III. CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE

UNE NOUVELLE AMBITION POUR L'INDUSTRIE

Les sénateurs socialistes, au terme de ces mois de travail au coeur de la mission désindustrialisation des territoires, sont persuadés que l'industrie française a un avenir et dispose des atouts nécessaires pour se transformer et contribuer à une croissance durable riche en emplois.

Convaincus que la compétitivité industrielle française doit impérativement s'appuyer sur l'investissement et l'innovation, les sénateurs socialistes proposent une stratégie de réindustrialisation offensive qui engage :

- la défense et le développement de nos bases industrielles ;

- la promotion et le développement de la nouvelle industrie.

La mise en oeuvre de cette stratégie implique un changement culturel, un rééquilibrage très net de la politique économique en faveur des PME et TPE, une nouvelle étape de la décentralisation, un changement de gouvernance.

I - UNE STRATEGIE OFFENSIVE DE REINDUSTRIALISATION

A) Le soutien et le développement de nos bases industrielles

Le soutien et le développement de nos bases industrielles sont une nécessité. Elles vont connaître des mutations technologiques qu'il faudra impérativement accompagner en protégeant ses salariés.

L'État et la puissance publique ont aujourd'hui la responsabilité de favoriser les mutations industrielles, notamment écologiques mais aussi de permettre la diversification des activités comme des bassins industriels afin de les rendre moins dépendantes de fluctuations extérieures.

Il s'agit notamment de promouvoir de nouveaux processus de fabrication, plus économes en énergie et matières premières, de nouveaux modes de transport et de mobilité, de se situer sur de nouvelles activités et gisements d'emplois pour l'avenir.

Il est également prioritaire d'initier un programme important d'investissement dédié à la relance de la fabrication française de machines-outils.

L'État a par ailleurs une responsabilité de premier plan de prévention des ruptures technologiques.

Les sénateurs socialistes sont à ce titre convaincus de l'intérêt de mettre en place une véritable sécurité sociale professionnelle, en liaison avec l'État, les entreprises et les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, concernés. La sécurité sociale professionnelle aurait pour objectifs à la fois de protéger les salariés de ces industries, d'améliorer leur niveau de qualification, de limiter le recours à l'intérim et de préserver les savoir-faire industriels.

B) Le développement de la nouvelle industrie

Notre pays se trouve sans nul doute à l'aube d'une révolution technologique de grande ampleur. Il paraît à ce titre indispensable de ne pas rater le train de l'histoire et d'engager pleinement les acteurs industriels dans la bataille de l'innovation qui se joue actuellement. Un déficit d'investissement et d'innovation dans ces secteurs, dès maintenant, sera très lourd de conséquences pour l'avenir.

Or le rapport paraît extrêmement timoré sur cette nouvelle industrie, comme s'il fallait accepter de devoir à jamais défendre des positions, capitalisant sur l'exportation et la labellisation de l'existant, en se contentant d'une croissance molle et d'un haut niveau de chômage.

Cette nouvelle stratégie suppose bien de créer une nouvelle croissance durable et riche en emplois, de faire émerger de nouveaux acteurs économiques, de protéger les entreprises innovantes, en leur fournissant un cadre législatif, financier et un écosystème industriel stables et pérennes.

Plusieurs secteurs nous paraissent aujourd'hui combiner des promesses d'innovation, de croissance et emplois.

Les éco industries. Notre pays dispose en effet d'atouts climatiques considérables tout autant que variés qui doivent permettre d'accroitre et diversifier le mix énergétique , de continuer à garder en ligne de mire l'objectif d'indépendance énergétique de la nation. Trois orientations s'imposent : un plan massif de développement des énergies renouvelables , une politique d'économies d'énergie, un haut niveau d'exigence concernant la sécurité nucléaire et le traitement des déchets nucléaires.

Les seniors : nous pensons à la révolution domotique qui sera mise au service du maintien à domicile des personnes âgées.

