D. UNE SITUATION PÉNITENTIAIRE TENDUE EN VOIE D'AMÉLIORATION

Vos rapporteurs ont visité les trois centres pénitentiaires et la maison d'arrêt de la Guyane et des Antilles.

En dehors de la maison d'arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe), vétuste et ancienne, les centres pénitentiaires de Rémire-Montjoly (Guyane), Ducos (Martinique) et Baie-Mahault (Guadeloupe) ont fait partie tous les trois du même programme immobilier. Construits sur le même schéma architectural, assez ouvert et aéré, adapté au climat, ils ont été ouverts dans la seconde moitié des années 1990, mais tous connaissent aujourd'hui, pourtant, une surpopulation carcérale plus ou moins aiguë. C'est le centre de Ducos qui connaît manifestement la situation la plus difficile.

Il n'existe aucune maison centrale dans les Antilles et en Guyane pour l'accomplissement des longues peines et l'accueil des détenus dangereux. Dès lors, les quelques condamnés à de longues peines sont transférés en métropole.

1. Le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly

Mis en service en 1998 pour remplacer la vieille prison de Cayenne, le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly comprend une maison d'arrêt pour les prévenus et un centre de détention pour les condamnés, ainsi qu'un quartier de semi-liberté. Il peut accueillir des hommes, des femmes et des mineurs.

Conçu initialement pour 460 places, il a connu quelques difficultés de fonctionnement à son ouverture 45 ( * ) . Au bout de quelques années, les capacités d'accueil se sont révélées insuffisantes. Après une première extension en 2008, une seconde est en cours et devrait être livrée en 2012, une troisième étant d'ores et déjà prévue, portant ainsi à terme les capacités à 720 places.

Au moment de la visite de vos rapporteurs, le centre recensait environ 680 détenus, après un pic de 715 en 2010, au niveau de l'objectif de capacité prévu à l'horizon de plusieurs années. La surpopulation touche principalement la maison d'arrêt, comme dans la plupart des prisons françaises.

Le centre pénitentiaire emploie 230 fonctionnaires, dont 200 affectés à la surveillance, et fait appel à un prestataire extérieur pour la maintenance. Contrairement à l'ouverture, les personnels sont aujourd'hui majoritairement originaires de Guyane. Les personnels féminins sont nombreux, ce qui pose quelques difficultés avec les détenus.

La population carcérale présente la particularité d'être en majorité étrangère et non francophone : 63 % des détenus sont étrangers, quasiment tous en situation irrégulière, originaires essentiellement du Brésil, du Surinam et du Guyana. Quelques détenus français viennent du fleuve et ne sont pas francophones. L'anglais et le créole permettent de communiquer avec eux. Si le centre ne comporte pas de quartiers par nationalité, de façon à éviter les confrontations, l'administration prend néanmoins le soin de ne pas mettre des personnes de nationalités différentes dans une même cellule. A leur sortie, les étrangers, qui effectuent en général des peines d'une durée inférieure à un an, sont reconduits à la frontière.

Les condamnés à de longues peines sont transférés en métropole et reviennent en Guyane pour exécuter la fin de leur peine.

Selon M. Daniel Willemot, directeur du centre pénitentiaire, les peines de prison prononcées en Guyane, à infractions égales, sont moins sévères qu'en métropole.

Enfin, compte tenu du niveau élevé du chômage en Guyane, il est très difficile de trouver des entreprises susceptibles de fournir du travail aux détenus. Des cours de français sont proposés avec succès, par des personnels de l'éducation nationale. Une formation professionnelle au maraîchage est proposée, dans le cadre d'un chantier d'insertion, par une régie de quartier, en dehors de l'enceinte de la prison.

Au terme de leur visite, qui leur a permis d'entrer dans les différents quartiers, vos rapporteurs ont estimé que ce centre pénitentiaire correspondait à ce que l'on est en droit d'attendre de la République.

2. Le centre pénitentiaire de Ducos

Mis en service en 1996 pour pouvoir fermer la vieille prison de Fort-de-France, le centre pénitentiaire de Ducos comporte une maison d'arrêt et un centre de détention. Initialement conçu pour 120 places, l'établissement a ouvert avec 490 places. En 2007, 80 places supplémentaires ont été livrées, pour atteindre 570 aujourd'hui.

