X. AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE VOLOT, MÉDIATEUR NATIONAL INTER-ENTREPRISES INDUSTRIELLES ET DE LA SOUS-TRAITANCE

M. Jean-Claude Volot, médiateur national inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance . - Je réfute le terme de « désindustrialisation », qui sous-entend que la situation de l'industrie française est mauvaise : c'est faux ! Les chiffres des États généraux de l'industrie comme de l'Insee montrent que la réalité ne correspond pas à cette perception pourtant fort répandue, notamment chez les élus. La désindustrialisation est un mythe qui a la vie dure !

Dans mon département de la Haute-Marne, mes amis sénateurs réagissent surtout lorsqu'une usine ferme ou réduit ses effectifs, même cela ne concerne qu'une petite fraction de l'emploi salarié. La réalité du terrain, c'est une grande mutation. Les industries disparaissent certes parce que certaines sont délocalisées, mais surtout parce qu'elles sont dépassées ! Dans les années 60, les entreprises s'implantaient sous l'impulsion d'un élu, et l'intervention de l'État était déterminante. Aujourd'hui, les critères ont changé : l'efficacité prime, on implante les entreprises le long d'axes structurants, ou dans des zones urbaines équipées.

Les activités sont de plus en plus dématérialisées, avec des conséquences sur l'emploi. L'industrie dite traditionnelle est à l'avant-garde en matière d'investissement, de technologie, de performance. Avec ses gains de productivité, elle a perdu 30% de ses emplois en dix ans, tandis que les volumes produits sur le territoire national restaient stables. Évolution qui concourt à la perception erronée d'une désindustrialisation... Si l'on ajoute la part des services aux entreprises, la situation est loin d'être catastrophique.

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Les services aux entreprises industrielles ne représentent que 5% du PIB. Quant aux emplois détruits, ils seraient 550 000...

M. Jean-Claude Volot . - Il faut distinguer les destructions d'emploi dues à la crise et celles liées aux mutations technologiques et aux gains de productivité. Le volume d'activité n'a guère changé. La France conserve sa position parmi les nations industrielles, la Chine mise à part ; elle gagne même sur la Grande-Bretagne. Rapportée au PIB, la part de l'industrie est la même qu'aux États-Unis. L'industrie française, prétendument moribonde, représente plus de 80% de nos exportations !

M. Jean-Jacques Mirassou . - Les personnes que nous avons auditionnées ne rejettent pas toutes le terme de « désindustrialisation », au contraire. Allez expliquer l'avantage des gains de productivité à celui que l'on licencie parce qu'il est devenu inutile ! Molex n'a pas été délocalisée parce que ses produits étaient obsolètes, mais parce son acquéreur a pris son savoir faire pour partir avec ! Il faudra s'interroger sur le sort des laissés pour compte.

M. Martial Bourquin , président . - Sochaux compte aujourd'hui 12 000 salariés, contre 45 000 naguère; pour une production équivalente. Il y a aussi une mutation du système productif : d'un centre de production, on est passé à un centre d'assemblage de pièces dont la moitié est fabriquée hors de France. Le solde négatif est lourd.

L'automobile, qui tirait le commerce extérieur, le plombe désormais. Renault fabrique en Turquie les voitures destinées au marché français !

M. Jean-Claude Volot . - De quel département êtes-vous élu ?

M. Jean-Jacques Mirassou . - De la Haute-Garonne.

M. Jean-Claude Volot . - J'ai un établissement à Toulouse, j'ai créé le réseau Éole 381 qui fédère des entreprises dans les domaines de la mécanique et de l'hydraulique.

Ce n'est pas à cause des destructions d'emplois que l'industrie est en perte de vitesse. Je me bats constamment contre des donneurs d'ordre qui emploient des méthodes de voyous, mais je ne peux critiquer les industriels français qui cherchent à rester compétitifs.

En France - c'est un miracle - nous avons encore Renault et Peugeot-Citroën. Or c'est de celui qui produit le moins en France que l'État est actionnaire ! Les armes du médiateur sont au nombre de quatre : l'État actionnaire, l'État prêteur, l'État censeur, l'État client. Quand la SNCF achète à Alstom des locomotives ou des wagons, c'est à l'État d'exiger que l'on recoure à des sous-traitants français !

Le cas de Molex est à la fois exemplaire et caricatural. À la déliquescence apparente des vielles industries, il faut opposer le développement industriel des nouvelles technologies, dont le plateau de Saclay est un brillant exemple. Les pôles de compétitivité sont un véritable pari sur l'avenir.

Depuis la régionalisation, l'État français a abandonné la stratégie industrielle des grands projets au profit d'un système de boutiquiers, où chaque président de région mène ses projets à petite échelle. Or les succès de la France, ce sont les grands projets ! L'emploi découle de l'économie, qui est une responsabilité de l'État comme des divers niveaux de collectivités locales.

M. Jean-Jacques Mirassou . - Celles-ci sont désormais privées de taxe professionnelle !

M. Jean-Claude Volot . - C'était une injustice. Le véritable tyran, c'est le consommateur. D'où viennent vos belles chaussures de sport ?

M. Jean-Jacques Mirassou . - Pour la chasse, je porte des bottes Le Chameau, fabriquées en France !

M. Jean-Claude Volot . - Naguère !

En France, l'industrie a une mauvaise image, elle n'attire plus. Dans mon école d'ingénieur, nous étions dix-huit candidats pour une place ; aujourd'hui, on peine à remplir les écoles ! Les ingénieurs préfèrent la banque ou la finance à l'industrie...

L'État a pénalisé la compétitivité française avec des mesures comme les 35 heures ou des règlementations excessives sur l'environnement. On exige désormais un bilan carbone des entreprises qui bénéficient des fonds de France investissement - majoritairement des TPE et PME ! Oui à une prise de conscience environnementale, mais conditionner l'investissement à des mesures obligatoires, c'est nuire à l'emploi et au développement industriel ! À vous d'agir au niveau législatif.

Nous sommes tous fautifs, y compris les industriels honteux. Il y a toutefois des raisons d'espérer, avec les États généraux de l'industrie. Cinquante mille chefs d'entreprise ont défini des axes de travail. Nous allons enfin mettre en oeuvre la notion de filière industrielle, si présente en Allemagne. Je préfère participer à une dynamique positive pour développer l'industrie que multiplier les rapports catastrophistes !

Il faut ré-humaniser les relations. Il faut responsabiliser les leaders de filières, à l'instar de Volkswagen ou Toyota, car la rémunération du capital - essentiellement des capitaux étrangers - est une horreur. L'acier mondial est aux mains de cinq possesseurs, l'aluminium, de trois, les matières plastiques, de cinq : ceux-ci provoquent volontairement la raréfaction des matières premières pour augmenter les prix. Là aussi, il y a une exigence de rémunération excessive du capital, qui pompe des marges sur les strates intermédiaires. M. Ghosn est en retard sur le patron de PSA sur ce point : il n'a pas encore compris qu'il faut un rapport de force !

M. Martial Bourquin , président . - Nous vous remercions pour votre franc-parler.

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