Un grand plan ferroutage s'avère essentiel. Nous demandons à ce titre que le caractère d'intérêt général du fret soit pleinement reconnu.

L'industrie des transports publics et des mobilités doit être fortement encouragée.

La révolution numérique

Les biotechnologies, les nano technologies, etc.

Ces investissements dans ces secteurs sont des priorités nationales et européennes et doivent mobiliser des fonds d'un grand emprunt français , qui serait pérennisé. Nous devrons particulièrement veiller à ce que le grand emprunt irrigue l'ensemble des territoires.

Les sénateurs socialistes proposent en parallèle qu'un fonds industriel européen puisse être créé et mobilisé au service de la nouvelle industrie grâce au produit d'une taxe carbone et sociétale européenne. Il s'agirait pour l'Europe de renouer avec ses origines, celles de Jean Monnet.

La nouvelle industrie est certainement un gisement majeur d'emplois et de formations. Les sénateurs socialistes proposent de mettre dès maintenant en place des contrats de filières et d'entreprises avec ces nouveaux acteurs en conditionnant les aides publiques qui pourraient être apportées à ces secteurs. La création et la protection de TPE innovantes doivent être fortement encouragées et ce, dans la durée. Nous sommes ainsi en désaccord avec la décision du gouvernement de réduire en 2011 pour les jeunes entreprises innovantes le taux des exonérations de cotisations sociales, à partir de la 4 ème année d'existence et d'éteindre le dispositif à la fin de la 7 ème année.

La nouvelle industrie doit en effet permettre l'embauche de jeunes dans ces secteurs émergents mais aussi participer à des objectifs plus larges d'aménagement du territoire . Les usines comme les entreprises industrielles ne sont pas seulement implantées dans les villes mais sont aussi fortement présentes dans la ruralité.

Il paraît de plus indispensable de ne pas renouveler les erreurs liées aux autorisations d'exploitation de gaz de schiste, effectuées en catimini, sans garanties minimales de sécurité, de concertation, et s'entourer de protections environnementales qui sont essentielles. La politique énergétique doit faire l'objet d'un débat national assorti d'objectifs précis.

II - UN VIRAGE INDUSTRIEL S'IMPOSE

1) Un changement culturel est nécessaire

Le dévissage de l'industrie française n'est évidemment pas récent. Les commissaires socialistes sont convaincus que ces très mauvais résultats ne sont pas seulement le fait d'une conjoncture économique défavorable ou l'irruption réussie de pays émergents dans des secteurs très concurrentiels. Elles sont aussi le fait de choix politiques et économiques qui ont délaissé la cause industrielle au profit d'autres choix économiques.

Ces dernières décennies et notamment la dernière, ont consacré l'avènement d'une société post-industrielle.

L'idéologie dominante a incité par la même occasion à mobiliser des priorités budgétaires pour le secteur des services, jugé moins coûteux, porteur d'une soit-disante croissance plus forte, riche en perspectives d'emplois, en un mot plus rentable mais parfois déconnecté de l'économie réelle. Depuis 2008, la crise immobilière, bancaire et financière a sérieusement mis à mal les fondements mêmes de cette stratégie économique. Elle a remis en regard un intérêt nouveau pour l'industrie, comme socle possible d'une nouvelle politique économique.

Les sénateurs socialistes sont très attachés à ce que ce regain d'intérêt ne soit pas un chant du cygne et craignent qu'il ne relève tout au plus d'une passade médiatique. Ils relèvent ainsi que malheureusement la semaine de l'industrie, pourtant demandée par le gouvernement, a été reléguée au second plan par l'irruption du débat sur la laïcité et de l'Islam, organisé en même temps par le gouvernement.

Les sénateurs socialistes souhaitent impulser un changement réel et durable de culture économique, de culture politique, une véritable culture industrielle.