Avec 914 détenus lors de la visite de vos rapporteurs, après un pic de 920 détenus en 2009, le centre de Ducos connaît un taux d'occupation de l'ordre de 160 %, le plus élevé de tous les établissements des départements d'outre-mer. Cette surpopulation n'affecte pas les quartiers pour femmes et pour mineurs, qui sont en sous-effectifs, et le taux d'occupation est à peu près normal dans le centre de détention. C'est dans la maison d'arrêt pour hommes que se manifeste la surpopulation, avec un taux d'occupation de l'ordre de 250 %. Des cellules individuelles peuvent comporter jusqu'à quatre lits. Cette surpopulation entraîne parfois de graves violences entre détenus.

Quelques transfèrements ont lieu chaque année vers la métropole, pour l'exécution des longues peines.

Selon les informations données à vos rapporteurs, 250 condamnés sont à ce jour en attente d'exécution d'une peine de prison. Il est évident que, s'ils étaient incarcérés, l'établissement ne serait pas en mesure de fonctionner dans des conditions normales de sécurité. Un programme d'extension de 160 places supplémentaires est prévu pour 2014, mais n'a pas encore abouti. Cette extension porterait la capacité totale à 730 places, soit encore 200 places au moins en-deçà des besoins au vu de la surpopulation actuelle.

Les magistrats rencontrés en Martinique par vos rapporteurs ont fait part de leur inquiétude sur la surpopulation du centre pénitentiaire, signalant qu'il n'était plus possible à ce jour d'exécuter les peines de prison prononcées, à hauteur de 250 condamnations, ce qui pose un problème pour l'autorité de la justice, mais également pour les victimes qui, dans le contexte insulaire, risquent plus facilement de rencontrer la personne condamnée qui n'a pas encore exécuté sa peine.

Concernant la population carcérale, 80 % des détenus habitent la Martinique, petit territoire, de sorte que les familles essaient régulièrement d'entrer en contact par-delà les grilles. L'enceinte, malgré les travaux réalisés, est perméable aux projections d'objets divers depuis l'extérieur, de sorte que l'administration récupère chaque année le long de l'enceinte environ 150 téléphones portables, 40 à 50 kilogrammes de drogue, sans compter des litres d'alcool. Ces produits donnent lieu à un trafic au sein de la prison qu'il est difficile de contrer efficacement.

Le statut de juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Fort-de-France amène au centre de Ducos une population étrangère à la Martinique, provenant de tout l'arc antillais et d'Amérique du sud.

Selon M. Jean-Jacques Pairraud, directeur du centre, la population carcérale est souvent composée de jeunes violents et toxicomanes qui contestent la prison, l'autorité et l'ordre établi. Pour autant, il constate moins d'atteintes au personnel, notamment au personnel féminin, dans la période récente. On recense également des troubles psychiatriques, mais l'hôpital n'est pas en mesure d'accueillir les détenus concernés.

Trois entreprises fournissent du travail en ateliers aux détenus, pour une rémunération de 300 à 450 euros, à comparer aux 150 à 300 euros pour le service général (cuisine et entretien), lequel emploie 150 détenus environ.

Vos rapporteurs ont été particulièrement frappés par le climat violent généré par le phénomène de surpopulation carcérale, qu'ils n'ont pas perçu ni au centre de Rémire-Montjoly en Guyane ni dans les deux établissements de Guadeloupe.

3. La maison d'arrêt de Basse-Terre

Situé dans les bâtiments d'un ancien couvent construit XVII ème siècle et transformé en prison en 1792, la maison d'arrêt de Basse-Terre est actuellement l'établissement pénitentiaire le plus ancien des départements français d'Amérique. C'est également, fort logiquement, le plus vétuste, même si un bâtiment plus récent a été ajouté aux bâtiments d'origine. Depuis une dizaine d'années, des projets de reconstruction sont à l'étude. Un projet de construction sur la commune de Gourbeyre ayant été abandonné fin 2009, l'administration privilégie à présent une opération, bien plus complexe, de reconstruction sur le site de Basse-Terre en maintenant le fonctionnement, avec un objectif de capacité de 180 places. La livraison est prévue pour 2015.

Actuellement, la maison d'arrêt compte un effectif théorique de 130 places, pour un effectif réel pouvant atteindre 200 personnes. Lors de la visite de vos rapporteurs, l'établissement comportait 137 détenus, dont 13 sous bracelet électronique, c'est-à-dire en dehors du site.

