IV. CONTRIBUTION DE M. SERGE ANDREONI

Le raffinage une activité économique majeure
des Bouches-du-Rhône

L'industrie française est à la croisée des chemins entre remises en cause, espoirs et inquiétudes. Les Bouches-du-Rhône, grand département à vocation industrielle, n'échappent pas à cette problématique. Ceci concerne clairement le secteur pétrolier, le raffinage et la pétrochimie qui occupent une place de premier plan dans ce département depuis trois quart de siècle.

Depuis des années, les mutations économiques et industrielles ont affecté le secteur du raffinage et les fermetures de sites se sont succédé mais la crise du raffinage semble s'installer insidieusement en Europe.

Les causes de cette crise sont hélas bien connues : baisse de la demande de produits pétroliers, surcapacités supposées ou réelles, baisse des marges de production peu adaptées (trop d'essence et trop peu de gazole), normes environnementales, émergence de nouveaux pôles économiques concurrentiels.

Le raffinage étant beaucoup moins rentable que la prospection et l'extraction pétrolière, les grands groupes se sont recentrés sur ces dernières activités présentant des opportunités de profits bien supérieures. Les grands investissements en matière de raffinage s'effectuent désormais essentiellement en Asie car ce continent connaît une forte croissance de la demande, soutenue par un fort développement économique.

La fermeture de la raffinerie des Flandres comme celle annoncée de Reichstett ont un écho très fort dans tout le secteur pétrolier. On ne peut que regretter la faiblesse des réactions politiques au sommet de l'État. Cet écho a largement retenti dans les Bouches-du-Rhône. Dans ce département, le poids de l'industrie pétrolière et du raffinage est très lourd : les volumes traités dépassent les 24 millions de tonnes par an auxquels vont s'ajouter plus de 15 millions de tonnes de pétrole expédiés vers le nord par un grand réseau d'oléoducs rejoignant la Suisse et l'Allemagne. Les 4 sites de Berre l'Étang, Fos-sur-Mer, Lavera et La Mède représentent plus de 3000 emplois directs et 11 000 emplois indirects dont dépendent également des milliers d'emplois dans la chimie (les Bouches-du-Rhône représentent près de 10 % de la chimie française).

Il s'agit, pour la plupart, d'emplois qualifiés et très qualifiés recelant un véritable savoir-faire technique et industriel de haut niveau. Dans les Bouches-du-Rhône, le pétrole est une culture liée à une réalité économique incontournable.

Les résultats financiers du raffinage à lui seul sont tout aussi éloquents : 287 millions d'euros de masse salariale, 180 millions d'euros d'investissement (dont 100 millions d'euros consacrés à la sécurité et l'environnement, 49 millions d'euros de taxe professionnelle.)

À partir de 2013, plus de 500 millions d'investissement devraient se réaliser sur une période de 5 ans. Ces chiffres permettent de mieux mesurer les effets d'entraînement sur l'ensemble du tissu économique et social régional.

Il convient de rappeler que nous ne sommes pas dans le cadre d'une crise industrielle banale mais dans un cas très particulier. La délocalisation du raffinage, si elle se confirme, affectera gravement la pétrochimie, secteur essentiel de notre industrie.

J'ai toujours été très sensible, tant dans ma qualité d'élu local que de parlementaire, aux dynamiques industrielles qui rythment la vie des Bouches-du-Rhône. Dès avril 2009, j'ai déposé une question écrite au Sénat en présence du ministre de l'industrie de l'époque concernant la mise en place des commissaires à la réindustrialisation, suivie le mois suivant par une seconde sur la situation et l'avenir de l'industrie chimique.

Je suis également intervenu le 1 er avril 2010 sur l'avenir de l'industrie du raffinage en France lors d'une question orale sans débat au Sénat. Je regrette, comme beaucoup de nos collègues, que nos propositions n'aient pas été suivies de faits de la part du gouvernement.

On se rappelle pourtant très bien des propos très forts tenus l'année dernière en février 2010 par le président de la République, qui demandait le maintien des capacités de raffinage du pétrole. Une table ronde nationale sur le raffinage s'est également tenue en avril 2010 : elle réunissait MM. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie et du développement durable et Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.

L'une des conclusions retenues était « le maintien d'une industrie du raffinage performante qui constitue un enjeu européen et national en particulier pour des raisons de sécurité d'approvisionnement. » En effet, en matière de raffinage, le risque de délocalisation de l'activité est une réalité prégnante. Elle pourrait prendre la forme du projet « Oiltanking » comportant un grand dépôt de stockage de produits pétroliers déjà raffinés sur le port de Marseille-Fos, qui serait catastrophique pour le raffinage sur tout le pourtour de l'étang.

Le ministre chargé de l'industrie ne s'y trompait pas quand il déclarait le 26 avril 2010 en visitant le site de Lavera : « ce projet est une menace pour les emplois locaux. Le gouvernement ne m'a donné aucune autorisation d'une activité stricte de stockage. »

En effet ce projet est emblématique de la désindustrialisation qui menace si lourdement nos territoires déjà fragilisés par la crise et la disparition de la taxe professionnelle. Oiltanking remplacerait plusieurs milliers d'emplois très qualifiés par une filière industrielle pour quelques dizaines voire une petite centaine d'emplois peu qualifiés. Un comble quand on connaît la gravité du chômage qui frôle les 20 % des actifs dans certains secteurs des Bouches-du-Rhône. Ce dispositif condamnerait à terme toute une filière depuis la formation jusqu'à la sous-traitance.