Or cette reconquête de la politique industrielle nécessite que l'Education Nationale et la formation professionnelle soient pleinement mobilisées et disposent des moyens, y compris nouveaux, à la hauteur des enjeux, loin des objectifs de la RGPP. Là où un ouvrier allemand est parfois mieux payé et considéré qu'un ingénieur, les jeunes gens orientés dans ces filières le sont encore trop souvent par défaut et certaines filières ne trouvent pas de candidats.

De la même manière, la formation par alternance sert aujourd'hui de porte de sortie de la scolarité alors qu'elle devrait être déjà un passeport pour l'avenir, y compris pour les meilleurs.

Les écoles de commerce pourraient utilement aussi s'intéresser de près à la commercialisation de produits industriels. La tendance irréversible est en effet à un marketing très élaboré de produits industriels et à la vente de services associés. De même, les écoles d'ingénieurs informatiques pourraient se saisir de la question de la sécurisation de données industrielles.

L'attractivité de l'industrie, notamment pour les jeunes générations, passe aussi par une revalorisation des salaires, comme des conditions de travail en vigueur. Cette question a fait l'objet d'un rapport remarqué de Patricia. Schillinger et Joël Bourdin, relative à la « Prospective du pacte social en entreprise » mais s'avère aussi présente dans le rapport annuel du Médiateur de la République. La qualité de l'emploi, le déroulement de carrière et les conditions sociales participent pleinement de l'attractivité de l'industrie. Nous croyons nécessaire de réglementer en parallèle les abus et scandales des stocks options et parachutes dorés.

2) Réindustrialiser, c'est aussi armer nos PME et TPE

Nous sommes fiers et attentifs au développement des grands groupes industriels qui constituent un atout majeur pour notre industrie. Les PME et TPE concentrent aujourd'hui d'importantes perspectives d'emploi. Il est à ce titre prioritaire de concentrer les efforts de l'État en direction de ces entreprises tout en favorisant, à travers des contrats de filières responsables, des coopérations entre les grands groupes et les PME et TPE.

Les sénateurs socialistes sont favorables à une réforme de la fiscalité, notamment de l'impôt sur les sociétés qui pourrait être plus favorable aux PME et TPE, notamment lorsqu'elles investissent dans l'appareil productif. Il n'est pas admissible que quelques grands groupes - par exemple Total - paient proportionnellement beaucoup moins d'IS alors que des PME le paient à taux plein (33 %).

Nous ne nions pas que le poids de charges sociales ou de l'imposition puisse être particulièrement pénalisant pour de petites entreprises industrielles. Nous ne voulons pas handicaper outre mesure leur capacité d'investissement ou d'innovation mais souhaitons adosser ces aides à une contractualisation préalable.

Les sénateurs socialistes jugent nécessaire une réorientation de l'ensemble des aides à l'innovation (CIR, jeunes entreprises innovantes) pour les rendre encore plus accessibles aux PME et TPE et éviter les effets d'aubaine.

En parallèle, les sénateurs socialistes souhaitent promouvoir la mutualisation et le travail en réseau de ces petites entreprises. Notre pays souffre en effet d'un déficit structurel de petites et moyennes entreprises qu'il convient de combler. Nous croyons utile de réfléchir à terme à la possibilité de favoriser y compris financièrement et fiscalement, les entreprises travaillant en réseau.

Aussi, les sénateurs socialistes souhaitent initier un grand plan d'action cohérent envers les PME, TPE, de type Small Business Act, qui recense des politiques cohérentes qui pourraient être utiles à leur développement. Nous proposons à la fois de favoriser l'émergence de PME généralistes moins dépendantes de leur donneur d'ordre, tout en protégeant au maximum les entreprises sous-traitantes, en promouvant de véritables contrats de filières.

Les sénateurs socialistes suggèrent enfin de faire évoluer le statut et la gouvernance des pôles de compétitivité qui pourraient devenir des pôles d'innovation industrielle , véritables carrefours associant systématiquement des industriels, des chercheurs, des partenaires sociaux, des financeurs. Ces pôles de compétitivité pourraient également devenir des groupements d'employeurs, des centrales d'achats pour des matières premières ou l'énergie, comme des centres de recherche appliquée à part entière.

