IX. AUDITION DE M. MICHEL DIDIER, PRÉSIDENT DU CENTRE D'OBSERVATION ÉCONOMIQUE ET DE RECHERCHES POUR L'EXPANSION DE L'ÉCONOMIE ET LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES

Puis, la commission procède à l'audition de Michel Didier, président du Centre d'observation économique et de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (COE-Rexecode).

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je centrerai mon propos sur la problématique de la compétitivité, qui est une question clé. La désindustrialisation dont souffre la France n'est pas un phénomène continu : on observe des pics et des phases de stabilisation. Depuis une dizaine d'années, nos parts de marché à l'exportation connaissent un recul rapide. Dans ce type de comparaison internationale, il faut bien sûr tenir compte des taux de change, pour ne pas confondre baisse des exportations en volume et baisse de la valeur d'échange de la monnaie.

Pour éviter tout biais, nous avons observé l'évolution de la part de marché des exportations française par rapport aux autres pays de la zone euro. La question du taux de change ne se pose pas, puisque nous avons tous la même monnaie, pour longtemps je l'espère, et depuis 1997, date à laquelle les taux de change ont été stabilisés.

Cette part est passée, d'après les chiffres de l'Insee, de 16,8 % en 1998 à 13,5 % en 2009, diminuant à un rythme régulier. Cela représente un énorme recul, si l'on considère que le ratio porte sur toutes les exportations de la zone euro, celles de la France en représentant 20 %. Si nous avions conservé les mêmes parts de marché sur ces dix années, nous aurions cinq points de PIB d'export en plus, ce qui représente 100 milliards... qui nous seraient bien utiles en ces temps de crise.

Si l'on observe la part de notre valeur ajoutée industrielle dans le total de la valeur ajoutée des pays de la zone euro, on constate qu'elle est passée de 17,2 % en 1999 à 13,4 % en 2008. Autant dire que les deux courbes sont fortement corrélées. Mais ici, on mesure véritablement la création de richesse industrielle, dont il faut bien constater qu'elle s'est fortement contractée.

Il est vrai qu'il faut prendre en compte, dans la compétitivité, l'agriculture et les services. Mais l'industrie représente près de 90 % de nos échanges extérieurs, et 95 % de la recherche : elle est fondamentale pour notre économie. On relève d'ailleurs le même recul dans l'agriculture, notamment sur des biens agricoles classiques dont on pensait qu'ils en étaient le fleuron.

L'emploi industriel reflète l'érosion de cette base industrielle française. Il est passé de 4,2 millions en 1990 à 3,1 millions en 2008, soit un recul de 27 %. Il est vrai que l'emploi industriel recule presque partout. Pour l'Allemagne, il faut tenir compte du fait qu'elle a dû, de 1990 à aujourd'hui, résorber les milliers d'emplois en surnombre de l'Allemagne de l'Est. En Italie et en Espagne, le recul n'a été que de 10 %. Deux pays ont connu une forte érosion : le Royaume-Uni et la France. Mais le Royaume-Uni n'a pas perdu son industrie et c'est une idée fausse que de croire qu'il se réduit désormais à une cité financière. Car la recomposition de l'industrie anglaise a été beaucoup plus rapide que la nôtre. Des secteurs entiers de la vieille industrie ont disparu, mais les industries modernes, hautes technologies ou médicament, ont mieux résisté que les nôtres.

Pour autant, nos entreprises ne sont pas restées inertes. Elles ont essayé de résister, mais pour tenter de préserver leur part de marché en volume, elles ont dû accepter des baisses de prix, bien supérieures à celles observées en Allemagne. Ce pourquoi nous sommes plus sensibles à une hausse de l'euro - avec cette contrepartie que nous profitons aussi davantage de sa baisse...

Autrement dit, si nous résistons à l'érosion de nos parts de marché, ce n'est qu'en acceptant une baisse du revenu tiré de nos exportations, qui se répercute sur notre revenu national. Notre PIB par habitant recule davantage que la moyenne de la zone euro Même si nous restons encore 7 % au-dessus de la moyenne, il faut se souvenir que nous la dépassions, autour de 1995, de 12 et 15 %.

Dans une zone unifiée, où les ajustements ne peuvent plus se faire par les taux de change, la perte de compétitivité se paye par une baisse du revenu moyen par habitant.

Quelles explications à cette perte de compétitivité ? On entend souvent dire que la qualité de nos produits serait insuffisante, que nous ne serions pas assez innovants. Or, nous disposons d'une enquête annuelle menée auprès des acheteurs européens, auxquels il est demandé de classer les produits par pays d'origine. La dernière enquête, qui porte sur les biens intermédiaires et les équipements, révèle que ceux-ci ne sont pas mécontents de nos produits. S'ils les considèrent moins sophistiqués que les produits allemands, ils n'estiment pas pour autant que le rapport qualité-prix se soit dégradé.