Le ministre de l'industrie concluait son propos par : « le raffinage garantit une part de notre indépendance énergétique. Il faut veiller aux équilibres. » Le recul du raffinage et surtout sa substitution par de simples activités de manutention et de stockage font courir un réel danger à notre pays sur le plan stratégique. La France supporte des contraintes lourdes en matière d'approvisionnement énergétique, liées notamment aux capacités des pays producteurs d'un pétrole dont les cours sont devenus très sensibles avec la demande accrue des pays émergents notamment asiatiques.

La réduction des capacités de raffinage françaises ne manquerait pas d'accroître le déficit de notre balance commerciale qui dépassait 51 milliards d'euros en 2010 (ce déficit était de 44 milliards en 2009). En effet, la France devra acheter un produit raffiné, donc forcément plus cher.

Les cours, qui avaient largement baissé voici quelques années, augmentent à nouveau fortement. Les troubles qui affectent certaines régions du monde, de même que la spéculation, renforcent notre dépendance. Dans un tel contexte où l'incertitude domine, il convient d'agir pour ne pas créer une contrainte supplémentaire qui ne manquerait pas de générer de nombreuses difficultés dans l'avenir.

La dépendance énergétique ne doit pas, faute d'une réflexion stratégique globale, se doubler d'une contrainte industrielle et technologique. Une réflexion de fond doit être menée sur l'avenir du raffinage car il s'agit d'une activité irremplaçable tant pour nos territoires que pour notre pays.

L'outil industriel doit être maintenu et soutenu dans ses évolutions devenues indispensables. Ainsi toutes les pistes ne semblent pas avoir encore été explorées. L'une d'entre elle pourrait s'avérer fructueuse : les fonds structurels européens. À ce titre, des financements importants sont disponibles. Il apparait nécessaire d'examiner attentivement les modalités de mobilisation.

On sait que la Communauté européenne a prévu de soutenir la recherche et l'innovation dans les régions européennes. La promotion d'une industrie moderne nouvelle et innovante figure notamment parmi ses objectifs. Le raffinage a besoin, comme d'autres secteurs industriels, d'un consensus et d'une dynamique, sinon il est voué à régresser de plus en plus.

On devine déjà les conséquences qui seraient extrêmement lourdes, en particulier au plan social.

Il est inenvisageable que la France perde sa pétrochimie car sans elle, elle devrait renoncer à sa vocation industrielle.

En effet, le démantèlement éventuel de la pétrochimie viendrait tout simplement aggraver une politique de désindustrialisation à laquelle nous assistons depuis de nombreuses années et que la suppression de la taxe professionnelle ne fera qu'aggraver. Exemple : sur notre intercommunalité (Agglopole Provence) nous avions une seule taxe : la TP, qui représentait un produit de 71 millions d'euros. Les dotations qui s'ajoutaient, représenteraient 14% de nos revenus. Aujourd'hui la « TP » ne représentera plus que 33 millions d'euros et les dotations 50 %, sans parler de la péréquation envisagée qui pénalisera l'ensemble des territoires industriels, d'autant que les dix paramètres de compensation ne sont pas tous sanctuarisés sans parler du gel des dotations annoncé pour 3 ans par le gouvernement.

Ce sont ainsi plus de 100 intercommunalités qui seraient pénalisées, le nouvel impôt étant basé sur la valeur ajoutée qui est faible dans l'industrie. Enfin, les dotations ne sont pas dans une dynamique de progression alors que la TP avait dans notre territoire, suivant les années, une progression de 2 à 4 %. Il est donc indispensable que les territoires industriels puissent faire l'objet d'une étude attentive leur permettant de récupérer une part plus importante de l'impôt économique payé par les multinationales. Cela est d'autant plus nécessaire que, dans l'immense majorité des cas, les territoires industriels sont aussi ceux dont la population est la plus pauvre, ce qui nécessite un investissement social que d'autre n'ont pas à réaliser.

Lorsque le ministre de l'industrie annonce, courant 2010, la mise en place d'une mesure de 200 millions d'euros sur trois ans pour soutenir la réindustrialisation, on ne comprendrait pas qu'une partie de ces sommes ne soient .pas affectée au raffinage. Il est vrai que, sur les dix commissaires à la réindustrialisation, aucun n'a été affecté en PACA. Enfin, comment espérer que ces territoires qui abritent des sites SEVESO continuent à en accueillir et à investir pour favoriser de nouveaux accueils en l'absence de perspectives fiscales permettant une cohésion sociale, seul gage d'acceptabilité par les populations de ces usines polluantes et à risques.

(Contribution écrite de M. Serge Andreoni, sénateur des Bouches-du-Rhône, maire de Berre l'Étang.)

Page mise à jour le

Partager cette page