Nous sommes à ce titre favorables au fait de réserver le produit de fonds régionaux d'investissement ainsi que le produit d'épargne industrie au soutien de l'innovation dans les PME.

3) Une nouvelle étape de la décentralisation

Au plus fort de la crise financière et bancaire, les collectivités territoriales, aux côtés de l'État, ont joué un rôle tout à fait fondamental pour freiner la désindustrialisation de certains territoires. Elles ont tour à tour joué le rôle de garants bancaires, abondé directement certaines entreprises, assuré la formation ou la reconversion de salariés.

Les territoires doivent être aux avant-postes de la réindustrialisation.

Les régions, les communautés urbaines et d'agglomérations, les départements, les villes et les métropoles doivent pouvoir ainsi développer leur rôle d'impulsion et de promotion d'écosystèmes industriels.

La région, en particulier, est un acteur indispensable de la sécurité sociale professionnelle tout en étant incontournable dans la mise en oeuvre stratégique de la politique industrielle.

Les collectivités territoriales pourraient aussi se voir confier un rôle accru de facilitateur de démarches administratives pour les PME et TPE, notamment dans le cadre d'une démarche d'installation d'entreprises innovantes.

Pour cela nous insistons sur la nécessaire péréquation qui doit s'établir à l'échelle de l'ensemble de la France. Il n'est pas question de créer des monstres territoriaux et de déshabiller des territoires comme des pôles universitaires.

Il s'agit bien de tirer parti de dynamiques territoriales existantes et permettre ainsi leur développement.

Les sénateurs socialistes sont convaincus que les collectivités territoriales doivent disposer de moyens financiers et institutionnels suffisants. Ils proposent notamment un plafonnement de la CET à 3,5%. Ils souhaitent engager une réflexion plus globale sur le lien fiscal entre entreprises et territoires et la nécessité de moduler cette contribution en fonction de l'investissement engagé par ces acteurs économiques.

4) Un changement de gouvernance : une remise à plat des aides publiques

Beaucoup d'aides publiques sont mobilisables, par l'État, dans les territoires et au niveau européen. Or ces aides ne sont pas transparentes, difficilement accessibles, notamment aux PME et TPE qui en ont pourtant le plus besoin.

Les sénateurs socialistes souhaitent parvenir à de nouvelles règles d'attribution des aides et garanties publiques et une véritable contractualisation. Il n'est pas acceptable par exemple que des entreprises délocalisent avec de l'argent public.

Nous souhaitons définir les contours d'une véritable conditionnalité des aides publiques et demander le remboursement de celles-ci en cas de non-respect des engagements pris.

Nous sommes enfin favorables à la création d'un pôle de garantie et d'investissement public.

Ce pôle associant différents acteurs publics, comme Oséo, la Caisse des Dépôts et Consignations, la Banque Postale, les collectivités territoriales, pourrait jouer, aux côtés des entreprises innovantes, un rôle de garant bancaire. Il n'aurait donc pas vocation à se substituer au secteur bancaire.

Un tel pôle permettrait à la fois de mutualiser des risques industriels tout en favorisant la levée de capitaux. Elle pourrait être le préalable à la création d'une banque publique de garantie et investissement.

L'État, aux côtés des collectivités territoriales et des PME, pourrait ainsi impulser de nouveaux modes d'intervention économiques, indispensables à la promotion des écosystèmes industriels.

UN ENGAGEMENT CONSTANT AU SEIN DE LA MISSION MAIS UN DESACCORD FONDAMENTAL SUR LA STRATEGIE DE REINDUSTRIALISATION

La mission d'information commune relative à la désindustrialisation des territoires est une demande du groupe socialiste du Sénat , sur son droit de tirage.