Comprenons bien que lorsque l'on parle de parts de marché à l'exportation, on vise l'exportation des produits élaborés sur notre territoire. Ce que produit Saint-Gobain en Chine ou ailleurs n'appartient pas à nos bases industrielles. Or, les conditions de production sur notre territoire ont pour effet d'éliminer les entreprises qui ne peuvent maintenir un rapport qualité-prix satisfaisant. Ceci explique et la baisse de nos bases et celle de nos parts à l'export.

Cette analyse est importante à prendre en compte en matière de politiques économiques, car au-delà du catalogue habituel de mesures, qu'au reste je ne conteste pas, la question centrale est celle des conditions de productions sur notre territoire.

Sur la longue période, on observe des phases différentes. On peut grosso modo distinguer quatre périodes de dix ans, au cours de deux desquelles nos parts de marché ont baissé. Au cours de la décennie 1970, nos parts ont augmenté dans l'ensemble européen. C'est que nous avions alors une politique macroéconomique qui a favorisé la stabilité, grâce à une politique industrielle très volontariste. Au cours des décennies 1980 et 1990, on observe deux phases. L'une, qui va de 1980 à 1985-1986, fut désastreuse pour notre compétitivité - et ne voyez dans mes propos aucune coloration politique : les économistes ont un regard d'entomologue. Les augmentations de coûts ont été massives.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Comme les « délocalisations » de toutes natures...

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je ne parle pas ici d'attractivité du territoire, mais uniquement de parts de marché à l'export.

Entre 1987-1989 et les années 1999-2000, on a connu une période de stabilisation. Puis, depuis 1999, la politique économique engagée, qui a d'autres avantages, a soumis nos bases industrielles à des contraintes d'offre très fortes, qui se sont traduites, au reste, par des hausses de salaires. En fin de période, cependant, on peut relever une note d'espoir, avec une stabilisation, qui n'est peut être que conjoncturelle - puisque l'on constate un rebond industriel beaucoup plus marqué en Allemagne - mais qui pourrait être signe d'une accalmie plus durable - car le rebond spectaculaire de l'Allemagne est aussi dû au fait qu'elle avait beaucoup souffert, durant la crise, du reflux de la demande sur les biens d'équipement. Reste que les trois à quatre points et demi perdus au cours de la décennie nous manquent encore.

La conclusion de mon propos tient en une phrase : il n'y a aucune chance de réindustrialiser l'économie française si l'on n'endigue pas cette érosion de nos parts à l'export et si l'on n'intègre pas la politique macroéconomique dans la réflexion.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Y a-t-il des secteurs qui s'en sortent mieux que d'autres et si oui, cette bonne tenue s'inscrit-elle dans la continuité des périodes de stabilité ?

M. Martial Bourquin , président. - Quand on voit que les petites voitures, les Peugeot 107 ou les Citroën C1, sont produites en Tchécoslovaquie ou ailleurs, il faut bien constater que nos propres groupes alourdissent le bilan négatif à l'export.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Pour l'aéronautique : nous avons été pénalisés par le taux de change avec le dollar.

M. Michel Didier, président du COE-Rexecode. - Je rappelle que les chiffres que je vous ai livrés ne concernent que la zone euro.

La tendance à la baisse des parts de marché s'observe y compris dans des secteurs traditionnellement forts, comme l'industrie du médicament : la recherche part aux États-Unis, la galénique en Afrique du Nord, les essais cliniques en Inde. Chaque maillon de la chaîne de production est soumis à une compétition mondiale.

La compétitivité est une notion complexe, qui repose avant tout sur la compétitivité du territoire.

M. Jean-Jacques Mirassou . - La production va là où sont les consommateurs, dit-on. Mais une partie de la production délocalisée est destinée au consommateur européen. Le poids croissant du coût du transport va-t-il entraîner un rééquilibrage ?

M. Martial Bourquin , président . - Naguère, l'automobile tirait notre commerce extérieur ; aujourd'hui, elle nous met en difficulté !

M. Michel Didier. - La production va là où est la demande : pour pénétrer le marché chinois, il faut des usines sur place. On peut regagner de la compétitivité sur des stades intermédiaires, quitte à ce que l'assemblage final se fasse près du consommateur. Avec l'automobile, le problème est que ces usines alimentent notre propre consommation...

Aujourd'hui, les entreprises mondiales gèrent d'une part un portefeuille d'activités, d'autre part un portefeuille de territoires : les unités d'entreprise, qu'il s'agisse d'une usine ou d'un centre de gestion des brevets, sont implantées dans le territoire le plus efficace. Le sujet n'est pas la compétitivité de nos produits ou de nos patrons, mais bien celle de nos territoires !

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