La population est atypique, puisqu'elle est composée aux deux tiers de condamnés purgeant leur peine, qui ont fait le choix de rester à Basse-Terre pour des raisons de proximité familiale, malgré l'état des locaux 46 ( * ) .

La vétusté des locaux nécessite chaque année d'importants travaux d'entretien qu'une concrétisation plus rapide du projet de reconstruction aurait permis d'économiser. Vos rapporteurs déplorent cette situation préjudiciable pour les finances publiques. La présidente du tribunal administratif de Basse-Terre leur a fait savoir que des avocats commençaient à attaquer l'État au titre des mauvaises conditions de détention à la maison d'arrêt.

Les deux tiers des détenus sont de Guadeloupe et un tiers viennent de Saint-Martin.

La maison d'arrêt n'a pas de locaux pour accueillir des ateliers de travail, mais elle a mis en place un chantier-école pour repeindre des cellules. De nombreux détenus participent au service général de la maison, ainsi qu'aux activités cultuelles et culturelles. Des enseignements sont aussi proposés, notamment grâce à un enseignant à temps plein.

Selon Mme Caroline San Nicolas, directrice, malgré la vétusté et la dégradation des bâtiments, il existe un état d'esprit qu'elle a qualifié de « familial », grâce à une bonne entente du personnel comme à la nature de la population carcérale. Vos rapporteurs ont effectivement pu apprécier cet état d'esprit.

L'encellulement individuel est possible dans le bâtiment plus récent, tandis que seuls des dortoirs existent dans les bâtiments anciens. Selon Mme San Nicolas, l'encellulement collectif produit ici un effet positif de prévention des suicides, même s'il accroît les violences entre détenus.

4. Le centre pénitentiaire de Baie-Mahault

Mis en service en 1996, le centre pénitentiaire de Baie-Mahault comporte une maison d'arrêt et un centre de détention. Il présente une capacité de 550 places environ. Lors de la visite de vos rapporteurs, 660 détenus étaient présents. C'est la maison d'arrêt, principalement, qui souffre d'un problème de surpopulation, pas le centre de détention. Les quartiers pour femmes et pour mineurs sont même en sous-effectifs.

Un projet d'extension devrait accroître la capacité de 200 places, avec le déplacement du quartier pour mineurs pour aménager un quartier pour les arrivants dans les bâtiments existants, ainsi que la création d'un quartier pour les fins de peine, avec préparation à la sortie, et d'un quartier de semi-liberté.

La localisation du centre, entre la mangrove et un lotissement, évite les phénomènes de « parloir sauvage » et de projections depuis l'extérieur qui existent au centre martiniquais de Ducos.

La population carcérale est surtout française, avec une majorité de ressortissants de la Dominique chez les étrangers. La majorité des mineurs sont anglophones car ils viennent de Saint-Martin.

Les détenus dangereux condamnés à de longues peines sont transférés en maison centrale en métropole.

En raison du niveau élevé du chômage en Guadeloupe, les entreprises sont réticentes à fournir du travail aux détenus, qui s'affairent donc surtout au service général de l'établissement.

M. Alain Pardouka, directeur du centre, a indiqué que l'existence de deux établissements en Guadeloupe permettait un fonctionnement mutualisé plus souple, ce qui n'est pas le cas en Guyane et en Martinique. Ayant été en fonction dans l'établissement à son ouverture, il a observé une montée rapide de la violence dans le milieu carcéral, traduction de la violence croissante de la société guadeloupéenne depuis quinze ans.

Vos rapporteurs ont apprécié la tenue du centre de Baie-Mahault.

S'étant rendu dans tous les établissements pénitentiaires de Guyane et des Antilles, ils s'inquiètent de la situation très tendue, pour ne pas dire explosive, du centre pénitentiaire de Ducos, conjuguée à la charge importante de la justice pénale en Martinique, qui se traduit par un nombre élevé de personnes condamnées en attente d'exécution de peine. Dans ces conditions, vos rapporteurs estiment qu'aucun projet d'extension sur le site de Ducos ne saurait résoudre à lui seul le problème de la surpopulation carcérale et de l'insuffisance des capacités de l'établissement.


* 45 Une émeute carcérale en 1999 a conduit à une fermeture temporaire de l'établissement.

* 46 La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 fait désormais obligation de transférer les condamnés dans les établissements pour peines. Cela contribuera à la diminution significative des effectifs de la maison d'arrêt.

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