Le groupe socialiste a souhaité en assumer la Présidence afin de faire vivre une méthode originale, permettant de croiser des auditions de personnalités qualifiées avec des rencontres, des visites au sein même des bassins de production et d'innovation industrielle. Il était en effet indispensable qu'une mission sénatoriale sur un sujet aussi central pour la vie quotidienne et l'avenir de notre économie se nourrisse de l'expérience de ses territoires.

Durant cette année de travail, les sénateurs socialistes a fait évoluer ce rapport, en inspirant directement un grand nombre de propositions.

Ils ont demandé une réorientation de l'ensemble de la politique économique en faveur des PME et TPE. Ils ont fait valoir la nécessité de réformer le crédit impôt recherche, afin de limiter les effets d'aubaine.

Ils ont obtenu  que figure la généralisation du contrat de transition professionnelle à l'ensemble du territoire. Ils ont défendu le principe d'un pôle public d'investissement. Ils ont insisté sur le rôle central des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre d'écosystèmes industriels. Ils ont soutenu la nécessité de promouvoir le travail en réseau des PME. Ils ont défendu le fait qu'une politique énergétique favorable était indispensable à une politique industrielle réussie. Ils ont demandé une plus grande transparence et efficacité des aides publiques ainsi que du FSI. Ils ont demandé la mise en oeuvre d'une taxe carbone européenne.

Au-delà de constats ou de préconisations communes, les sénateurs socialistes et la majorité de la mission ont manifesté des désaccords essentiels sur des explications possibles de la désindustrialisation.

Nous avons demandé à ce que le rapport ne prenne pas en compte l'étude comparée de COE-REXECODE consacrée au déficit de compétitivité de la France par rapport à l'Allemagne, publiée début 2011. L'une des thèses défendues par cette étude était que, durant la dernière décennie, l'Allemagne avait pu bénéficier d'un avantage très net concernant son coût du travail.

Or, alors que cette question n'était pas apparue comme centrale lors des déplacements dans les bassins industriels, la première version du rapport qui a été présentée, a consacré, sur la foi de cette étude, une part  omniprésente, quasi obsessionnelle au coût du travail français , pointé du doigt comme étant coupable du dévissage de l'industrie française. Quelques jours après la publication de l'étude, COE Rexecode rectifiait sa thèse et indiquait que, même si le coût du travail en Allemagne s'était réduit durant la dernière décennie, il était équivalent au coût du travail en France.

Alors qu'il s'agissait d'une problématique omniprésente dans la première version du rapport, le rapport définitif continue de mentionner, mais dans une moindre mesure, que le coût du travail serait une explication notable du déficit de compétitivité français. Les sénateurs socialistes se sont opposés à cette analyse . Celle-ci fait en effet peser la responsabilité de la baisse de compétitivité de telle ou telle entreprise ou branche industrielle sur les salariés et laisse entendre que ces derniers seraient trop payés et disposeraient de trop d'avantages sociaux. Nous n'acceptons pas cette culpabilisation. La reconquête de notre industrie ne peut pas en effet s'effectuer dans une course vers le moins disant social, environnemental ou une plus grande tolérance envers les risques industriels . Cette stratégie n'a pas de sens. D'autant que les normes sociales et environnementales de pays émergents sont elles aussi amenées à évoluer positivement.  Jusqu'où faudrait-il aller pour satisfaire une quête de la compétitivité fondée sur la baisse à tout prix du coût du travail ?

Nous connaissons malheureusement par ailleurs les conséquences de cette stratégie qui contribuent elles aussi à aggraver l'ampleur de la désindustrialisation et fragilisent les filières : les délocalisations, le recours au global sourcing , la précarisation des salariés.

Surtout le discours sur « le coût du travail handicapant l'industrie française » masque des choix économiques inquiétants : le refus de se positionner sur des niches, le refus d'investir ainsi que la frilosité dans l'innovation.

Les sénateurs socialistes sont en effet convaincus que la désindustrialisation et la perte de compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne correspondent à une crise française de sous-investissement structurel particulièrement dangereuse.

