dans quelle mesure la France peut ou doit-elle s'inspirer du « modèle » allemand ?

L'exemple germanique lui rappelle, tout d'abord, le rôle central de l'industrie dans l'activité économique , sa dynamique déterminante pour la croissance, à travers les investissements et les exportations, et son potentiel d'offres d'emplois très qualifiés.

L'industrie allemande est animée par des acteurs solidaires (dirigeants et salariés, entreprises et pouvoirs publics, grands groupes et PME), concentrée sur des spécialités fortes (automobile et mécanique) et fondée sur un réseau de PME innovantes et performantes.

L'industrie française a à la fois perdu énormément d'emplois dans des secteurs traditionnels (textile, construction navale) et n'a pas su en créer suffisamment dans les secteurs d'avenir (technologies de l'information et de la communication et biotechnologies).

Elle manque cruellement, par rapport à l'Allemagne, d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) capables d'innover et d'exporter.

Depuis 2000, les pertes d'avantages comparatifs de l'Allemagne se sont cantonnées dans les branches à valeur ajoutée et à contenu technologique faible. Malheureusement, celles de la France, au contraire, se sont concentrées sur des produits à fort contenu technologique (pour l'essentiel dans les secteurs électrique et automobile).

Les deux pays ont des spécialisations sectorielles similaires, mais « en concentrant son savoir-faire dans le secteur automobile et dans la fabrication de machines à fort contenu technologique, l'Allemagne a pu consolider ses positions à l'international » 113 ( * ) .

L'écart entre les deux pays s'est creusé à partir du positionnement en gamme, de la différenciation des produits (notamment par leur contenu en innovation), et de leur qualité, et pas seulement en fonction de leur compétitivité-prix.

La répartition géographique des ventes de produits français à l'étranger n'était pas non plus optimale : le ministère de l'économie et des finances observait, en 2004 déjà, qu'elle était déséquilibrée par rapport à la demande mondiale, regrettant que le bas niveau persistant de nos parts de marché dans les pays émergents à forte croissance freine le dynamisme de nos exportations. Il constatait que celles de l'Allemagne bénéficiaient d'un effet d'entraînement supérieur, grâce à une présence plus forte sur ces marchés lointains.

2. Synthèse des analyses des économistes français

Les économistes français se sont penchés récemment à plusieurs reprises sur les faiblesses de l'industrie et du tissu productif en France.

Le Conseil d'analyse économique, constatant qu'une spécialisation accrue dans les services ne suffisait pas à compenser la désindustrialisation, a conclu en 2005 114 ( * ) , que c'était surtout le déclin de la position relative de la France dans les produits de qualité et de haute technologie qui était en cause , ce que confirmait l'analyse de la dégradation de notre solde commercial. Il a particulièrement insisté sur les dangers d'une insuffisance de l'effort de recherche et développement, de liens entre recherche et industrie et de « capital-risqueurs » notamment dans les biotechnologies.

Dans un rapport ultérieur, le Conseil constatait que la France avait connu, durant les années 90 un sous-investissement chronique , par rapport aux pays comparables les plus avancés, que le redressement de la fin de la décennie puis l'effort particulier amorcé en 2007 étaient loin d'avoir compensé 115 ( * ) .

Comparant plus particulièrement les performances françaises et allemandes à l'exportation 116 ( * ) , un troisième rapport montrait que celles de la France étaient inférieures dans les produits technologiques et haut de gamme, les Allemands ayant, généralement, amélioré leur compétitivité coût et prix en externalisant davantage certains segments de leur production dans des pays à bas salaires. Le déficit d'exportateurs français de taille moyenne et leurs résultats moins bons que ceux de leurs concurrentes allemandes étaient, par ailleurs, mis en évidence.

Enfin, ce même problème (le déficit d'entreprises de taille moyenne en France) faisait l'objet d'un rapport 117 ( * ) soulignant qu'il s'agissait « non seulement de renforcer et d'améliorer les conditions de naissance des entreprises, mais plus encore de lever les verrous qui empêchent leur croissance ultérieure » (c'est-à-dire les charges de toute nature, notamment organisationnelles, et les déficiences des marchés financiers).