Il existe bien un enseignement que nous entendons tirer de l'exemple allemand et en particulier du voyage de la mission à Stuttgart : même en période de crise, l'industrie allemande n'a jamais cessé de faire vivre un haut niveau d'investissement et d'innovation qui lui a permis d'asseoir sa réputation et des conquêtes de marchés.

Or l'industrie française n'a pas pris la mesure de la priorité à accorder à l'investissement. Un virage radical s'impose à cet égard.

Les conclusions du rapport sous-estiment ce déficit majeur de compétitivité, préférant s'inspirer d'une autre facette de l'industrie allemande, sa stratégie d'exportation.

Cette stratégie n'est pas pour nous adaptable en l'état à la France. Certes, beaucoup d'efforts peuvent être accomplis en direction de la commercialisation des produits ou de leur exportation. Mais les produits allemands se vendent bien parce qu'ils sont innovants, ne sont pas produits ailleurs et disposent d'une excellente renommée sur le plan de la qualité.

Par ailleurs, une telle stratégie d'extraversion de l'économie est dangereuse si elle se traduit par un affaiblissement de la demande intérieure. L'innovation et l'investissement sont des préalables indispensables qui permettront le développement des entreprises y compris à l'exportation.

Les sénateurs socialistes se sont opposés à la majorité de la mission sur la responsabilité des banques.

L'industrie française souffre indéniablement d'un manque de capitaux permettant de maintenir un niveau d'investissement et d'innovation suffisant.

Les sénateurs socialistes font valoir qu'il existe une responsabilité des banques dans ce déficit d'investissement.

Dans les faits, en France, beaucoup de banques restent trop souvent gravement réticentes et timides à l'égard de projets industriels. Nous disposons de plusieurs témoignages éloquents de PME et TPE que des banques n'ont pas voulu accompagner dans leur développement. Un chef d'entreprise dans le Nord s'est vu ainsi refuser un prêt lié à un projet industriel, alors que ce prêt était accordé pour un projet personnel. Nous disposons de nombreux témoignages de projets innovants qui sont restés à l'état de projets, faute de partenaires bancaires.

Des établissements bancaires ont de plus exigé à maintes reprises la présence de cautionnaires publics en préalable à l'examen de dossiers de financement. Nous jugeons particulièrement choquant ce refus de financer ces projets alors que l'État a largement mobilisé des financements publics depuis 2008 pour que les banques alimentent directement l'économie réelle. Cette situation perdure alors que les banques continuent d'engranger de notables profits.

La création d'un produit d'épargne industriel pourrait être une piste intéressante à étudier mais elle ne doit en aucun cas dédouaner les banques de leurs responsabilités actuelles et futures. Les sénateurs socialistes sont également attentifs aux conditions de mise en oeuvre de ce produit d'épargne qui ne devra pas concurrencer le livret A.

Les établissements bancaires, confortés dans leur rôle, doivent être des acteurs économiques du développement industriel et le produit d'épargne industrie ne peut s'y substituer. C'est pourquoi nous avons jugé prioritaire d'obtenir des engagements concrets du secteur bancaire. Le voyage en Allemagne nous a paru à ce titre tout à fait éclairant, faisant apparaître à la fois un réseau bancaire très impliqué dans le soutien de son industrie et un système de fondations privées alimentant directement l'innovation.

Les sénateurs socialistes et la majorité de la mission se sont opposés sur la place des territoires et la question de la taxe professionnelle

La question de la suppression de la taxe professionnelle et les modalités de son remplacement par la contribution économique territoriale ont fait l'objet d'un large débat au sein de la mission.

Les sénateurs socialistes ne sont absolument pas convaincus que la taxe professionnelle, « impôt imbécile », ait été avantageusement remplacée par une « intelligente contribution économique territoriale. » Les territoires industrialisés sont d'ores et déjà très fragilisés par l'entrée en vigueur de la CET. A contrario, le maire de Stuttgart, a souligné que sa ville disposait du produit d'une taxe équivalente à la taxe professionnelle, dont les ressources sont liées à leurs bénéfices, et que ces ressources dynamiques permettaient de faire vivre un écosystème de grande qualités, alimentant un circuit de l'innovation très prisé des PME et TPE comme des chercheurs. Nous demandons à ce titre le retour à un plafonnement de la CET à 3,5%.

Les sénateurs socialistes ont fait valoir que le gouvernement avait, depuis 2007, pris des décisions qui se sont avérées néfastes pour l'industrie :

- Les insuffisances de l'État actionnaire, patentes lorsqu'il s'est agi de Renault comme d'entreprises ayant perçu des aides publiques qui ont délocalisé par la suite.

- Le vote désastreux de la loi NOME, dont nous demandons qu'elle soit revue.

- Des prises de position incohérentes et anti-industrielles concernant le photovoltaïque.

- Une politique d'innovation insuffisamment efficace et encore une fois incohérente : le crédit impôt recherche ne bénéficie pas suffisamment à l'industrie, aux PME et TPE, est parfois détourné de sa mission première; et le soutien aux JEI a été fortement réduit

- Un déficit de transparence et d'efficacité de certaines aides publiques, comme celles versées par le FSI et le FMEA.

- Un manque de confiance totalement contre-productif à l'égard des collectivités territoriales

Les sénateurs socialistes sont surtout convaincus que la politique industrielle sous-tendue par le rapport : de nouvelles perspectives d'allègements de charges sans contreparties,  une stratégie de conquête de marchés à l'exportation, ne permettra pas, ou de façon très marginale, de guider une réindustrialisation efficace de la France.

Défendant une autre conception de la compétitivité industrielle, fondée sur la valorisation de l'investissement et de l'innovation, et proposant une autre stratégie de réindustrialisation, les sénateurs socialistes ont voté contre l'adoption de ce rapport.

NOS PROPOSITIONS

Pour un pacte État/Territoires/PME

1-Revaloriser l'industrie et créer l'électrochoc d'une véritable culture industrielle

- mettre en place un vaste plan de communication, avec des assises décentralisées, pour accompagner la mise en oeuvre de cette culture industrielle dans l'ensemble de la société et du tissu économique français.

- promouvoir une revalorisation salariale et des conditions de travail pour renforcer l'attractivité du secteur industriel ; - imposer des règles claires et contrôlables concernant la place de l'intérim dans les entreprises pour éviter une trop grande précarisation du travail

- proposer une politique de fidélisation des jeunes dans l'industrie par l'alternance, le tutorat, des avantages

- promouvoir dès maintenant la création d'emplois jeunes dans l'industrie et la nouvelle industrie en contractualisant avec les entreprises.

- promouvoir la création de bourses d'innovation et de fondation territorialisées

- pour une réforme du système éducatif, des conditions de recrutement des écoles d'ingénieurs et grandes écoles

- pour une réservation de 50% des postes de BTS et IUT industriels aux filières professionnelles

- revoir l'ensemble des contenus des enseignements des écoles d'ingénieurs pour redonner le goût de la création d'activités industrielles et la création d'entreprises

2-Créer des dynamiques industrielles : Les PME et TPE doivent concentrer davantage de moyens, l'innovation doit être fortement encouragée. Pour un small business act.

- mettre en place des contrats de filières

- promouvoir la mise en réseau des PME dans les territoires et une culture de mutualisation de moyens

- créer de véritables pôles d'innovation en faisant évoluer les pôles de compétitivité qui pourraient devenir de vrais carrefours de chercheurs, d'industriels, de financeurs, mais aussi être des groupements d'employeurs et des centrales d'achat possibles pour l'énergie et matières premières

- réorienter le crédit impôt recherche y compris en introduisant des critères de localisation des productions et de performance économique et sociale; les aides européennes, les conditions de garanties bancaires pour en faire bénéficier davantage de PME

- créer des recours et procédures juridiques simples, rapides et peu coûteux pour faire respecter, pour les sous-traitants de rang 2 et 3, les délais de paiement

3-Assurer la conversion environnementale de notre économie et l'essor de nouvelles technologies

- adopter une politique énergétique nouvelle, constitutive du défi industriel, se fondant sur un plan d'action en faveur des économies d'énergie et le développement massif des énergies renouvelables sur notre territoire

- identifier des secteurs industriels d'avenir : photovoltaïque, biomasse, éolien, hydroéolien, filière bois,... nouvelles technologies ( communications, transport, nanotechnologies...)