Quelles sont les autres recommandations des économistes ?

La question de l'innovation doit être au coeur de toutes les politiques . Il faut d'abord élever le potentiel de croissance des entreprises françaises afin qu'un plus grand nombre d'entre elles puissent exporter plus de produits vers plus de destinations 118 ( * ) , ce qui nécessite une politique beaucoup plus horizontale que celle se contentant d'octroyer des aides à l'exportation.

Pour l'OFCE 119 ( * ) aussi, la politique industrielle doit avoir un caractère essentiellement transversal . Les groupes étant organisés désormais en réseaux et non plus de façon pyramidale, il s'agit de privilégier la coopération entre entreprises , la coordination des différents acteurs concernés (collectivités, organismes de recherche...) et les réorganisations guidées par la recherche d'opportunités nouvelles d'investissement et de croissance. Les stratégies internes de développement industriel et technologique des groupes ne doivent pas être sacrifiées aux intérêts de court terme présidant aux diverses opérations de fusion-acquisitions, démantèlement, prises de contrôle...

« La recomposition du tissu productif, la sous-traitance, la relocalisation des activités sont , selon l'OFCE, des phénomènes autrement plus complexes que ne le laisse penser une simple référence à la désindustrialisation ».

Dans ces conditions, il faut tout d'abord reconnaître le caractère inéluctable de certaines évolutions : la modularité accrue du tissu industriel, la segmentation de la production industrielle, son internationalisation... Ainsi, « autant il est nécessaire d'exporter - estime l'Observatoire - autant il faut savoir s'inscrire dans une division internationale du travail impliquant aussi d'importer » (comme la réussite allemande le prouve).

Les pouvoirs publics doivent se garder de décider en dernier ressort, comme ils l'ont fait trop souvent à mauvais escient dans le passé (plan calcul, etc.), des technologies et des configurations industrielles à retenir.

Le soutien à des filières stratégiques ne doit pas, par ailleurs, empêcher l'émergence de sous-traitants généralistes.

La politique industrielle doit favoriser, en définitive, la création de ressources et la coopération entre entreprises, notamment en matière d'investissements de long terme.

Les réseaux, alliances et partenariats d'entreprise, apparaissent comme la source véritable de l'avantage compétitif.

« Ce sont les entreprises des secteurs technologiquement avancées qui sont les moteurs de la croissance domestique ». À cet égard, conclut l'OFCE, « la vraie difficulté de l'industrie française réside dans le retard relatif du pays dans les évolutions les plus porteuses de croissance de la valeur ajoutée créée en France ».

Il convient, enfin, de lever « les importantes barrières à la croissance des jeunes entreprises françaises » potentiellement les plus productives, en raison notamment « d'une spécialisation de la France dans des secteurs où le processus concurrentiel favorise fortement les firmes matures ».


* 110 Rémi Lallement : L'économie allemande en sortie de crise : une surprenante résilience , CERFA note 80, décembre 2010.

* 111 Cf. Allemagne : un modèle économique à l'épreuve, Problèmes économiques, 8 juillet 2009.

* 112 Rémi Lallement, document de travail du Centre d'analyse stratégique (CAS), mai 2010.

* 113 Spécialisations à l'exportation de la France et de l'Allemagne : similitude ou divergence ?, Trésor Éco n° 68, décembre 2009.

* 114 Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi, Désindustrialisation, délocalisations , rapport du CAE n° 55, février 2005.

* 115 Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Alain Quint et Philippe Trainar, Investissements et investisseurs de long terme , rapport du CAE n° 91, juillet 2010.

* 116 Lionel Fontagné et Guillaume Gaulier, Performances à l'exportation de la France et de l'Allemagne , rapport du CAE n° 81, décembre 2008.

* 117 Jean-Paul Betbèze et Christian Saint-Etienne, Une stratégie PME pour la France , rapport du CAE n° 61, juillet 2006.

* 118 Rapport du CAE n° 81, op. cit.

* 119 OFCE, L'industrie manufacturière française, Collection Repères, Éditions La Découverte, juin 2010.

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