- faire évoluer nos bases industrielles vers une transition écologique et technologique : bâtiment, agroalimentaire, aéronautique, automobile, pharmacie...Associer étroitement les grands groupes, la recherche fondamentale et appliquée à ces défis

- mettre en place des politiques de soutien massif à la création d'entreprises et à la mise en oeuvre de l'innovation

- pour un grand plan ferroutage et de soutien à l'industrie des transports publics et des mobilités

4-L'intelligence territoriale doit être au coeur de la politique de réindustrialisation de la France : pour une nouvelle étape de la décentralisation

- donner aux territoires les compétences nouvelles associées à des moyens nouveaux à la mise en oeuvre de dynamiques industrielles territoriales

- mise en place de fonds régionaux d'investissement

- placer les régions et les territoires au coeur de la sécurisation des parcours professionnels, de l'emploi, la formation, avec les compétences et les moyens correspondants

- élargir le CTP à l'ensemble des territoires

- veiller à la péréquation des moyens, notamment universitaires sur l'ensemble du territoire

- créer des pôles de garantie et d'investissement public territorialisés s'appuyant sur la Caisse des Dépôts réformée, la Banque Postale, Oseo, des régions et des banques régionales

- mettre en place des cartographies des terrains et locaux industriels

- placer le préfet de région en première ligne dans la facilitation des démarches administratives dans le respect des normes de sécurité

5-Un nouveau mode de financement de l'industrie

- pour une réforme globale de la fiscalité, encourageant l'investissement, l'innovation et la création d'emplois

- moduler l'impôt sur les sociétés en fonction du maintien, du développement de l'emploi et de l'investissement ainsi que de la taille des entreprises.

- pour un plafonnement de la CET à 3,5%

- pour une nouvelle négociation avec le secteur bancaire et des bonus malus contraignants pour favoriser l'investissement réel

- inciter au redéploiement du crédit en faveur des PME et proposer la création d'un produit d'épargne industrie qui bénéficierait en priorité à l'innovation et aux PME

6-Une évolution nécessaire des modes de gouvernance : transparence et contreparties

- les aides publiques (Europe, État, Régions, secteur public) seront adossées à des contreparties en terme d'emplois, de développement durable, de conditions d'investissements, de bonnes conduites avec la filière, la localisation de production dans le territoire

- la mise en place de bonus malus pénalisant les délocalisations, le recours au global sourcing, le refus de l'investissement, le recours excessif à l'intérim

- demander un contrôle de toutes les aides versées par les FSI et FMEA. Prévoir la présence de membres du Parlement issus des Commissions des Finances et de l'Économie ainsi que des partenaires sociaux

- pour une traçabilité à destination des consommateurs de la fabrication et de la performance environnementale des produits

7 -Une relance de la politique européenne par l'industrie

- pour une taxe carbone et sociétale européenne qui protège l'Europe et lui donne les moyens de la reconversion écologique de son industrie et de ses territoires

- pour un grand emprunt européen au service de la recherche et l'innovation

- solliciter des investissements directs de l'UE pour solidifier les filières

- mettre en place une agence de l'innovation industrielle européenne s'appuyant sur la BCE

- pour une politique commune de transferts de technologie pour limiter le pillage

- augmenter la part des dépenses publiques consacrée à l'industrie

- pour une politique monétaire favorable et respectueuse de l'industrie

- pour une politique énergétique européenne y compris pour identifier des nouveaux minerais

(Contribution écrite des sénateurs, membres de la mission, appartenant au groupe socialiste)

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